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25/06/2024 | FRANCE | N°21/07153

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 25 juin 2024, 21/07153


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES


25 Juin 2024


2ème Chambre civile
74D

N° RG 21/07153 -
N° Portalis DBYC-W-B7F-JPHK


AFFAIRE :

[H] [S] épouse [G]
[B] [G]


C/

SCI DE LA RABINE,


copie exécutoire délivrée
le :
à :





DEUXIEME CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE


PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, san

s opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporair...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

25 Juin 2024

2ème Chambre civile
74D

N° RG 21/07153 -
N° Portalis DBYC-W-B7F-JPHK

AFFAIRE :

[H] [S] épouse [G]
[B] [G]

C/

SCI DE LA RABINE,

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire

GREFFIER : Fabienne LEFRANC lors des débats et lors de la mise à disposition qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 16 Avril 2024

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Jennifer KERMARREC
par sa mise à disposition au Greffe le 25 Juin 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Madame Jennifer KERMARREC,

ENTRE :

DEMANDEURS :

Madame [H] [S] épouse [G]
[Adresse 16]
[Localité 19]
représentée par Maître Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

Monsieur [B] [G]
[Adresse 16]
[Localité 19]
représenté par Maître Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

ET :

DEFENDERESSE :

SCI DE LA RABINE, immatriculée au RCS de RENNES sous le n°390 155 455, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 20]
[Localité 21]
représentée par Maître Sophie SOUET de la SELARL ARES, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

EXPOSE DU LITIGE

Aux termes d’actes notarié de vente ou d’échange en date des 28 août 2017, 20 mars 2018, 6 novembre 2019 et 14 janvier 2020, Monsieur [B] [G] et Madame [H] [S] épouse [G] (ci-après les époux [G]) sont devenus propriétaires d’un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 21] (35) cadastré section BH n°[Cadastre 8] et des parcelles voisines cadastrées section BH n°[Cadastre 9], [Cadastre 5] et [Cadastre 4].

Depuis un acte notarié de vente du 16 février 1993, la SCI DE LA RABINE est propriétaire de l’immeuble voisin situé [Adresse 1] sur la même commune, cadastré section BH n°[Cadastre 11] et de la parcelle voisine à usage de jardin cadastrée section BH n°[Cadastre 10].

Les lieux se présentent comme ceci d’après un plan de division du 7 novembre 2019 portant sur la parcelle BH n° [Cadastre 6] devenue BH [Cadastre 3] et BH [Cadastre 4] :

Monsieur et Madame [G] ont un projet immobilier sur leurs parcelles qui implique la pose d’une clôture sur leur fonds, laquelle ferait obstacle au passage vers l’ouest des occupants de l’immeuble cadastré BH [Cadastre 11].

Des échanges ont eu lieu entre les époux [G] et la SCI DE LA RABINE par l’intermédiaire de leurs conseils respectifs, mais n’ont pas permis qu’un accord soit trouvé. La SCI DE LA RABINE s’est en effet opposée au projet de ses voisins au motif que son fonds bénéficiait d’un droit de passage sur la cour des époux [G].

Le 28 octobre 2021, les époux [G] ont fait assigner la SCI DE LA RABINE devant le tribunal judiciaire de RENNES afin, principalement, de faire juger l’inexistence d’une servitude de passage grevant leurs parcelles cadastrées section BH n°[Cadastre 8], n°[Cadastre 9], n°[Cadastre 5] et n°[Cadastre 4].

Aux termes de conclusions n°5 notifiées par voie électronique le 5 décembre 2023, les époux [G] demandent au tribunal de :
“Vu les articles 688 et suivants du Code Civil
Vu l'article 1241 du Code Civil

JUGER recevables et bien fondées les demandes formulées par Monsieur et Madame [G]

DEBOUTER la SCI de la RABINE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

JUGER l'inexistence d'une servitude de passage grevant les parcelles sises [Adresse 2] à [Localité 21], cadastrées section BH n°[Cadastre 8], n°[Cadastre 9], n°[Cadastre 5] et n°[Cadastre 4]

CONDAMNER la SCI DE LA RABINE à verser à Monsieur et Madame [G] la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts

CONDAMNER la SCI DE LA RABINE à verser à Monsieur et Madame [G] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du CPC

CONDAMNER la SCI DE LA RABINE aux entiers dépens

MAINTENIR l'exécution provisoire”.

