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22/04/2024 | FRANCE | N°22/09054

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 22 avril 2024, 22/09054


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES


22 Avril 2024


2ème Chambre civile
63B

N° RG 22/09054 -
N° Portalis DBYC-W-B7G-KDC5


AFFAIRE :


[U] [C]


C/

[D] [M]
S.C.P. TRENTE CINQ NOTAIRES,








DEUXIEME CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE


PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-présidente

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire, ayant statué seul, en tant

que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile


GREFFIER : Karen RICHARD lors...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

22 Avril 2024

2ème Chambre civile
63B

N° RG 22/09054 -
N° Portalis DBYC-W-B7G-KDC5

AFFAIRE :

[U] [C]

C/

[D] [M]
S.C.P. TRENTE CINQ NOTAIRES,

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-présidente

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire, ayant statué seul, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

GREFFIER : Karen RICHARD lors des débats et Fabienne LEFRANC lors de la mise à disposition qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 19 Février 2024

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Sabine MORVAN, vice-présidente
par sa mise à disposition au Greffe le 22 Avril 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Monsieur André ROLLAND,

ENTRE :

DEMANDEUR :

Monsieur [U] [C]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Maître Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, avocats au barreau de RENNES, avocats postulant, Maître Sandrine MARTIN-SOL de la SELARL MARTIN-SOL, avocats au barreau de CHARTRES, avocats plaidant

ET :

DEFENDEURS :

Maître [D] [M]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représenté par Maître Carine PRAT de la SELARL EFFICIA, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

S.C.P. TRENTE CINQ NOTAIRES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Carine PRAT de la SELARL EFFICIA, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

FAITS ET PRETENTIONS

A l’occasion de la mise en vente en 2017 de leur maison d’habitation située à Baulon, [U] [C] et [L] [Z] ont eu recours aux services de négociation d’une agence immobilière et se sont attachés les services de maître [M], notaire à Bréal-sous-Montfort, exerçant au sein de la SCP 35 Notaires, ayant son siège à Bruz.

L’acte notarié de promesse de vente au profit de monsieur [K] dressé par le notaire le 14 novembre 2017 n’ayant pu aboutir à une vente définitive, s’est ensuivie une instance devant le tribunal judiciaire de Rennes, aux termes de laquelle, par jugement du 9 mars 2022, [U] [C] et [L] [Z] ont été déboutés de leurs demandes de condamnation de monsieur [K] au paiement de la somme de 20.500 € au titre de l’indemnité d’immobilisation prévue à l’acte, et de la somme de 2.500 € au titre de leur préjudice moral.

A la suite de cet échec judiciaire, [U] [C], agissant désormais seul, a fait délivrer assignation en date du 13 décembre 2022 à maître [M] et à la société 35 Notaires, à comparaître devant le tribunal judiciaire de Rennes aux fins de les voir condamnés solidairement à lui verser la somme de 20.500 € en réparation de la perte de chance subie, outre intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation, avec capitalisation des intérêts, ainsi qu’une somme de 7.500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 novembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, comme il est dit à l’article 455 du Code de procédure civile, [U] [C] expose que le notaire a commis une faute en ne mentionnant pas dans la promesse de vente du 14 décembre 2017, le montant des honoraires de l’agent immobilier ayant négocié le bien, ce qui a eu pour effet de majorer à due concurrence de 6.500 € le montant du prix figurant dans le projet d’acte définitif, et de faire échouer ainsi la signature de l’acte de vente à monsieur [K] prévue le 16 mars 2018.

Le demandeur fait également grief au notaire d’avoir omis de mentionner dans le projet d’avenant et d’acte définitif, le délai de rétractation ouvert à l’acquéreur, de telle sorte que monsieur [K] pouvait se rétracter sans condition de délai.

Le demandeur soutient que ces deux manquements professionnels sont en lien direct et causal avec le dommage qu’il a subi consistant dans la perte de la chance certaine de récupérer l’indemnité d’immobilisation de 20.500 €.

Il prétend également avoir subi un préjudice moral dû au fait qu’il a été contraint de déménager, de quitter son logement et à la détérioration de ses relations avec son ex compagne, le privant de la possibilité de voir sa fille. Il réclame 2.000 € de dommages-intérêts à ce titre.

