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16/04/2024 | FRANCE | N°22/03454

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 16 avril 2024, 22/03454


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES


16 Avril 2024


2ème Chambre civile
64B

N° RG 22/03454 -
N° Portalis DBYC-W-B7G-JYCN


AFFAIRE :

Caisse primaire d’assurance maladie d’[Localité 7],

C/

S.A.S. EVALOR,
CAISSE RÉGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES BRETAGNE PAYS DE LOIRE,
[Y] [I]
SCEA DE MONTIFAULT
S.A. ABEILLE IARD & SANTE,

copie exécutoire délivrée
le :
à :







DEUXIEME CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL


PRESIDENT : Sabi

ne MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

16 Avril 2024

2ème Chambre civile
64B

N° RG 22/03454 -
N° Portalis DBYC-W-B7G-JYCN

AFFAIRE :

Caisse primaire d’assurance maladie d’[Localité 7],

C/

S.A.S. EVALOR,
CAISSE RÉGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES BRETAGNE PAYS DE LOIRE,
[Y] [I]
SCEA DE MONTIFAULT
S.A. ABEILLE IARD & SANTE,

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire

GREFFIER : Fabienne LEFRANC qui a signé la présente décision.

JUGEMENT
Selon la procédure sans audience (article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire)
En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Jennifer KERMARREC
par sa mise à disposition au Greffe le 16 Avril 2024,
date indiquée à l’issue du dépôt des dossiers.
Jugement rédigé par Madame Jennifer KERMARREC,

ENTRE :

DEMANDERESSE :

Caisse primaire d’assurance maladie d’[Localité 7], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Adresse 6]
représentée par Me Antoine DI PALMA, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant/postulant

ET :

DEFENDEURS :

S.A.S. EVALOR, immatriculée sous le numéro 403 168 149 du registre du commerce et des sociétés de SAINT BRIEUC, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Maître Loïc TERTRAIS de la SELARL QUADRIGE AVOCATS, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

CAISSE RÉGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES BRETAGNE PAYS DE LOIRE, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Maître Loïc TERTRAIS de la SELARL QUADRIGE AVOCATS, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

Monsieur [Y] [I]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représenté par Me Laurent BOUILLAND, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC, avocat plaidant

SCEA DE MONTIFAULT (anciennement EARL DE MONTIFAULT)
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Franck BARBIER, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant/postulant

S.A. ABEILLE IARD & SANTE, immatriculé au RCS de NANTERRE sous le n° 306 522 665, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés
en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me François MOULIERE, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant/postulant

EXPOSE DU LITIGE

L’EARL DE MONTIFAULT, exploitante agricole à [Localité 8] a souhaité se doter d’une station de traitement biologique du lisier et a retenu, dans ce cadre, l’offre proposée par la société EVALOR, anciennement dénommée VAL CONSEIL ENVIRONNEMENT, laquelle a fait appel à des sous-traitants dont la société ASSERVA pour la construction de cette installation.

Ces travaux ont fait l’objet d’une réception sans réserve le 26 février 2013.

Le 4 avril 2004, un contrat de “suivi biologique et d’assistance technique” a été conclu entre l’EARL DE MONTIFAULT et la société EVALOR.

Au cours du mois d’août 2009, l’EARL DE MONTIFAULT a constaté la panne d’une pompe de transfert située dans le local de centrifugation de la station de traitement.

Le 31 août 2009, Monsieur [Y] [I], salarié de la société ASSERVA, est intervenu pour procéder au remplacement de la pompe défaillante. Il a été assisté à cette occasion par Monsieur [O] [U], salarié de l’EARL DE MONTIFAULT, qui a utilisé la meuleuse fournie par Monsieur [Y] [I] pour découper une plaque en inox fixée sur le plancher béton du local de centrifugation au-dessus des fosses de stockage des lisiers. Cette découpe a provoqué une explosion et un incendie qui ont gravement blessé Monsieur [U], plus légèrement Monsieur [I], et endommagé l’installation.

Les conséquences de l’accident subi par Monsieur [U] ont été prises en charge au titre de la législation sur les accidents du travail après déclaration faite par son employeur auprès de la MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE (MSA).

