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25/06/2024 | FRANCE | N°22/00247

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 25 juin 2024, 22/00247


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES


25 Juin 2024


2ème Chambre civile
74C

N° RG 22/00247 -
N° Portalis DBYC-W-B7F-JROM


AFFAIRE :


[L] [O]
[S] [C] épouse [O]

C/

[R] [D]
[H] [U] épouse [D]
S.E.L.A.R.L. A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN,
SA SADIV,


copie exécutoire délivrée
le :
à :





DEUXIEME CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE


PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KER

MARREC, Vice-Présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de pro...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

25 Juin 2024

2ème Chambre civile
74C

N° RG 22/00247 -
N° Portalis DBYC-W-B7F-JROM

AFFAIRE :

[L] [O]
[S] [C] épouse [O]

C/

[R] [D]
[H] [U] épouse [D]
S.E.L.A.R.L. A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN,
SA SADIV,

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire

GREFFIER : Fabienne LEFRANC lors des débats et lors de la mise à disposition qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 16 Avril 2024

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame [N] [G]
par sa mise à disposition au Greffe le 25 Juin 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Madame [N] [G],

ENTRE :

DEMANDEURS :

Monsieur [L] [O]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représenté par Maître Sébastien COLLET de la SCP VIA AVOCATS, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

Madame [S] [C] épouse [O]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représentée par Maître Sébastien COLLET de la SCP VIA AVOCATS, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

ET :

DEFENDEURS :

Monsieur [R] [D]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Maître Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

Madame [H] [U] épouse [D]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

S.E.L.A.R.L. A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN, immatriculée au RCS de Rennes sous le n° 479 226 979
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Maître Etienne GROLEAU de la SELARL GROLEAU, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

SA SADIV, immatriculée au RCS de RENNES sous le n° 445 042 625, devenue TERRE ET TOIT suivant modifications statutaires intervenues en Assemblée générale ordinaire, représentée par son Président en exercice dûment autorisé
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 5]
représentée par Maître Sophie GUILLON-COUDRAY de la SELARL CABINET COUDRAY, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

EXPOSE DU LITIGE

Selon acte notarié en date du 23 septembre 2019 faisant suite à une promesse synallagmatique de vente du 30 janvier 2019, Monsieur [L] [O] et Madame [S] [C] épouse [O] ont fait l’acquisition auprès de la SADIV (SAEM) d’une parcelle de terrain à bâtir correspondant au lot n°28 de la zone d’aménagement concertée (ZAC) [Adresse 9] sur la commune de [Localité 11] (35).

Suivant acte notarié en date du 1er octobre 2019 faisant également suite à une promesse synallagmatique de vente, Monsieur [R] [D] et Madame [H] [U] épouse [D] ont fait l’acquisition auprès de la même société de la parcelle voisine correspondant au lot n°27 de la ZAC précitée.

Les deux couples d’acquéreurs ont fait construire, sur leurs terrains respectifs et en mitoyenneté, une maison individuelle selon permis de construire en date du 27 juin 2019 pour les premiers et du 4 juillet 2019 pour les seconds.

Avant de déposer leur demande de permis de construire, les intéressés ont reçu un avis favorable de la part de la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN (SELARL), architecte urbaniste de la ZAC, qui a considéré que les projets soumis étaient tous deux conformes au cahier des prescriptions et recommandations architecturales et paysagères et environnementales de la ZAC (ci-après le CPRAPE).

Selon courrier de leur conseil en date du 26 décembre 2019, Monsieur et Madame [O] ont mis en demeure Monsieur et Madame [D] d’interrompre la construction de leur habitation tant que celle-ci ne respecterait pas le CPRAPE, ainsi que les articles 678 et 679 du code civil réglementant la distance des vues.

Des échanges se sont poursuivis entre les parties sans qu’un accord aboutisse.

Le 22 décembre 2021, Monsieur et Madame [O] ont fait assigner Monsieur et Madame [D], la SADIV et la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN devant le tribunal judiciaire de RENNES afin d’obtenir, principalement, l’indemnisation de la perte de valeur vénale subie par leur propriété du fait d’une perte d’ensoleillement et l’exécution sous astreinte de travaux destinés à occulter la vue sur leur propriété depuis la terrasse de leurs voisins.

Le 22 septembre 2022, le juge de la mise en état a fait injonction aux parties de se présenter à un rendez-vous d’information sur la médiation. Pour autant, aucun règlement amiable du litige n’est intervenu.