Les époux [G] rappellent qu’une servitude de passage ne peut s’acquérir que par titre aux termes des articles 688 et 690 du code civil. Ils ajoutent que le fonds de la SCI DE LA RABINE ne pourrait bénéficier d’une servitude de passage qu’à condition que celle-ci soit mentionnée dans le titre de propriété de la société, mais également dans le leur, ce qui n’est pas le cas. Ils font observer que si le titre de propriété de la SCI DE LA RABINE stipule “un droit de passage sur la ruelle au profit des propriétaires riverains”, cela ne vise que le passage derrière la propriété de la société vers la [Adresse 22], lequel s’arrête au droit de leur propriété. Ils invoquent les plans napoléoniens pour en justifier, affirmant que ceux-ci priment sur les attestations produites en défense. Ils précisent que leur propre titre de propriété ne fait aucune référence, ni à la ruelle, ni à un quelconque autre droit de passage. Ils insistent sur le fait qu’une servitude de passage ne peut pas s’acquérir par prescription quand bien même elle serait trentenaire. Ils font observer que l’entrée dans l’immeuble de la SCI DE LA RABINE se faisait par une autre porte que celle empruntée actuellement et que celle-ci pourrait être modifiée sans travaux excessifs. Ils indiquent que les propriétaires résidents de la ruelle sont favorables à leur projet pour des raisons de sécurité.

Les époux [G] contestent l’existence d’une servitude par destination du père de famille invoquée en défense. Ils font valoir que l’acte du 7 juillet 1870 qui correspondrait au titre commun aux parcelles concernées ne fait pas apparaître la volonté du propriétaire d’origine d’asservir l’un des fonds au profit d’un des autres fonds concernés. Ils ajoutent que celui revendiquant l’existence d’une servitude par destination du père de famille doit démontrer qu’il existait au moment de la séparation des fonds un signe apparent de cette servitude, ce qui ne ressort pas de la lecture de l’acte de 1870.

Les époux [G] contestent de même l’existence d’un chemin d’exploitation au sens de l’article L162-1 du code rural et de la pêche maritime comme invoqué en défense. Ils soutiennent que la cour privative de leur propriété n’a aucune vocation à servir de passage. Ils insistent sur la distinction à faire entre leur cour et la ruelle qui longe la propriété de la SCI DE LA RABINE, la première étant privative. Ils reconnaissent qu’une tolérance a pu être admise lorsque matériellement aucun obstacle ne s’y opposait. Ils affirment cependant que cela ne suffit pas à retenir la qualification de chemin d’exploitation. Ils précisent que cette tolérance se justifiait par la copropriété qui existait alors entre les parcelles BH [Cadastre 7] et BH[Cadastre 8], ce qui n’est plus le cas, mais également par le fait que les propriétaires de la première ne résidaient pas sur place. Ils soulignent par ailleurs que le prétendu chemin n’a aucune vocation à desservir les fonds entre eux et que leur propriété n’a pas vocation à être desservie par les autres fonds. Ils font observer que les deux attestations produites en défense traitent du passage à l’est, mais non de celui sur leur propriété. Ils précisent que le puits et la cour commune évoqués dans un de ces témoignages se trouvent à l’opposé de leur propriété, près de la [Adresse 22].