En septembre 2009, l’EARL DE MONTIFAULT a sollicité en référé une expertise judiciaire au contradictoire des différents intervenants impliqués afin de déterminer les causes et conséquences de l’explosion et de l’incendie survenus le 31 août 2009.

Monsieur [B] [C] a été désigné en qualité d’expert selon ordonnance du 22 octobre 2009. Il a déposé son rapport le 21 mars 2012.

En octobre 2012, l’EARL DE MONTIFAULT et ses gérants ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de RENNES la société ASSERVA et son assureur, la société AXA FRANCE IARD, la société EVALOR et son assureur, la CRAMA, pour être indemnisés de l’ensemble des préjudices consécutifs à l’accident du 31 août 2009.

En avril 2014, la MSA a fait assigner les deux mêmes sociétés et leurs assureurs respectifs devant le tribunal de grande instance de RENNES pour obtenir le remboursement des débours exposés en faveur de Monsieur [U], ce dernier ayant été assigné en novembre 2015 afin que le jugement à venir lui soit déclaré commun.

Les deux procédures ont été jointes pour être jugées ensemble.

Dans ce cadre, par jugement en date du 11 février 2020, le tribunal de grande instance de RENNES, devenu depuis tribunal judiciaire, a statué comme suit :
“(...) CONDAMNE la société EVALOR, son assureur la CRAMA, la société ASSERVA, son assureur la SA AXA FRANCE IARD et la SA AVIVA in solidum à verser à l'EARL [P] la somme de 94.073,50 € en indemnisation de son préjudice matériel avec intérêts au taux légal à partir du 19 octobre 2012 avec capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an en application de l'article 1154 (ancien) du Code civil ;

CONDAMNE la société AVIVA ASSURANCES à verser à l'EARL [P] la somme de 40.317,22 € en indemnisation de son préjudice matériel avec intérêts au taux légal à partir du 19 octobre 2012 et avec capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an en application de l'article 1154 (ancien) du Code civil ;

CONDAMNE les sociétés ASSERVA et EVALOR in solidum à verser à la société AVIVA ASSURANCES la somme de 47.757,07 € au titre de son recours subrogatoire, outre les intérêts au taux légal à compter du présent jugement et capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an en application de l'article 1154 (ancien) du Code civil ;

CONDAMNE la société EVALOR et son assureur la CRAMA, la société ASSERVA et son assureur la SA AXA FRANCE IARD in solidum à verser à la MSA la somme de 104.774,59 € avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 16 avril 2014 ;

CONDAMNE la société EVALOR à garantir les sociétés ASSERVA et AXA FRANCE IARD de leurs condamnations dans la limite de 50 % ;

CONDAMNE la société ASSERVA à garantir la société EVALOR de ses condamnations dans la limite de 50 % ;

CONDAMNE l'EARL [P] à verser à la société EVALOR la somme de 24.959,98 € correspondant à ses factures impayées avec intérêts au taux légal sur la somme de 23.655,21 € à partir du 2 novembre 2015 et du 19 avril 2016 pour le surplus, avec capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an à compter du 2 novembre 2015 en application de l'article 1154 (ancien) du Code civil ; (….)”.

Le 7 octobre 2020, la CPAM D’[Localité 7] a écrit à la CRAMA en sa qualité d’assureur de la société EVALOR afin d’obtenir le remboursement des prestations versées en faveur de Monsieur [Y] [I] suite à l’explosion et l’incendie du 31 août 2009.

L’assureur s’y est opposé estimant, principalement, que les lésions subies par ce dernier ne trouvaient leur origine que dans sa propre faute ou du moins celle de son employeur, la société ASSERVA.

Les 5, 6 et 9 mai 2022, la CPAM D’[Localité 7] (ci-après la CPAM) a fait assigner la société EVALOR (SAS), son assureur, la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles BRETAGNE-PAYS DE LA LOIRE exerçant sous l’enseigne GROUPAMA LOIRE BRETAGNE (ci-après la CRAMA), Monsieur [Y] [I], l’EARL DE MONTIFAULT, transformée entretemps en SCEA, et son assureur, la société AVIVA ASSURANCES (SA), devenue depuis ABEILLE IARD & SANTE, devant le tribunal judiciaire de RENNES afin d’obtenir le remboursement des débours engagés en faveur de Monsieur [Y] [I] suite à l’accident du 31 août 2009.

