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10/06/2024 | FRANCE | N°21/05710

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 1re chambre civile, 10 juin 2024, 21/05710


Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 6] - tél : [XXXXXXXX01]




10 juin 2024


1re chambre civile
56F

N° RG 21/05710 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JL5X





AFFAIRE :


[I] [K]
[A] [Z]


C/

S.A.R.L. STUDIO 02 ARCHITECTES






copie exécutoire délivrée

le :

à :




PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ



PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présid

ente

ASSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président

ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, Juge


GREFFIER : Séraphin LARUELLE lors des débats et Karen RICHARD lors du prononcé du jugement, qui a signé la présente décision.




...

Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 6] - tél : [XXXXXXXX01]

10 juin 2024

1re chambre civile
56F

N° RG 21/05710 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JL5X

AFFAIRE :

[I] [K]
[A] [Z]

C/

S.A.R.L. STUDIO 02 ARCHITECTES

copie exécutoire délivrée

le :

à :

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente

ASSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président

ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, Juge

GREFFIER : Séraphin LARUELLE lors des débats et Karen RICHARD lors du prononcé du jugement, qui a signé la présente décision.

DÉBATS

A l’audience publique du 06 Mai 2024
Madame Dominique FERALI assistant en qualité de juge rapporteur sans opposition des avocats et des parties

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Dominique FERALI ,
par sa mise à disposition au greffe le 10 juin 2024,
date indiquée à l’issue des débats.

Jugement rédigé par Madame Dominique FERALI.

-2-

ENTRE :

DEMANDEURS :

Monsieur [I] [K]
Madame [A] [Z]

[Adresse 5]
[Localité 3]

représentés par Me Sophie SOUET, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant

ET :

DEFENDERESSE :

S.A.R.L. STUDIO 02 ARCHITECTES
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Etienne GROLEAU de la SELARL GROLEAU, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant

*****

EXPOSE DU LITIGE

Suite à une promesse unilatérale du 23 juin 2020, portant sur un terrain situé à [Localité 7], signée sous condition suspensive du dépôt d’une demande de permis de construire, pour le 5 septembre 2020, M et Mme [K] ont contacté la Sarl Studio 02 Architecte (la Sarl Studio) pour évoquer leur projet de construction. A la suite d’une réunion en date du 23 juin 2020, l’architecte leur a remis un rapport reprenant les caractéristiques du terrain et de la construction souhaitée et a estimé l’enveloppe budgétaire pour une surface habitable de 220 m² à 693 000 euros TTC (3 150 euros TTC/m²), outre ses honoraires d’un montant de 51 975 euros TTC.

Les époux [K] ont alors signé avec la Sarl Studio un contrat d’architecte le 9 juillet 2020, avec mission complète, prévoyant une surface habitable de 240 m² et une enveloppe financière de 756 000 euros TTC, outre honoraires s’élevant à 56 820 euros TTC.

Après réalisation et paiement de l’esquisse (6 000 euros) et de l’avant-projet sommaire (22 200 euros), qui faisait apparaître une surface habitable de 277 m², la demande de permis de construire a été déposée le 4 septembre 2020.

La maîtrise d’œuvre d’exécution et le chiffrage des travaux ont été confiés à la société Elgé qui dans son estimation financière préliminaire du 30 octobre 2020 a chiffré les travaux à 977 948 euros TTC, sans inclure les aménagements intérieurs.

Lors d’une réunion du 6 novembre 2020, avec les maîtres de l’ouvrage, M [G] et M [L] de la Sarl Studio, ont estimé que les économies pouvant être réalisées portaient le coût des travaux à 880 000 euros TTC, sans inclure les aménagements intérieurs.

Par courriel du 9 novembre 2020, les époux [K] ont informé l’architecte que leur projet était suspendu, afin qu’ils puissent réfléchir sur la suite à donner, et le 23 novembre 2020, ils ont décidé d’y mettre un terme.

Par courrier du même jour, la Sarl Studio a pris acte de cette décision et a adressé aux époux [K] une demande règlement de la somme de 5 700 euros TTC correspondant à l’indemnité de résiliation.

Par courrier recommandé d’avocat du 8 décembre 2020, complété par un second courrier du 24 décembre 2020, les époux [K] ont contesté la demande en paiement, estimant que la résiliation du contrat ne leur était pas imputable.