Aux termes de conclusions n°1 notifiées par voie électronique le 30 mai 2023, Monsieur et Madame [O] demandent au tribunal de :
“Vu l’article 1240 du Code civil
Vu l’article 1231-1 du Code civil,
Vu les articles 678 et 679 du Code civil,
Vu l’article 202 du Code de procédure civile,

ECARTER des débats les attestations de Monsieur [Z] (pièce [D] n°16) ainsi que de Monsieur [T] et de Madame [I] (pièce [D] n°23) en ce qu’elles ne respectent pas le formalisme imposé par le Code de procédure civile.

CONDAMNER in solidum – ou les uns à défaut des autres – Monsieur et Madame [D], le Cabinet A/LTA LE TRIONNAIRE LE CHAPELAIN ainsi que la SADIV à verser à Monsieur et à Madame [O] :
- 15 000 € au titre de la perte de valeur vénale subie par leur propriété

- 4 332 € TCC en remboursement du coût de l’intervention du Cabinet [W] EXPERTISES.

PRENDRE ACTE de ce que Monsieur et Madame [D] ont procédé à la pose d’une jardinière en bois occultante.

DEBOUTER Monsieur et Madame [D] de leur demande formée, reconventionnellement, en indemnisation du préjudice moral ainsi que des troubles et tracas allégués.

DEBOUTER Monsieur et Madame [D], le Cabinet A/LTA LE TRIONNAIRE LE CHAPELAIN ainsi que la SADIV de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

CONDAMNER in solidum – ou les uns à défaut des autres – Monsieur et Madame [D], le Cabinet A/LTA LE TRIONNAIRE LE CHAPELAIN ainsi que la SADIV en 3 000 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers frais et dépens de la présente instance comprenant les frais d’établissement du constat d’huissier du 15 mai 2023 pour un coût total de 369,20 € qui pourront être recouvrés par la SCP VIA AVOCATS, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

RAPPELER l’exécution provisoire de la décision”.

Au soutien de leurs demandes, Monsieur et Madame [O] exposent que le projet des époux [D] méconnaît le CPRAPE de la ZAC. Ils expliquent que la construction de leurs voisins ne respecte pas le plan de composition prévu par le CPRAPE et n’est pas en harmonie, ni cohérence avec leur propre projet, pourtant antérieur. Ils déplorent, plus précisément, le fait que le pignon Est de la construction des époux [D] d’une longueur de 16,50 mètres soit nettement plus grand que celui de leur maison qui mesure 9,48 mètres. Ils indiquent que la propriété de leurs voisins est la seule du lotissement avec un tel décroché sur la partie sud-ouest (côté jardin) et créé un véritable “front bâti” sur la quasi-totalité du côté concerné, soit l’ouest de leur propriété. Pour leur démonstration, ils invoquent des photographies, une capture d’écran du site GEOPORTAIL et un constat d’huissier de justice dressé le 15 mai 2023.

Monsieur et Madame [O] font valoir que cette méconnaissance du CPRAPE applicable génère une perte d’ensoleillement sur leur propriété, elle-même à l’origine d’une perte de valeur vénale de celle-ci. Ils se prévalent en ce sens d’un rapport établi à leur demande le 30 juillet 2020 par Monsieur [F] du cabinet [W] EXPERTISES dont ils reprennent les termes. En réponse aux parties adverses, ils précisent que ce rapport est conforté par les autres éléments de preuve précités. Ils considèrent également que l’attestation de Monsieur [T] et Madame [I] doit être rejetée pour ne pas respecté le formalisme imposé par l’article 202 du code de procédure civile. Ils ajoutent que les considérations subjectives de ce témoignage sont insuffisantes à remettre en cause les conclusions du rapport du cabinet [W] EXPERTISES.

Monsieur et Madame [O] affirment que la responsabilité des époux [D] est engagée au titre des troubles anormaux du voisinage. Ils expliquent que la perte d’ensoleillement et la perte de valeur vénale subies du fait de la construction de leurs voisins excèdent les inconvénients normaux du voisinage. Ils jugent indifférent le fait que la construction litigieuse soit conforme au permis de construire accordé, celui-ci l’étant toujours sous réserve du droit des tiers. Ils ajoutent que l’attestation du maire de [Localité 11] ne peut être retenue, dès lors qu’elle ne respecte pas le formalisme imposé. Ils s’interrogent également sur la légitimité de ce témoignage.

