La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/06/2024 | FRANCE | N°23/00455

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, Ctx protection sociale, 19 juin 2024, 23/00455


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
PÔLE SOCIAL


MINUTE N°

AUDIENCE DU 19 Juin 2024

AFFAIRE N° RG 23/00455 - N° Portalis DBYC-W-B7H-KMEE

88Y

JUGEMENT



AFFAIRE :

[U] [Z]

C/


CONSEIL DEPARTEMENTAL D’ILLE ET VILAINE






Pièces délivrées :

CCCFE le :






CCC le :


PARTIE DEMANDERESSE :

Monsieur [U] [Z]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Denise LAURENT-CALLAME, avocat au barreau de SAINT-MALO


PARTIE DEFENDERESSE :
<

br>CONSEIL DEPARTEMENTAL D’ILLE ET VILAINE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Inès TARDY-JOUBERT, avocat au barreau de RENNES


COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : Madame Guillemette ROUSSELLI...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
PÔLE SOCIAL

MINUTE N°

AUDIENCE DU 19 Juin 2024

AFFAIRE N° RG 23/00455 - N° Portalis DBYC-W-B7H-KMEE

88Y

JUGEMENT

AFFAIRE :

[U] [Z]

C/

CONSEIL DEPARTEMENTAL D’ILLE ET VILAINE

Pièces délivrées :

CCCFE le :

CCC le :

PARTIE DEMANDERESSE :

Monsieur [U] [Z]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Denise LAURENT-CALLAME, avocat au barreau de SAINT-MALO

PARTIE DEFENDERESSE :

CONSEIL DEPARTEMENTAL D’ILLE ET VILAINE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Inès TARDY-JOUBERT, avocat au barreau de RENNES

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : Madame Guillemette ROUSSELLIER,
Assesseur : Madame Marina COUBARD, Assesseur du pôle social du TJ de Rennes
Assesseur : Madame Ghislaine BOTREL-BERTHOIS, Assesseur du pôle social du TJ de Rennes
Greffier : Madame Elisabeth BIENVENU, lors des débats et Caroline LAOUENAN, lors du délibéré

DEBATS :

Après avoir entendu les parties en leurs explications à l’audience du 13 Mars 2024, l'affaire a été mise en délibéré pour être rendu au 19 Juin 2024 par mise à disposition au greffe.

JUGEMENT :contradictoire et en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Madame [C] [Z], née le 6 mars 1959, célibataire et sans enfant, a bénéficié de l’aide sociale pour la prise en charge de ses frais d’hébergement au titre des personnes en situation de handicap pour la période du 18 avril 2006 au 23 janvier 2019, date de son décès.

Les avances qui lui ont été consenties à ce titre par le département d’Ille-et-Vilaine s’élèvent à la somme de 502.341,78 euros.

Par courriers des 12 mars 2019 et 23 mai 2019, le service prestations individuelles et soutien à l’autonomie du département d’Ille-et-Vilaine s’est rapproché de Monsieur [U] [Z], père et tuteur de la défunte, et de l’étude [B] [P], notaire de la succession de Mme [Z], afin de les informer du montant des frais engagés au bénéfice de cette dernière et des modalités de récupération desdits frais.

Par courriel du 29 décembre 2022, l’étude [B] [P] a adressé au département d’Ille-et-Vilaine l’acte de notoriété et les récépissés de renonciation à succession de Mesdames [V] et [T] [O], sœur et nièce de la défunte.

Par courrier du 10 janvier 2023, le département d’Ille-et-Vilaine a confirmé au notaire qu’il n’exercerait pas de recours sur la part de la succession revenant à M. [Z], indiquant en revanche qu’il procédera à récupération sur les parts qui seraient revenues aux héritiers non exonérés s’ils n’avaient pas renoncé.

Le 14 février 2023, le notaire de la succession a adressé la déclaration de succession au département d’Ille-et-Vilaine, précisant que l’intégralité des fonds avait été reversé à M. [Z].

