TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
PÔLE SOCIAL
MINUTE N°
AUDIENCE DU 07 Juin 2024
AFFAIRE N° RG 20/00748 - N° Portalis DBYC-W-B7E-I7R7
89E
JUGEMENT
AFFAIRE :
Société [5]
C/
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE
Pièces délivrées :
CCCFE le :
CCC le :
PARTIE DEMANDERESSE :
Société [5]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Rodolphe MENEUX, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
PARTIE DEFENDERESSE :
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par M. [H] [W], suivant pouvoir
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : Madame Magalie LE BIHAN,
Assesseur :Monsieur Hervé BELLIARD, Assesseur du pôle social du TJ de Rennes
Assesseur : Madame Ghislaine BOTREL-BERTHOIS, Assesseur du Pôle social du TGI de RENNES
Greffier : Madame Rozenn LE CHAMPION, lors des débats et Caroline LAOUENAN, lors du délibéré
DEBATS :
Après avoir entendu les parties en leurs explications à l’audience du 15 Décembre 2023, l'affaire a été mise en délibéré pour être rendu au 22 mars 2024, puis prorogé au 17 mai 2024, et prorogé pour etre rendu au 07 Juin 2024 par mise à disposition au greffe.
JUGEMENT :contradictoire et en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE :
Monsieur [K] [X], salarié de la société [5] depuis le 13/11/2019 en qualité d’animateur, a déclaré avoir été victime d’un accident du travail survenu le 28/01/2020 dans des circonstances ainsi décrites par l’employeur aux termes de sa déclaration complétée le 30/01/2020 :
« Activité de la victime lors de l’accident : Aide au repas ; Réinstallation d’un résident dans son lit
Nature de l’accident : Manutention
Objet dont le contact a blessé la victime : « Résident »
Siège des lésions : lésions dorsales
Nature des lésions : douleurs dorsales ».
L’employeur a joint une lettre de réserves motivées à cette déclaration.
Le certificat médical initial, établi le 12/02/2020, fait état d’une « lombalgie aigüe en mobilisant un patient le 28/01/2020 ».
La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) d’Ille-et-Vilaine a procédé par voie de questionnaires, l’employeur ayant complété le sien le 10/03/2020 et l’assuré le 30/02/2020.
Par courrier du 06/05/2020, la CPAM d’Ille-et-Vilaine a notifié à la société [5] sa décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l’accident dont a été victime M. [X] le 28/01/2020.
Par courrier daté du 01/07/2020, la société [5] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM d’Ille-et-Vilaine d’une contestation.
Par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 22/10/2020, la société [5] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes d’un recours contre la décision implicite de rejet de la commission.
En sa séance du 17/12/2020, la commission de recours amiable a finalement rejeté la contestation de la société [5].
L’affaire a été appelée à l’audience du 15/12/2023.
La société [5], dûment représentée, se référant expressément à ses dernières conclusions du 10/07/2023, demande au tribunal de :
Juger que la preuve de la matérialité de l’accident n’est pas établie ;En conséquence :
Déclarer la décision de la CPAM d’Ille-et-Vilaine en date du 06/05/2020 inopposable au fond à la société [5] ;Lui déclarer également inopposables toutes décisions consécutives à celle-ci ;Juger que la caisse a manqué à son obligation d’information dans le cadre de la procédure d’instruction et partant, au respect du principe du contradictoire ;En conséquence :
Déclarer la décision de la CPAM d’Ille-et-Vilaine en date du 06/05/2020 inopposable en la forme à la société [5] ;Lui déclarer également inopposables toutes décisions consécutives à celle-ci ;En tout état de cause :
Infirmer la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable de la CPAM d’Ille-et-Vilaine.Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir en substance que la décision de la caisse n’est fondée que sur les seules déclarations du salarié, que le certificat médical initial a été établi près de 15 jours après la date présumée de l’accident, que le salarié a continué à travailler normalement sans se plaindre jusqu’à l’établissement du certificat et que la constatation médicale intervient le lendemain de la réception d’une lettre de convocation à un entretien préalable à un licenciement. Elle précise que le témoin mentionné par la déclaration d’accident (Mme [N]) n’a jamais été entendu, ni celui dont M. [X] s’est prévalu dans une lettre du 11/02/2020 (Mme [O]). La société ajoute que l’établissement tardif du certificat médical initial peut faire suite à une douleur apparue dans d’autres circonstances que celles décrites à la déclaration d’accident du travail, voire même pendant un de ses jours de repos, et que compte tenu des circonstances, il a pu être sollicité par le salarié pour s’octroyer une protection contre le licenciement. Elle expose à ce titre que, le 11/03/2020, M. [X] s’est vu délivrer une seconde convocation à un entretien préalable suite à la découverte de nouveaux manquements et que le lendemain, il a indiqué à son employeur qu’il se portait candidat à l’élection du CSE. Elle indique enfin que, suite à un accident survenu chez un précédent employeur, M. [X] bénéficie de la qualité de travailleur handicapé.
