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28/05/2024 | FRANCE | N°22/07992

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 28 mai 2024, 22/07992


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES


28 Mai 2024


2ème Chambre civile
29A

N° RG 22/07992 -
N° Portalis DBYC-W-B7G-KAGU


AFFAIRE :


[F] [R]


C/

[J] [N]




copie exécutoire délivrée
le :
à :




DEUXIEME CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE


PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-Présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou

de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire


GREFFIER : Fabienne LEFRA...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

28 Mai 2024

2ème Chambre civile
29A

N° RG 22/07992 -
N° Portalis DBYC-W-B7G-KAGU

AFFAIRE :

[F] [R]

C/

[J] [N]

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-Présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire

GREFFIER : Fabienne LEFRANC lors des débats et lors de la mise à disposition qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 19 Mars 2024

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Jennifer KERMARREC
par sa mise à disposition au Greffe le 28 Mai 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Madame Jennifer KERMARREC,

ENTRE :

DEMANDEUR :

Monsieur [F] [R]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Maître Linda LECHARPENTIER de la SELARL CMA, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

ET :

DEFENDERESSE :

Madame [J] [N]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Maître Axel DE VILLARTAY de la SCP VIA AVOCATS, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

EXPOSE DU LITIGE

Le 12 février 2021, Madame [C] [Y] veuve [R], née le [Date naissance 3] 1926, a établi un testament olographe aux termes duquel elle a choisi de léguer la quotité disponible de sa succession à son auxiliaire de vie, Madame [J] [N].

Madame [C] [Y] veuve [R] a été placée sous tutelle selon jugement en date du 7 juillet 2021, son fils, Monsieur [F] [R], et sa belle-fille, Madame [G] [D] épouse [R], étant désignés co-tuteurs.

Elle est décédée le [Date décès 4] 2021 à [Localité 6] (35) en laissant pour lui succéder son fils, Monsieur [F] [R], comme seul héritier, et Madame [J] [N] comme légataire en exécution du testament précité.

Suivant courrier de son conseil en date du 21 février 2022, Monsieur [F] [R] a remis en cause la validité du testament rédigé le 12 février 2021 et sommé Madame [N] d’y renoncer.

N’ayant pas obtenu satisfaction, Monsieur [R] a fait assigner, le 27 octobre 2022, Madame [N] devant le tribunal judiciaire de RENNES afin d’obtenir la nullité du testament litigieux et, à titre subsidiaire, sa réduction.

Aux termes de leurs conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 9 mai 2023, Monsieur [R] demande au tribunal, au visa des articles 1360 du code de procédure civile, 2224, 414-1 et suivants, 901 du code civil, de :
“- JUGER recevable la demande formée par Monsieur [F] [R] ;

En conséquence,

A titre principal,

- JUGER que Madame [Y] veuve [R] n’était pas saine d’esprit lors de la rédaction du testament du 12 février 2021 ;

- PRONONCER la nullité du testament rédigé le 12 février 2021 par Madame [Y] veuve [R] ;

A titre subsidiaire,

- JUGER que le testament rédigé le 12 février 2021 porte atteinte à la réserve héréditaire de Monsieur [R] ;

- REDUIRE le legs fait à Madame [N] à la quotité disponible de la succession de Madame [Y] veuve [R], soit la moitié des biens de la défunte ;

En tout état de cause,

- DEBOUTER Madame [N] de toutes ses demandes contraires aux présentes ;

- CONDAMNER Madame [N] au paiement de la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER Madame [N] aux entiers dépens ;

- ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir”.

A titre principal, Monsieur [R] soutient que le testament litigieux a été rédigé alors que les facultés de sa mère étaient altérées, et plus précisément qu’une procédure de tutelle était en cours. Il se prévaut du certificat rédigé dans ce cadre le 29 janvier 2021 par le docteur [U], expert inscrit sur la liste du procureur de la République de RENNES, dont il reprend en détail les constatations.

En réponse à l’argumentation adverse, Monsieur [R] conteste toute partialité et toute instrumentalisation du médecin précité. Il affirme que la procédure de mise sous protection a été diligentée à la demande de la directrice de l’EHPAD. Il conteste avoir eu un contact direct avec le docteur [U] qu’il dit ne jamais avoir rencontré.

Il conteste les liens que Madame [N] invoque entre elle et la défunte. Il précise que l’intéressée n’a travaillé chez sa mère que de mai 2008 à mars 2009, puis de juillet 2020 à septembre 2021. Il ajoute que les relations entre les deux femmes se sont dégradées, ce qui a mis fin aux interventions de Madame [N]. Il estime que les deux témoignages produits par celle-ci sont insuffisants à remettre en cause le certificat établi par le docteur [U].