Afin de mettre en œuvre la procédure de conciliation, ils ont saisi Le 4 février 2021, le Conseil régional de l'ordre des architectes de Bretagne qui a transmis le dossier à celui de la région Aquitaine.

Faute de conciliation, par courrier recommandé du 22 mars 2021, M et Mme [K] ont sollicité l'annulation du permis de construire délivré le 15 janvier 2021, et ont demandé le 30 mars 2021 la délivrance d'un nouveau permis de construire sur la base du projet établi par leur nouvel architecte, la Sarl [E] [F] avec laquelle ils avaient signé un contrat d’architecte le 16 janvier 2021.

Puis par acte du 24 août 2021, M et Mme [K] ont assigné la société Studio 02 architectes devant le tribunal judiciaire de Rennes, pour obtenir le remboursement des honoraires versées et le versement de dommages et intérêts.

Par ordonnance du 4 mai 2023, le juge de la mise en état, saisi par la Sarl Studio, a rejeté la demande de production de pièces relatives au dépôt du second permis de construire.

Dans leurs dernières conclusions (n°2) notifiées par RPVA le 6 janvier 2023, les époux [K] demandent au tribunal de :

PRONONCER la résolution du contrat signé aux torts exclusifs de la Société STUDIO 02 ARCHITECTES ; CONDAMNER la Société STUDIO 02 ARCHITECTES à rembourser à Monsieur et Madame [K] la somme de 28.200€ outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 8 décembre 2020 ; ORDONNER la capitalisation des intérêts échus ; CONDAMNER la Société STUDIO 02 ARCHITECTES au paiement de la somme de 50.000€ au titre du retard des travaux ; CONDAMNER la Société STUDIO 02 ARCHITECTES au paiement d’une somme de 3.000€ au titre du préjudice moral ; CONDAMNER la Société STUDIO 02 ARCHITECTES aux dépens, outre 6.000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.DEBOUTER la société STUDIO 02 ARCHITECTES de toutes ses demandes dirigées contre les époux [K].
*****
**
La Sarl Studio a notifié ses dernières conclusions (n°2) par RPVA le 19 septembre 2022 en demandant au tribunal de :

Relever que les époux [K] ont décidé et donné leur accord à l’augmentation de la surface du projet par rapport au programme initial, et partant, à l’augmentation de l’enveloppe financière, Relever que l’augmentation du budget à prestations constantes n’est pas établie, Relever STUDIO 02 ARCHITECTES a parfaitement rempli sa mission de conception et qu’aucun manquement contractuel ne peut être valablement mis à sa charge, Relever que le remboursement des honoraires déjà réglés à STUDIO 02 ARCHITECTES, l’indemnisation réclamée au titre du retard des travaux et au titre du préjudice moral sont infondés et injustifiés.
Par conséquent,

Débouter les époux [K] de toute demande de condamnation à l’encontre de STUDIO 02 ARCHITECTES et de la MAF, comme étant parfaitement injustifiées et infondées.
A titre reconventionnel,

Condamner les époux [K] à payer à STUDIO 02 ARCHITECTES la somme de 5.700 euros TTC au titre des pénalités prévues au contrat, assortie des intérêts au taux légal, à compter de la mise en demeure du 23 novembre 2020.
Condamner les époux [K] à indemniser STUDIO 02 ARCHITECTES en réparation du préjudice du déficit d’image à hauteur de 20.000 euros.
Condamner les époux [K] à payer à STUDIO 02 ARCHITECTES la somme de 10.000 euros pour procédure abusive.
Condamner les époux [K] à payer à STUDIO 02 ARCHITECTES la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Condamner les époux [K] aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux dernières conclusions ci-dessus pour l’exposé des moyens de droit et de fait à l’appui des prétentions des parties conformément à l’article 455 du Code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 octobre 2023.

MOTIFS

1 – LA DEMANDE DE RESOLUTION DU CONTRAT

Aux termes de l'article 1217 du code civil : « La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution »

L’article 1224 du code civil dispose que « La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice ».

Selon l’article 1227 « elle peut en toute hypothèse être demandée en justice ».