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 20 février 2023, le département a informé M. [Z] de sa décision de récupération sur la succession de sa fille de la créance relative à la prise en charge des dépenses d’aide sociale sur la part qui serait revenue à sa sœur si elle n’avait pas renoncé, soit la somme de 67.972,93 euros, précisant que, sans contestation de sa part dans un délai de deux mois, un titre de recette serait émis à son encontre.

Suivant courrier du 1er mars 2023, réceptionné le 6 mars 2023, M. [Z] a formé un recours administratif préalable auprès du président du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine lequel, par décision du 3 avril 2023, l’a rejeté.

Par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 5 mai 2023, M. [Z] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes d’un recours à l’encontre de la décision explicite de rejet du président du conseil départemental.

L’affaire a été appelée à l’audience du 13 mars 2024.

M. [Z], dûment représenté, se référant expressément à ses conclusions récapitulatives visées par le greffe, demande au tribunal de :

Dire nulle et non-avenue la décision du 20 février 2023 prise à son encontre par le département d’Ille-et-Vilaine représenté par le président du conseil départemental (soutien à l’autonomie), cette décision se trouvant ainsi privée de tout effet ;
Condamner le département d’Ille-et-Vilaine représenté par le président du conseil départemental (soutien à l’autonomie) à lui verser, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 3.500 euros, ainsi qu’en tous les dépens.
Au soutien de ses prétentions, il fait essentiellement valoir qu’en sa qualité d’ascendant de la défunte, il est exempté de toute récupération. Il précise que Mmes [O] ont renoncé purement et simplement à la succession, de sorte qu’elles sont censées n’avoir jamais hérité, et que cette renonciation n’a en aucun cas été effectuée à son profit.

Il ajoute qu’aucun élément de preuve ne permet d’établir que la double renonciation serait intervenue postérieurement à la connaissance par les renonçantes du principe de la récupération, de sorte que c’est bien l’article 805 du code civil qui doit s’appliquer et l’article 783 du même code. M. [Z] affirme en outre que les jurisprudences produites par le département concernent des cas où la renonciation in favorem résultait d’une concertation des héritiers ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il estime enfin que le simple faisceau d’indices dont le département se prévaut est insusceptible de démontrer le caractère in favorem de la renonciation.

En réplique, le conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, dûment représenté, se référant expressément à ses conclusions en date du 17 janvier 2024, prie le tribunal de :

Confirmer la décision du 20 février 2023 du président du conseil départemental de récupérer la somme de 67.972,93 euros sur les parts de la succession qui seraient revenues aux héritiers non exonérés s’ils n’avaient pas renoncé à la succession de Mme [Z] ;
Débouter M. [Z] de sa demande à savoir « les frais et dépens seront intégralement supportés par le demandeur » ;
Ne pas condamner le département d’Ille-et-Vilaine aux dépens ;
Ne pas condamner le département d’Ille-et-Vilaine à verser la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, elle expose principalement que plusieurs éléments du dossier caractérisent une renonciation in favorem des héritiers : le notaire a expressément demandé au [5] « comment faire pour éviter totalement la récupération ? Quels arguments utiliser ? » et la renonciation est intervenue après que les modalités de renonciation ont été expliquées par téléphone et par courriers. Elle indique que le fait que la date d’interrogation du notaire au CRIDON soit postérieure aux dates des renonciations n’est pas déterminant dans la mesure où un tel élément participe seulement à la caractérisation d’un faisceau d’indices d’une renonciation in favorem.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il convient de se référer à leurs conclusions sus-citées, et ce en application de l’article 455 du code de procédure civile.

A l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 19 juin 2024 et rendue à cette date par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur le bienfondé de la demande de récupération des frais d’hébergement et d’entretien.

Aux termes de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles :

« Des recours sont exercés, selon le cas, par l'Etat ou le département :

1° Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire ;

2° Contre le donataire, lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d'aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande ;

3° Contre le légataire ;

4° A titre subsidiaire, contre le bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie souscrit par le bénéficiaire de l'aide sociale, à concurrence de la fraction des primes versées après l'âge de soixante-dix ans. Quand la récupération concerne plusieurs bénéficiaires, celle-ci s'effectue au prorata des sommes versées à chacun de ceux-ci.

