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22/04/2024 | FRANCE | N°21/04062

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 22 avril 2024, 21/04062


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES


22 Avril 2024


2ème Chambre civile
63B

N° RG 21/04062 -
N° Portalis DBYC-W-B7F-JJV3


AFFAIRE :


Société ETABLISSEMENTS PETIT SAS,


C/

S.A. SOCIÉTÉ ALLIANZ IARD,
[Z] [U]

copie exécutoire délivrée
le :
à :






DEUXIEME CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE


PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-présidente

ASSESSEUR : A

ndré ROLLAND, Magistrat à titre temporaire, ayant statué seul, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

22 Avril 2024

2ème Chambre civile
63B

N° RG 21/04062 -
N° Portalis DBYC-W-B7F-JJV3

AFFAIRE :

Société ETABLISSEMENTS PETIT SAS,

C/

S.A. SOCIÉTÉ ALLIANZ IARD,
[Z] [U]

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-présidente

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire, ayant statué seul, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

GREFFIER : Karen RICHARD lors des débats et Fabienne LEFRANC et lors de la mise à disposition qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 19 Février 2024

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Sabine MORVAN, vice-présidente
par sa mise à disposition au Greffe le 22 Avril 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Monsieur André ROLLAND,

ENTRE :

DEMANDERESSE :

Société ETABLISSEMENTS PETIT SAS, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Angers, sous le numéro 071 201 72, représentée par son mandataire légal dûment habilité, y domicilié
est [Adresse 7]
[Localité 2]
représentée par Me Inès TARDY-JOUBERT, avocat au barreau de RENNES, avocat postulant, Me Marie-Claude ALEXIS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

ET :

DEFENDEURS :

S.A. SOCIÉTÉ ALLIANZ IARD, immatriculée au RCS DE NANTERRE SOUS LE NUMÉRO 542 110 291, représentée par son mandataire légal, dûment abilité, y domicilié
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Bérengère SOUBEILLE de la SELARL LALLEMENT SOUBEILLE & ASSOCIES, avocats au barreau de NANTES, avocats plaidant

Monsieur [Z] [U]
[Adresse 6]
[Localité 3]
représenté par Maître Bérengère SOUBEILLE de la SELARL LALLEMENT SOUBEILLE & ASSOCIES, avocats au barreau de NANTES, avocats plaidant

FAITS ET PRETENTIONS

Mécontente des prestations de conseil dispensées par l’avocat qu’elle avait sollicité en octobre 2013 pour l’assister dans la mise en œuvre de la procédure de licenciement d’un de ses salariés, la société ETABLISSEMENTS PETIT entend engager sa responsabilité civile professionnelle.

N’ayant pu obtenir à l’amiable de la compagnie d’assurances ALLIANZ couvrant maître [Z] [U], la mobilisation de sa garantie, la société ETABLISSEMENTS PETIT a fait assigner l’avocat et son assureur devant le tribunal judiciaire de Rennes les 8 et 10 juin 2021 aux fins d’obtenir leur condamnation in solidum au paiement de la somme de 150.573,11 € à titre principal, voire à titre subsidiaire de 136.445,48 €, en réparation des préjudices supportés du fait des fautes commises, outre intérêts capitalisés à compter de l’assignation, de la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux entiers dépens.

Les défendeurs ont constitué le même avocat.

Par ordonnance du 5 mai 2022, le juge de mise en état a débouté [Z] [U] et la compagnie ALLIANZ de leur fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action, débouté les parties de leurs demandes relatives aux frais non répétibles, dit que les dépens suivraient ceux de l’instance principale et renvoyé l’affaire à la mise en état.

Par arrêt du 23 mai 2023, la cour d’appel de Rennes a confirmé cette ordonnance.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, comme il est dit à l’article 455 du Code de procédure civile, la S.A.S. ETABLISSEMENTS PETIT soutient que la faute professionnelle de maître [Z] [U] est avérée dans la mesure où il ne l’a jamais informée des conséquences du non-respect de la protection attachée au mandat d’élu du personnel de son salarié, de sorte que “l’acte qu’il a rédigé, dépourvu d’efficacité, a été annulé” le 29 mai 2020 par la cour d’appel d’Angers.

