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20/06/2024 | FRANCE | N°21/05992

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, Juge cx protection, 20 juin 2024, 21/05992


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE RENNES
Service des contentieux de la protection
[Adresse 14]
[Localité 8]
JUGEMENT DU 20 Juin 2024

N° RG 21/05992 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JNQR

Jugement du 20 Juin 2024


S.A. DOMOFINANCE

C/
[R] [C] épouse [I], décédée le [Date décès 5] 2022
[F] [I], ayant droit de Mme [I] [R]
S.A.S. BATI TRAVAUX
S.A.S. LR HABITAT
[K] [I], ayant droit de Mme [I] [R]
[T] [I], ayant droit de Mme [I] [R]







EXÉCUTOIRE DÉLIVRÉ
LE 20 juin 2024
à Maitre PRIGENT

CERTIFIE CONFOR

ME DELIVRE
LE
à Maitre
Au nom du Peuple Français ;

Rendu par mise à disposition le 20 Juin 2024 ;

Par Caroline ABIVEN, Vice-Présidente au Tribunal judicia...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE RENNES
Service des contentieux de la protection
[Adresse 14]
[Localité 8]
JUGEMENT DU 20 Juin 2024

N° RG 21/05992 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JNQR

Jugement du 20 Juin 2024

S.A. DOMOFINANCE

C/
[R] [C] épouse [I], décédée le [Date décès 5] 2022
[F] [I], ayant droit de Mme [I] [R]
S.A.S. BATI TRAVAUX
S.A.S. LR HABITAT
[K] [I], ayant droit de Mme [I] [R]
[T] [I], ayant droit de Mme [I] [R]

EXÉCUTOIRE DÉLIVRÉ
LE 20 juin 2024
à Maitre PRIGENT

CERTIFIE CONFORME DELIVRE
LE
à Maitre
Au nom du Peuple Français ;

Rendu par mise à disposition le 20 Juin 2024 ;

Par Caroline ABIVEN, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de RENNES statuant en qualité de juge des contentieux de la protection, assistée de Emmanuelle BADUFLE, Greffier ;

Audience des débats : 18 Janvier 2024.

Le juge à l'issue des débats a avisé les parties présentes ou représentées, que la décision serait rendue le 09 avril 2024. Le délibéré a par la suite été prorogé par deux fois, pour une décision rendue le 20 Juin 2024 conformément aux dispositions de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

ENTRE :

DEMANDEUR

S.A. DOMOFINANCE
[Adresse 1]
[Localité 16]
représentée par Maitre CASTRES, de la SCP Hugo CASTRES, avocats au barreau de RENNES

ET :

DEFENDEURS

Mme [R] [C] épouse [I], décédée le [Date décès 5] 2022
M. [F] [I], ayant droit de Mme [I] [R]
[Adresse 6]
[Localité 8]
Mme [K] [I], ayant droit de Mme [I] [R]
[Adresse 13]
[Localité 15]
M. [T] [I], ayant droit de Mme [I] [R]
[Adresse 4]
[Localité 17]
représentés par Maitre Erwan PRIGENT, de la SELARL ACTAVOCA, avocats au barreau de RENNES, substitué par Maitre MERLE DES ISLES

S.A.S. BATI TRAVAUX
Ecopôle Sud-Est
[Adresse 7]
[Localité 8]
non comparante, ni représentée

S.A.S. LR HABITAT
[Adresse 2]
[Localité 10]
représentée par Maitre Sabrina GUERIN, avocate au barreau de RENNES, substitué par Maitre COLLET MASNICKA

S.C.P. DOLLEY COLLET, devenue la SCP MJURIS, mandataire liquidateur de la Société BATI TRAVAUX
[Adresse 12]
[Localité 11]
non comparante, ni représentée

FAITS ET PRÉTENTIONS :

Suite à un démarchage à domicile, Madame [R] [I] a commandé, le 2 mars 2018, auprès de la société BATI TRAVAUX, l’installation d’une chaudière à condensation. L’opération a été financée par un crédit affecté d’un montant de 11 000 € souscrit auprès de la société DOMOFINANCE, si bien que, par acte sous seing privé du 2 mars 2018, la société DOMOFINANCE a consenti à Madame [R] [I] un prêt de 11 000 € remboursable en 50 mensualités de 256,42 €, assurances comprises, avec intérêts au taux effectif global de 3,78% l’an et au taux nominal de 3,71% l’an.

