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17/06/2024 | FRANCE | N°22/06310

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 17 juin 2024, 22/06310


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES


17 Juin 2024


2ème Chambre civile
93A

N° RG 22/06310 -
N° Portalis DBYC-W-B7G-J6TJ


AFFAIRE :


[E] [F] veuve [H]


C/

DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D’ILE DE FRANCE

copie exécutoire délivrée
le :
à :







DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE


PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-présidente

ASSESSEUR :

André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire, ayant statué seul, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’artic...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

17 Juin 2024

2ème Chambre civile
93A

N° RG 22/06310 -
N° Portalis DBYC-W-B7G-J6TJ

AFFAIRE :

[E] [F] veuve [H]

C/

DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D’ILE DE FRANCE

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-présidente

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire, ayant statué seul, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

GREFFIER : Fabienne LEFRANC lors des débats et lors de la mise à disposition qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 15 Avril 2024

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Sabine MORVAN, vice-présidente
par sa mise à disposition au Greffe le 17 Juin 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Monsieur André ROLLAND,

ENTRE :

DEMANDERESSE :

Madame [E] [F] veuve [H]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Marc DELALANDE, avocat au barreau de NANTES, avocat plaidant

ET :

DEFENDERESSE :

DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D’ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 5]
non comparant

FAITS ET PRETENTIONS

L’administration fiscale a entendu faire supporter à [E] [F], veuve [H], au taux proportionnel de 2,5 % applicable aux actes de partage une imposition de 60 078 € en principal de droits d’enregistrement, sur la base de sa déclaration n° 2705, enregistrée le 22 septembre 2017 à [Localité 3], à la suite du décès de son époux survenu le [Date décès 2] 2017.

Par une proposition de rectification en date du 21 mai 2021, l’administration fiscale a proposé d’appliquer la taxe de 2,5 % sur les biens prélevés et attribués à [E] [H] au titre d’une clause d’attribution inégale de communauté, d’une part, et d’une clause de préciput, d’autre part, considérant que l’opération s’analysait en un acte de partage.

L’administration ayant le 30 septembre 2021 maintenu l’intégralité des rectifications notifiées à l’assujettie, celle-ci a contesté cette imposition par une réclamation en date du 28 mars 2022, qui a fait l’objet d’une décision de rejet le 18 mai 2022.

C’est dans ce contexte que madame [H] a, par assignation du 15 juillet 2022, saisi le tribunal judiciaire de Rennes.

Depuis, l’administration a, par voie de conclusions, abandonné le rappel relatif à la clause de répartition inégale de communauté et indiqué qu’elle entendait accorder le dégrèvement de l’imposition à due concurrence.

Le présent litige est donc désormais circonscrit au rappel de droit en principal (19 500 €) et intérêts de retard (1755 €) appliqué à l’attribution préciputaire de biens mobiliers et immobiliers à [E] [H], du fait de la dissolution de la communauté ayant existé entre époux.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 juillet 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, ainsi qu’il est dit à l’article 455 du Code de procédure civile, [E] [H] rappelle que l’exigibilité du droit partage de 2,5 % nécessite la réunion de quatre conditions cumulatives à savoir :
- l’existence d’un acte constatant le partage ;
- l’existence d’une indivision entre les copartageants ;
- la justification de l’indivision ;
- l’existence d’une véritable opération de partage.

Elle indique que l’article 1515 du Code civil définit le prélèvement préciputaire sur la communauté comme un acte opéré avant tout partage.

Elle soutient que cette définition distingue nettement par l’antériorité le prélèvement préciputaire du partage et que, seuls certains avantages matrimoniaux expressément qualifiés d’opérations de partage par le Code civil, rentrent dans le champ du droit proportionnel de 2,5 %.

Elle soutient que la position de l’administration fiscale ne repose sur aucun texte légal, et qu’elle contredit même sa propre doctrine.

Pour toutes ces raisons, elle sollicite le dégrèvement du droit de partage et des intérêts de retards qui lui sont réclamés.

[E] [H] sollicite enfin condamnation de l’administration fiscale au paiement d’une indemnité de 7000 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 septembre 2023, notifiées par huissier de justice le 25 septembre 2023, parvenues au greffe le 05 octobre 2023, auxquelles il convient de se référer, pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, comme il est dit à l’article 455 du Code de procédure civile, madame la directrice régionale des finances publiques d’Île-de-France et de Paris soutient que la clause de préciput est une modalité de partage qui a pour caractéristique d’être d’origine conventionnelle et non légale, tirant sa force obligatoire de la volonté des parties, exprimée dans un contrat de mariage par convention modificative, ayant pour caractéristique d’être sans contrepartie et d’être limitée aux seuls éléments actifs de la masse commune, ne pouvant s’exécuter que sur la masse partageable nette.