Elle lui reproche en particulier de ne pas avoir tenu compte du courrier du salarié, monsieur [F], en date du 7 décembre 2013 et d’avoir rédigé le 13 décembre le modèle de réponse à lui adresser qui revenait à faire fi de son statut d’élu et à poursuivre la procédure de licenciement malgré l’absence d’autorisation de l’inspection du travail.

La société requérante considère que son avocat lui a fait perdre la chance de prendre la décision d’interrompre la procédure de licenciement.

Elle considère qu’à partir du moment où le dommage était inéluctable, elle a droit en conséquence à la réparation intégrale du préjudice supporté, en lien direct avec la faute professionnelle commise, consistant dans le montant total des condamnations pécuniaires prononcées par la cour d’appel d’Angers, soit 116.127,63 €, venue sanctionner le défaut d’autorisation administrative préalable au prononcé du licenciement.

Dans l’hypothèse où le préjudice serait abordé en termes de perte de chance, elle sollicite subsidiairement une indemnité de 100.000 € à ce titre.

La société ETABLISSEMENTS PETIT sollicite également la prise en charge des honoraires d’avocat qu’elle a dû exposer pour se défendre dans les procès que lui a fait monsieur [F], soit 33.759 €.

Elle réclame également un préjudice moral de 5.000 €, considérant que son image de marque a été affectée par les six années de procédures pénales et prud’homales qu’elle a dû subir à compter du mois de janvier 2014.

La société ETABLISSEMENTS PETIT maintient sa demande de prononcé de l’intérêt légal capitalisé à compter de l’assignation.

Elle porte sa demande de frais irrépétibles à 8.000 €.

Elle sollicite condamnation des défendeurs aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil, par application de l’article 699 du Code de procédure civile.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 novembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme il est dit à l’article 455 du Code de procédure civile, maître [Z] [U] et la compagnie ALLIANZ IARD concluent à l’absence de faute de conseil de la part de l’avocat en s’appuyant sur les déclarations de la société ETABLISSEMENTS PETIT, développées dans des conclusions notifiées le 30 juillet 2014 dans le cadre de l’instance pendante devant le conseil de prud’hommes d’Angers, selon lesquelles celle-ci connaissait la qualité d’élu de son salarié, en affirmant que monsieur [F] l’avait informée de sa démission de son mandat de délégué du personnel suppléant par courrier remis en main propre dans le courant du mois de janvier 2013, et que c’est dans la mesure où elle n’avait pas été à même de retrouver cette correspondance, qu’elle lui avait demandé de lui en adresser une copie dans le courant du mois de novembre.

Les défendeurs expliquent que cette copie a été transmise à maître [U] le 2 décembre 2013, si bien que celui-ci qui n’avait aucune raison de douter de l’authenticité de ce document, et qu’il pouvait à juste titre estimer qu’il menait pour le compte de la société ETABLISSEMENTS PETIT une procédure de licenciement d’un salarié non protégé.

Les défendeurs soutiennent que la cour d’appel d’Angers a qualifié l’hypothèse d’une lettre de démission antidatée “plus que vraisemblable”, ce qui n’en fait pas une certitude.

Les défendeurs rappellent que monsieur [U], dès le 13 décembre 2013, a dénié toute valeur probante au courrier de monsieur [F] en date du 7 décembre 2013 et affirment que [Z] [U] n’a joué aucun rôle dans l’élaboration éventuelle de la lettre de démission.

Les défendeurs considèrent qu’à partir du moment où monsieur [U] avait de bonnes raisons de considérer que monsieur [F] avait effectivement démissionné en janvier 2013, rien ne l’obligeait à conseiller à son client de reprendre à zéro la procédure de licenciement sur de nouvelles bases.

Pour toutes ces raisons, ils considèrent que la faute professionnelle de monsieur [U] n’est pas établie.

Par ailleurs, les défendeurs observent que la société ETABLISSEMENTS PETIT avait pris l’initiative d’informer oralement le salarié de la rupture de son contrat de travail dès le 17 octobre 2013, et que faire droit à sa demande indemnitaire reviendrait à lui permettre de s’en être séparée sans verser la moindre indemnité, ce qui serait contraire au principe de réparation intégrale.

Ils soutiennent que la réparation ne peut, de toute façon, se mesurer qu’en termes de perte de chance, ce qui suppose que les chances perdues étaient réellement sérieuses et implique la démonstration que la faute a fait disparaître une éventualité favorable ou à tout le moins raisonnable, ce qui n’est pas.