Madame [I] a cessé de payer les mensualités du crédit à compter du mois de janvier 2020. Le 13 avril 2021, elle a été mise en demeure par la société de crédit de lui verser la somme de 1 753,92 €. En l’absence de régularisation de l’arriéré, la déchéance du terme a été prononcée le 30 avril 2021.

Par acte de commissaire de justice du 14 septembre 2021, la société DOMOFINANCE a fait assigner devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Rennes, Madame [R] [I] née [C] aux fins d’obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 9 214,04 € avec intérêts au taux de 3,71% l’an à compter du 30 avril 2021 au titre du contrat de crédit, outre la somme de 900 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que sa condamnation aux entiers dépens.

Par acte du 24 août 2022, Madame [R] [I] née [C] a fait assigner en intervention forcée les sociétés QUALISOBREIZH et BATI TRAVAUX.

Par conclusions déposées au greffe le 12 octobre 2022, la SAS LR HABITAT est interevnue volontairement à l’instance en lieu et place de la SARL QUALISOBREIZH, cette dernière ayant été dissoute suite à la réunion de toutes les parts sociales ou actions entre une seule main, l’associé unique étant la société LR HABITAT.

Madame [I] est décédée le [Date décès 3] 2022. Par actes de commissaires de justice du 27 septembre 2023, la société DOMOFINANCE a alors fait assigner en intervention forcée les héritiers de Madame [I], à savoir Monsieur [F] [I], Madame [K] [I] et Monsieur [T] [I].

Par acte du 4 décembre 2023, Messieurs [F] et [T] [I] et Madame [K] [I] ont fait assigner en intervention forcée la SCP DOLLEY COLLET devenue SCP MJURIS prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la société BATI TRAVAUX, suivant jugement prononcé par le tribunal de commerce de Nantes du 2 février 2022.

Par courrier reçu au greffe le 20 octobre 2023, la société MJURIS prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la société BATI TRAVAUX a indiqué ne pas avoir de moyen opposant aux demandes si ce n’est que, par application des dispositions de l’article L.622-21 et L.622-24 du code de commerce, leur créance alléguée aurait dû faire l’objet d’une déclaration et que les délais pour ce faire sont aujourd’hui largement expirés (BODACC du 31 décembre 2021), de même que ceux pour tenter un relevé de forclusion. Le mandataire a précisé qu’en tout état de cause, dans ce dossier, les créanciers tant privilégiés que chirographaires n’ont rien à espérer.

L’affaire a été retenue et plaidée à l’audience du 18 janvier 2024 lors de laquelle la société DOMOFINANCE, comparant par ministère d’avocat, a demandé à la juridiction de bien vouloir :

- Condamner solidairement Monsieur [T] [I], Monsieur [F] [I] et Madame [K] [I], en leur qualité d'ayants droit de Madame [R] [I], à payer à DOMOFINANCE, en application de l'article 1312-39 du Code de la Consommation, la somme de 9214,04€ avec intérêts au taux de 3,71 % l'an à compter du 30 avril 2021 jusqu'à parfait paiement,

-Débouter Monsieur [T] [I], Monsieur [F] [I] et Madame [K] [I], en leur qualité d'ayants droit de Madame [R] [I], de leur demande de sursis à statuer,

- Débouter Monsieur [T] [I], Monsieur [F] [I] et Madame [K] [I], en leur qualité d'ayants droit de Madame [R] [I], de leur demande en nullité du contrat de prêt, irrecevable, injustifiée et prescrite,