Monsieur [Y] [I] a constitué avocat, mais n’a jamais conclu.

Aux termes de conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 11 janvier 2024, la CPAM demande au tribunal de :
“Vu l’article L454-1 du Code de la sécurité sociale,
Vu les articles 1792 et 1240 du Code civil,
Vu l’article L124-3 du Code des assurances,
Vu l’article 1343-2 du Code civil,

Débouter la SAS EVALOR et la CRAMA ainsi que l’EARL [P] et la SA ABEILLE IARD & SANTE de leurs demandes, fins et conclusions.

S’entendre condamner in solidum la SAS EVALOR et la CRAMA ainsi que l’EARL [P] et la SA ABEILLE IARD & SANTE à verser à la CPAM d’[Localité 7] la somme de 25 774, 65 € en remboursement de ses débours, ladite somme avec intérêts de droit à compter du jugement à intervenir, jusqu’à parfait paiement et capitalisation des intérêts.

S’entendre condamner la SAS EVALOR et la CRAMA ainsi que l’EARL [P] et la SA ABEILLE IARD & SANTE à verser à la CPAM d’[Localité 7] au paiement de la somme de 1191 € au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion.

S’entendre condamner in solidum la SAS EVALOR et la CRAMA ainsi que l’EARL [P] et la SA ABEILLE IARD & SANTE à verser à la CPAM d’[Localité 7] la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

S’entendre condamner les mêmes in solidum aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Antoine DI PALMA, Avocat aux offres de droit.

Déclarer le jugement commun et opposable à Monsieur [I].

Voir ordonner l’exécution provisoire”.

La CPAM fait observer que la fin de non-recevoir opposée par la société EVALOR et la CRAMA n’a pas fait l’objet d’un incident devant le juge de la mise en état contrairement aux prescriptions de l’article 789 alinéa 6 du code de procédure civile.

Elle indique qu’en tout état de cause, l’article L454-1 du code la sécurité sociale prévoyant les modalités de son recours à l’encontre d’un tiers à l’origine d’un accident du travail n’impose nullement qu’une décision de justice ait préalablement été prononcée à l’encontre de l’employeur. Elle précise que ce texte et la jurisprudence prévoient seulement que la juridiction saisie doit déterminer fictivement la responsabilité de l’employeur lorsque celle-ci est partagée avec un tiers. Elle fait observer que ce principe est rappelé dans le jugement rendu le 11 février 2020 s’agissant du recours de la MSA concernant Monsieur [U].

La CPAM reprend en détail la motivation de ce jugement qu’elle fait sienne. Ce faisant, elle fait valoir que le tribunal a parfaitement identifié les différentes fautes de la société EVALOR qui vient aux droits de la société VAL CONSEIL ENVIRONNEMENT, lesquelles n’ont pas toutes été commises en sa seule qualité de donneur d’ordre. Elle reprend les différentes fautes retenues par le tribunal judiciaire à la charge de la société EVALOR et de la société ASSERVA. Elle admet ne disposer d’aucun recours contre cette dernière qui a la qualité d’employeur de Monsieur [I], mais se dit bien fondée, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, à se prévaloir des manquements commis par la société EVALOR. Elle ajoute que l’EARL [P] a également engagé sa responsabilité à l’égard des préjudices subis par Monsieur [I] et reprend, sur ce point, la motivation du jugement du 11 février 2020.

Pour justifier du montant réclamé, la CPAM indique avoir exposé des frais médicaux et pharmaceutiques, ainsi que des indemnités journalières en faveur de Monsieur [I]. En réponse aux contestations adverses, elle soutient que selon la jurisprudence constante, l’attestation du médecin conseil est suffisante pour établir la réalité de ses débours et leur lien avec le fait générateur. Elle rappelle que ce médecin exerce de façon totalement indépendante, autonome et impartiale.