Ils ajoutent que la société ETABLISSEMENTS PETIT a décidé de poursuivre le licenciement de monsieur [F], malgré les mises en garde de monsieur [U] émises par courriels des 11 octobre et 6 novembre 2013, ce qui démontre bien qu’à ses yeux le risque financier était secondaire et que sa priorité était de mettre fin, quoiqu’il en coûte, au contrat de travail de son salarié.

Les défendeurs considèrent que l’arrêt de la cour d’appel d’Angers n’est qu’un aléa judiciaire, provoqué par la ruse de monsieur [F].

Ils soutiennent que la société ETABLISSEMENTS PETIT ne démontre pas qu’elle aurait à coup sûr obtenu l’autorisation administrative de licencier monsieur [F] pour motif économique, voire pour un motif d’ordre personnel, si elle avait saisi l’inspecteur du travail.

Les défendeurs considèrent que la société ETABLISSEMENTS PETIT était elle-même à ce point tellement consciente de l’impossibilité de changer d’orientation en cours de procédure de licenciement, qu’elle a conclu une transaction avec le salarié, afin de couper court à toute remise en cause ultérieure du contrat de sécurisation professionnelle.

Les défendeurs contestent que monsieur [U] aurait été la cause exclusive de l’introduction d’une instance prud’homale par monsieur [F].

Pour cette raison, ils soutiennent qu’ils n’ont pas à supporter les frais et honoraires de l’avocat mandaté par la société pour la représenter en justice.

Ils estiment que monsieur [U] est étranger à l’instance pénale engagée pour faux témoignages par monsieur [F] et sollicitent le rejet des demandes de remboursement d’honoraires d’avocat supportés par son dirigeant et ses cadres à l’occasion de leur défense devant les juridictions pénales.

Ils concluent au rejet de la demande de préjudice moral qui n’est étayée selon eux par aucun élément de preuve.

Ils réclament l’octroi d’une indemnité de 5.000 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile.

***

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 8 février 2024. L’affaire a été appelée à l’audience du 19 février 2024 et la décision a été mise en délibéré au 22 avril 2024.


MOTIFS

Aux termes de l’article 1147 du Code civil, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, “le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part”.

L’article 1315 du Code civil dans sa version applicable aux faits de l’espèce prévoit que “celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation”.

Selon ces deux articles, tels qu’interprétés de façon constante par la première chambre civile de la Cour de cassation depuis près d’un demi-siècle ( Civ 1, 29 avril 97, n° 94-21. 217 Bull civ 1 n° 132), l’avocat dans son activité de conseil, qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information envers son client, doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation.

Au cas présent, monsieur [U] entend rapporter la preuve de l’accomplissement de son obligation d’information au moyen de deux courriels adressés par ses soins les 11 octobre et 6 novembre 2013 à monsieur [T], le dirigeant de la société ETABLISSEMENTS PETIT.

Le premier courriel fait suite à un premier rendez-vous entre le chef d’entreprise et l’avocat au cours duquel fut évoquée l’hypothèse d’un licenciement de monsieur [F].

Monsieur [U] a rendu une consultation succincte exclusivement sous l’angle du coût et du risque lié au prononcé d’un licenciement pour motif personnel de monsieur [F], sans même aborder les faits qui pourraient être à l’origine de cette mesure.

Dans le courriel suivant du 6 novembre 2013, faisant suite à un entretien téléphonique avec le dirigeant, monsieur [U] rend compte d’un entretien qu’il a eu avec monsieur [F] aux termes duquel celui-ci lui a indiqué qu’il refusait de conclure une transaction sur la base d’un licenciement pour faute grave suivi du versement d’une indemnité transactionnelle à hauteur de 34.000 €, préférant être licencié pour motif économique afin de pouvoir bénéficier du CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE durant un an à compter de son inscription à Pôle Emploi.

L’avocat relève que le motif économique pour cause de suppression de poste présente un risque pour la société ETABLISSEMENTS PETIT du fait de ses résultats et de ceux des sociétés du groupe auquel elle appartient, ce qui ne l’empêche pas de conseiller une transaction dans le cadre d’un licenciement pour motif économique, dont il chiffre le coût et évalue les risques en cas de remise en cause en justice.

