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16/05/2024 | FRANCE | N°23/05873

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, Jex, 16 mai 2024, 23/05873


Cour d’appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 5] - tél : [XXXXXXXX01]
JUGE DE L'EXÉCUTION


Audience du 16 Mai 2024
Affaire N° RG 23/05873 - N° Portalis DBYC-W-B7H-KQRA

RENDU LE : SEIZE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE

Par Mélanie FRENEL, Juge chargé de l'exécution, statuant à Juge Unique.

Assistée de Annie PRETESEILLE, Greffier, lors des débats et lors du prononcé, qui a signé la présente décision.


ENTRE :


- Madame [P] [T]
née le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 7], demeurant [Adresse 2]
repr

sentée par Me Anne BOIVIN-GOSSELIN, avocat au barreau de RENNES

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/000149...

Cour d’appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 5] - tél : [XXXXXXXX01]
JUGE DE L'EXÉCUTION

Audience du 16 Mai 2024
Affaire N° RG 23/05873 - N° Portalis DBYC-W-B7H-KQRA

RENDU LE : SEIZE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE

Par Mélanie FRENEL, Juge chargé de l'exécution, statuant à Juge Unique.

Assistée de Annie PRETESEILLE, Greffier, lors des débats et lors du prononcé, qui a signé la présente décision.

ENTRE :

- Madame [P] [T]
née le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 7], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Anne BOIVIN-GOSSELIN, avocat au barreau de RENNES

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/000149 du 28/06/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de RENNES)

Partie(s) demanderesse(s)

ET :

- S.A.S. CABOT SECURISATION EUROPE LIMITED représentée par son mandataire la SAS CABOT FINANCIAL FRANCE, dont le siège social est sis [Adresse 4]
Ayant pour Avocat plaidant la SELARL LEVY ROCHE SARDA, avocat au Barreau de LYON et ayant pour avocat postulant Maître Hugo CASTRES, avocat au barreau de Rennes
Partie(s) défenderesse(s)

DEBATS :

L'affaire a été plaidée le 14 Mars 2024, et mise en délibéré pour être rendue le 16 Mai 2024 .

JUGEMENT :

En audience publique, par jugement Contradictoire
En PREMIER RESSORT, par mise à disposition au Greffe

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant ordonnance d’injonction de payer du 21 septembre 2007 rendue par le tribunal d’instance de Rennes, madame [P] [T] a été condamnée à payer à la SA NORRSKEN FINANCE la somme de 1.296,92 € en principal, outre 4,33 € au titre des frais accessoires.

La décision revêtue de la formule exécutoire a été signifiée à madame [P] [T] par acte d’huissier de justice du 14 octobre 2011.

En exécution de cette décision, la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED a fait pratiquer, le 5 avril 2023, une saisie-attribution entre les mains de la Banque Postale pour le recouvrement de la somme totale de 3.439,78€ en principal, intérêts et frais. La saisie s’est révélée fructueuse à concurrence de 172,04 €.

Cette mesure a été dénoncée le 12 avril 2023 à madame [P] [T].

Le 5 mai 2023, la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED a fait pratiquer une seconde saisie-attribution entre les mains de la Banque Postale pour le recouvrement de la somme totale de 3.652,65 € en principal, intérêts et frais. La saisie s’est révélée fructueuse à concurrence de 103,83 €.

Cette mesure a été dénoncée le 12 mai 2023 à madame [P] [T].

Par assignation délivrée le 25 juillet 2023 devant le juge de l’exécution de Rennes après avoir obtenu l’aide juridictionnelle par décision du 28 juin 2023 notifiée le 7 juillet 2023, madame [P] [T] a contesté ces deux saisies-attribution.

Après quatre renvois destinés à permettre aux parties d’échanger leurs pièces et conclusions, l’affaire a été retenue à l’audience du 14 mars 2024.