Les époux [K] soutiennent que les manquements de l’architecte sont suffisamment importants pour justifier la résolution du contrat à ses torts. Ils exposent que malgré l’enveloppe budgétaire fixée de 756 000 euros, la Sarl Studio les a laissée déposer une demande de permis de construire d’une maison dont la surface, en raison d’erreurs était supérieure à leur demande et dont le chiffrage qui n’avait pas alors été établi, s’est révélé ultérieurement en totale inadéquation avec le budget prévu.
Ils rappellent ainsi que l’architecte avait omis dans le calcul des surfaces les espaces de circulation, lesquels ont dû être réintégrés mais soutiennent que cette erreur n’est pas la seule cause de l’explosion budgétaire qui s’établit à + 45% en intégrant des prestations intérieures d’un niveau moindre que ce qu’ils souhaitaient.
Ils concluent que la Sarl Studio a établi un projet, chiffré deux mois après le dépôt du permis de construire et irréalisable au regard de la définition précise du projet initial, manquant ainsi à ses obligations contractuelles, ce qu’elle a reconnu dans un courriel du 17 novembre 2020.

La Sarl Studio réplique que le projet des époux [M] n’était pas déterminé quant à la superficie et qu’il a évolué. Elle ajoute que les maîtres de l’ouvrage ont accepté l’augmentation de surface et du budget prévisionnel dès le stade de l’esquisse puis lors de la présentation de l’avant-projet et enfin en signant la demande de permis de construire pour une surface habitable de 272 m².
Elle rappelle en outre avoir proposé le 31 août 2020 aux époux [K] de revenir à une surface de 240, mais qu’ils ne l’ont pas souhaité.

Elle ajoute qu’elle n’a jamais été chargée de chiffrer le projet, ce qui lui aurait été impossible en raison du délai contraint de dépôt de la demande de permis de construire au plus tard le 5 septembre 2020, et que cette mission a été confiée tardivement à la société Elgé par contrat du 9 septembre 2020.
Elle affirme que les époux [K] n’ont pas renseigné de façon précise le niveau de finitions intérieures et qu’il n’a jamais été question de finitions haut de gamme.
Elle soutient qu’en réalité le dépassement du budget ne résulte que de l’augmentation de surface, acceptée par les maîtres de l’ouvrage et en tout état de cause s’élevait à 13,33% soit un dépassement de 3,33% de la tolérance de 10%.
Elle estime n’avoir commis aucun manquement contractuel et que le courriel du 17 novembre 2020 ne s’analyse pas en une reconnaissance de responsabilité mais comme la volonté d’apaiser les tensions. Elle rappelle enfin qu’elle a tenté de retravailler un nouveau projet afin de se rapprocher du budget, ce que les époux [K] ont refusé.

A l’issue d’une réunion précontractuelle qui s’est tenue 23 juin 2020, la Sarl Studio a établi un compte rendu, récapitulant les caractéristiques du terrain, celles du projet, son estimation financière et les honoraires d’une mission complète. Les caractéristiques du projet prévoyaient une maison individuelle de 220 m² habitables (avec le nombre de pièces et de salles d’eau) avec garage et carport, une piscine avec local technique et un terrain de soccer sur le toit.
Le coût avait été estimé à 3 150 euros/m² et représentait une enveloppe de 693 000 euros TTC, la Sarl Studio précisant que « l’esquisse permettra d’avoir une approche plus fine de l’enveloppe financière allouée aux travaux », et le montant des honoraires fixé à 7,5% des travaux, soit 51 975 euros TTC.
Il était précisé que la Sarl Studio serait accompagnée de Elgé pour la rédaction des pièces écrites et des estimations du projet.
Enfin, il était expressément rappelé que la demande de permis de construire devait être déposée le 4 septembre 2020.

La fiche d’information établie le 3 juillet 2020 indique les caractéristiques de la construction, les éléments d’équipement souhaités : cuisine, dressing, salles d’eau, salle de bains, bureaux, buanderie, toilettes et garage. Le niveau de finition souhaitée était indiqué « belles finitions » en référence à « la villa K au Pargo ».
Sur ce même document la surface de chaque pièce est indiquée, pour un total de 240 m² avec un coût de 3 150 euros TTC/m² habitable, portant ainsi le montant des travaux à 756 000 euros TTC honoraires de 56 820 euros TTC en supplément.
Le démarrage des travaux était prévu en décembre 2020/janvier 2021 pour un achèvement prévu début 2022.

Le même jour, les époux [K] ont accepté le devis des honoraires de l’architecte en date du 25 juin 2020.