Monsieur [U] ne peut valablement prétendre qu’il a ainsi convenablement satisfait au devoir d’information qui pesait sur lui.

En effet, sa consultation juridique pêchait par le défaut d’accomplissement préalable d’une recherche approfondie sur la situation de fait et de droit à laquelle son client était confronté.

Avant de conseiller l’employeur sur quelque procédure de licenciement que ce soit, l’avocat devait impérativement s’enquérir de la situation du salarié dont le licenciement était envisagé.

Au cas présent, monsieur [U] n’établit pas avoir interrogé l’employeur sur la situation exacte de monsieur [F] vis-à-vis de l’entreprise.

S’il s’était livré à cette investigation incontournable, il aurait dès le courriel du 11 octobre 2013 acté la déclaration de l’employeur à ce sujet.

Il s’en évince que l’information donnée par monsieur [U] à monsieur [T] les 11 octobre et 6 novembre 2013 était incomplète, en ce qu’elle occultait le volet de l’éventuelle protection du salarié concerné.

En outre, le 25 novembre 2013, le service comptable des ETABLISSEMENTS PETIT adressait à monsieur [U] le procès-verbal des dernières élections de délégués du personnel tenues le 14 juin 2011, dont il s’évinçait que monsieur [F] était logiquement protégé jusqu’au 6ème mois suivant l’expiration de son mandat, c’est-à-dire jusqu’au 15 décembre 2015.

Dès lors que monsieur [U] apprenait cette information, il lui appartenait de conseiller à l’employeur d’interrompre immédiatement la procédure de licenciement, qui n’en était encore qu’au stade de l’entretien préalable, et de l’informer de la nécessité de recourir à l’autorisation préalable de l’inspection du travail, pour le cas où il persisterait dans son intention de se séparer de monsieur [F].

Monsieur [U] ne s’exonère nullement de cette obligation informative au moyen des deux courriels adressés le 25 novembre à 20h04 et le 29 novembre à 15h41 au responsable administratif de la société ETABLISSEMENTS PETIT dans la mesure où il s’y contente de lui demander de le rappeler pour faire le point sur le dossier.

Il ne peut valablement soutenir avoir satisfait à son obligation d’information en reprochant à son client de ne l’avoir pas recontacté, dès lors qu’il n’a pas été lui-même empêché de rédiger à son intention une note de mise en garde et d’avertissement dès le 25 novembre.

Monsieur [U] ne peut pas non plus valablement prétendre avoir été libéré de toute obligation informative à cet égard en se retranchant derrière le courriel que lui a adressé le responsable administratif des ETABLISSEMENTS PETIT le 2 décembre comportant en pièce jointe la lettre de démission de monsieur [F] datée du 11 janvier 2013.

Il lui incombait alors, en tant que professionnel normalement diligent, de vérifier l’effectivité de cette démission en se faisant communiquer le registre spécial des réunions de délégués du personnel ou en se déplaçant au siège de l’entreprise afin de le consulter, en vue de s’assurer que la démission avait bien été actée au mois de janvier 2013, que monsieur [F] n’avait pas été convoqué depuis aux réunions de délégués, et qu’il n’avait pas participé aux réunions mensuelles obligatoires censées avoir eu lieu entre les mois de janvier et décembre 2013.

Et puisque, comme l’a relevé la cour d’appel d’Angers, aucune réunion de délégués du personnel ne s’était tenue depuis le 18 octobre 2012, [Z] [U] eut été pour le moins avisé, une fois cette vérification faite, d’exiger de l’employeur une attestation sur l’honneur d’authenticité de la date de réception de la lettre de démission apparue le 2 décembre 2013.

Ainsi que l’a relevé la cour d’appel, la société ETABLISSEMENTS PETIT, et par voie de conséquence son conseil, ne pouvaient être possession de cette lettre avant le 29 novembre 2013, date à laquelle monsieur [F] l’a rédigée devant maître [E] [G] huissier de justice à [Localité 5].

Monsieur [U] n’a donc pas accompli ces vérifications élémentaires qui constituaient pourtant le préalable nécessaire à l’accomplissement exhaustif et normalement diligent de son obligation informative vis-à-vis de l’employeur.

Monsieur [U] est par conséquent défaillant dans l’administration de la preuve de l’accomplissement de son devoir de se renseigner et de l’obligation d’information qu’il devait consciencieusement à sa cliente sur les implications du statut d’élu du personnel de monsieur [F].