Aux termes de conclusions n°4 notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 1er mars 2024 et soutenues oralement à l’audience, madame [P] [T] demande au juge de l’exécution de :

“Vu l’article 43 du Décret 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991,
Vu les demandes d’AJ des 12 mai et 5 juin 2023,
Vu les articles L 111-2, L 114-4, L 211-2 et R 221-3 du Code des Procédures Civiles d’Exécution,
Vu l’article 1324 du Code Civil,
Vu l’article L 218-2 du Code de la Consommation,
Vu les articles 1240 et 2232 et 1343-5 du Code Civil,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces versées aux débats,

- Déclarer Madame [P] [T] recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

A titre principal,
- Juger inopposable à Madame [T] la cession de créances de janvier 2021 sur le fondement de l’interdiction des pratiques commerciales déloyales ;
- Juger la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED irrecevable en l’absence de qualité à agir ;
- Juger irrégulière l’acte de notification de cession de créances du 24 novembre 2021 en l’absence de l’acte de cession de créances à l’acte de cession ;
- Juger que la cession de créances au profit de la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED est opposable à Madame [T] à compter du 12 avril 2023 et inopposable à cette dernière avant le 12 avril 2023 ;
- Annuler l’ensemble des actes intervenus entre la cession de créance du 21 janvier 2021 et la signification de la cession de créance en date du 12 avril 2023, signifiés à Madame [T] ;
- Juger que la créance dont se prévaut la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED est prescrite ;
- Ordonner la mainlevée des saisies-attribution pratiquées par la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED sur les comptes bancaires de Madame [T] en date des 5 avril et 5 mai 2023 et dénoncées le 12 avril et 12 mai 2023, selon actes signifiés par la SCP NEDELLEC LE BOURGIS LETEXIER VETIER ROUBY Huissiers de Justice à [Localité 6] ;
- Condamner la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED à payer à Madame [P] [T] la somme de 270 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, sauf à parfaire ;
- Condamner la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED à payer à Madame [P] [T] la somme de 160,06 € au titre des sommes indûment perçues dans le cadre des saisies contestées;

A titre subsidiaire,
- Juger que les intérêts antérieurs au 5 avril 2021 sont prescrits ;
- Cantonner la saisie-attribution pratiquée par la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED sur les comptes bancaires de Madame [T] en date des 5 avril et 5 mai 2023 et dénoncées le 12 avril et 12 mai 2023, selon actes signifiées par la SCP NEDELLEC LE BOURGIS LETEXIER VETIER ROUBY Huissiers de Justice à [Localité 6] aux sommes suivantes :
- 1.296,92 € au titre du principal de créances,
- 24,28 € au titre des intérêts
- Frais de saisie attribution des 5 avril et 5 mai 2023 et leurs actes subséquents sur la base du tarif applicable
- Imputer les règlements perçus par l’huissier à hauteur de 160,06 € en juin 2023 sur les sommes dues par Madame [T] ;
- Accorder à Madame [T] des délais de paiement sur 24 mois aux fins de s’acquitter du solde des sommes dues ;

En tout état de cause,
- Condamner la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED à payer à Madame [P] [T] la somme de 2.000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
- Condamner la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED au paiement de la somme de 2.500 € au titre des frais irrépétibles ;
- Condamner la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED aux entiers dépens comprenant notamment les frais de mainlevée des saisies ;
- Débouter la société CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires.”

Pour dénier à la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED sa qualité à agir, madame [P] [T] soutient en premier lieu que la cession de créance lui est inopposable en application de la directive 2005/29/CE du parlement européen du 11 mai 2005 et du courant jurisprudentiel considérant que les cessions de créances opérées par les sociétés de recouvrement de créances caractérisent le délit de pratiques commerciales déloyales et abusives et sont inopposables aux débiteurs cédés.
Elle prétend en second lieu que la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED ne pouvait pas valablement pratiquer la saisie-attribution du 5 avril 2023 faute de lui avoir signifié préalablement la cession de créance. Elle dénie au créancier la possibilité de se prévaloir d’une notification de la cession de créance par acte du 24 novembre 2021 dans la mesure où cet acte ne comportait pas la cession de créance.