Sur le principe du contradictoire, la société [5] soutient que la caisse n’a pas tenu compte des dispositions de l’ordonnance n° 2020-460 du 22/04/2020 et ne l’a pas informée de la prorogation de 10 jours du délai dont elle disposait pour remplir le questionnaire. Elle affirme également que si la déclaration d’accident fait mention de témoin, le témoignage de ces derniers ne figurait pas au dossier qu’elle a consulté, de sorte qu’elle n’a pas été mise en mesure de formuler des observations en toute connaissance de cause.
En réplique, la CPAM d’Ille-et-Vilaine, dûment représentée, se référant expressément à ses conclusions du 10/08/2023, prie le tribunal de :
Confirmer que la CPAM d’Ille-et-Vilaine a parfaitement respecté le principe du contradictoire à l’égard de la société [5] dans le cadre de l’instruction de l’accident du travail dont a été victime M. [X] le 28/01/2020 ;Confirmer que la matérialité et le caractère professionnel de l’accident du 28/01/2020 dont a été victime M. [X] sont établis ;Constater que l’employeur ne rapporte pas la preuve d’une cause totalement étrangère au travail concernant l’accident dont a été victime M. [X] le 28/01/2020 ;Rejeter la demande formulée par la société [5] de voir déclarer inopposable à son égard la prise en charge de l’accident du travail dont a été victime M. [X] le 28/01/2020 ;Rejeter l’ensemble des demandes de la société [5] ;Condamner la société [5] aux entiers dépens.A l’appui de ses demandes, la caisse expose principalement que la société [5] a rempli le questionnaire le 10/03/2020, soit avant la période de confinement, de sorte que l’absence de prorogation du délai imparti pour remplir le questionnaire ne lui a pas porté préjudice, ce d’autant qu’au moment de la transmission du questionnaire, elle ne pouvait pas se douter qu’elle aurait à appliquer une ordonnance qui n’était pas encore publiée. Elle ajoute que, contrairement à ce qu’affirme l’employeur, le questionnaire de Mme [N], rempli le 27/03/2020, figurait bien au dossier consulté. S’agissant du questionnaire de Mme [O], elle indique que celui-ci n’a été retourné par le témoin que le 24/04/2020, soit postérieurement à la clôture de l’instruction, de sorte qu’il n’a pas pu être versé au dossier et n’a pas été pris en compte par la caisse.
Sur le fond, la caisse soutient que M. [X] a déclaré son accident de travail à son employeur dès le lendemain, que les lésions mentionnées sur le certificat médical initial sont compatibles et concordantes avec la déclaration d’accident, la lettre du salarié du 11/02/2020 et le témoignage de Mme [N] et que le salarié a expliqué qu’il a continué à travailler pour éviter que son arrêt de travail puisse « impacter l’équipe » qui souffrait du manque de personnel de l’entreprise. Elle ajoute que son médecin conseil a considéré que les lésions de M. [X] étaient imputables à l’accident du 28/01/2020, que le fait que l’assuré bénéficie d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé est sans incidence sur la qualification du fait accidentel. Enfin, elle estime que l’argument selon lequel l’arrêt de travail initial aurait été sollicité en opportunité n’est démontré par aucun élément objectif, l’employeur se contentant d’évoquer l’existence de coïncidences.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et arguments.