Après avoir signé le devis relatif aux ses honoraires, les époux [K] ont conclu le 9 juillet 2020 avec la Sarl Studio un contrat d’architecte portant sur une mission complète et reprenant les caractéristiques du projet décrit dans la fiche d’information : une surface de 240m², une enveloppe financière dont disposent les maîtres de l’ouvrage fixée à la somme de 756.000 euros TTC, outre 56 820 euros d’honoraires en supplément.

Ce même contrat stipule qu’au stade des études préliminaires (7.1) « l’architecte établit une estimation provisoire du coût prévisionne des travaux et se prononce sur l’adéquation de l’enveloppe financière… » et qu’au stade de l’avant-projet (7.2) « l’architecte établit l’estimation du coût prévisionnel des travaux qui tient compte de l’ensemble des travaux nécessaires à la réalisation de l’ouvrage…l’architecte s’assure de la compatibilité de son estimation avec l’enveloppe financière et le calendrier prévisionnel du maître de l’ouvrage ».

L'article G 3.2.1 du cahier des clauses générales (Etudes d'avant-projet sommaire ou APS) stipule quant à lui que « les études d'avant-projet ne sont menées qu'après avoir vérifié, lors des études préliminaires, l'adéquation de l'enveloppe au programme défini par le maître d'ouvrage.
L'architecte précise la conception générale en plan et en volume, propose les dispositions architecturales qui lui semblent les mieux à même de répondre au programme. Il arrête les dimensions principales de l'ouvrage ainsi que son aspect général.
(…)
Il fournit une estimation provisoire du coût prévisionnel des travaux et estime le délai global de réalisation de l'opération.
L'architecte se prononce sur l'adéquation entre l'enveloppe financière indiquée par le maître d'ouvrage à la signature du contrat et le coût qu'il estime nécessaire à la réalisation de l'opération. (...) ».
L'article G 3.2.2 concernant l'avant-projet définitif (APD) prévoit que « L’architecte vérifie le respect des différentes réglementations liées à l'opération. Il détermine les surfaces de tous les éléments du programme, arrête en plans, coupes, façades les dimensions de l'ouvrage, précise son aspect, justifie les solutions architecturales retenues, détermine les surfaces détaillées de tous les éléments du programme et établit la notice descriptive précisant la nature des matériaux.
(…)
L'architecte fournit l'estimation définitive du coût prévisionnel des travaux, dans la limite d'une variation de 10% en monnaie constante par rapport à l'estimation provisoire du coût prévisionnel des travaux approuvé à l'APS. Cette limite ne vaut que si le programme défini au CCP ou en annexe est inchangé. (...) ».

La réunion précontractuelle, l’établissement de la fiche d’information et enfin la signature du contrat d’architecte témoignent de la parfaite connaissance qu’avait la Sarl Studio des desiderata des époux [K], tant en ce qui concerne les caractéristiques de la construction que ses aménagements intérieurs (la référence à la villa K au Pargo concernant un projet qu’elle avait réalisé) et du budget dont ils disposaient. Elle était également informée des contraintes inhérentes à la nécessité de déposer la demande de permis de construire au plus tard le 4 septembre 2020 pour respecter les stipulations du compromis de vente du terrain.

L’esquisse présentée le 27 juillet 2020, sans chiffrage estimatif, mais accompagnée de photos d’aménagements intérieurs présente une surface de 285 m² (sans qu’il soit précisé s’il s’agit de m² de plancher ou de m² habitables) et a donné lieu à une facturation de 6 000 euros (facture du 27 juillet 2020).

L’avant-projet du 28 août 2020 accompagné d’une étude complète des aménagements intérieurs avec plans en 3D, mobiliers et échantillons de couleurs et de matériaux, fait référence à une surface de 276 m², sans plus de précision, et a donné lieu à une facture de 22 200 euros datée du 4 septembre 2020.

A ce stade aucun chiffrage n’a été communiqué aux époux [K]. Ces derniers ont appris que l’augmentation de la surface par rapport à leur demande initiale résultait de l’oubli de l’architecte d’inclure dans la fiche d’information la surface des circulations (environ 25 m²) comme l’indique la Sarl Studio (M [G]) dans un courriel adressé à Mme [K] le 31 août 2020.

Il résulte d’un autre courriel du 1er septembre 2020 adressé à M [K] par M [J] (Elbé) qu’à la suite de cette erreur une remise de 10% a été proposée, portant l’enveloppe à 872 550 euros, ce qui correspondait à la limite haute du budget, comme le rappellera la Sarl Studio dans le compte rendu d’une réunion qui se tiendra le 6 novembre 2020.