- Subsidiairement, si le contrat de prêt venait à être annulé, condamner solidairement Monsieur [T] [I], Monsieur [F] [I] et Madame [K] [I], en leur qualité d'ayants droit de Madame [R] [I] à payer à DOMOFINANCE la somme de 7 569,50 € avec intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2021 jusqu'à parfait paiement,

- Débouter Monsieur [T] [I], Monsieur [F] [I] et Madame [K] [I], en leur qualité d'ayants droit de Madame [R] [I], de l'ensemble de leurs demandes,

- Condamner in solidum Monsieur [T] [I], Monsieur [F] [I] et Madame [K] [I], en leur qualité d'ayants droit de Madame [R] [I], au paiement d'une indemnité de 1 500,00 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- Ne pas déroger à l'exécution provisoire de droit.

Au soutien de ses demandes, la société DOMOFINANCE fait tout d’abord valoir que la demande de nullité du contrat de prêt pour abus de faiblesse est irrecevable en l’absence de mise en cause du vendeur et que la mise en cause du liquidateur de la société BATI TRAVAUX est prescrite.
La société de crédit fait ensuite valoir que la procédure pénale actuellement en cours pour abus de faiblesse ne concerne ni DOMOFINANCE, ni BA TRAVAUX, si bien qu’elle n’aura aucune incidence sur le présent litige.
Au fond, elle fait valoir qu’il n’est pas démontré que Madame [I] était dans l’impossibilité de contracter au jour de la conclusion du contrat de prêt. Elle ajoute que les travaux ont été parfaitement réalisés et que les échéances du prêt ont été honorées pendant deux ans, qu’elle a procédé à toutes les vérifications qui s’imposaient et qu’elle ne pouvait pas avoir connaissance des éléments qui n’ont pas été portés à sa connaissance.
DOMOFINANCE fait ensuite valoir qu’elle n’a commis aucune faute puisqu’elle dispose d’un contrat de prêt signé, de la carte d’identité de Madame [I], de son justificatif de domicile, de justificatifs de sa solvabilité et d’une fiche de réception des travaux.
Le prêteur insiste sur le fait qu’en l’absence de faute de sa part, si la nullité ou la résolution de la vente est prononcée, Madame [I] devra lui rembourser le capital restant dû puisque DOMOFINANCE est un tiers au contrat de vente, soit la somme de 7 569,50 € (=11 000 € - 3 430,50 €).

Les consorts [I], eux aussi représentés par leur avocat, ont demandé à la présente juridiction de bien vouloir :

A TITRE PRINCIPAL
- CONSTATER que Madame [I] se trouvait dans une situation de faiblesse au jour de la souscription du contrat de crédit affecté,
- DECLARER nul et de nul effet les contrats de vente et le crédit affecté (n° d'agrément: 7235112; N° de dossier: 44617446979001),

A TITRE SUBSIDIAIRE
- ORDONNER le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale encours,

EN TOUT ETAT DE CAUSE
- DEBOUTER la société DOMLFINANCE de toutes demandes,
- DEBOUTER la société BATI TRAVAUX de toutes ses demandes,
- DEBOUTER la société BATI TRAVAUX BRETAGNE de toutes ses demandes,
- DEBOUTER la société LR HABITAT de toutes ses demandes,
- CONDAMNER la société DOMOFINANCE au paiement de la somme de 2.000,00 € au titre des frais irrépétibles outre les entiers dépens.

Au soutien de leurs demandes, ils font tout d’abord valoir que la prescription n’est pas acquise puisque Madame [I] s’est trouvée dans l’impossibilité d’agir avant son placement sous habilitation familiale le 20 octobre 2020, du fait de ses troubles.
Au fond, ils sollicitent la nullité du contrat de crédit affecté en faisant valoir que Madame [I] a été victime d’un abus de faiblesse puisqu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer et que le même modèle de chaudière que celui que la société BATI TRAVAUX a installé à son domicile est vendu 4163 € TTC par EDF. Ils ajoutent que la société DOMOFINANCE a manqué à son devoir de vigilance en ne contrôlant pas la situation de Madame [I] âgée de 76 ans et atteinte de la maladie d’Alzheimer. Ils soulèvent ensuite l’absence de bon de commande produit par le prêteur.