Elle excipe ensuite de la prescription du titre exécutoire acquise selon elle depuis le 11 janvier 2022, faute d’acte interruptif régulier du délai de dix ans postérieurement au procès-verbal de saisie vente du 10 janvier 2012 suivi de l’apposition du placard le 11 janvier suivant. Elle conteste que le commandement de payer aux fins de saisie-vente en date du 24 novembre 2021 délivré par la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED ait pu valablement interrompre le délai de prescription, arguant de la nullité d’un tel acte faute de qualité à agir de la société défenderesse, en l’absence de signification préalable de la cession de créance et de cession de créance jointe à cet acte.

Subsidiairement, elle conteste le montant des intérêts réclamés et réclame le cantonnement de la saisie s’agissant des intérêts, à la somme de 24,28 € en considération d’une part de la prescription biennale des intérêts et d’autre part, de l’application du taux d’intérêt légal faute de précision dans les actes de saisie sur les modalités de calcul de ceux-ci.

Elle s’oppose par ailleurs au règlement de frais d’acte mentionnés dans les procès-verbaux de saisie sans être détaillés, ni justifiés.

Reconventionnellement, madame [P] [T] réclame la condamnation de la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED au paiement de la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts. Elle estime que la société défenderesse, professionnelle du recouvrement, s’est rendue coupable de pratiques commerciales déloyales et d’un comportement dolosif en faisant systématiquement fi du principe de la prescription biennale des intérêts, en ignorant la jurisprudence européenne et nationale à propos des cessions de créances et en poursuivant le recouvrement d’une créance après dix années d’arrêt. Elle soutient que ces pratiques lui ont causé un préjudice matériel ainsi que moral du fait du stress qui en est résulté compte tenu de la faiblesse de ses ressources au regard de l’importance des sommes réclamées.

A titre infiniment subsidiaire, elle sollicite l’octroi de délais de paiement en considération de sa situation personnelle et financière.

Par conclusions n°3 déposées à l’audience, la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED demande au juge de l’exécution de:

“Vu les articles L. 111-4 et L. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution,
Vu l’article L. 211-2 du Code des procédures civiles d’exécution,
Vu les articles 1321, 1690 et 2244 du Code civil,
Vu les pièces,
Vu la jurisprudence,

Constatant la régularité des saisies- attribution pratiquées le 5 avril 2023 et le 5 mai 2023 sur les comptes détenus par madame [P] [T] auprès de la Banque Postale,
- Débouter madame [P] [T] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions;
- Condamne madame [P] [T] à payer à la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la même aux entiers dépens.”

La SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED rappelle qu’elle disposait d’un délai de dix années pour exécuter le titre et soutient que cette prescription décennale a été valablement interrompue par le commandement de payer aux fins de saisie vente signifié le 24 novembre 2021.

Elle réfute l’argumentation adverse quant à la nullité de ce commandement, faisant valoir que l’acte a bien été délivré par le titulaire de la créance puisque la cession de créance avait été notifiée à la débitrice concomitamment audit commandement, ce qui est parfaitement possible.

Sur le moyen tenant à l’opposabilité de la cession de créance, la société défenderesse relève que le procès-verbal de commandement de payer aux fins de saisie vente avec signification d’une cession de créance du 24 novembre 2021 indique qu’il comporte cinq feuillets, ce qui témoigne que l’acte de cession était bien joint. Elle ajoute qu’en tout état de cause, l’acte du 24 novembre 2021 comporte tous les éléments ayant permis à madame [P] [T] d’identifier la créance cédée et qu’une notification de cession de créance postérieure à une mesure d’exécution n’invalide pas cette dernière, sauf si le débiteur démontre un grief, ce que la demanderesse ne fait pas.

La SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED conteste toute pratique commerciale déloyale, observant n’avoir fait qu’appliquer les dispositions légales mises à sa disposition. Elle indique que la débitrice ne justifie au demeurant d’aucun préjudice.

S’agissant de sa créance d’intérêts et des frais réclamés, elle prétend en justifier.