L’on peut considérer, à la lecture de ces pièces que les époux [K] pris par le temps, mais séduits par le projet et ses aménagements intérieurs, que l’on peut considérer comme très qualitatifs (parquet en chêne huilé, revêtement Fenix, meubles en chêne, étagère en verre…), à un coût qu’ils pensaient encore compatible avec leurs capacités financières, ont pris la décision de déposer la demande de permis de construire, alors qu’ils n’avaient pas de chiffrage et n’avaient pas été alerté par l’architecte.

Or selon chiffrage établi par la société Elbé, maître d’œuvre d’exécution, le 30 octobre 2020, le coût s’élevait à 977 948 euros TTC pour les seuls travaux de construction, montant auquel ils devaient ajouter celui des aménagements intérieurs qui n’avaient pas été inclus dans le chiffrage, faute de validation.

Il résulte de ces éléments que la Sarl Studio a commis une première erreur en omettant de prendre en compte la surface des circulations, augmentant la surface de la maison de 29,42 m² et donc de coût de la construction (+ 92 673 euros). Elle en a commis une seconde en n’accompagnant ni l’esquisse, ni surtout l’avant-projet du coût prévisionnel du projet, ce que l’architecte a d’ailleurs reconnu expressément dans un courriel adressé aux époux [K] le 17 novembre 2020, et qu’il tente vainement aujourd’hui d’interpréter comme une volonté de conciliation.

La Sarl Studio ne peut se retrancher derrière le temps qui était nécessaire à la société Elgé pour l’élaboration du budget prévisionnel, alors qu’elle était informée des délais très contraints et qu’elle a accepté la mission.

Elle ne peut davantage alléguer que le dépassement du budget est la conséquence de modifications acceptées par les maîtres de l’ouvrage en ce que, si les époux [K] ont accepté de déposer une demande de permis de construire pour une surface supérieure à celle initialement fixée, c’est pour pallier une erreur de l’architecte et parce que l’augmentation du coût de la construction restait compatible avec leurs capacités financières, ce qui n’est pas le cas de l’enveloppe définitive. En effet celle-ci représente une augmentation de + 29% par rapport au budget initial et + 15% par rapport à leur budget maximum, sachant que de surcroît cette augmentation ne tient pas compte du coût des aménagements intérieurs initialement inclus dans les 756 000 euros, lesquels viennent nécessairement majorer le montant de 977 948 euros.

Elle ne peut enfin reprocher aux époux [K] d’avoir choisi de mettre fin aux relations contractuelles à l’issue de la réunion du 6 novembre 2020, sans accepter de revoir le projet en optimisant les surfaces, ni rechercher les postes sur lesquels il était possible de faire des économies, sans méconnaître leur légitime déception et leur perte de confiance.

Ce dépassement manifeste et très supérieure à la tolérance contractuelle de 10%, est la conséquence de la faute imputable à la Sarl Studio, ce qui justifie de prononcer la résolution du contrat à ses torts exclusifs.

2 – LES CONSEQUENCES DE LA RESOLUTION DU CONTRAT

Selon l’article 1229 « La résolution met fin au contrat.

La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l'assignation en justice.

Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation.

Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ».

2.1 le remboursement des honoraires

Les époux [K] demandent le remboursement du montant des honoraires versés à la Sarl Studio en pure perte. Ils exposent qu’ils ont été contraints de demander l’annulation du permis de construire et signer un nouveau contrat d’architecte.

La Sarl Studio s’oppose à la demande et soutient que l’esquisse et l’avant-projet correspondent à un travail réalisé dans des délais très contraints et durant la période de confinement particulièrement éprouvante de la crise sanitaire. Elle ajoute que ce travail a permis de déposer une demande de permis de construire.

Si la prestation réalisée par la Sarl Studio n’est pas contestable, elle n’a trouvé aucune utilité en raison de sa faute et a donc été réglée par les époux [K] en pure perte.

En conséquence, la Sarl Studio sera condamnée à verser aux époux [K] la somme de 28 200 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 8 décembre 2020.

2.2 le retard dans les travaux

Les époux [K] réclament à être indemnisés à hauteur de 50 000 euros des préjudices financier résultant de l’immobilisation du terrain, de la hausse des taux d’intérêt et de l’explosion du coût des matériaux et du préjudice de jouissance de leur nouvelle maison qu’ils attendent d’occuper.