En outre, monsieur [U] s’est montré particulièrement défaillant dans l’accomplissement de sa mission d’assistance et de conseil.

Ainsi monsieur [U] a été en contact direct avec monsieur [F], lequel, le 21 octobre 2013, sollicitait par courrier un dossier complet “pour discuter des conditions de son départ et des diverses formules de rupture de son contrat de travail, licenciement pour motif économique, rupture conventionnelle ou transaction”.

Le 6 novembre 2013, [Z] [U] informait monsieur [T] du refus de monsieur [F] d’un licenciement pour motif personnel suivi d’une transaction et de son souhait de bénéficier du CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE dans le cadre d’un licenciement économique, suivi d’une transaction.

Ce qui démontre que monsieur [U] était en relation directe avec monsieur [F], sans l’avoir invité à se faire assister de son propre conseil.

Cette façon d’agir est contraire aux règles déontologiques de la profession d’avocat, et plus particulièrement à l’article 8.3 du RIN relatif aux relations avec la partie adverse.

Poursuivant son intervention au mépris des règles élémentaires de la déontologie, [Z] [U] était présent dans les bureaux de la société ETABLISSEMENTS PETIT le 4 décembre 2013 et assistait au rendez-vous entre monsieur [T] et monsieur [F].

[Z] [U] participait ainsi à la séance de signature concomitante de la lettre de convocation à l’entretien préalable, de la lettre d’information du CSP, d’adhésion au CSP et de la transaction qu’il avait préparées “à des dates qui ne correspondent pas du tout à la réalité”, ainsi qu’il ressort du courrier adressé le 7 décembre 2013 par monsieur [F], aux termes duquel celui-ci dénonçait la transaction signée le 4 décembre portant la date du 13 décembre.

Ce qui a fait dire à la cour d’appel d’Angers que la transaction, faut-il le rappeler rédigée par monsieur [U], était “particulièrement équivoque” et que la signature de monsieur [F] avait été ainsi obtenue par suite d’un vice du consentement consistant à la fois en un dol et en une forme de violence morale.

Ce qui a conduit la cour à annuler la transaction au motif qu’elle était “vraisemblablement antérieure à la notification du licenciement”, empêchant ainsi l’employeur de se prévaloir de l’autorité de la chose jugée résultant de l’ancien article 2052 du Code civil, et à faire droit aux demandes indemnitaires de monsieur [F] pour cause de nullité du licenciement et de violation du statut protecteur.

Il s’est ensuivi une double condamnation au paiement d’une indemnité de 30.000 € pour nullité du licenciement et de 83.174 € pour violation du statut protecteur.

Dans ces conditions, force est de constater que, non seulement monsieur [U] n’a pas mis en garde l’employeur contre les conséquences de la poursuite d’une procédure de licenciement sans autorisation administrative, mais qu’il a en outre prêté son concours à un montage consistant à faire accroire aux tiers, non seulement à l’existence d’une lettre de démission du mandat d’élu ayant date certaine au mois de janvier 2013, mais encore que la transaction était postérieure au licenciement.

Le manquement professionnel de monsieur [U] est donc, dans ces conditions, parfaitement caractérisé.

Il reste néanmoins à déterminer si la condamnation prononcée par la cour d’appel d’Angers est en lien direct et causal et certain avec la faute commise par monsieur [U] dans l’exercice de sa mission.

Celui-ci soutient que la société ETABLISSEMENTS PETIT avait pris la décision de licencier monsieur [F] et le lui avait notifié oralement avant même de prendre son attache.

Il en conclut que l’employeur était résolu à se séparer de monsieur [F], quels que soient les conseils qui pouvaient lui être donnés.

Ce moyen de pur fait s’avère totalement inopérant dans la mesure où les conséquences dommageables doivent s’apprécier, non en fonction de la volonté supposée du client, mais du manquement de l’avocat à l’aune de l’obligation de l’article 7.2 du RIN de ne pas participer à la rédaction d’actes nuls et/ou illicites faisant grief à des tiers.

La réparation intégrale consécutive à la participation d’un avocat à l’élaboration d’actes invalides préjudiciant aux droits des tiers ne consiste pas en une perte de chance subie par le client de réaliser des actes valables, mais bien dans la prise en charge de la totalité des conséquences dommageables subies par le tiers lésé par son client.

