Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 7] - tél : [XXXXXXXX01]
01 Juillet 2024
1re chambre civile
50G
N° RG 21/07596 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JPZR
AFFAIRE :
S.C.I. PARIS SAINT LOUIS RCS de RENNES, SIREN 853 310 050
C/
[V] [L]
copie exécutoire délivrée
le :
à :
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente
ASSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président
ASSESSEUR : Philippe BOYMOND, Vice-Président
GREFFIER : Karen RICHARD lors des débats et lors du prononcé du jugement, qui a signé la présente décision.
DÉBATS
A l’audience publique du 08 Avril 2024
Philippe BOYMOND assistant en qualité de juge rapporteur sans opposition des avocats et des parties
JUGEMENT
En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Dominique FERALI ,
par sa mise à disposition au greffe le 01 Juillet 2024,
après prorogation du délibéré.
Jugement rédigé par Philippe BOYMOND.
-2-
ENTRE :
DEMANDERESSE :
S.C.I. PARIS SAINT LOUIS RCS de RENNES, SIREN 853 310 050
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Me Hélène LAUDIC-BARON, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
ET :
DEFENDERESSE :
Madame [V] [L]
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Maître Erwan LECLERCQ de , avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant, Maître Hugo CASTRES de la SCP HUGO CASTRES, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous signature privée en date du 02 août 2019, M. [I] [D], notaire et Mme [R] [P], directeur financier ont déclaré avoir visité les 18 et 22 juillet précédent un appartement en rez-de-chaussée avec deux caves situé [Adresse 2], propriété de Mme [V] [L], retraitée et ont offert de le lui acheter au prix de 420 000 €, ce que celle-ci a accepté.
Suivant acte authentique du 17 septembre 2019, Mme [L] a unilatéralement promis de vendre son bien à la société civile immobilière (SCI) Paris Saint-Louis, représentée par son gérant, M. [D], au même prix, ladite promesse étant consentie jusqu'au 06 janvier 2020. Les parties ont convenu d'une levée d'option, soit par la signature de l'acte authentique de vente, soit par manifestation par le bénéficiaire de sa volonté de réaliser la vente par exploit d'huissier, lettre recommandée avec accusé de réception ou écrit remis contre récépissé.
Il a également été stipulé, en caractères gras dans le texte, qu'en cas de régularisation de l'acte authentique de vente postérieurement au 06 janvier 2020 du fait d'une absence de libération des lieux par le promettant, fixée au plus tard à cette date, ce dernier serait redevable envers le bénéficiaire d'une indemnité non réductible de 100€ par jour de retard.
Les parties ont aussi prévu une indemnité d'immobilisation, d'un montant de 42 000€, dont 10 000€ à verser au plus tard dans les dix jours de la promesse, le surplus devant être versé au plus tard le jour de la signature de l'acte authentique de vente.
Suivant courriel du 05 décembre 2019, le syndic de l'immeuble a avisé ses occupants de ce que le bénéficiaire a prévu de nombreux travaux, à partir de la deuxième semaine de janvier 2020 et d'une durée d'environ quatre à cinq mois.
Suivant courriel du 12 décembre suivant, le notaire rédacteur de la promesse a avisé Mme [L] de ce que le bénéficiaire ne lèverait pas l'option d'achat, au motif qu'un rapport d'architecte de 2014 relatif à l'immeuble ne lui avait pas été communiqué et qu'il sollicitait la restitution « immédiate » de l'indemnité d'immobilisation, à savoir la somme de 10 000 €, versée à l'étude.