Monsieur [R] fait également observer que le testament litigieux n’a pas été rédigé devant notaire, Maître [X], sollicité, s’étant contenté de transmettre un modèle de testament.

A titre subsidiaire, Monsieur [R] sollicite la réduction du legs fait à Madame [N] à la quotité disponible, soit la moitié des biens de la succession.

En défense, aux termes de conclusions notifiées par voie électronique le 3 janvier 2024, Madame [N] demande au tribunal de :
“Vu les articles 414-1, 414-2 et 900 du Code civil,
Vu les articles 913 et suivantes du Code civil,
Vu les pièces versées au débat,

- Débouter Monsieur [R] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- Condamner Monsieur [R] aux dépens

- Condamner Monsieur [R] à payer à Madame [N] une somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile”.

Madame [N] fait état d’une relation ancienne d’amitié et d’affection avec la défunte, dépassant largement le cadre professionnel. Elle explique avoir travaillé pour Madame [R] et son époux de mai 2008 à mars 2009, puis pour Madame seule à compter du mois de juillet 2020. Elle précise être venue régulièrement voir Madame [R] dans l’intervalle. Elle estime que les dispositions testamentaires de l’intéressée ont été motivées par ces relations anciennes. Elle conteste toute manoeuvre à l’égard de la défunte, ajoutant que celle-ci n’entretenait plus de relations avec son fils.

Madame [N] soutient que la preuve d’un trouble mental de Madame [Y] veuve [R] au moment du testament litigieux n’est aucunement rapportée. Elle considère que la mise sous tutelle de l’intéressée le 7 juillet 2021 est insuffisante, de même que l’unique certificat médical du docteur [U]. Elle observe que Monsieur [R] ne produit pas le dossier médical de la défunte. Elle critique plus en détail le certificat précité estimant que celui-ci n’a pas été rédigé avec la rigueur nécessaire. Elle fait également valoir que le médecin a manifestement été instrumentalisé, au moins influencé. Madame [N] fait observer que lors de ce rendez-vous médical, Madame [Y] veuve [R] a confirmé son souhait d’aller chez le notaire pour prévoir des dispositions particulières pour son décès. Elle ajoute que la défunte a effectivement eu rendez-vous le 1er février suivant, puis rédigé et signé le testament litigieux le 12 février suivant. Elle en déduit l’existence d’une volonté claire, précise et réitérée de l’intéressée de procéder comme elle l’a fait.

Madame [N] fait également état de deux témoignages selon lesquels Madame [Y] veuve [R] savait ce qu’elle faisait et avait toutes ses facultés mentales. Elle ajoute que Maître [X], notaire, qui a reçu la défunte le 1er février 2021 pour la conseiller n’a pas constaté de troubles particuliers. Elle relève enfin que le testament a été écrit par Madame [Y] veuve [R] elle-même, sans que l’acte porte en lui-même aucune preuve d’un trouble mental.

En réponse à la demande subsidiaire de Monsieur [R], Madame [N] fait part de son accord pour la réduction du legs, tout en rappelant que la réserve est de droit sauf indignité.

***
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 25 janvier 2024, l’affaire fixée à l’audience du 19 mars suivant, puis mise en délibéré au 28 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

La recevabilité des demandes de Monsieur [R] n’ayant pas été contestée devant le juge de la mise en état, il n’y a pas lieu de statuer spécialement sur ce point.

I - Sur la demande en nullité :

Selon l’article 414-1 du code civil, pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.

L’article 414-2 du même code précise que de son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.
Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :
1° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;
2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou aux fins d'habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.
L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévu à l'article 2224.

Enfin, aux termes de l’article 901 du même code, pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.

En l’espèce, il est constant que le testament litigieux a été rédigé manuscritement par Madame [Y] veuve [R] hors la présence d’un notaire. Maître [X], qui avait reçu la défunte le 1er février 2021, confirme précisément ne pas avoir “pu apprécier sa capacité à l’occasion de cette rédaction” (cf la pièce 7 de Mme [N]).

Pour apprécier les facultés dont la défunte disposait à l’occasion du testament litigieux, il faut s’en rapporter au certificat médical circonstancié établi le 29 janvier 2021 par le docteur [M] [U] (cf la pièce 2 de M. [R]).