La société LR HABITAT, représentée par son conseil, a demandé à la juridiction de bien vouloir:

- Constater que la présence de la SAS LR HABITAT à l'instance engagée devant le Tribunal Judiciaire de Rennes par Madame [I] [R] n'est pas justifiée car non nécessaire à l'instance,

- Déclarer la SAS LR HABITAT venant aux droits de la société QUALISOBREIZH hors de cause,

- Débouter Madame [I] de toutes ses demandes à l'encontre de la société QUALISOBREIZH prise en la personne de la SAS LR HABITAT,

- Débouter Madame [I] de sa demande de sursis à statuer,

- Condamner Madame [I] à verser à la société LR HABITAT la somme de 800€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société LR HABITAT venant aux droits de la société QUALISABREIZH fait valoir que la sociéét QUALISOBREIZH n’a été créée que le 11 septembre 2018, soit postérieurement au jour de la signature du contrat de vente litigieux le 2 mars 2018, si bien que les faits lui sont totalement étrangers. Elle ajoute que M [J] n’est pas le gérant de la société QUALISOBREIZH et qu’il n’est pas démontré qu’il est intervenu lors de la conclusion du contrat de vente litigieux. Elle poursuit en indiquant qu’il n’est pas démontré que la société QUALISOBREIZH aurait effectué des travaux au domicile de Madame [I].

Pour l’exposé des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

En cet état, l’affaire a été mise en délibéré, la décision étant rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS :

Sur la recevabilité de l’intervention volontaire de la société LR HABITAT :

L’article 325 du code de procédure civile dispose que “l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant”.

En l’espèce, la société LR HABITAT, qui intervient volontairement à l’instance, démontre, par la production d’un extrait KBIS, qu’elle vient aux droits de la société QUALIZOBREIZH qui a été dissoute le 30 juin 2022, par réunion de toutes ses parts sociales ou actions entre les mains de l’associé unique, la société LR HABITAT.

Dans la mesure où la demanderesse a fait assigner la société QUALISOBREIZH, la société LR HABITAT a donc intérêt à intervenir volontairement dans la présente instance.

L’intervention volontaire de la société LR HABITAT sera donc déclarée recevable.

Sur la demande de mise hors de la cause de la société LR HABITAT venant aux droits de la société QUALISOBREIZH :

L’intégralité des documents contractuels produits démontre que Madame [I] a acheté, le 2 mars 2018, une chaudière à condensation au prix de 11 000 € auprès de la SAS BATI TRAVAUX. Rien ne rattache la société QUALISOBREIZH à cette opération.

L’extrait KBIS produit démontre même que la société QUALISOBREIZH n’a été créée que le 11 septembre 2018, soit postérieurement au contrat de vente litigieux.

Il n’est donc pas démontré que la société QUALISOBREIZH aux droits de laquelle vient la société LR HABITAT est intervenue au domicile de Madame [I] pour effectuer les travaux financés par la société DOMOFINANCE et il importe peu de savoir si, par la suite, la société QUALISOBREIZH est intervenue au domicile de Madame [I] pour y réaliser d’autres travaux.

En effet, le présent litige ne portant que sur les travaux d’achat et pose par la société BATI TRAVAUX d’une chaudière à condensation financée par un crédit affecté contracté le 2 mars 2018 auprès de la société DOMOFINANCE, la société LR HABITAT venant aux droits de la société QUALISOBREIZH ne peut qu’être mise hors de cause.

Sur l’annulation du contrat de vente :

Les demandeurs sollicitent l’annulation du contrat de vente conclu avec la société BATI TRAVAUX.