Par acte d'huissier de justice du 16 novembre 2021, la SCI Paris Saint-Louis a assigné Mme [V] [L] devant le tribunal judiciaire de Rennes, sur le fondement des articles 1112-1, 1240 et 1344-1 du code civil, aux fins d'obtenir sa condamnation à lui restituer l'indemnité d'immobilisation, avec intérêts à compter du 20 décembre 2019, outre une somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts, le tout sous bénéfice des dépens et de l'allocation d'une somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions n°1 notifiées par le RPVA le 21 octobre 2022, la SCI Paris Saint-Louis demande désormais au tribunal de :
Vu l’article 1112-1 du code civil, Vu l’article 1240 du code civil, Vu l’article 1344-1 du code civil ;
Vu la promesse unilatérale de vente du 17 septembre 2019 ; Vu la jurisprudence ; Vu les pièces versées au débat ;
CONSTATER la caducité de la promesse de vente conclu le 17 septembre 2019 ;
CONSTATER l’existence du rapport d’architecte datant d’avril 2014 ;
CONSTATER le manquement de la venderesse, Madame [L], à son obligation précontractuelle d’information envers l’acquéreur et bénéficiaire de la promesse, la SCI Paris Saint Louis ;
CONDAMNER Madame [L] au titre de sa responsabilité contractuelle;
ORDONNER la restitution de l’indemnité d’immobilisation d’un montant de 10.000€ à la S.C.I Paris Saint Louis, et en tant que besoin condamner Madame [L] à cette restitution.
DIRE que cette somme produire intérêts à compter de la mise en demeure du 20 décembre 2019 et que les intérêts seront calculés conformément aux dispositions de l’article 1344-1 du code civil ;
CONDAMNER Madame [L] au paiement de la somme de 5.000 € au titre des dommages intérêts ;
DEBOUTER Madame [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions;
CONDAMNER Madame [L] aux dépens et à la somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par le RPVA le 23 août 2022, Mme [L] demande au tribunal de :
Vu l'article 1112-1 du code civil,
Vu la promesse d'achat du 02 août 2019, Vu la promesse de vente du 17 septembre 2019,
Débouter la SCI PARIS SAINT-LOUIS de toutes ses demandes fins et conclusions ;
Reconventionnellement, Condamner la SCI PARIS SAINT-LOUIS à payer Madame [V] [L] une somme de 42 000 € au titre de l'indemnité d'immobilisation outre les intérêts à compter du 27 décembre 2019 avec capitalisation des intérêts ;
Condamner la SCI PARIS SAINT-LOUIS à payer à Madame [V] [L] une somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ordonnance du 25 mai 2023, le juge de la mise en état a clôturé l'instruction de l'affaire et a fixé l'audience de plaidoirie à la date du 08 avril suivant.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé à leurs écritures susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur les demandes formées au titre de l'indemnité d'immobilisation
L'article 1602 du code civil dispose que :
« Le vendeur est tenu d'expliquer clairement ce à quoi il s'oblige.
Tout pacte obscur ou ambigu s'interprète contre le vendeur ».
Le promettant doit restituer l'indemnité d' immobilisation au bénéficiaire lorsque l'échec de la vente promise lui est imputable, notamment en cas de manquement à son obligation d'information (Civ. 3ème 1er juillet 1998 n° 96-20.358 Bull. n°155).
Lorsqu'un tel manquement est invoqué, il appartient au juge de prendre également en compte le comportement de l'acquéreur, la connaissance qu'il a pu avoir de la consistance du bien promis et, le cas échéant, sa qualité de professionnel (Civ. 3ème 07 novembre 2012 n° 11-22.907 Bull. n°165).
La SCI Paris Saint-Louis sollicite, en premier lieu, que la caducité de la promesse soit constatée, ce à quoi ne s'oppose pas Mme [L], de sorte qu'il y sera procédé au dispositif de la présente décision.
Au soutien, ensuite, de sa demande en restitution de l'indemnité d'immobilisation, cette société prétend que le promettant a manqué à son obligation d'information, posée par l'article 1112-1 du code civil, en ce qu'il ne lui a pas remis un rapport d'architecte, datant d'avril 2014 et relatif à l'état structurel de l'immeuble, information pourtant déterminante de son consentement. Elle ajoute qu'« au jour du compromis de vente » (page 5), les travaux préconisés par ce rapport n'avaient pas été effectués par le syndicat de copropriétaires. Elle affirme « qu'elle n'avait aucun moyen de découvrir d'elle-même ce rapport » (ibid) et soutient, de surcroît, que les « acquéreurs » - a priori, en réalité, ses deux gérants - ayant « la qualité de profanes » et n'ayant pu visiter toutes les caves de l'immeuble, ils n'ont « absolument pas pu avoir connaissance des désordres structurels pouvant les affecter » (page 6). Elle prétend que les désordres relevés dans le rapport influent sur la stabilité des appartements du rez-de-chaussée et que les procès-verbaux des assemblées générales de 2014 et 2015 ne lui ont été communiqués, à sa demande, qu'après qu'elle a découvert l'existence dudit rapport.