Elle s’oppose à l’octroi de délais de paiement, mettant en exergue l’ancienneté de la dette.

MOTIFS

I - Sur la recevabilité de la contestation de saisie

En vertu de l’article R. 211-11 du Code des procédures civiles d’exécution, à peine d’irrecevabilité, les contestations relatives à la saisie sont formées dans le délai d’un mois à compter de la dénonciation de la saisie au débiteur. Sous la même sanction, elles sont dénoncées le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, à l’huissier de justice qui a procédé à la saisie.
L’auteur de la contestation en informe le tiers saisi par lettre simple. Il remet une copie de l’assignation, à peine de caducité de celle-ci, au greffe du juge de l’exécution au plus tard le jour de l’audience.

Dans le cas où l’auteur de la contestation demande le bénéfice de l’aide juridictionnelle, il a été jugé, en application de l’article 38 du décret du 19 décembre 1991, que l’action est réputée avoir été dans le délai si la demande d’ aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si la demande en justice est introduite dans un nouveau délai de même durée (Cass. 2e civ., 21 mars 2019, n° 18-10.410, P+B).

En l’espèce, madame [P] [T] a adressé le 12 mai 2023 une demande d’aide juridictionnelle aux fins de contestation des deux saisies-attribution qui lui avait été dénoncées respectivement le 12 avril et le 12 mai 2023 et a fait assigner la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED par acte d’huissier du 25 juillet 2023 à la suite de la notification de la décision du bureau d’aide juridictionnelle le 7 juillet 2023.

Elle justifie par ailleurs de la dénonciation de l’assignation ainsi délivrée au commissaire de justice instrumentaire par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception adressée le 25 juillet 2023, soit le même jour, ainsi qu’au tiers saisi par lettre simple datée du même jour.

En conséquence, la contestation formée par madame [P] [T] est bien recevable.

II - Sur la demande de mainlevée des saisies-attribution

Selon l’article L. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution, tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations prévue par le code du travail.

En l’espèce, madame [P] [T] ne remet pas en cause le fait qu’à la suite d’une cession de créance consentie le 21 janvier 2021, la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED vienne aux droits de la SA BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE (consécutivement à une opération de fusion-absorption de la société NORRSKEN FINANCE).

Sur la mainlevée du fait de la prescription décennale

Selon l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution, l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long.

En application des dispositions de l’article R. 211-5 du Code des procédures civiles d’exécution, le commandement aux fins de saisie-vente qui, sans être un acte d’exécution forcée, engage la mesure d’exécution forcée, interrompt la prescription de la créance qu’elle tend à recouvrer.

Est discuté l’effet interruptif de prescription attaché à la délivrance du commandement aux fins de saisie-vente en date du 24 novembre 2021, au motif que la cession de créance aurait dû être signifiée à la débitrice préalablement à la réalisation de cet acte pour lui être opposable.

En l’occurrence, la cession de créance dont la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED se prévaut est postérieure au 1er octobre 2016 et donc soumise aux dispositions nouvelles du Code civil qui prévoit un formalisme simplifié.

Selon l’article 1324 nouveau du Code civil, la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte.

Même sous l’empire des textes antérieurs au 1er octobre 2016, il n’a jamais été exigé que l’acte de cession de créance soit adressé intégralement, ni même par extraits, au débiteur de la créance cédée. Il suffit que celui-ci soit suffisamment informé du transfert de créances opéré et du changement de créancier (cf notamment Civ. 1ère, 11 septembre 2013 pourvoi n°12-17.173).

En l’espèce, la société défenderesse justifie avoir fait signifier la cession de créance à madame [P] [T] par acte en date du 24 novembre 2020 remis à étude, en même temps qu’un commandement de payer aux fins de saisie-vente.

Cet acte ne contient pas la copie de l’acte de cession de créance, mais il fait état de renseignements précis sur ce dernier en mentionnant, notamment sa date ainsi que le nom de l’ancien créancier et du nouveau. Il reprend également les sommes restant dues au titre de la créance et les références du titre exécutoire concerné, en faisant interdiction exprès de payer l’ancien créancier.