En ce qui concerne les prestations d'aide sociale à domicile, de soins de ville prévus par l'article L. 111-2 et la prise en charge du forfait journalier, les conditions dans lesquelles les recours sont exercés, en prévoyant, le cas échéant, l'existence d'un seuil de dépenses supportées par l'aide sociale, en deçà duquel il n'est pas procédé à leur recouvrement, sont fixées par voie réglementaire.

Le recouvrement sur la succession du bénéficiaire de l'aide sociale à domicile ou de la prise en charge du forfait journalier s'exerce sur la partie de l'actif net successoral, défini selon les règles de droit commun, qui excède un seuil fixé par voie réglementaire. »

L’article L. 344-5 dudit code, dans sa version en vigueur au moment des faits, prévoit à ce titre que :

« Les frais d'hébergement et d'entretien des personnes handicapées accueillies, quel que soit leur âge, dans les établissements mentionnés au b du 5° et au 7° du I de l'article L. 312-1, à l'exception de celles accueillies dans les établissements relevant de l'article L. 344-1, sont à la charge :

1° A titre principal, de l'intéressé lui-même sans toutefois que la contribution qui lui est réclamée puisse faire descendre ses ressources au-dessous d'un minimum fixé par décret et par référence à l'allocation aux handicapés adultes, différent selon qu'il travaille ou non. Ce minimum est majoré, le cas échéant, du montant des rentes viagères mentionnées à l'article 199 septies du code général des impôts ainsi que des intérêts capitalisés produits par les fonds placés sur les contrats visés au 2° du I de l'article 199 septies du même code ainsi que du montant de la prime mentionnée à l'article L. 841-1 du code de la sécurité sociale ;

2° Et, pour le surplus éventuel, de l'aide sociale sans qu'il soit tenu compte de la participation pouvant être demandée aux personnes tenues à l'obligation alimentaire à l'égard de l'intéressé, et sans qu'il y ait lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque les héritiers du bénéficiaire décédé sont son conjoint, ses enfants, ses parents ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ni sur le légataire, ni sur le donataire ou le bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie. Les sommes versées, au titre de l'aide sociale dans ce cadre, ne font pas l'objet d'un recouvrement à l'encontre du bénéficiaire lorsque celui-ci est revenu à meilleure fortune ».

Selon l’article 783 du code civil, « Toute cession, à titre gratuit ou onéreux, faite par un héritier de tout ou partie de ses droits dans la succession emporte acceptation pure et simple.

Il en est de même :

1° De la renonciation, même gratuite, que fait un héritier au profit d'un ou de plusieurs de ses cohéritiers ou héritiers de rang subséquent ;

2° De la renonciation qu'il fait, même au profit de tous ses cohéritiers ou héritiers de rang subséquent indistinctement, à titre onéreux. ».

Suivant l’article 805 du même code, « L’héritier qui renonce est censé n'avoir jamais été héritier.

Sous réserve des dispositions de l'article 845, la part du renonçant échoit à ses représentants ; à défaut, elle accroît à ses cohéritiers ; s'il est seul, elle est dévolue au degré subséquent ».

En l’espèce, il n’est pas contesté que Mme [Z] a bénéficié de l’aide sociale pour la prise en charge de ses frais d’hébergement au titre des personnes handicapées du 18 avril 2006 au 23 janvier 2019, date de son décès, ni que les avances qui lui ont été consenties à ce titre par le département d’Ille-et-Vilaine s’élèvent à la somme de 502.341,78 euros.