Par acte du 24 août 2022, Madame [I] a notamment fait assigner la société BATI TRAVAUX dont le siège social se situe [Adresse 7], cette assignation ayant été délivrée conformément aux dispositions de l’article 659 du code de procédure civile. Par acte du 4 décembre 2023, les consorts [I] ont fait assigner la SCP MJURIS prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la société BATI TRAVAUX immatriculée au RCS de Nantes sous le numéro 817 686 520 dont le siège social est situé [Adresse 9].

La société DOMOFINANCE fait valoir que l’assignation du 24 août 2022 n’a manifestement pas été délivrée à la société BATI TRAVAUX qui a exécuté les travaux chez Madame [I]. Force est de constater que l’intermédiaire figurant sur l’offre de crédit produite est la SAS BATI TRAVAUX demeurant [Adresse 9] et immatriculée au RCS de Nantes sous le numéro 817 686 520 00021, si bien que la bonne société n’a été attraite à la présente procédure que le 4 décembre 2023.

La société DOMOFINANCE fait valoir qu’à cette date, l’action était prescrite puisque le contrat de vente a été signé le 2 mars 2018 et que l’article 2224 du code civil prévoit un délai de prescription quinquennal, si bien que les demandeurs auraient dû faire assigner la société BATI TRAVAUX avant le 2 mars 2023.

Or, l’article 2234 du code civil dispose que “La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.”

En l’espèce, les consorts [I] démontrent que Madame [I] a été placée sous sauvegarde de justice avec désignation d’un mandataire spécial par ordonnance du 29 juillet 2019, puis sous habilitation familiale par jugement du 20 octobre 2020 sur la base d’un certificat médical du 3 juillet 2020.

Ils produisent un certificat médical dressé le 2 juin 2021 par le docteur [S] [Y], praticien hospitalier en psychiatrie, qui atteste que la maladie dont souffre Madame [C] épouse [I] est connue pour avoir une évolution lente et progressive. Il indique qu’il est hautement probable que les troubles cognitifs soient concomitants au début des troubles sévères du comportement. Il précise que les explorations morphologiques cérébrales ne laissent aucun doute sur une évolution ancienne des troubles qui remontent depuis au moins cinq ans avant son hospitalisation.

Sont également produits des attestations établies par son ex mari et ses enfants qui font remonter les premiers troubles du comportement à l’année 2015 et des attestations d’amis qui font état de troubles de désorientation et d’oublis constatés en 2017.

Au vu du certificat médical du docteur [Y] corroboré par ces attestations, il est ainsi démontré que Madame [C] épouse [I] a présenté des troubles liés à sa maladie au moins depuis le mois de juin 2016, lesquels ont abouti à son placement sous sauvegarde de justice le 29 juillet 2019.

Il en résulte que Madame [C] épouse [I] a été dans l’impossibilité d’agir au moins jusqu’au 29 juillet 2019, date de son placement sous sauvegarde de justice.

Dès lors, lors de la délivrance de l’assignation à la société BATI TRAVAUX le 4 décembre 2023, le délai de prescription de cinq ans qui n’a commencé à courir que le 29 juillet 2019 n’était pas expiré.

La demande des consorts [I] tendant à l’annulation du contrat de vente n’est donc pas prescrite. Elle sera donc déclarée recevable.

L’article 414-1 du code civil dispose que “Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.”

En l’espèce, le certificat médical du docteur [Y] fait remonter les troubles sévères du comportement de Madame [I] a minima à l’année 2016, expliquant que cette affirmation est basée sur des explorations morphologiques cérébrales. Ses proches décrivent des comportements inadaptés à compter de 2008 (non compréhension du cancer de son mari à compter de 2008, remarques inadaptées sur l’état de santé de son petit-fils en 2015, engagement financiers tout à fait excessifs à compter de 2017, perte de repère, oublis et confusion constatés par ses amis en 2017).