Il maintient sa demande de frais irrépétibles à hauteur de 7.500 €.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, maître [D] [M] et la SCP notariale 35 Notaires, relèvent que monsieur [C] se contredit par rapport à ce qu’il avait soutenu avec madame [Z] dans le procès les ayant opposés à monsieur [K], et que quand bien même l’avenant à la promesse aurait-il comporté mention du délai de rétractation exigé par l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation, cela n’aurait rien changé à l’exercice de ce droit qui s’est opéré le 2 mars suivant.

Les notaires soutiennent donc qu’ils n’ont commis aucune faute mais aussi que monsieur [C] ne justifie pas avoir perdu une chance de percevoir l’indemnité d’immobilisation.

En effet s’ils avaient, selon eux, mentionné la commission d’agence dans la promesse, monsieur [K] aurait vraisemblablement obtenu son prêt, permettant ainsi à la vente d’aller à son terme, sauf à ce qu’il ne lève pas l’option.

Selon les notaires, en réalité, monsieur [C] n’a subi qu’une perte d’une chance de vendre immédiatement son bien à monsieur [K].

Or les notaires relèvent qu’il a vendu le bien à un prix identique le 27 août 2018, ce qui fait que l’immeuble n’a été immobilisé que quelques mois.

Dès lors, d’après eux, la perte de chance de revendre rapidement l’immeuble est par conséquent inexistante.

Pour ces raisons, ils concluent au rejet de toutes les demandes et sollicitent condamnation de monsieur [C] au paiement de la somme de 1.500 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

***

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 8 février 2024. L’affaire a été appelée à l’audience du 19 février 2024 et la décision a été mise en délibéré au 22 avril 2024.


MOTIFS

Il ressort des pièces versées aux débats que, par l’entremise d’une agence immobilière, [D] [C] et [L] [Z] ont, dans le courant du second semestre 2017, trouvé un candidat à l’acquisition, en la personne de monsieur [K], de leur maison d’habitation située à [Localité 7] (35).

La négociation s’est effectuée sur la base d’un prix net vendeur de 205.000 €, incluant 3.000 € de meubles et objets mobiliers, l’acquéreur supportant la commission de l’agence immobilière, soit 6.500 €, ainsi que les frais de la promesse et de l’acte définitif de vente évalués à 15.900 €, soit un prix d’achat acte en main de 227.000 €.

La promesse reçue le 14 décembre 2017 par maître [M] ne fait pas apparaître la commission de l’agence immobilière.

Le “décompte prévisionnel acquéreur” adressé par le notaire à monsieur [K] avant la signature de la vente définitive prévue le 16 mars 2018, modifie le prix convenu le 14 décembre 2017 en mettant à charge de l’intéressé un montant de 6.100 € de commission d’agence.

Monsieur [K] a fait savoir à maître [M] par courrier du 2 février 2018 qu’il refusait de signer l’avenant et qu’il s’en tiendrait à la promesse du 14 décembre 2017, le notaire n’ayant qu’à assumer, selon lui, les conséquences de son omission.

Monsieur [S] [K] a exercé son droit de rétractation le 2 mars 2018 prenant motifs des “conditions financières modifiées dans le décompte d’acquisition final par rapport à la promesse de vente signée”.

Le tribunal judiciaire de Rennes a rejeté la demande de condamnation de monsieur [K] au paiement de l’indemnité d’immobilisation prévue à l’acte du 14 décembre 2017 au motif que “l’absence au compromis de vente de la commission due à l’agent immobilier par l’acquéreur selon les conditions de l’offre acceptée ne peut être rectifiée que par la signature d’un avenant ouvrant un nouveau délai de rétractation de 10 jours”, lequel n’ayant pas été notifié à monsieur [K], celui-ci pouvait en conséquence se rétracter sans condition de délai.

En l’espèce maître [M] a incontestablement omis de mentionner dans l’acte du 14 décembre 2017 que l’acquéreur supporterait les honoraires de l’agent immobilier, ainsi que les parties en étaient convenues antérieurement lors de la négociation sur le prix de vente du bien.

Le notaire a donc commis une erreur en ne transcrivant pas fidèlement dans l’acte du 14 décembre 2017 la commune intention des parties.

Pour autant, la responsabilité du notaire ne se réduit pas à la caractérisation de ce manque d’attention.

Encore faut-il que son manquement soit en lien direct et causal avec un dommage certain et démontré.