Mme [L] répond que si le promettant n'a pas levé l'option, c'est uniquement en raison de l'opposition des copropriétaires de l'immeuble qui, suite au courriel du syndic du 05 décembre 2019 les avisant des travaux à venir, avaient exigé qu'ils soient soumis, au vu de leur ampleur, au vote d'une assemblée générale extraordinaire. Elle prétend que l'allégation de l'absence de communication du rapport de l'architecte, qu'elle conteste, n'était qu'un prétexte pour ne pas réaliser la vente et que les deux cogérants de la SCI Paris Saint-Louis, assistés d'un maître d’œuvre, lors de leurs visites des caves, n'ont pas pu ne pas voir les étaiements mis en place, signes apparents de désordres affectant leur structure. Elle ajoute que les travaux découlant du rapport litigieux sont évoqués dans les procès-verbaux d'assemblée générale de la copropriété des années 2014 à 2019, qu'elle verse aux débats et rappelle que les trois derniers ont nécessairement été communiqués aux acquéreurs.
En premier lieu, les parties ont considéré dans la promesse de vente que la SCI Paris Saint-Louis, compte étant tenu de ce que son gérant avait déclaré que l'acquisition litigieuse avait un rapport direct avec l'objet social de sa société, était un professionnel de l'immobilier (pièce demanderesse n°1, page 5).
C'est donc contre l'évidence que cette société soutient, désormais, qu'elle avait la qualité d'un acquéreur profane.
Il ressort ensuite de l'offre d'achat, du 02 août 2019 (pièce défenderesse n°1), que son gérant exerçait la profession de notaire. Il est donc établi que le représentant légal du bénéficiaire de la promesse était rompu aux transactions immobilières.
Mme [L], sur qui repose la charge de la preuve, ne démontre pas avoir communiqué le rapport d'architecte d'avril 2014 à la SCI Paris Saint-Louis et la promesse (ibid) n'en fait pas état.
Par contre, cette société ne conteste pas avoir reçu, au plus tard à la date de la signature de la promesse de vente, les procès-verbaux des assemblées générales des trois dernières années, comme le prévoit l'article L 721-2 du code de la construction et de l'habitation, soutenant simplement en effet n'avoir obtenu ceux des années 2014 et 2015 qu'en décembre 2019, et à sa demande.
Dans le procès-verbal de l'assemblée générale de 2016 (pièce défenderesse n°8), lequel ne comporte que trois pages, de sorte qu'il pouvait être très rapidement lu, figure une résolution adoptée relative à des travaux de rénovation des réseaux EU-EP pour un montant de 83 550 € TTC, somme conséquente pour une copropriété de dix personnes. Cette résolution rappelle également que ce dossier avait déjà été évoqué l'année précédente. Le procès-verbal de l'année suivante (pièce défenderesse n°9), composé de cinq pages, comporte une résolution adoptée qui indique que les travaux précités, ainsi que ceux de ventilation du sous-sol, sont quasiment terminés. A leur lecture, la SCI Paris Saint-Louis aurait dû se montrer curieuse et solliciter les procès-verbaux des années antérieures, a minima celui de l'année 2015, dans lequel elle aurait ainsi pu lire l'évocation des travaux précités et le renvoi, à leur sujet, aux délibérations de l'année précédente (pièce défenderesse n°7) et qu'elle aurait alors également réclamées. A leur lecture (pièce défenderesse n°6), elle aurait ainsi pu découvrir l'existence du rapport d'architecte litigieux, lequel a en effet été débattu en assemblée générale et en présence de son auteur, rapport dont elle se plaint de ne pas avoir été informée.
Cette société, qui ne conteste, ni avoir visité à plusieurs reprises l'immeuble et son sous-sol, de surcroît en présence d'un maître d’œuvre, ni la présence visible d'étais ne peut dès lors raisonnablement soutenir qu'elle n'a découvert la fragilité de sa structure qu'à la lecture du rapport d'architecte d'avril 2014. Son affirmation, selon laquelle son maître d’œuvre aurait refusé d'engager les travaux programmés en conséquence de la lecture de ce rapport, est dépourvue d'offre de preuve.