Elle soutient que c’est en raison de sa qualité de copartageant que l’époux survivant prélève sur la masse de communauté les biens qui font l’objet du préciput. L’administration cite à l’appui de son analyse un courant doctrinal initié par monsieur le doyen [P] [T], suivi par madame la professeure [C] [I], ainsi que messieurs les professeurs [N] [J] et [A] [K].

Elle rappelle que ce tribunal s’est, par jugement du 20 avril 2021, inscrit dans le droit fil de cette analyse d’inspiration civiliste classique en qualifiant l’exercice de l’attribution préciputaire d’opération de partage.

Dans ces conditions, selon l’administration, dès lors que le prélèvement de biens communs en exécution d’une clause de préciput constitue d’évidence en droit civil une opération de partage, il donne au plan fiscal ouverture au droit de 2,5 % ainsi d’ailleurs que le disent le dictionnaire de l’enregistrement et le Jurisclasseur civil.

L’administration considère que la déclaration de succession sur la base de laquelle elle a appelé l’impôt de 2,5 % constitue bien un acte, dès lors qu’y figure en toutes lettres l’exercice de la clause de préciput par la conjointe ainsi que la désignation des biens prélevés sur la masse de communauté.

L’administration soutient qu’elle démontre l’existence d’une indivision dont elle justifie.

Elle considère, par conséquent, qu’elle établit la réunion des quatre conditions exigées pour emporter l’application du droit de partage.

L’administration conclut à ce qu’il plaise au tribunal, en ce qui concerne l’imposition de la clause de répartition inégale de la communauté, de juger que l’instance est devenue sans objet à cet égard et de prononcer le non- lieu à statuer.

L’administration reste par contre sur sa position concernant la clause de préciput et sollicite la confirmation partielle de la décision de rejet du 18 mai 2022 de ce chef, s’élevant à la somme de 21 255 € en principal et intérêts de retard.

L’administration conclut au rejet de la demande de frais irrépétibles [E] [H] et sollicite sa condamnation aux dépens.

***

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 21 mars 2024. L’affaire a été appelée à l’audience du 15 avril 2024 et la décision a été mise en délibéré au 17 juin 2024.


MOTIFS

Aux termes du 7° du I de l’article 635 du Code général des impôts, “doivent être enregistrés dans le délai d’un mois à compter de leur date les actes constatant un partage de biens à quelque titre que ce soit”.

L’article 746 du Code général des impôts prévoit que les partages de biens meubles et immeubles entre copropriétaires, cohéritiers, coassociés, à quelque titre que ce soit, pourvu qu’il en soit justifié, sont assujettis à droits d’enregistrement ou une taxe de publicité foncière de 2,50 %.

Selon la doctrine administrative, pour que ce droit de partage soit exigible quatre conditions sont nécessaires : l’existence d’un acte et d’une indivision entre les copartageants, la justification de l’indivision et enfin l’existence d’une véritable opération de partage ( BOI-ENR-PTG-10-10-20 150 903 ).

Au cas présent, le tribunal est valablement saisi d’un recours contre la décision de monsieur le directeur régional de Bretagne et d’Ille-et-Vilaine, pôle de contrôle des revenus et du patrimoine, de rejet en date du 18 mai 2022 d’une réclamation contentieuse introduite par [E] [H] le 28 mars 2022.

Il apparaît que pendant leur union conjugale, les époux [F]-[H], mariés sous le régime de la communauté de meubles et acquêts, ont institué entre eux divers avantages matrimoniaux, notamment aux termes d’un acte reçu par maître [U] [O] notaire à [Localité 3] le 12 mai 2005, par lequel, usant de la faculté qui leur était offerte par l’article 1397 du Code civil, ils ont déclaré conjointement convenir, dans l’intérêt de leur famille, d’aménager leur régime matrimonial et de stipuler une clause de préciput en faveur du survivant des époux, disposition complétée par un acte reçu par maître [B] [M], notaire à [Localité 3], le 11 mars 2016, prévoyant qu’ en cas de dissolution de la communauté par décès, le survivant des époux pourrait prélever sur la communauté avant tout partage, et à titre de préciput, des biens immobiliers situés à [Localité 6] et à [Localité 3], ainsi que les meubles meublants et objets mobiliers de quelque nature que ce soit, et tous véhicules.

À l’occasion de la déclaration de succession établie sur le formulaire Cerfa n° 2705-SD le 19 septembre 2017, déposée au service départemental de l’enregistrement le 22 septembre 2017, le notaire a mentionné que [E] [H] avait déclaré prélever sur sa part de communauté, à titre de préciput, les deux appartements de [Localité 3] et [Localité 6], les meubles garnissant ces deux résidences, ainsi que le véhicule, le tout pour un montant évalué à 780 000 €, dégageant ainsi un reliquat d’actif net de communauté de 2 497 131,77 €, et un reliquat de 873 996,12 € dépendant de la succession de [U] [S] [R] [H].