Ces éléments corroborés par son placement sous sauvegarde de justice le 29 juillet 2010 puis sous habilitation familiale avec représentation à compter du 20 octobre 2020, suffisent à établir que, lors de la conclusion du contrat du 2 mars 2018 avec la société BATI TRAVAUX, Madame [C] épouse [I] présentait un trouble mental lié à sa maladie, si bien que l’acte de vente n’a pas pu être valablement conclu et qu’il doit être déclaré nul à raison de l’état de Madame [I] qui n’était alors pas en capacité de contracter valablement cet engagement.

Sur l’annulation subséquente du contrat de crédit :

Il résulte de l’article L.312-55 du code de la consommation que “En cas de contestation sur l'exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu'à la solution du litige, suspendre l'exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé.
Les dispositions du premier alinéa ne sont applicables que si le prêteur est intervenu à l'instance ou s'il a été mis en cause par le vendeur ou l'emprunteur.”

Le contrat de crédit conclu le 2 mars 2018 entre Madame [I] et la société DOMOFINANCE étant l’accessoire du contrat de vente auquel il est subordonné, l’annulation du contrat principal de vente entraîne l’annulation subséquente du contrat accessoire.

L’annulation du contrat de vente conclu entre Madame [I] et la société BATI TRAVAUX entraîne donc l’annulation subséquente du contrat de crédit du 2 mars 2018 conclu entre Madame [I] et la société DOMOFINANCE.

L’article L.221-5 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au jour de la conclusion du contrat dispose que “Préalablement à la conclusion d'un contrat de vente ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :
1° Les informations prévues aux articles L. 111-1 et L. 111-2 ;
2° Lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d'exercice de ce droit ainsi que le formulaire type de rétractation, dont les conditions de présentation et les mentions qu'il contient sont fixées par décret en Conseil d'Etat ;
3° Le cas échéant, le fait que le consommateur supporte les frais de renvoi du bien en cas de rétractation et, pour les contrats à distance, le coût de renvoi du bien lorsque celui-ci, en raison de sa nature, ne peut normalement être renvoyé par la poste ;
4° L'information sur l'obligation du consommateur de payer des frais lorsque celui-ci exerce son droit de rétractation d'un contrat de prestation de services, de distribution d'eau, de fourniture de gaz ou d'électricité et d'abonnement à un réseau de chauffage urbain dont il a demandé expressément l'exécution avant la fin du délai de rétractation ; ces frais sont calculés selon les modalités fixées à l'article L. 221-25 ;
5° Lorsque le droit de rétractation ne peut être exercé en application de l'article L. 221-28, l'information selon laquelle le consommateur ne bénéficie pas de ce droit ou, le cas échéant, les circonstances dans lesquelles le consommateur perd son droit de rétractation ;
6° Les informations relatives aux coordonnées du professionnel, le cas échéant aux coûts de l'utilisation de la technique de communication à distance, à l'existence de codes de bonne conduite, le cas échéant aux cautions et garanties, aux modalités de résiliation, aux modes de règlement des litiges et aux autres conditions contractuelles, dont la liste et le contenu sont fixés par décret en Conseil d'Etat.
Dans le cas d'une vente aux enchères publiques telle que définie par le premier alinéa de l'article L. 321-3 du code de commerce, les informations relatives à l'identité et aux coordonnées postales, téléphoniques et électroniques du professionnel prévues au 4° de l'article L. 111-1 peuvent être remplacées par celles du mandataire.”