Il en résulte que la SCI Paris Saint-Louis ne peut utilement soutenir que Mme [L] aurait manqué à son obligation d'information envers elle au seul motif d'une absence de communication d'un rapport auquel, en sa qualité de professionnel de l'immobilier, il lui était aisé d'accéder et alors même qu'en considération de l'état apparent dégradé de la structure du sous-sol de l'immeuble et de sa volonté d'y faire des travaux conséquents, elle devait faire preuve d'une curiosité aiguisée.
L'échec de la vente promise n'étant pas imputable à Mme [L], cette société est dès lors mal fondée en sa demande de restitution de la partie de l'indemnité d'immobilisation qu'elle a versée au notaire instrumentaire. Elle sera déboutée de sa demande.
Il en ira de même de sa demande de dommages et intérêts, faute d'établir l'existence d'une faute de Mme [L].
A titre reconventionnel, celle-ci sollicite la condamnation de la SCI Paris Saint-Louis à lui payer la somme de 42 000 €, au titre de l'indemnité d'immobilisation de son bien stipulée à la promesse et en conséquence de l'absence de la levée de l'option qui ne lui est pas imputable, avec intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2019 (dispositif de ses conclusions) ou du 06 janvier 2020 (dans sa discussion) et capitalisation.
Cette société s'y oppose, au motif qu'en conséquence du manquement de l'intéressée, « la clause pénale n'a pas vocation à s'appliquer » (page 9). Elle souligne que la clause a prévu une somme non productive d'intérêts. Elle ne discute pas autrement cette prétention.
Les parties ont clairement stipulé (pages 22 et 23) une « indemnité d'immobilisation », en considération de la promesse conférée au bénéficiaire et en contrepartie « du préjudice qui peut en résulter (pour le promettant) en cas de non réalisation (de la promesse) et notamment, par suite de la perte qu'il éprouverait compte tenu de l'obligation dans laquelle il se trouverait d'avoir à rechercher un nouvel acquéreur après l'expiration du délai précité et de recommencer l'ensemble des formalités préalables à l'acte de vente ». Ainsi, le bénéficiaire avait l'obligation de verser au notaire instrumentaire, en deux temps, la somme de 42 000 € et les parties ont convenu que si ce dernier ne demandait pas l'exécution de la promesse, en dépit de la réalisation de la condition suspensive relative à l'obtention d'un prêt, laquelle n'est pas discutée, « cette somme, non productives d'intérêts, restera acquise définitivement au promettant à titre de pénalité ». Les parties ont également prévu que cette somme ne « constitue pas des arrhes mais le prix forfaitaire de l'indisponibilité du bien promis ».
Il en résulte que la SCI Paris Saint-Louis, qui n'a pas levé l'option, est redevable de cette indemnité. Elle sera en conséquence condamnée, en deniers ou quittance dans la mesure où les parties ne disent pas clairement en quelles mains se trouve la somme de 10 000 € déjà versée par la SCI, à payer celle de 42 000 € à Mme [L]. Cette somme ne portera intérêts au taux légal qu'à compter du 23 août 2022, date de notification par le RPVA de cette demande incidente et il sera fait droit à la demande de capitalisation desdits intérêts, dans le respect des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
Sur les demandes annexes :
Parties succombantes, la SCI Paris Saint-Louis sera condamnée aux dépens, en application de l'article 696 du code de procédure civile.
L'équité commande, en outre, de la condamner à payer à Mme [L] la somme de 3 000 € au titre de ses frais non compris dans les dépens.
DISPOSITIF:
Le tribunal :
CONSTATE la caducité de la promesse unilatérale de vente du 17 septembre 2019;
CONDAMNE la SCI Paris Saint-Louis à payer, en deniers ou quittance, à Mme [V] [L] la somme de 42 000 € (quarante-deux mille euros), avec intérêts au taux légal à compter du 23 août 2022,
et ORDONNE leur capitalisation qui ne produira effet, le cas échéant, que lorsque ces intérêts auront été dus pour au moins une année entière ;
CONDAMNE la SCI Paris Saint-Louis aux dépens ;
la CONDAMNE à payer à Mme [V] [L] la somme de 3 000 € (trois mille euros) au titre des frais non compris dans les dépens ;
REJETTE toute autre demande, plus ample ou contraire.
La greffière La présidente