Les informations données sont suffisamment précises pour que cette cession de créance soit opposable à madame [P] [T], étant précisé qu’aucun texte n’exige une notification de la cession de créance préalablement à une mesure d’exécution forcée, une notification concomitante étant admise.

Il s’ensuit que la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED a valablement fait délivrer un commandement de payer aux fins de saisie vente pour le recouvrement de la créance cédée.

Le délai de prescription a donc bien été interrompu par le commandement de payer aux fins de saisie vente du 24 novembre 2021, date à compter de laquelle un nouveau délai de dix ans a commencé à courir.

Dès lors, à la date des 5 avril et 5 mai 2023, la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED disposait bien d’un titre exécutoire valide lui permettant de faire pratiquer les saisies-attribution litigieuses.

La fin de non-recevoir doit par conséquent être écartée.

Sur la mainlevée du fait du défaut de qualité à agir de la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED résultant d’une pratique commerciale déloyale

Madame [P] [T] oppose le caractère déloyal de la cession de créance spéculative réalisée au profit de la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED pour conclure à son inopposabilité et à la mainlevée des saisies-attribution pratiquées.

Mais le principe de la cession de créance ne saurait constituer en tant que tel une pratique commerciale déloyale, quand bien même un tel acte aurait un caractère spéculatif.

Du reste, si les pratiques de recouvrement d’une société privée spécialisée contre les débiteurs défaillants de crédits à la consommation, peuvent, au stade même de l’exécution forcée d’une décision de justice, être qualifiées de déloyales au sens de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, il n’en demeure pas moins qu’elles font en ce cas encourir au créancier fautif une condamnation à des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le débiteur sur le fondement de l’article 1240 du Code civil ou encore la mainlevée de la mesure d’exécution et l’octroi d’une indemnité réparatrice d’un préjudice en application de l’article L. 121-2 du Code des procédures civiles d’exécution, mais ne sont pas sanctionnées par l’inopposabilité de la cession de créance au débiteur.

La demande de ce chef sera en conséquence rejetée.

Sur la mainlevée du fait du défaut de qualité à agir de la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED au titre de la saisie-attribution du 5 avril 2023 du fait de l’inopposabilité de la cession de créance

Ce moyen sera écarté puisqu’il a été dit précédemment que la cession de créance du 21 janvier 2021 était opposable à madame [P] [T] depuis le 24 novembre 2021.

Sur le décompte de créances

L’article L. 218-2 du Code de la consommation dispose que l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

Cette prescription invoquée par madame [P] [T] est effectivement applicable aux intérêts des sommes dues au fur et à mesure de leur exigibilité, contrairement au principal titré qui lui suit la prescription du titre exécutoire.

En l’espèce, selon le titre exécutoire sur la base duquel les saisies attribution critiquées ont été diligentées, madame [P] [T] a été condamnée à payer à la somme de 1.296,92 € en principal, outre 4,33 € au titre des frais accessoires. En l’absence de précision quant au taux d’intérêt, c’est le taux d’intérêt légal qui doit être appliqué au principal.

Les procès-verbaux de saisie-attribution mentionnent des intérêts acquis représentant 486,29 € au 5 avril 2023 et 493,57 € au 5 mai 2023 selon un taux de 7,06 % l’an qui correspond effectivement au taux légal majoré auquel le créancier peut prétendre.

Les modalités de calcul de cette créance d’intérêts ne sont pas précisées dans ces actes, ni dans le cadre des présents débats, la défenderesse se bornant à produire un nouveau décompte d’huissier faisant état d’intérêts moratoires actualisés au 1er septembre 2023 sans plus d’explication, alors que ce point est précisément discuté par la partie adverse, notamment par rapport aux règles de prescription biennale qui doivent s’appliquer.

La créance d’intérêts qui figure dans chacun des procès-verbaux de saisie-attribution ne peut donc être entérinée.

Les intérêts qui sont décomptés au subsidiaire par la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED pour la somme de 85,92 € ne peuvent pas davantage l’être.