Les époux [G] contestent de même l’état d’enclave invoqué en défense. Ils soulignent que la propriété adverse bénéficie d’un accès vers la [Adresse 22] et que la fermeture de leur cour ne supprimera pas cet accès. Ils indiquent qu’un passage suffisant sera maintenu, malgré la clôture à mettre en place, pour laisser la porte d’accès actuelle. Ils précisent que l’accès à l’immeuble de la SCI DE LA RABINE se fera de façon similaire à celui actuellement pratiqué, mais exclusivement vers la [Adresse 22]. Ils font observer que la porte d’origine de l’immeuble voisin correspond au palier de l’escalier d’origine, lequel est toujours présent et monte à l’étage. Ils ajoutent que si un chauffe-eau a effectivement été placé devant cet accès, il pourrait au besoin être déplacé. Ils estiment que si le fonds de la SCI DE LA RABINE doit être considéré comme enclavé, cela résulte uniquement de son fait suite à la condamnation de l’ancienne porte d’accès, laquelle n’est pas irréversible.

Les époux [G] indiquent ne pas être favorables à l’expertise judiciaire sollicitée en défense, estimant que celle-ci ne doit pas suppléer la carence des parties dans la démonstration des éléments invoqués.

Pour justifier leur demande de dommages et intérêts, les époux [G] expliquent que l’attitude de la société défenderesse les contraint à agir judiciairement et à reporter leur projet constructif, ce qui leur cause un préjudice.

En défense, aux termes de conclusions récapitulatives V notifiées par voie électronique le 5 décembre 2023, la SCI DE LA RABINE demande au tribunal de :
“I.A titre principal

Juger que la ruelle au sud des bâtiments constitue un chemin d'exploitation ou un passage commun.

En conséquence,

Interdire aux époux [G] de supprimer le passage sur la partie sud de la parcelle BH [Cadastre 8] à usage de ruelle.

Débouter les époux [G] de leurs demandes plus amples ou contraire.

Les condamner aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

II.Subsidiairement

Reconnaitre l'existence d'une servitude par destination du père de famille ou à minima d'une servitude légale pour cause d'enclave bénéficiant à la propriété de la SCI DE LA RABINE et grevant la parcelle BH [Cadastre 8].

Débouter en conséquence les époux [G] de leurs demandes.

Les condamner aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

III.A titre infiniment subsidiaire,

Désigner tel expert qu'il plaira au Tribunal avec pour mission de :

× se rendre sur place 11 et [Adresse 2] à [Localité 21] après avoir convoqué les parties par lettre recommandée avec accusé de réception, avis étant donné à leurs conseils éventuels ;
× entendre les parties et tous sachants ;
× se faire communiquer tout document et pièces qu'il estimera utile à la accomplissement de sa mission (assignation, plans, titres de propriété,…) ;
× localiser sur un plan la ruelle dont il est question dans les titres de propriété ;
× retracer l'origine de la propriété de la SCI DE LA RABINE et celle des époux [G] en indiquant le cas échéant la concordance entre les numéros de parcelles mentionnées dans les actes anciens et actuels ;
× fournir tous éléments utiles de fait permettant à la juridiction de se prononcer sur l'assiette de la ruelle ;
× donner son avis factuel au vu des titres de la configuration des lieux et de tous autres éléments sur l'usage de la ruelle située au Sud des bâtiments situés sur les parcelles aujourd'hui cadastrées [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 17] et [Cadastre 18].
× donner son avis sur l'état d'enclave de la propriété de la SCI DE LA RABINE.
× donner son avis sur la faisabilité et le coût des travaux nécessaires pour désenclaver la propriété de la SCI DE LA RABINE.
× répondre à tous dires des parties dans la limite de sa mission.

Dans tous les cas,

Condamner les époux [G] aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Ecarter l'exécution provisoire”.

La SCI DE LA RABINE explique que la porte de son immeuble qui donne accès à la ruelle située à l’arrière de sa propriété existait bien avant les travaux de réhabilitation qu’elle a entrepris en 1994. Elle ajoute que la ruelle a toujours été utilisée par les riverains comme passage et que ses propres locataires empruntent le passage sur les parcelles BH [Cadastre 7] et [Cadastre 8] pour accéder à la porte de l’immeuble lui appartenant.