A l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 22/03/2024 puis prorogée au 17/05/2024 et rendue à cette date par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
***
MOTIFS :
A titre liminaire, il y a lieu de préciser que le pôle social du tribunal judiciaire n’est pas une juridiction de recours des décisions rendues par la commission de recours amiable de la CPAM. Si la saisine de cette commission est un préalable obligatoire et nécessaire à la saisine du tribunal judiciaire, ce dernier ne se prononce que sur la décision initiale de l’organisme. Il en résulte que le tribunal ne peut annuler ou confirmer la décision de la commission.
Il est en outre précisé que, le questionnaire de Madame [S] [O] ayant été adressé tardivement à la caisse et ne figurant ainsi pas parmi les pièces constitutives du dossier soumis à consultation, il n’y a pas lieu d’en tenir compte.
Sur le caractère professionnel de l’accident :
Aux termes de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.
L’accident du travail est donc un événement, survenu au temps et lieu du travail, certain, identifié dans le temps, ou résultant d’une série d’événements survenus à des dates certaines, générateur d’une lésion physique ou psychologique qui s’est manifestée immédiatement ou dans un temps voisin de l’accident et médicalement constatée.
Est présumée imputable au travail toute lésion survenue au temps et au lieu du travail.
Pour que la présomption d’imputabilité au travail puisse jouer, la victime doit au préalable établir la réalité de la lésion ainsi que la survenance au temps et au lieu du travail. Il appartient à celui qui prétend avoir été victime d’un accident du travail d’établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel, la présomption ne pouvant résulter des seules allégations de la victime non corroborées par des éléments objectifs.
S’agissant de la preuve d’un fait juridique, cette preuve est libre et peut donc être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes au sens de l’article 1382 du code civil. Elle ne peut cependant résulter des seuls dires de la victime ni des caractéristiques de la lésion invoquée. Ainsi en est-il lorsque les déclarations du salarié sont corroborées par la teneur des documents médicaux produits et par les déclarations des témoins voire par des documents médicaux seulement, dès lors que ceux-ci sont suffisamment précis.
La constatation médicale tardive des lésions ne saurait à elle seule faire obstacle au jeu de la présomption d’imputabilité et à la prise en charge de l’accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels (Civ. 2e, 25/06/2009, n° 08-11.997 ; CA Amiens, 04/04/2023, n° RG 22/01240 ; dans le même ordre d’idée pour une constatation médicale 11 jours après l’accident : Civ. 2e, 24/06/2021, n° 19-24.945).
Au cas d’espèce, la déclaration d’accident du travail rédigée par l’employeur le 30/01/2020 expose que, le 28/01/2020, alors qu’il procédait à la réinstallation d’un résident dans son lit au cours de l’aide au repas, M. [X] a ressenti une douleur dorsale. Elle mentionne comme siège des lésions le dos.
Il résulte en outre des termes de cette déclaration que l’accident est survenu sur le lieu de travail habituel de la victime, à 19h, et que les horaires de travail du salarié le jour des faits étaient les suivants : 9h45-12h45 / 14h30-19h30.
La déclaration indique enfin que la société a été informée de l’accident de M. [X] le 29/01/2020, à 14h30, soit dès le lendemain de la survenance de l’accident et dans le délai de 24 heures prévu à l’article R. 441-2 du code de la sécurité sociale. Elle mentionne Madame [D] [N] en qualité de témoin.
Le certificat médical initial, établi le 12/02/2020, soit 15 jours après les faits, mentionne une « lombalgie aigüe en mobilisant un patient le 28/01/2020 ». Il mentionne comme date de l’accident le 28/01/2020 et prescrit au salarié un arrêt de travail jusqu’au 26/02/2020.
Aux termes de son questionnaire témoin complété en ligne le 27/03/2020, Mme [N] indique :
« [K] [X] aidait une résidente à se redresser pour s’asseoir correctement dans son lit, afin de l’aider à s’hydrater. Mais la résidente en question, en état d’agitation, a fait le mouvement inverse que celui attendu. Ensuite, il a aidé une collègue aide-soignante à la rallonger pour la nuit. [K] [X] s’est plaint de douleurs au dos immédiatement à l’issue de ces manipulations ».