Aux termes de ce certificat, le docteur [U] a constaté que Madame [Y] veuve [R] souffrait d’une altération médicale de ses facultés non susceptible d’amélioration et de nature à justifier l’instauration d’une mesure de représentation sur le plan patrimonial et personnel. Le médecin a décrit cette altération en ces termes :
“Altérations cognitives d’ancienneté non précisée mais largement aggravées après le décès de son conjoint, madame [R] explique spontanément qu’elle a des “problèmes de circulation dans le cerveau”.
Madame [R] est en capacité de s’exprimer et comprend ses interlocuteurs, son discours est spontané plutôt bien structuré toutefois il est extrêmement redondant se limitant à certains sujets sur lesquels elle revient de manière très répétitive : ses origines dans le nord de la France, son activité professionnelle, l’aide apportée par ses auxiliaires de vie, elle est relativement bien orienté dans le temps et dans l’espace (peut préciser sa date de naissance la date précise du jour, le lieu où elle réside),
On constate toutefois des troubles mnésiques sévères : elle ne peut répondre à aucune question en dehors de ces quelques sujets : par exemple ne sait pas le nombre de ses petits-enfants, ne connaît pas leurs prénoms, ne peut donner aucune information sur ses activités quotidiennes et sur ses organisations de vie en dehors de la venue de ses aides de vie
Elle présente surtout des idées délirantes largement constatées par l’environnement soignant et familial : elle pense être épiée par “la direction”, interprète tout bruit extérieur à son appartement comme un signe de leur “présence”, elle évoque la présence de micros ainsi que des écoutes à travers les murs ou la fenêtre, elle ira d’ailleurs fermer la porte de son balcon au cours de l’entretien afin d’éviter que les échanges ne soient espionnés ; elle précise inviter régulièrement ses visites à parler dans le couloir de son appartement et à voix basse afin de déjouer ces écoutes.
Elle se sent persécutée voire spoliée par son environnement familial avec qui elle a rompu brutalement tout lien sans qu’elle ne puisse en expliquer les raisons et ne semble nullement affectée par l’absence de contact familiaux, elle ne s’intéresse pas à sa famille, ne reconnaît personne sur les photos qui lui sont présentées.
Elle est incapable d’écrire en dehors de sa signature, fait remplir ses chèques par autrui, elle peut lire quelques lignes, mais est incapable de compter
Elle marche sans difficultés, mais ne peut se déplacer seule en dehors de l’établissement” (sic).

Cette description est particulièrement précise, détaillée et circonstanciée. Elle est sans équivoque sur l’existence d’une altération sévère des facultés mentales de Madame [Y] veuve [R], le docteur [U] ayant estimé, au surplus, que l’intéressée n’était pas en capacité de faire un testament ou une donation.

Ainsi que le confirment les mentions portées sur ce certificat médical, le docteur [U] est spécialisée en médecine gériatrique et inscrite sur la liste du procureur de la République de RENNES, ce qui est un gage de sérieux et de compétences.

Contrairement aux allégations de Madame [N], il n’existe aucun motif sérieux pour remettre en cause l’impartialité ou l’indépendance du docteur [U]. 

Dans ces conditions, le certificat précité, sur la base duquel Madame [Y] veuve [R] a ultérieurement été placée sous tutelle, est suffisant pour retenir que l’intéressée était bien atteinte d’une altération sévère de ses facultés constitutive d’un trouble mental lors du testament litigieux établi seulement quinze jours après, soit de manière quasi contemporaine.

Les deux témoignages produits par Madame [N] émanant de Mesdames [V] [L] et [P] [A] qui ont été respectivement auxiliaire de vie pendant dix ans à raison de deux heures par semaine et aide-ménagère de Madame [Y] veuve [R] sont trop imprécis et subjectifs pour démentir utilement les constatations médicales détaillées et objectives réalisées par le docteur [U], professionnelle de santé (cf ses pièces 5 et 6).

En définitive, Monsieur [R] rapporte bien la preuve que sa mère était atteinte d’un trouble mental lors de la rédaction du testament litigieux. Celui-ci doit donc être annulé, peu important la nature exacte des relations ayant existé entre Madame [N] et Madame [Y] veuve [R].

II - Sur les demandes accessoires :

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, Madame [N], partie perdante, doit supporter les dépens.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [R] les frais non compris dans les dépens qu’il a été contraint d’exposer pour la défense de ses intérêts en justice. En compensation, il convient de lui allouer une indemnité de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire et aucune circonstance ne justifie de déroger à ce principe.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

ANNULE, pour insanité d’esprit, le testament olographe rédigé le 12 février 2021 par Madame [C] [Y] veuve [R],

CONDAMNE Madame [J] [N] aux dépens,

CONDAMNE Madame [J] [N] à verser à Monsieur [F] [R] une indemnité de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de Madmae [J] [N] présentée sur ce même fondement,

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an que dessus,

LA GREFFIÈRE,LE TRIBUNAL,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/07992
Date de la décision : 28/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-28;22.07992 ?
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