A titre principal, la SCI DE LA RABINE invoque le droit d’exercer un passage sur la propriété [G].

Pour justifier ce droit, elle soutient en premier lieu que la ruelle longeant son immeuble constitue un passage commun qui doit être qualifié de chemin d’exploitation au sens de l’article L162-1 du code rural et de la pêche maritime. La société insiste sur le fait que de mémoire de pacéen ayant habité le bourg, la ruelle ne s’arrête pas à la parcelle lui appartenant, mais se prolonge jusqu’à la sortie à l’ouest. Elle maintient que la ruelle servant au passage des riverains s’étend d’est en ouest, et traverse par conséquent la propriété des époux [G]. Elle se prévaut, pour le démontrer, de l’attestation de deux témoins dont la descendante d’anciens propriétaires des lieux concernés. Elle invoque également un ancien plan cadastral datant de 1970 qui le démontre, ainsi qu’un document de 1951 trouvé en mairie qui qualifie la ruelle litigieuse de “ruelle de passage public”. Elle précise que la qualification de chemin d’exploitation n’est pas liée à la propriété du sol. Elle en déduit que les époux [G] ne peuvent pas faire obstacle à la libre circulation sur la totalité de chemin. La société fait d’ailleurs observer que les propriétaires de la parcelle BH [Cadastre 7] n’ont jamais quant à eux interdit le passage sur la partie sud de leur propriété. Elle ajoute également que l’ouverture au public ne suffit pas à exclure la qualification de chemin d’exploitation.

En deuxième lieu, la société DE LA RABINE invoque une servitude par destination du père de famille sur le fondement de l’article 692 du code civil pour justifier un passage sur la propriété des époux [G], tout en précisant qu’une telle servitude n’est pas incompatible avec la reconnaissance de l’existence d’un chemin d’exploitation. Elle indique avoir recherché les titres de propriété des auteurs des consorts [O]-[M] auprès desquels les époux [G] ont acquis leur immeuble, ce qui lui a permis de constater que les propriétés litigieuses avaient une origine commune. Plus précisément, la société explique que ces propriétés appartenaient à l’origine à Monsieur [P] [D] et Madame [I] [Z], puis ont fait l’objet d’un partage en trois lots au décès de ces derniers selon acte sous seing privé en date du 7 juillet 1870. Elle fait observer que lors du partage, la propriété qui est actuellement la sienne était dotée d’une porte qui débouchait directement sur la ruelle dont partie est intégrée dans la propriété [G]. Elle ajoute que le passage qui s’exerçait nécessairement sur les deux autres lots, dont la propriété [G], n’a pas été supprimé lors du partage précité.

En troisième et dernier lieu, la société DE LA RABINE revendique une servitude de passage pour cause d’enclave dont l’assiette est prescrite. Elle explique que son immeuble est constitué d’un local commercial donnant directement sur la place et de deux logements à usage locatif auxquels on accède par la porte se situant en façade arrière ouvrant sur la propriété [G]. Elle en déduit qu’en cas de suppression de cette possibilité d’accès, les appartements seront enclavés. Elle considère donc que le passage qui s’exerce sur la “ruelle” depuis des temps immémoriaux est indispensable pour desservir l’arrière de sa propriété. Elle ajoute que la porte qualifiée d’ancienne porte par les époux [G] ne permet pas d’accéder aux logements précités, mais correspond à un réduit dans lequel se trouve un ballon d’eau chaude.

La SCI DE LA RABINE s’oppose aux dommages-intérêts réclamés à son encontre en faisant observer que les époux [G] ne pouvaient pas ignorer le passage immémorial existant, utilisé quotidiennement par ses locataires. Elle souligne que ses voisins ne justifient en toute hypothèse d’aucun préjudice.