Si l’employeur se prévaut du fait que M. [X] n’a consulté le médecin qui a établi le certificat médical initial que 15 jours après les faits, le 12/02/2020, l’assuré a précisé, dans son questionnaire, sans être contredit par la société [5] sur ce point, que l’entreprise faisait face à un manque de personnels et qu’il ne souhaitait pas pénaliser ses collègues par son absence. Il explique avoir pris de la codéine immédiatement et dans les jours qui ont suivi mais que la douleur a persisté.
En tout état de cause, l’employeur ne peut tirer aucun argument du caractère tardif du certificat médical initial dès lors qu’il a été informé de l’accident dès le lendemain de sa survenance et que les constatations médicales concordent avec les déclarations de l’assuré (en ce sens, v. CA Paris, 15/12/2023, n° RG 20/04227) et à celles du témoin.
En effet, les lésions indiquées dans le certificat médical initial sont identiques à celles mentionnées dans la déclaration d’accident du travail et constatées par le témoin.
Dans ces conditions, la survenance d’un fait soudain ayant entrainé l’apparition immédiate de lésions, en l’occurrence l’apparition de douleurs dorsales au cours de la réinstallation d’une patiente dans son lit, au lieu et pendant le temps de travail du salarié, est établie par des éléments objectifs, de sorte que la présomption d’imputabilité trouve à s’appliquer.
Il appartient ainsi à l’employeur, pour renverser cette présomption, de démontrer que l’accident est dû à une cause totalement étrangère au travail, pouvant notamment consister en l’existence d’un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte.
Au cas présent, la société [5] n’établit pas que l’accident litigieux est dû à une cause totalement étrangère au travail.
Le fait que, la veille de la constatation médicale de ses lésions, M. [X] ait reçu une convocation à un entretien préalable au prononcé d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement n’est pas de nature à renverser la présomption d’imputabilité, état au surplus observé que la société [5] a assorti la convocation d’une mise à pied conservatoire et qu’en tout état de cause, elle a pu procéder au licenciement du salarié le 24/03/2020.
La société [5] indique en outre que, suite à un accident survenu chez un précédent employeur, M. [X] bénéficie d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.
Elle n’apporte cependant aucune précision sur la nature des séquelles qui ont permis au salarié de bénéficier de ladite reconnaissance et ne démontre notamment pas que les lésions dorsales apparues le 28/01/2020 sont exclusivement imputables à ces séquelles.
Une telle circonstance ne saurait ainsi constituer un état pathologique préexistant.
En conséquence, il y a lieu de dire que l’accident dont a été victime M. [X] le 28/01/2020 a un caractère professionnel
Sur le principe du contradictoire :
Aux termes de l’article R. 441-8 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur depuis le 01/12/2019 et applicable en l’espèce, lorsque la caisse engage des investigations, elle dispose d’un délai de quatre-vingt-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident.
Dans ce cas, la caisse adresse un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident à l’employeur ainsi qu’à la victime ou ses représentants, dans le délai de trente jours francs mentionné à l’article R. 441-7 et par tout moyen conférant date certaine à sa réception. Ce questionnaire est retourné dans un délai de vingt jours francs à compter de sa date de réception. La caisse peut en outre recourir à une enquête complémentaire. En cas de décès de la victime, la caisse procède obligatoirement à une enquête, sans adresser de questionnaire préalable.
La caisse informe la victime ou ses représentants ainsi que l’employeur de la date d’expiration du délai prévu au premier alinéa lors de l’envoi du questionnaire ou, le cas échéant, lors de l’ouverture de l’enquête.
A l’issue de ses investigations et au plus tard soixante-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial, la caisse met le dossier mentionné à l’article R. 441-14 à la disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu’à celle de l’employeur. Ceux-ci disposent d’un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier. Au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l’employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d’observations.
La caisse informe la victime ou ses représentants et l’employeur des dates d’ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle ils peuvent consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle ils peuvent formuler des observations, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation.