Monsieur et Madame [O] considèrent que la responsabilité délictuelle de la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN est engagée, en ce qu’il lui appartenait de refuser le projet des époux [D] qui ne respecte pas le CPRAPE pour les raisons déjà exposées. Ils estiment a minima que la société aurait dû envisager une adaptation du projet avec l’alignement de la construction de leurs voisins sur l’implantation de la leur pour éviter le préjudice subi. Ils indiquent que la faute de l’architecte est d’autant plus caractérisée que les deux projets ont été instruits quasiment en même temps et que l’incohérence de la construction voisine est flagrante.

Ils indiquent de même que la responsabilité de la SADIV est engagée faute d’avoir respecté ses engagements contractuels. Ils font observer que la promesse de vente signée soumettait le vendeur aux charges et conditions du CPRAPE, soumission rappelée dans l’acte authentique. Ils en déduisent que la SADIV aurait dû s’opposer au projet des époux [D] ou a minima proposer son adaptation. En réponse à l’argumentation adverse, ils soulignent notamment que le CPRAPE prévoit que le dépôt du permis de construire est conditionné à l’autorisation préalable de la SADIV.

Pour s’opposer à la demande reconventionnelle des époux [D], Monsieur et Madame [O] font principalement valoir que le préjudice allégué par ceux-ci n’est ni explicité, ni a fortiori démontré. Ils ajoutent que seule l’assignation délivrée a permis d’obtenir de leurs voisins qu’ils suppriment les vues induites par leur construction.

En défense, aux termes de conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 12 juillet 2023, Monsieur et Madame [D] demandent au tribunal :
“Vu les dispositions des articles 678 et suivants du code civil
Vu les dispositions des articles 1240, 1231-1 et suivants du code civil

- Débouter Monsieur et Madame [O] de toutes leurs demandes, celles-ci étant mal fondées.

- Juger que la construction de Monsieur et Madame [D] a été réalisée conformément au permis de construire qui leur a été accordé, et aux règlements du lotissement

- Condamner solidairement Monsieur et Madame [O] à verser à Monsieur et Madame [D] la somme de 7 000 € à titre de dommages et intérêts.

- Condamner solidairement Monsieur et Madame [O] à verser à Monsieur et Madame [D] la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles

- Condamner solidairement Monsieur et Madame [O] aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux disposions de l’article 699 du code de procédure civile”.

Monsieur et Madame [D] rappellent que leur maison a été édifiée en conformité avec le permis de construire obtenu, visé par [Adresse 10] METROPOLE et validé par l’architecte du lotissement, ainsi que la SADIV. Ils insistent sur le fait que leur construction respecte le CPRAPE applicable et plus particulièrement le plan de composition. Ils expliquent que leur construction respecte l’emprise constructible et l’alignement définis par ce dernier. Ils signalent que l’avancée de leur garage et le décalage en partie sud de leur construction ont été reproduits sur plusieurs lots du lotissement. Ils ajoutent que cette conformité est confirmée par la SADIV et le maire de la commune. Ils précisent que les photographies produites par les époux [O] ne révèlent pas la réalité du lotissement qui est aujourd’hui achevé à 90 % avec des maisons qui entourent de part et d’autre la propriété des époux [O].

Sur le fondement de l’article 1240 du code civil, Monsieur et Madame [D] soutiennent que les époux [O] ne rapportent la preuve ni d’une faute de leur part, ni d’un préjudice en lien de causalité avec celle-ci. Ils font observer que les intéressés n’ont jamais habité leur maison qui est mise en location. Ils contestent la perte d’ensoleillement invoquée par les époux [O] qui est, selon eux, très limitée compte tenu de l’écran déjà formé à l’ouest par les lots 26 à 21. Ils ajoutent que le rapport du cabinet [W] invoqué en demande a été réalisé, alors que la construction du lotissement en était à ses débuts. Ils estiment également que la perte financière évaluée par ce même rapport n’est pas convaincante faute de justificatifs tangibles. Plus généralement, ils affirment que la simple gêne liée à une perte d’ensoleillement du fait de la construction d’un immeuble voisin n’est pas constitutive d’un trouble anormal du voisinage en milieu urbain et périurbain. Ils soulignent que les locataires des époux [O] ne se plaignent pas de la perte d’ensoleillement alléguée. Ils considèrent également que la valeur vénale de la propriété des époux [O] a grandement augmenté depuis le rapport produit.