A titre subsidiaire, la société sollicite l’organisation d’une expertise judiciaire confiée à un géomètre-expert pour départager les deux thèses en présence et compte tenu des enjeux, en particulier pour le passage de ses locataires.
***
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 22 février 2024. L’affaire a été fixée à l’audience du 16 avril 2024, puis mise en délibéré au 25 juin suivant.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur les demandes principales :

En vertu de l’article L162-1 du code rural et de la pêche maritime, les chemins et sentiers d’exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l’absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l’usage en est commun à tous les intéressés. L’usage de ces chemins peut être interdit au public.

L’article L162-3 du même code précise que les chemins et sentiers d’exploitation ne peuvent être supprimés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir.

Ainsi, la définition du chemin d’exploitation est fonctionnelle, en ce qu’elle dépend de sa finalité ou de son usage. La qualification du chemin d’exploitation dépend donc d’une situation de fait dont la preuve peut être rapportée par tous moyens. Elle est indépendante de la notion de servitude.

En l’espèce, les époux [G] ne produisent pas l’intégralité de leurs titres de propriété, mais uniquement l’acte notarié de vente du 28 août 2017 (leur pièce 1) et l’acte d’échange du 14 janvier 2020 (leur pièce 8), ainsi qu’un état descriptif de division en volumes et constitution de servitudes passé le 14 janvier 2020 concernant les immeubles BH [Cadastre 7] et [Cadastre 8] (leur pièce 9).

Ils fournissent également un des actes de propriété de leurs auteurs, à savoir un acte notarié de donation-partage en date du 20 décembre 1995 portant, entre autres, sur un des appartements composant l’immeuble aujourd’hui cadastré BH [Cadastre 8].

Ces différents titres de propriété ne comportent aucune précision utile concernant le statut de la cour située à l’arrière du bâtiment cadastré BH [Cadastre 8]. Il est toutefois intéressant de noter que l’état descriptif de division en volumes précité prévoit expressément la constitution d’une servitude de passage au profit de volumes composant l’immeuble BH [Cadastre 8] sur la cour située à l’arrière de l’immeuble BH [Cadastre 7] vers l’ouest, soit dans le prolongement de la ruelle passant au sud de l’immeuble appartenant à la SCI DE LA RABINE (cf pages 13 à 15 de l’acte avec plan annexé en page 2).

Il n’est pas contesté que cette dernière ruelle dessert les propriétés situées à l’est de la parcelle BH [Cadastre 11] de la SCI DE LA RABINE, mais reste en débat l’existence d’une desserte des propriétés situées à l’ouest, laquelle suppose un passage sur la cour de l’immeuble BH [Cadastre 8].

Dans l’acte de propriété de la SCI DE LA RABINE en date du 16 février 1993 (sa pièce 1 page 2), il est mentionné un “rappel de servitude” en ces termes : “droit de passage sur la ruelle, au profit des propriétaires riverains”.

Cela signifie que le propriétaire de la ruelle, soit la SCI DE LA RABINE, est tenu subir le passage des propriétaires riverains. Or, en raison de la configuration même des lieux, stipuler un tel droit de passage n’aurait aucun sens si ledit passage s’arrêtait sur la propriété de la SCI DE LA RABINE du côté ouest. Si tel avait été le cas, la propriété de la SCI DE LA RABINE aurait été mentionnée comme bénéficiaire d’un droit de passage, mais n’aurait pas eu à le subir.

Cette stipulation datant de 1993 est un premier indice sérieux de l’usage du passage situé au sud des propriétés litigieuses sur toute sa longueur d’est en ouest, et non seulement vers l’est.

Les photographies des lieux fournies par les parties (notamment la pièce 4 b de la SCI DE LA RABINE) confirment que le passage actuel longe au sud l’ensemble des propriétés, toutes mitoyennes, donnant sur la place Saint Melaine avec un débouché tant à l’ouest qu’à l’est. Elles confirment également la présence d’une porte relativement ancienne sur l’immeuble de la SCI DE LA RABINE donnant à l’ouest directement sur la cour de l’immeuble appartenant aujourd’hui aux époux [G].