Et ce de plus fort que rien n’établit que, parfaitement informée par monsieur [U], la société des ETABLISSEMENTS PETIT aurait saisi l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement.

En raison de l’absence de motif personnel et/ou économique, cette autorisation était en effet une chimère.

Ce qui revient à dire que la seule alternative sérieuse consistait à renoncer purement et simplement à la mesure de licenciement envisagée, qui était à vrai dire le seul conseil pertinent et avisé que devait dispenser l’avocat à sa cliente.

Il s’ensuit que monsieur [U] a accompagné et conseillé sa cliente dans une procédure de licenciement vouée à un échec certain.

Au titre de la réparation intégrale du dommage qu’il a causé, monsieur [U] doit être tenu pour responsable de la totalité des dépenses supportées par la société ETABLISSEMENTS PETIT au titre de l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers, ces condamnations étant la conséquence directe d’une répétition d’errements professionnels et déontologiques.

Il convient par conséquent de condamner in solidum Monsieur [U] et la compagnie d’assurances ALLIANZ, qui ne dénie pas sa garantie, à payer à la société ETABLISSEMENTS PETIT la somme de 116.127,63 €, dont celle-ci justifie s’être acquittée le 10 janvier 2020.

Il convient également de faire supporter les honoraires exposés par la société ETABLISSEMENTS PETIT dans le cadre de l’instance prud’homale au premier degré et en appel.

En effet ces dépenses auraient pu être évitées si monsieur [U] avait accompli sa mission consciencieusement.

Il ressort des pièces versées aux débats que la société ETABLISSEMENTS PETIT a supporté 16.000 € hors taxes d’honoraires au titre de l’intervention de l’avocat GISSELBRECHT devant le conseil de prud’hommes et la cour.

Il n’y a pas lieu de tenir compte de la TVA facturée par l’avocat, puisqu’elle a été déduite par la société ETABLISSEMENTS PETIT.

La société ALLIANZ et monsieur [U] devront donc tenir indemnes la société ETABLISSEMENTS PETIT du montant HT de ces honoraires.

Par contre, la société ETABLISSEMENTS PETIT ne peut faire supporter les notes de frais et honoraires de défense pénale payées à maître GISSELBRECHT dans le cadre de la défense de messieurs [M], [T] et [L], poursuivis devant le tribunal correctionnel d’Angers pour faux témoignages sur la date de la démission de monsieur [F], dès lors que ces dépenses étaient personnelles à ces deux cadres et à son dirigeant, et que leur prise en charge au titre de l’indemnisation dans le cadre du présent procès reviendrait à ratifier un abus des biens et du crédit de la société requérante.

Dans ces conditions, l’indemnisation au titre des honoraires d’avocat sera limitée à 16.000 €.

La condamnation s’établit donc à la somme de 132.127,63 € (116.127,63 € + 16.000 €).

S’agissant d’une condamnation indemnitaire, en l’absence d’explication de la partie demanderesse sur les circonstances qui permettraient de faire rétroagir l’intérêt légal à compter de l’assignation, celui-ci ne jouera qu’à compter du jugement, ainsi qu’il est dit à l’article 1231-7 du Code civil.

Il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts, ainsi qu’il est prévu article 1343-2 du Code civil.

L’équité commande que monsieur [U] et la société ALLIANZ versent à la société ETABLISSEMENTS PETIT une indemnité de 5.000 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Succombant, ils supporteront les entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

CONDAMNE in solidum monsieur [Z] [U] et la société d’assurance ALLIANZ IARD, REGISTRE DU COMMERCE ET DES SOCIÉTÉS Nanterre n° 542 110 291, à payer à la société ETABLISSEMENTS PETIT la somme de 132.127,63 €.

Dit que les intérêts de chaque année produiront eux-mêmes intérêt au taux légal.

DÉBOUTE les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.

CONDAMNE in solidum monsieur [Z] [U] et la compagnie d’assurances ALLIANZ IARD à payer à la société ETABLISSEMENTS PETIT la somme de 5.000 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNE in solidum les mêmes aux dépens qui seront recouvrés par maître Inès TARDY-JOUBERT, avocat au barreau de Rennes, comme il est dit à l’article 699 du Code de procédure civile.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/04062
Date de la décision : 22/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-22;21.04062 ?
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