L'article L.111-1 du code de la consommation, dans sa version applicable en l’espèce, précise que :
“Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :
1° Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné ;
2° Le prix du bien ou du service, en application des articles L. 112-1 à L. 112-4 ;
3° En l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à exécuter le service ;
4° Les informations relatives à son identité, à ses coordonnées postales, téléphoniques et électroniques et à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte ;
5° S'il y a lieu, les informations relatives aux garanties légales, aux fonctionnalités du contenu numérique et, le cas échéant, à son interopérabilité, à l'existence de toute restriction d'installation de logiciel, à l'existence et aux modalités de mise en œuvre des garanties et aux autres conditions contractuelles ;
6° La possibilité de recourir à un médiateur de la consommation dans les conditions prévues au titre Ier du livre VI.
La liste et le contenu précis de ces informations sont fixés par décret en Conseil d'Etat.
Les dispositions du présent article s'appliquent également aux contrats portant sur la fourniture d'eau, de gaz ou d'électricité, lorsqu'ils ne sont pas conditionnés dans un volume délimité ou en quantité déterminée, ainsi que de chauffage urbain et de contenu numérique non fourni sur un support matériel. Ces contrats font également référence à la nécessité d'une consommation sobre et respectueuse de la préservation de l'environnement.”

L’article L.242-1 du code de la consommation ajoute que “Les dispositions de l'article L. 221-9 sont prévues à peine de nullité du contrat conclu hors établissement.”

En l'espèce, le bon de commande ne comporte aucun bordereau de rétractation, et la seule mention figurant sur ce bon au terme de laquelle l’acquéreur déclare “avoir pris connaissance des Conditions Générales de Vente figurant en annexe de ce bon de commande faisant partie du contrat et notamment de la faculté de rétractation prévue par l’article L.211-18 du Code de la Consommation”, ne saurait suffire à établir que le bordereau de rétractation prévu par l’article L.221-5-2° du code de la consommation a bien été remis à Monsieur [Z].

De plus, le bon de commande ne mentionne pas le nom du démarcheur intervenu au domicile de Monsieur [Z], ce qui contrevient aux dispositions des articles L.111-1 et L.221-5 du code de la consommation qui imposent au professionnel de d’indiquer son identité et ses coordonnées, si bien que le nom et les coordonnées de la société, s’ils sont indispensables, ne sauraient suffire en l’absence de mention de l’identité du démarcheur qui a signé le contrat.

Ces omissions justifient l’annulation du bon de commande en application des dispositions de l’article L.242-1 du code de la consommation, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres motifs de nullité invoqués par Monsieur [Z].

Sur la restitution des sommes empruntées :

L'annulation du contrat de prêt entraîne la restitution par l'emprunteur du capital prêté, déduction faite des sommes versées à l'organisme prêteur, sauf à démontrer une faute de celui-ci dans l'exécution de ses obligations.

En l'espèce, les consorts [I] font valoir que la société DOMOFINNACE a manqué à son devoir de vigilance en ne contrôlant pas la situation de Madame [I] et qui a versé les fonds prêtés à la société BATI TRAVAUX sans vérifier qu’un bon de commande avait été signé.

Or, l'article L.111-1 du code de la consommation dispose, dans sa rédaction applicable au jourde la conclusion du contrat, que “Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :
1° Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné ;
2° Le prix du bien ou du service, en application des articles L. 112-1 à L. 112-4 ;
3° En l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à exécuter le service ;
4° Les informations relatives à son identité, à ses coordonnées postales, téléphoniques et électroniques et à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte ;
5° S'il y a lieu, les informations relatives aux garanties légales, aux fonctionnalités du contenu numérique et, le cas échéant, à son interopérabilité, à l'existence et aux modalités de mise en œuvre des garanties et aux autres conditions contractuelles ;
6° La possibilité de recourir à un médiateur de la consommation dans les conditions prévues au titre Ier du livre VI.
La liste et le contenu précis de ces informations sont fixés par décret en Conseil d'Etat.
Les dispositions du présent article s'appliquent également aux contrats portant sur la fourniture d'eau, de gaz ou d'électricité, lorsqu'ils ne sont pas conditionnés dans un volume délimité ou en quantité déterminée, ainsi que de chauffage urbain et de contenu numérique non fourni sur un support matériel. Ces contrats font également référence à la nécessité d'une consommation sobre et respectueuse de la préservation de l'environnement.”