Pour justifier leur demande de dommages-intérêts, Monsieur et Madame [D] jugent inacceptable l’acharnement des époux [O], malgré leurs efforts de médiation. Ils font état d’un stress important.

Aux termes de conclusions notifiées par voie électronique le 14 septembre 2022, la SADIV demande au tribunal de :
“Au fond,

- RELEVER que les réclamations consistant en la perte de valeur vénale du fait de la perte d’ensoleillement ou en la nécessité de créer des vues ne sont nullement justifiées ;

- DIRE ET JUGER qu’aucune faute de la SADIV n’est caractérisée ;

Par conséquent,

- DÉBOUTER Monsieur et Madame [O] de leurs demandes ;

- CONDAMNER Monsieur et Madame [O] à verser à la SADIV la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER Monsieur et Madame [O] aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux disposions de l’article 699 du code de procédure civile ;

En tout état de cause,

- DÉBOUTER le cabinet A/LTA LE TRIONNAIRE – LE CHAPELAIN de son appel en garantie formulé à l’encontre de la SADIV”.

La SADIV conteste avoir engagé sa responsabilité contractuelle à l’égard des époux [O].

Elle admet que lors de la vente aux époux [O], les parties ont consenti à se soumettre au CPRAPE. Pour autant, elle conteste toute obligation contractuelle qui aurait dû la conduire à s’opposer au projet des époux [D]. Elle insiste sur les particularités juridiques de la ZAC concernée par le projet, lesquelles diffèrent de celles d’un lotissement de droit privé. Elle soutient en substance que les obligations résultant du CPRAPE s’imposent uniquement aux acquéreurs.

La SADIV conteste de même avoir commis une faute. Elle exlique s’être assurée de la compatibilité du permis de construire des époux [D] avec l’environnement général, la qualité et la cohérence architecturale dans la ZAC. Elle fait observer que le maire de [Localité 11] a également confirmé la conformité du projet litigieux par rapport au CPRAPE.

En tout état de cause, la SADIV soutient que la construction des époux [D] est régulière. Elle confirme que celle-ci respecte bien l’emprise constructible édictée par le plan de composition applicable, ainsi que l’harmonie générale de la ZAC. Sur ce dernier point, elle insiste sur le fait que les dispositions du CPRAPE visent une harmonie des constructions à l’échelle de la ZAC sans imposer un quelconque mimétisme entre elles.

A titre subsidiaire, la SADIV conteste l’existence d’un préjudice indemnisable. Elle soutient que la perte de valeur vénale alléguée n’a pas de caractère certain, ni direct. Elle critique en détail le rapport d’expertise produit en demande en indiquant notamment que pour déterminer une perte d’ensoleillement, il formule une hypothèse tout à fait irréaliste concernant l’implantation de la construction des époux [D], puisque celle-ci ne respecte pas l’alignement imposé par la ZAC. Elle fait également observer que l’édification d’une construction selon la configuration retenue par les époux [D] était une prévision raisonnable et connue des époux [O] au moment de l’acquisition de leur bien. Elle insiste également sur le caractère fortement urbanisé du secteur concerné. Elle en déduit que la réduction de l’ensoleillement est un inconvénient normal et prévisible de voisinage s’agissant, au surplus, d’une parcelle de petite taille ceinturée de maisons sur tous les fronts cardinaux. La SADIV ajoute que la perte de valeur vénale estimée par le cabinet [W] est arbitraire.

A titre infiniment subsidiaire, la SADIV fait valoir que l’appel en garantie de la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN à son encontre n’est pas fondé. Elle expose que c’était à cette société, en qualité d’urbaniste de la ZAC, de vérifier la conformité des permis de construire au regard du CPRAPE.

Suivant conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 29 août 2023, la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN demande au tribunal de :
“A titre principal

Vu les pièces produites par les demandeurs,
Vu le rapport du cabinet [W] EXPERTISES (Pièce 8 époux [O])
Vu l’article 1353 du code civil,
Vu l’article 16 du code de procédure civile,

Relever que pour soutenir leur demande, les époux [O] ne produisent qu’un seul rapport technique, lequel a été établi à leur demande, manifestement insuffisant à caractériser la réalité de la perte vénale de leur bien

En sus,

Vu les pièces produites numérotées de 1 à 6,

Relever que le préjudice consistant en la perte de valeur vénale de la maison des époux [O] n’est nullement établi,

Dire et juger qu’aucune faute du cabinet A/LTA LE TRIONNAIRE – LE CHAPELAIN dans l’exercice de ses missions n’est caractérisée,

Par conséquent,

Débouter les époux [O] de toute demande indemnitaire à l’encontre du cabinet A/LTRA LE TRIONNAIRE / LE CHAPELAIN comme étant injustifiée et au surplus, mal fondée au visa de l’article 1240 du code civil.