A ce propos, il s’évince de la solution retenue par le tribunal de céans dans son précédent jugement, que la vente ne pouvait aboutir définitivement sur la base du prix négocié et convenu initialement 227.000 € acte en main, faute de conclusion d’un avenant rectificatif de la promesse, et de notification d’un second délai de réflexion.

À partir du moment où monsieur [K] entendait s’en tenir au prix mentionné dans le compromis signé, rien n’empêchait les vendeurs, d’en faire autant et de s’en tenir eux aussi à leur propre signature, tout en faisant leur affaire personnelle du paiement des honoraires de l’agence, pour le cas où le notaire refuserait de les prendre en charge afin de réparer son erreur.

Cette erreur a certes eu pour conséquence immédiate de rendre impossible la réitération en la forme authentique de la vente du bien à monsieur [K] au prix initialement convenu.

Pour autant, [U] [C] et [L] [Z] ont aussitôt tiré les conséquences de l’échec de leur transaction avec monsieur [K] en remettant sur-le-champ en vente le bien qu’ils sont ainsi parvenus à céder le 27 août 2018 au même prix.

Il s’est ensuivi un préjudice d’immobilisation financière d’une durée de plus de cinq mois.

Eu égard au taux moyen de rémunération de l’épargne de 2 % l’an qui était alors en vigueur, ce dommage d’immobilisation financière peut être évalué sur cinq mois à 1.800 €.

Étant donné que [U] [C] agit désormais seul, alors que le bien était commun, ce chef de dommage sera fixé à 900 €.

Si ce chef de dommage apparaît incontestablement en lien direct avec la faute commise par le notaire, il n’en va pas de même de celui dont excipe le demandeur au titre de l’indemnité d’immobilisation, dont il convient de rappeler qu’elle n’avait vocation qu’à “couvrir le préjudice susceptible de résulter pour le promettant par suite de la perte qu’il éprouverait compte tenu de l’obligation dans laquelle il se trouverait d’avoir à rechercher un nouvel acquéreur”.

En effet si le notaire avait mentionné le montant des honoraires de l’agent immobilier dans la promesse de décembre 2017, l’hypothèse du paiement de l’indemnité d’immobilisation ne se serait présentée que si la condition suspensive avait défailli du fait de monsieur [K] ou en cas de caducité de la promesse.

Or, monsieur [K] avait obtenu le 13 février 2018 un accord de financement de 176.548 € remboursable en 300 mois au taux de 1,69 %, rendant plus que plausible l’aboutissement de la vente.

Et en admettant même que le couple, en sa qualité de promettant, aurait été amené du fait de la défaillance ou de la carence de l’acquéreur à exciper de la caducité ou de la résolution de la promesse, il n’est pas certain qu’il aurait pu récupérer sur celui-ci le montant de l’indemnité d’immobilisation qui n’avait été que très partiellement séquestrée entre les mains du notaire, à hauteur de seulement 500 €.

La perte du bénéfice de l’indemnité d’immobilisation constitue, dans ces conditions, un dommage hypothétique, médiat et incertain, sans lien de causalité direct démontré avec l’erreur commise par le notaire.

Le seul dommage matériel enduré par [U] [C] en lien direct et causal avec l’erreur de plume du notaire consiste donc dans l’immobilisation financière du bien entre le 12 mars 2018 et le 27 août 2018, qui sera suffisamment réparé par l’octroi d’une indemnité de 900 €.

[U] [C] ne justifie d’aucun préjudice moral en lien avec le manquement imputé à l’officier ministériel.

Dans ces conditions, il convient de le débouter de sa demande de condamnation paiement d’une indemnité de 2.000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.

L’équité commande que les défendeurs versent à [U] [C] la somme de 3.000 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Succombant, ils supporteront les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

CONDAMNE solidairement maître [D] [M] et la société civile professionnelle 35 Notaires à payer à [U] [C] la somme de 900 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel.

DÉBOUTE [U] [C] de sa demande de réparation d’un préjudice moral.

DÉBOUTE les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.

CONDAMNE in solidum maître [D] [M] et la SCP notariale 35 Notaires à payer à Monsieur [U] [C] la somme de 3000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE in solidum maître [D] [M] et la SCP notariale 35 Notaires aux entiers dépens de l’instance.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/09054
Date de la décision : 22/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-22;22.09054 ?
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