La Sarl Studio s’oppose à la demande considérant que l’annulation du permis de construire n’est que la conséquence de la volonté des époux [K] qui ont refusé de rechercher une solution, préférant confier la réalisation de leur maison à un autre architecte.

Il résulte du nouveau contrat signé le 16 janvier 2021 que les époux [K] ont confié à la Sarl [E] et [F] architectes, la réalisation d’une maison de 300 m² pour un budget estimé à 750 000 euros TTC, outre honoraires d’un montant de 27 600 euros TTC (3,68% du montant des travaux). Ils ne démontrent pas que ce second projet, qui leur permet de bénéficier d’une surface plus importante (+ 60 m² par rapport à leur demande initiale) entraîne un préjudice financier, nonobstant les arguments avancés.
S’ils sont contraints à rester dans leur maison de [Localité 3] durant la construction du nouveau projet, ils indiquent être propriétaires et ne subissent donc pas de préjudice financier de ce chef.
De même, si l’on se réfère à la date de dépôt de la nouvelle demande de permis de construire, le 29 mars 2021, ils ne démontrent pas que l’immobilisation du terrain six mois supplémentaires, constitue un préjudice financier.

En revanche, les époux [K] justifient d’un préjudice en ce qu’ils ne pourront emménager dans la maison de [Localité 7] à la date espérée, soit début 2022, cette entrée en jouissance étant probablement reportée à mi 2022, toujours par référence à la date de la demande de permis de construire et en fixant le délai de construction à un an. Ce préjudice peut être évalué à 3 000 euros que la Sarl Studio sera condamnée à verser, sur la base de 500 euros par mois durant six mois en prenant en considération que la maison qu’ils occupent actuellement leur offre un cadre de vie très confortable, comme décrit dans l’avis de valeur de l’agence immobilière CBR Immobilier de [Localité 8] qui estime sa valeur locative à 3 000 euros par mois.

2.3 le préjudice moral

Les époux [K] réclament la somme de 3 000 euros, demande à laquelle s’oppose la Sarl Studio.

En affirmant qu’il existe un préjudice moral devant être indemnisé sans verser le moindre justificatif, les époux [K] ne rapporte pas la preuve de son existence et seront déboutés de leur demande.

3 – LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA SARL STUDIO

3.1 le paiement des pénalités conventionnelles dues en cas de résiliation du contrat

La Sarl Studio demande le versement de la somme de 5 700 euros en application de l’article 15.2 du contrat, demande à laquelle s’opposent les époux [K].

La résolution du contrat ayant été prononcée aux torts exclusifs de la Sarl Studio, celle-ci ne peut prétendre au versement des pénalités contractuelles.

3.2 la perte d’image

La Sarl Studio réclame à ce titre la somme de 20 000 euros en alléguant que son comportement professionnel a été nié par les maîtres d’ouvrage et qu’elle n’a pas pu « communiquer sur les fruits du travail accompli dans l’intérêt du maître d’ouvrage ». les époux [K] contestent la demande.

Outre que les arguments avancés ne constituent pas une atteinte à l’image, la résolution du contrat aux torts de l’architecte le prive de prétendre à une telle indemnisation.

3.3 le caractère abusif de la procédure

La Sarl Studio sollicite à ce titre la somme de 10 000 euros dont elle sera également déboutée en raison de la solution apportée au litige.

4 – LES DEMANDES ACCESSOIRES

La Sarl Studio 02 Architectes qui succombe sera condamnée aux dépens et à verser aux époux [K] la somme de 4 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Prononce la résolution du contrat conclu le 9 juillet 2020 entre M [I] [K] et Mme [A] [Z] épouse [K] d’une part et la Sarl Studio 02 Architectes d’autre part, aux torts exclusifs de la Sarl Studio 02 Architectes ;

Condamne la Sarl Studio 02 Architectes à verser à M [I] [K] et Mme [A] [Z] épouse [K] :

la somme de 28 200 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2020 et jusqu’à parfait paiement au titre du remboursement des honoraires,la somme de 3 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,
Déboute M [I] [K] et Mme [A] [Z] épouse [K] du surplus de leurs demandes ;

Déboute la Sarl Studio 02 Architectes de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

Condamne la Sarl Studio 02 Architectes à verser à M [I] [K] et Mme [A] [Z] épouse [K] la somme de 4 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 1re chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/05710
Date de la décision : 10/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-10;21.05710 ?
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