Prendre acte de ce que les époux [O] ont abandonné toute réclamation au titre de la création d’un pare vue, celui-ci ayant été mis en œuvre par les époux [D],

En tout état de cause

Vu l’article 1240 du code civil,

Condamner la SADIV à relever et garantir le cabinet A/LTA LE TRIONNAIRE – LE CHAPELAIN de toute condamnation susceptible d’être mise à sa charge.

Condamner tout succombant à payer au cabinet A/LTA LE TRIONNAIRE – LE CHAPELAIN la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Condamner tout succombant aux entiers dépens”.

La société d’architecte estime que les époux [O] échouent à établir la réalité du préjudice allégué, à savoir une perte de valeur vénale, du fait d’une prétendue perte d’ensoleillement. Elle soutient que le rapport technique produit est insuffisant à lui seul pour établir ce préjudice. Elle ajoute que le constat d’huissier de justice invoqué à titre complémentaire est également insuffisant pour établir une perte de valeur vénale, de même que la capture d’écran du site GEOPORTAIL. La société ajoute que le témoignage des locataires des époux [O] dément l’existence d’un trouble anormal de voisinage.

La société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN ajoute qu’en l’absence de lien contractuel avec les époux [O], seule sa responsabilité délictuelle pourrait être envisagée. Elle conteste néanmoins toute faute. Elle dit avoir rempli ses obligations, le permis de construire des époux [D] étant conforme au CPRAPE. Elle précise que la construction de ces derniers respecte l’emprise constructible de leur parcelle matérialisée sur le plan de composition. Elle ajoute que cette construction reste cohérente avec l’environnement. Elle fait observer qu’un certain nombre de maisons présente un alignement identique à celui des époux [D].

A titre subsidiaire, la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN se dit fondée à appeler en garantie la SADIV compte tenu de son rôle déterminant en tant que propriétaire et vendeuse du foncier.

***
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 25 janvier 2024. L’affaire a été fixée à l’audience du 16 avril suivant et mise en délibéré au 25 juin 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur les demandes principales de Monsieur et Madame [O] :

Les intéressés ne formulant plus de demande aux fins de suppression des vues s’exerçant sur leur propriété, il n’y a pas lieu de revenir sur ce point.

1) Sur le sort des attestations produites en défense :

Selon l’article 202 du code de procédure civile, l'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés.
Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s'il y a lieu, son lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles.
Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales.
L'attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.

En l’espèce, les deux attestations litigieuses correspondent aux pièces 16 et 23 des époux [D].

Elles ne respectent pas l’ensemble des prescriptions posées par le texte précité. Elles ne mentionnent pas, notamment, avoir été établies en vue de leur production en justice, ni les sanctions pénales encourues en cas de fausse attestation.

Pour autant, les formalités prescrites par l’article 202 précité ne le sont pas à peine de nullité et les seules omissions constatées ne sont pas suffisantes pour écarter des débats les attestations litigieuses, étant observé que Monsieur et Madame [O] ne remettent pas en cause le fait que ces documents émanent bien respectivement de Monsieur [J] [Z], ancien maire de [Localité 11], d’une part, et de Madame [K] [I] et Monsieur [E] [T] [M], locataires de leur propriété, d’autre part.

En conséquence, ces deux attestations doivent être examinées par le tribunal comme tous les autres éléments de preuve versés aux débats.

2) Sur la conformité du projet litigieux au CPRAPE :

Les prescriptions du CPRAPE ont une valeur contractuelle pour les acquéreurs de lot au sein de la ZAC et il ne fait pas de doute que les prescriptions qu’il énonce s’imposent à ces derniers.

Pour l’implantation des constructions sur chaque lot, le CPRAPE énonce les obligations suivantes en page 14 :
“c_ Implantation
∙ Implantation des constructions dans le terrain

Pour l’ensemble des lots, les constructions futures devront être implantées dans l’emprise constructible reportée p.16.
Les alignements imposés, reportés au plan de composition doivent être respectés.
(...)
∙ Implantation des constructions par rapport aux voies et emprises publiques

Pour l’ensemble des lots, les constructions futures devront être implantées dans l’emprise constructible reportée p.16.