En effet, s’il est bien tenu compte de la prescription biennale, le taux d’intérêt est en revanche erroné compte tenu de la nature de la créance.

Il y a donc lieu de cantonner les effets des saisies-attribution pratiquées à la somme de 24,28 € s’agissant du poste relatif aux intérêts échus, conformément à la demande de madame [P] [T] et aux calculs auxquels elle a procédé.

Sur les frais de procédure

Sont portés en compte, aux termes des procès-verbaux de saisie - attribution les montants suivants :

- frais antérieurs : 736 €
- frais d’exécution 469,56 € en avril 2023 et 675,16 € en mai 2023
- frais accessoires : 4,33 €
- frais de la présente saisie : 282,81 €
- Coût de l’acte : 117,22 €.

La somme de 736 € réclamée au titre des frais antérieurs est justifiée. Le détail des actes qui composent cette créance et de leur coût figure en effet dans les procès-verbaux de saisie-attribution et tous les actes correspondants sont versés aux débats par la défenderesse.

Les frais relatifs à l’acte de saisie dont le détail figure dans les procès-verbaux sont également justifiés, à l’exception du coût de la mainlevée au tiers saisi pour laquelle aucune forme n’est requise et qu’il n’y a donc pas lieu de porter en compte pour la somme de 61,09 € s’agissant de la saisie-attribution du 5 avril 2023 et celle du 5 mai 2023.

En revanche, les frais d’exécution qui ne sont pas explicités, seront écartés.

Les effets de la saisie doivent donc être limités concernant les frais à la somme totale de:
- pour la saisie-attribution du 5 avril 2023 : 4,33 € (non discuté) + 736 € (frais antérieurs) + 221,72 € (frais de la procédure) + 117, 22 € (coût de l’acte) = 1.079,27 €
- pour la saisie-attribution du 5 mai 2023 : 1.079,27 € + 221, 72 € (frais de la seconde procédure) + 117,22 € (coût de l’acte) = 1.418,21 €.

De tout ce qui précède, il convient de fixer la somme due par madame [P] [T] comme suit :
* au titre de la saisie - attribution pratiquée le 5 avril 2023 à la somme de :
- 1.296,92 € en principal
- 24,28 € au titre des intérêts ;
- 1.079,27 € au titre des frais
le droit proportionnel de recouvrement devant être recalculé en fonction,
* au titre de la saisie-attribution pratiquée le 5 mai 2023 à la somme de :
- 1.296, 92 € en principal
- 24, 28 € au titre des intérêts
- 1.418, 21 € au titre des frais
le droit proportionnel de recouvrement devant être recalculé en fonction,
de cantonner les saisies attribution litigieuses à ces sommes et d’ordonner la mainlevée pour le surplus.

Il n’y a pas lieu de tenir compte des versements intervenus à hauteur de 160,06 € en juin 2023, le cantonnement valant à la date de l’acte.

III - Sur la demande de dommages et intérêts pour pratiques commerciales déloyales

Il est acquis que la notion de pratique commerciale, telle qu’interprétée à la lumière de la directive 2005/29/CE s’applique à toute mesure prise en relation avec la conclusion d’un contrat mais aussi avec l’exécution de celui-ci, notamment aux mesures prises en vue d’obtenir le paiement du produit.

Ainsi qu’il a été dit ci-avant, le principe de la cession de créance ne saurait constituer en soi une pratique commerciale déloyale, quand bien même un tel acte aurait un caractère spéculatif.

Il y a donc lieu d’examiner si les pratiques auxquelles la société défenderesse s’est livrée, en sa qualité de cessionnaire de créance, pour parvenir au recouvrement de celle-ci, sont déloyales.

En application de l’article 5, §2, de la directive, une pratique commerciale est déloyale si:
a) elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle, et
b) elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu’une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateur.