La société DOMOFINANCE n’a manifestement pas vérifié que le vendeur avait respecté ces obligations puisqu’il ne lui a manifestement été produit aucun bon de commande et qu’il a pourtant débloqué les fonds prêtés sans s’assurer de la validité du contrat de vente. En effet, le prêteur qui verse les fonds, sans procéder préalablement auprès du vendeur et de l’emprunteur, aux vérifications, pourtant simples, qui lui auraient permis de constater que le contrat était entaché d’une cause de nullité, est privé de sa créance de restitution du capital emprunté.

La production d’une fiche de réception des travaux ne peut exonérer le prêteur de son obligation de vérifier la validité du bon de commande par rapport aux dispositions impératives du code de la consommation. Le prêteur a donc commis une faute.

Il incombe toutefois au demandeur de rapporter la preuve d’un préjudice subi par lui et d’un lien de causalité entre ce préjudice et la faute commise.

En l’espèce, les consorts [I] démontrent que la faute commise par la société DOMOFINANCE a permis au vendeur d’obtenir le financement de travaux d’un montant tout à fait excessif, alors que Madame [I] n’était manifestement pas en capacité de consentir valablement à la conclusion d’un tel contrat.

Ce préjudice de Madame [I] est en lien direct avec la faute commise par la société DOMOFINANCE.
Au vu de la faute commise par l’établissement bancaire qui a causé un préjudice à Madame [I], la société DOMOFINANCE sera donc privée de sa créance de restitution des sommes empruntées.

Conformément à la demande des consorts [I], la société DOMOFINANCE sera donc déboutée de toutes ses demandes.

- Sur l’exécution provisoire :

Il résulte des dispositions de l'article 514 du code de procédure civile que "Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement."

L'article 514-1 précise que " Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire.
Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.
Par exception, le juge ne peut écarter l'exécution provisoire de droit lorsqu'il statue en référé, qu'il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l'instance, qu'il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu'il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état."

En l'espèce, il convient donc de constater que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit. Au vu de faits d’espèce, il n'y a pas lieu de l'écarter.

- Sur les frais irrépétibles et les dépens:

Selon l’article 696 du code de procédure civile, “la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie”.

Selon l’article 700 du code de procédure civile, “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° (...).
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. (...).”

En l’espèce, la société DOMOFINANCE, qui succombe à la présente instance, sera condamnée à payer la somme de 2 000 euros aux consorts [I] sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance.

La demande présentée par la société DOMOFINANCE au titre des frais irrépétibles sera rejetée.

La demande présentée par la société LR HABITAT au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile sera également rejetée au vu de la situation économique respective des parties.

PAR CES MOTIFS :

Le juge des contentieux de la protection, statuant par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

DECLARE recevable, l’intervention volontaire de la société LR HABITAT ;

MET HORS DE CAUSE la société LR HABITAT venant aux droits de la société QUALISOBREIZH ;

DECLARE recevable la demande des consorts [I] tendant à l’annulation du contrat de vente ;

PRONONCE l’annulation du contrat de vente conclu le 2 mars 2018 entre Madame [C] épouse [I] et la société BATI TRAVAUX ;

PRONONCE l’annulation subséquente du contrat de crédit conclu le 2 mars 2018 entre Madame [C] épouse [I] et la société DOMOFINANCE ;

DIT que la société DOMOFINANCE est privée de sa créance de restitution ;

DEBOUTE, en conséquence, la société DOMOFINANCE de toutes ses demandes ;

CONDAMNE la société DOMOFINANCE à payer à Monsieur [T] [I], Monsieur [F] [I] et Madame [K] [I], en leur qualité d'ayants droit de Madame [R] [I] née [C], la somme de 2 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes ;

CONDAMNE la société DOMOFINANCE aux entiers dépens de l'instance ;

MAINTIENT l’exécution provisoire de la présente décision.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition du jugement au greffe du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Rennes.

Le greffierLe juge des contentieux de la protection


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : Juge cx protection
Numéro d'arrêt : 21/05992
Date de la décision : 20/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-20;21.05992 ?
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