Les garages ou carports devront être implantés à l’alignement obligatoire reporté sur le plan de composition. p.16. (...)”.

Sur le plan de composition correspondant, l’emprise constructible de chaque lot est matérialisée par un quadrillage et l’alignement obligatoire l’est pas un trait épais de couleur foncée.

Force est de constater, d’après les deux plans reproduits en pages 4 et 5 des conclusions des époux [O], que la construction de Monsieur et Madame [D] est bien implantée dans l’emprise constructible de leur lot et respecte l’alignement imposé au niveau du garage. Il importe de préciser que cet alignement s’entend d’une limite à ne pas dépasser, mais non d’une limite à atteindre nécessairement.

En tout état de cause, cet alignement s’impose au niveau de la façade avant des époux [D] située au nord et n’a aucune incidence sur la perte d’ensoleillement alléguée par les époux [O] au niveau du jardin de leur propriété situé au sud.

Sur ce premier point, la construction de Monsieur et Madame [D] est bien conforme au CPRAPE.

A propos de l’aspect extérieur des constructions et, plus précisément de leur volumétrie, le CPRAPE prévoit notamment en page 18 :
“Pour les lots libres, lorsque deux constructions sont mitoyennes, les raccordements de toitures seront soigneusement étudiés. Les constructeurs devront prendre attache auprès de la SADIV afin de savoir si un projet sur le lot mitoyen a déjà été déposé pour avis. Le second projet déposé pour avis devra s’adapter au premier projet.
L’architecte urbaniste se réserve, dès lors, la possibilité de refuser certaines volumétries et d’intervenir sur la composition des volumes projetés au cas où pour des raisons techniques et/ou architecturales les raccordements n’étaient pas traités soigneusement. (...)
Les opérations de maisons individuelles groupées doivent être pensées suivant une composition d’ensemble et non comme la juxtaposition de maisons indépendantes.
La composition des façades, le rythme et le dimensionnement des ouvertures, doit participer au dessin de la rue et à l’animation de l’ensemble bâti. Il est recommandé de varier la typologie des maisons dans leur gabarit et leur volumétrie de façon à ne pas construire un front trop imposant sur la voie. (...)”.

Ces prescriptions sont très générales et peu contraignantes. Elles n’ont d’autre finalité que d’assurer une certaine harmonie d’ensemble des constructions au sein de la ZAC.

En l’occurrence, après étude des différentes photographies produites tant par les époux [O] (jointes au procès-verbal de constat dressé le 15 mai 2023 - leur pièce 11) que par les époux [D] (leurs pièces 25, 27 et 29), force est de constater que la construction de ces derniers respecte, dans ses volumes et proportions, l’harmonie générale de la ZAC, y compris au niveau de sa toiture. Toutes les constructions de cette zone sont en effet conçues sous forme d’une alternance de blocs de différentes tailles et hauteurs, avec des décrochés plus ou moins importants, tant en façade avant qu’en façade arrière. Ces décrochés ont précisément pour but de ne pas donner une impression de front bâti trop imposant sur la voie publique comme préconisé par le CPRAPE.

A titre d’exemple plus précis, à proximité immédiate du lot 28 des époux [O], le lot 29 comporte lui-même un décroché en façade arrière, le long de la terrasse de la construction mitoyenne sur le lot 30.

En définitive, la construction des époux [D] est bien conforme au CPRAPE et c’est précisément la raison pour laquelle le permis de construire déposé a été validé ou accordé tant par la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN et la SADIV que par la commune de [Localité 11].

Partant, aucune faute n’est caractérisée de la part de la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN et la SADIV. Les demandes présentées par les époux [O] à leur encontre ne peuvent qu’être rejetées.

Reste à déterminer si la construction des époux [D], en dépit de sa conformité au CPRAPE, est susceptible de causer un trouble anormal de voisinage aux époux [O].

3) Sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage :

Selon un principe jurisprudentiel constant tiré de l’article 544 du code civil, nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

L’action en responsabilité civile fondée sur ce principe est une action extra-contractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à celui qui se dit victime de demander réparation au propriétaire de l'immeuble à l'origine du trouble, responsable de plein droit.

Une telle action suppose la démonstration par celui qui s’en prévaut, non seulement d’un trouble, mais surtout de l’anormalité de celui-ci.