L’article 11, II., 4° de l’ordonnance n° 2020-460 du 22/04/2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19 prévoit que les délais pour répondre aux questionnaires sont prorogés, pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, de dix jours.
Ces dispositions sont relatives aux délais applicables à la procédure de reconnaissance des accidents du travail mentionnés aux articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de la sécurité sociale et des maladies professionnelles mentionnées à l’article L. 461-1 du même code qui expirent entre le 12 mars 2020 et une date fixée par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale qui ne peut excéder le terme d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020, le cas échéant prolongé dans les conditions prévues par cet article.
Au cas d’espèce, il est constant que la caisse a adressé un courrier daté du 10/03/2020 informant l’employeur que le dossier de M. [X] était complet en date du 13/02/2020 mais que les éléments en sa possession ne lui permettaient pas de statuer sur le caractère professionnel de l’accident, l’invitant par ailleurs à remplir sous 20 jours le questionnaire à sa disposition sur le site internet https://questionnaires-risquepro.ameli.fr et lui indiquant qu’elle aura la possibilité de consulter les pièces du dossiers et formuler ses observations du 24/04 au 05/05/2020, date à compter de laquelle le dossier restera consultable jusqu’à sa décision, cette dernière devant intervenir au plus tard le 14/05/2020.
Il est également constant que le délai de réponse au questionnaire par l’employeur entrait dans le champ d’application de l’ordonnance n° 2020-460 du 22/04/2020 compte tenu de la date à laquelle il expirait.
Si les pièces du dossier démontrent que l’employeur a eu connaissance du courrier d’information du 10/03/2020 puisqu’il a répondu au questionnaire le jour même, il demeure fondé à se prévaloir du caractère obligatoire des dispositions de l’ordonnance du 22/04/2020 et des garanties attachées à la prorogation des délais qu’elle comporte, dont la violation est sanctionnée selon les règles applicables au non-respect par la caisse de son obligation d’information au nombre desquelles figurent celles relatives aux délais prévus par ce texte auxquelles s’appliquent les prorogations au cours de la période visée par cette ordonnance (en ce sens, CA Nancy, 27/06/2023, n° RG 23/00249 ; CA Paris, 17/03/2023, n° RG 21/05625).
La caisse qui a procédé à cette information, en particulier au moyen de la lettre d’information du 10/03/2020, devait, au cours de la période d’application des dispositions de l’ordonnance du 22/04/2020, informer respectivement le salarié et l’employeur des délais et prorogations applicables afin de permettre aux intéressés de prendre leurs dispositions et, par exemple, de modifier les réponses initialement apportées à une ou plusieurs questions de la caisse.
Il apparait en l’espèce que la caisse a respecté le calendrier qu’elle avait initialement annoncé, qui ne comportait pas les indications liées aux prorogations de délais résultant de l’ordonnance du 22/04/2020, une telle circonstance ayant une incidence sur la date d’expiration de réponse aux questionnaires adressés par la caisse.
Il s’ensuit qu’en ne permettant pas à l’employeur de bénéficier des garanties résultant des règles de prorogations de délai de l’ordonnance du 22 avril 2020, la caisse a manqué à ses obligations tenant au respect des garanties de délais bénéficiant à l’employeur et d’information envers ce dernier, entrainant par voie de conséquence l’inopposabilité à son égard de la décision de reconnaissance qu’elle a prise (Civ. 2e, 7 février 2008, n° 07-10.910 ; Civ. 2e, 13 mars 2014, n° 13-12.509).
Dans ces conditions, il y a lieu de déclarer inopposable à la société [5] la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident de M. [X] rendue par la CPAM d’Ille-et-Vilaine le 06/05/2020.
Sur les demandes accessoires :
Partie perdante, la CPAM d’Ille-et-Vilaine sera tenue aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe de la juridiction,
DIT que l’accident dont a été victime Monsieur [K] [X] le 28/01/2020 a un caractère professionnel,
DECLARE inopposable à la société [5] la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident dont a été victime Monsieur [K] [X] le 28/01/2020 rendue par la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine le 06/05/2020,
CONDAMNE la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine aux dépens.
La GreffièreLa Présidente