Il ressort des éléments du dossier que :

Par courriers des 12 mars 2019 et 23 mai 2019, le service prestations individuelles et soutien à l’autonomie du département d’Ille-et-Vilaine a informé M. [Z] et l’étude notariale en charge de la succession de la défunte du montant des frais engagés au bénéfice de cette dernière et des modalités de récupération desdits frais ;
Par actes en date du 23 juillet 2019, Mmes [O] ont renoncé purement et simplement à la succession de feu Mme [Z] ;
Le département a relancé le notaire par courrier du 3 février 2020 ;

Par courriel du 29 décembre 2022 faisant suite à un échange téléphonique, le notaire a finalement communiqué l’acte de notoriété et les récépissés de renonciation à succession de Mmes [O] au département d’Ille-et-Vilaine ;
Interrogé par le notaire en charge de la succession sur le point de savoir « Comment faire pour éviter totalement la récupération ? Quels arguments utiliser ? », le [6] a répondu, le 26 janvier 2023, que « la jurisprudence citée par le département, dans sa lettre, a été désavouée par la jurisprudence plus récente, cette dernière tenant compte du droit civil (l’héritier qui a renoncé purement et simplement est censé n’avoir jamais hérité). Nous vous conseillons donc de maintenir votre position ».
Il résulte de ces éléments que les renonciations à succession de Mmes [V] et [T] [O] sont intervenues postérieurement au courrier du département d’Ille-et-Vilaine expliquant à M. [Z] et au notaire en charge de la succession les conditions de récupération des prestations d’aide sociale pour les personnes en situation de handicap.

Ces renonciations sont également intervenues postérieurement à la signature de l’acte de notoriété du 21 juin 2019 dont il résulte en substance que M. [Z], présent, et Mme [V] [Z], représentée par Monsieur [X] [L], ont expressément déclaré « que le notaire les a informés de la possibilité d’accepter purement et simplement la succession ou d’y renoncer, ou encore d’accepter la succession à concurrence de l’actif net » et que, sauf à ce que le notaire ait manqué à son obligation d’information, ce qui n’est pas démontré ni même seulement affirmé en l’espèce, il les a nécessairement alertés sur les conséquences juridiques, financières et fiscales de chacune des options, et notamment de la renonciation.

Si la réponse du [6] à l’interrogation de Me [H] est postérieure aux renonciations, rien n’indique que la question le soit également et sa formulation laisse en tout état de cause comprendre que l’objectif des héritiers était d’éviter totalement la récupération sur succession des frais d’hébergement et d’entretien engagés par le conseil départemental au profit de la défunte.

C’est ainsi en ayant manifestement conscience de l’incidence de leur renonciation que Mmes [V] et [T] [O] y ont procédé.

Ces renonciations se distinguent ainsi de la renonciation prévue à l’article 805 du code civil en ce qu’elles sont concertées et ont pour seul but de permettre à un héritier de rang subséquent, en l’occurrence le frère de la défunte M. [Z], de bénéficier seul de l’ensemble des droits dans la succession, ceci étant en l’espèce non la conséquence des renonciations, comme cela est le cas en application de l’article 805 dudit code, mais bien la finalité recherchée.

Dans ces conditions, la récupération de la somme de 67.972,93 euros sur les parts de la succession qui seraient revenus aux héritiers non exonérés s’ils n’avaient pas renoncé à la succession de Mme [Z] est bien fondée.

Sur les dépens et frais irrépétibles.

Partie perdante, M. [Z] est condamné aux dépens de l’instance, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.

L’équité commande de rejeter la demande formée par M. [Z] au titre de l’article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

CONFIRME la décision du département d’Ille-et-Vilaine en date du 20 février 2023 aux termes de laquelle il a été décidé de récupérer la somme de 67.972,93 euros sur les parts de la succession qui seraient revenus aux héritiers non exonérés Madame [V] [O] et Madame [T] [O] si elles n’avaient pas renoncé à la succession de Madame [C] [Z] ;

CONDAMNE Monsieur [U] [Z] aux dépens ;

REJETTE la demande formée par Monsieur [U] [Z] sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Ainsi jugé et prononcé, les mois, jour et an que susdits.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 23/00455
Date de la décision : 19/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-19;23.00455 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award