C’est sur cette base que les droits de la succession ont été liquidés pour un montant total de 174 080 €, supporté par parts égales par les héritiers de monsieur [U] [H].

L’administration a considéré que la déclaration de succession relatant l’exercice de la délivrance du préciput par et au profit de [E] [H] constituait un acte de partage d’une indivision devant être soumis au droit fixe de 2,5 %.

Cette analyse ne peut être suivie.

Quand bien même en effet l’exercice de l’attribution préciputaire au conjoint survivant commun en biens, constitue-t-elle aux yeux d’un courant doctrinal universitaire une opération s’apparentant au partage, le juge de l’impôt ne doit pas perdre de vue deux principes cardinaux, celui de la légalité et de l’opposabilité à l’administration de sa propre doctrine.

Il existe précisément en la matière une doctrine administrative exigeant la réunion de quatre conditions cumulatives énoncées ci-dessus.

En vertu de l’article L 80 A du Livre des procédures fiscales, [E] [H] est fondée à opposer à l’administration sa propre doctrine.

Le droit proportionnel de 2,5 % institué par l’article 746 du code général des impôts, s’analyse en un “droit d’acte”, du en cas de rédaction d’un écrit, perçu à l’occasion de sa présentation à la formalité de l’enregistrement.

Ceci explique la première condition posée par la circulaire exigeant l’existence d’un acte.

Or la déclaration de succession établie par maître [M], dont se prévaut l’administration fiscale pour exiger le paiement du droit proportionnel de partage ne s’analyse pas stricto sensu en un acte au sens de l’article susvisé.

L’article 800 du Code général des impôts définit en effet ce document administratif comme une “déclaration détaillée sur une formule imprimée fournie gratuitement”.

Au demeurant, l’administration ne fournit aucune indication sur la qualité identité du signataire de cette déclaration.

La condition de l’existence d’un acte n’est donc pas remplie.

L’administration fiscale prétend en second lieu à l’existence d’une indivision ayant existé entre madame [H] et ses cinq enfants ayant commencé au décès de monsieur [H] pour se terminer au moment du partage de sa succession, incluant la moitié des biens de communauté, et que c’est l’exercice de la clause de préciput qui aurait mis fin à cette indivision.

Cette analyse ne se vérifie pas au cas d’espèce.

L’administration ne peut valablement prétendre que l’exercice de la clause de préciput, dans les conditions de l’acte du 11 mars 2016 ayant prévu le prélèvement de divers biens mobiliers et immobiliers sur la communauté avant tout partage, aurait mis fin à une supposée indivision, dès lors que cet avantage matrimonial a été exercé dans le respect de l’article 1515 du Code civil, qui dispose expressément que la délivrance du préciput s’effectue avant tout partage.

Il s’en évince que l’exercice du préciput a eu pour effet, hors de tout acte de partage d’une quelconque indivision, de distraire les biens dévolus au conjoint survivant de la masse commune à partager entre époux.

Les deuxièmes, troisièmes, et quatrième conditions ne sont donc pas remplies.

Dès lors, madame [H] est bien fondée à opposer à l’administration la circulaire BOI-ENR-PTG-10-10- 20 150 903, interprétative des articles 635 I 7° et 746 du Code général des impôts.

En conséquence, l’administration était mal fondée à opérer la reprise d’imposition du droit proportionnel de 2,5 % sur les biens prélevés sur l’actif net communautaire, et il y a lieu d’infirmer la décision de rejet du 18 mai 2022, ainsi que d’ordonner le dégrèvement de l’imposition de 21 255 € en principal et intérêts.

Il convient par ailleurs de donner acte à l’administration de l’abandon de ses prétentions et poursuites au titre de l’imposition de la clause de répartition inégale de la communauté.

L’équité commande que la direction générale des finances publiques d’Île-de-France et de Paris verse à [E] [H] la somme de 2000 €, par application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Succombant, l’administration supportera les entiers dépens de l’instance.

PAR CES MOTIFS

Par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

DONNE acte à l’administration fiscale de ce qu’elle accorde le dégrèvement partiel à hauteur de 40 578 € en droit et de 3652 € au titre des intérêts de retard, au titre de la clause de répartition inégale de communauté.

DIT n’y avoir lieu en conséquence à statuer sur ce chef de contestation.

ANNULE pour le surplus la décision de rejet du 18 mai 2022.

PRONONCE le dégrèvement total des impositions et pénalités réclamées à [E] [H], au titre du préciput, soit la somme de 21 255 €.

CONDAMNE la direction régionale des finances publiques d’Île-de-France et du département de Paris aux dépens.

CONDAMNE la direction régionale des finances publiques d’Île-de-France et du département de Paris à payer à [E] [H] la somme de 2000 € au titre des frais irrépétibles.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/06310
Date de la décision : 17/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-17;22.06310 ?
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