En l’espèce, la circonstance que le créancier cessionnaire reprenne, après neuf années de silence, des poursuites à l’encontre de madame [P] [T] pour obtenir le paiement d’une somme due en vertu d’une décision judiciaire ne caractérise pas une pratique commerciale déloyale, dès l’instant que le recouvrement forcé de la créance a été mis en oeuvre dans le délai de prescription et que la débitrice n’était pas sans ignorer qu’elle n’avait pas soldé cette dette.

S’agissant des intérêts réclamés, madame [P] [T] ne démontre pas avoir été faussement informée sur la question de la prescription des intérêts afin qu’elle accepte une mesure d’exécution et acquitte des sommes indues.

En effet, la créance d’intérêts indiquée dans les procès-verbaux résulte à l’évidence de l’application du taux d’intérêt légal majoré auquel la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED a droit et il n’est pas établi que le montant correspondrait au cumul d’intérêts au taux légal majoré réclamés sur une période excédant le délai biennal de prescription.

Par ailleurs, le seul calcul des intérêts effectué subsidiairement par la société défenderesse sur la base erronée de l’intérêt légal applicable à une créance non professionnelle n’établit pas une attitude déloyale de celle-ci, ce d’autant qu’elle est en droit de prétendre au taux légal majoré.

Il s’ensuit que le moyen tiré de prétendues pratiques commerciales déloyales ne peut pas prospérer, madame [P] [T] étant déboutée de ses demandes indemnitaires sur ce fondement.

IV - Sur la demande de délais de paiement

Madame [P] [T] expose qu’elle perçoit un revenu mensuel de 160 € et vit des aides sociales et qu’elle a un enfant à charge en études supérieure.

Cependant, l’ancienneté de la créance et l’importance des délais de fait dont elle a déjà bénéficié sans jamais commencé à apurer sa dette justifient de débouter celle-ci de sa demande de délais de paiement.

V - Sur les mesures accessoires

Madame [P] [T] qui perd le litige au principal sera condamnée au paiement des dépens de l’instance. Sa demande au titre des frais irrépétibles ne peut donc, de ce fait, prospérer.

L’équité ne commande pas en revanche de faire application des dispositions de l’article 700 Code de procédure civile au bénéfice de la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED dont la demande à ce titre sera en conséquence rejetée.

PAR CES MOTIFS

Le juge de l’exécution, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, en premier ressort et par jugement contradictoire,

- DÉCLARE recevable la contestation formée par madame [P] [T] à l’encontre de la saisie-attribution pratiquée le 5 avril 2023 et le 5 mai 2023 entre les mains de la Banque Postale à la requête de la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED ;

- DÉBOUTE madame [P] [T] de sa demande tendant à la mainlevée des saisies attributions diligentées le 5 avril 2023 et le 5 mai 2023 entre les mains de la Banque Postale à la requête de la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED ;

- VALIDE en conséquence ces mesures d’exécution mais CANTONNE le montant de la créance cause de la saisie à la somme de :
* au titre de la saisie-attribution pratiquée le 5 avril 2023 :
- 1.296,92 € en principal
- 24,28 € au titre des intérêts ;
- 1.079,27 € au titre des frais ;
le droit proportionnel de recouvrement devant être recalculé en fonction,
* au titre de la saisie-attribution pratiquée le 5 mai 2023 :
- 1.296, 92 € en principal ;
- 24, 28 € au titre des intérêts ;
- 1.418, 21 € au titre des frais ;
le droit proportionnel de recouvrement devant être recalculé en fonction,

et ORDONNE la mainlevée pour le surplus :

- DÉBOUTE madame [P] [T] de sa demande de dommages et intérêts ;

- DÉBOUTE madame [P] [T] de sa demande de délais de paiement ;

- DÉBOUTE la SARL CABOT SECURITISATION EUROPE LIMITED de sa demande au titre des frais non répétibles ;

- CONDAMNE madame [P] [T] au paiement des dépens de l’instance ;

- DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

- RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit en application de l’article R. 121-21 du Code des procédures civiles d’exécution.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an que dessus,

Le Greffier,Le Juge de l’Exécution,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : Jex
Numéro d'arrêt : 23/05873
Date de la décision : 16/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-16;23.05873 ?
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