En l’espèce, il faut bien admettre que compte tenu de sa longueur et de sa hauteur en limite est, la construction des époux [D] gêne partiellement et uniquement en fin de journée l’ensoleillement de la terrasse située au sud de la propriété des époux [O] et donnant sur le jardin.

Les calculs opérés par l’expert sollicité par les époux [O] objectivent une perte de l’ordre de 1 à 2 heures par jour du mois de mars au mois de septembre de l’année, par comparaison avec une construction voisine implantée en net recul vers le nord par rapport à son implantation actuelle (leur pièce 8). Ces calculs restent toutefois très théoriques.

A l’inverse et de manière tout à fait concrète, les locataires actuels de la maison des époux [O] témoignent de manière précise et circonstanciée de ce que la maison des époux [D] ne les gêne pas du point de vue de l’ensoleillement. Ils expliquent ainsi : “La petite part d’ombre apportée par le mur de notre voisin est minime et est agréable. Cette configuration réduit le vis-à-vis et représente en cela un point positif. Enfin, même en période hivernale, le séjour est très ensoleillé en journée, permettant d’atteindre une température intérieure 3 degrés au dessus de la température demandée.”.

La perte d’ensoleillement subie par la propriété des époux [O] est donc très modérée et à relativiser compte tenu de l’environnement général du secteur. Il s’agit en réalité d’un inconvénient normal de voisinage dans une zone urbanisée, autorisant la construction de maisons individuelles, y compris en mitoyenneté, sur des parcelles de petite surface (en l’occurrence 322 m² pour des constructions de 100 à 150 m² au plancher).

En définitive, Monsieur et Madame [O] ne rapportent pas la preuve d’un trouble anormal de voisinage et l’ensemble de leurs demandes à l’encontre des époux [D] doit être rejeté.

II - Sur la demande reconventionnelle de Monsieur et Madame [D] :

La mauvaise appréciation qu’une partie peut faire de ses droits ne suffit pas à faire dégénérer en abus son action en justice, dès lors qu’il n’est démontré de sa part aucune intention de nuire ou erreur grossière équivalente au dol.

En l’espèce, les circonstances du litige ne caractérisent pas d’abus de la part de Monsieur et Madame [O] de leur droit d’agir en justice.

III - Sur les demandes accessoires :

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, les époux [O], parties perdantes, doivent supporter les dépens.

Par suite, leur demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ne peut qu’être rejetée.

A l’inverse, il serait inéquitable de laisser à la charge des défendeurs les frais non compris dans les dépens qu’ils ont été contraints d’exposer pour la défense de leurs intérêts en justice. En compensation partielle, il convient d’allouer, à la charge des époux [O], une indemnité de 1 500 euros aux époux [D], une indemnité de 800 euros à la SADIV et une indemnité de 800 euros à la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire et aucune circonstance ne justifie de déroger à ce principe.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

REJETTE toutes les demandes de Monsieur [L] [O] et Madame [S] [C] épouse [O] à l’encontre de la SADIV (SAEM),

REJETTE toutes les demandes de Monsieur [L] [O] et Madame [S] [C] épouse [O] à l’encontre de la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN (SELARL),

REJETTE toutes les demandes de Monsieur [L] [O] et Madame [S] [C] épouse [O] à l’encontre de Monsieur [R] [D] et Madame [H] [U] épouse [D],

LAISSE les dépens à la charge de Monsieur [L] [O] et Madame [S] [C] épouse [O], avec, le cas échéant, droit de recouvrement au profit des conseils de Monsieur [R] [D] et Madame [H] [U] épouse [D] et de la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN (SELARL) selon les conditions posées par l’article 699 du code de procédure civile,

REJETTE la demande présentée par Monsieur [L] [O] et Madame [S] [C] épouse [O] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [L] [O] et Madame [S] [C] épouse [O] à verser une indemnité de 1 500 euros à Monsieur [R] [D] et Madame [H] [U] épouse [D] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [L] [O] et Madame [S] [C] épouse [O] à verser une indemnité de 800 euros à la SADIV (SAEM) au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [L] [O] et Madame [S] [C] épouse [O] à verser une indemnité de 800 euros à la société A/LTA LE TRIONNAIRE - LE CHAPELAIN (SELARL) au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an que dessus,

La Greffière,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/00247
Date de la décision : 25/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-25;22.00247 ?
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