Ce débouché de part et d’autre du passage litigieux n’est pas apparent sur les plans napoléoniens produits par les époux [G] (leur pièce 3), mais l’est bien sur l’ancien plan cadastral produit par la SCI DE LA RABINE qui daterait de 1970 (sa pièce 13).

La SCI DE LA RABINE produit également un document manuscrit conservé à la mairie de [Localité 21] daté du 12 décembre 1951 (sa pièce 14) aux termes duquel le maire de la commune autorise “(pour cause d’hygiène et utilité publique) M. [L] [D] boucher au bourg de [Localité 21] à établir une canalisation souterraine d’évacuation des eaux résiduaires de son établissement dans la ruelle de passage public, avoisinant les immeubles [T] [P] [A] [F] et les héritiers [O]. Ceci en remplacement du caniveau insalubre existant et passant sous l’immeuble de M. [T] sus nommé” (sic).

Or, les héritiers [O] sont les anciens propriétaires de la parcelle actuellement cadastrée BH[Cadastre 7], ce qui signifie que la “ruelle de passage public” débouchait bien à l’ouest, et non seulement à l’est.

Les deux témoignages écrits produits par la SCI DE LA RABINE (ses pièces 11 et 12) émanant de Monsieur [V] [W] qui a habité les lieux de 1949 à 1964 et de Madame [J] [D], née en 1942 et descendante de la famille du même nom qui a habité sur place, confirment que le passage litigieux longeant au sud un même ensemble d’habitations s’exerçait alors sur toute sa longueur d’ouest en est. Ces deux témoins emploient plus particulièrement les termes de “cour commune”, “ruelle de servitude commune” ou encore de “ruelle de sertivude de passage”, signifiant bien que le passage litigieux a un usage commun à tous les propriétaires riverains, autrement dit que ce passage tout à la fois s’impose à ces propriétaires riverains et leur profite.

En définitive, l’ensemble des observations qui précèdent concordent pour établir que le passage litigieux s’exerce depuis de très nombreuses années et au moins depuis les années 1950 pour desservir d’est en ouest et d’ouest en est toutes les propriétés riveraines formant un seul tenant, ce qui caractérise l’existence d’un chemin d’exploitation au sens de l’article L162-1 précité.

En conséquence, à défaut d’accord de tous les propriétaires riverains, les époux [G] ne sont pas autorisés à supprimer le passage s’exerçant sur leur propriété. Il convient, en tant que de besoin, de leur faire interdiction en ce sens.

L’opposition manifestée par la SCI DE LA RABINE au projet immobilier des époux [G] étant reconnue bien fondée, l’attitude de cette société ne peut pas être considérée comme fautive.

Il faut donc rejeter l’ensemble des demandes des époux [G], y compris leur demande de dommages et intérêts.

II - Sur les demandes accessoires :

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, les époux [G], parties perdantes, doivent supporter les dépens.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SCI DE LA RABINE les frais non compris dans les dépens qu’elle a été contrainte d’exposer pour la défense de ses intérêts en justice. En compensation, il convient de lui allouer une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de déroger à l’exécution provisoire de droit de la présente décision.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

DIT que le passage s’exerçant au sud des parcelles cadastrées section BH n°[Cadastre 8] et [Cadastre 11] sur la commune de [Localité 21] constitue un chemin d’exploitation au sens des dispositions de l’article L162-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime,

FAIT en conséquence interdiction à Monsieur [B] [G] et Madame [H] [S] épouse [G] de supprimer ledit passage sur leur propriété,

REJETTE toutes les demandes de Monsieur [B] [G] et Madame [H] [S] épouse [G], y compris leur demande de dommages et intérêts,

CONDAMNE Monsieur [B] [G] et Madame [H] [S] épouse [G] aux dépens, ainsi qu’à verser à la SCI DE LA RABINE une indemnité de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an que dessus,

La Greffière,Le Tribunal,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/07153
Date de la décision : 25/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-25;21.07153 ?
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