En défense, aux termes de conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 19 juillet 2023, la société EVALOR et la CRAMA demandent au tribunal de :
“Vu l’article L434-2 alinéa 3 et L454-1 du Code de la sécurité sociale ;
Vu l’Ordonnance du 24 janvier 1996 ;
Vu l’article 700 du Code de procédure civile ;

A titre principal,

DECLARER irrecevables et en toutes hypothèses infondées le recours de la CPAM d’[Localité 7]

DEBOUTER la CPAM D’[Localité 7] ou toute autre partie des demandes formées à l’encontre de la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLE AGRICOLES BRETAGNE PAYS DE LA LOIRE dite GROUPAMA LOIRE BRETAGNE es qualités d’assureur de la société EVALOR et à l’encontre de la société EVALOR ;

A titre subsidiaire,

DEBOUTER la CPAM d’[Localité 7] de ses demandes formées au titre des dépenses de santé actuelles, insuffisamment justifiées ;

DECLARER que Monsieur [I] a commis des fautes en lien direct avec la survenance de son préjudice et que son droit à indemnisation doit donc être nécessairement limité.

DECLARER que la CPAM d’[Localité 7] ne peut exercer de recours à l’encontre des sociétés tierces, dont la société EVALOR, que dans la mesure où les indemnités dues dépassent celles qui auraient été mises à la charge de l’employeur en vertu du droit commun ;

DECLARER que la société [P] doit conserver à sa charge à tout le moins 35% des débours exposés par son salarié, Monsieur [I] ;

DECLARER que la société ASSERVA ne saurait être condamnée à un pourcentage inférieur à celui retenu à son encontre dans le jugement du 11 février 2020, soit 35%.

LIMITER, dans ces circonstances, les condamnations de la société EVALOR et de la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLE AGRICOLES BRETAGNE PAYS DE LA LOIRE dite GROUPAMA LOIRE BRETAGNE à de plus justes proportions ;

En toute hypothèse,

CONDAMNER l’EARL [P], Monsieur [Y] [I] et la SA AVIVA à garantir la société EVALOR et la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLE AGRICOLES BRETAGNE PAYS DE LA LOIRE dite GROUPAMA LOIRE BRETAGNE des condamnations qui pourraient être mises à leur charge ;

DEBOUTER la CPAM d’[Localité 7] de ses demandes au titre de l’indemnisation forfaitaire de 1114 euros.

DEBOUTER la CPAM d’[Localité 7] de ses demandes au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

DEBOUTER la CPAM d’[Localité 7] ou toute autre partie du surplus des demandes formées à l’encontre de la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLE AGRICOLES BRETAGNE PAYS DE LA LOIRE dite GROUPAMA LOIRE BRETAGNE es qualités d’assureur de la société EVALOR et à l’encontre de la société EVALOR”.

A titre principal, la société EVALOR et son assureur invoquent l’irrecevabilité du recours de la CPAM fondé sur le droit commun.

Elles soutiennent qu’en application des articles L451-1 et L454-1 du code de la sécurité sociale, ce recours est dépourvu de fondement en raison de l’absence de décision sur la part mise à la charge de l’employeur. Elles précisent que toute action à l’encontre d’un tiers sur le fondement de l’article 1240 du code civil est exclue pour obtenir réparation de l’intégralité des dépenses occasionnées par un accident du travail. Elles insistent sur le fait que dans le cas présent, il n’a jamais été statué sur la part de responsabilité de la société ASSERVA dans la survenance du préjudice de son salarié, Monsieur [I]. Elles ajoutent que le jugement du 11 février 2020 a retenu la qualité de donneur d’ordre de la société EVALOR à l’égard de la société ASSERVA. Elles en déduisent qu’aucune action de Monsieur [I] et, a fortiori de la CPAM, n’est possible selon le droit commun à l’encontre de la société EVALOR.

Elles font observer que ces questions établissent un défaut d’intérêt ou de qualité à agir de la CPAM, lequel peut être relevé d’office aux termes de l’article 125 du code de procédure civile par le juge du fond.

La société EVALOR et son assureur font également valoir que le recours de la CPAM est dépourvu de fondement en l’absence de droit consacré de la victime à l’encontre de la société EVALOR. Elles soutiennent que la CPAM ne peut exercer un recours contre le tiers responsable d’un accident du travail que si celui-ci a été préalablement déclaré responsable d’au moins une partie du préjudice subi par la victime ayant bénéficié des débours de l’organisme, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

A titre subsidiaire, la société EVALOR et son assureur rappellent que le jugement du 11 février 2020 a consacré un partage de responsabilité en retenant, entre autres, la responsabilité de l’employeur de Monsieur [I]. Elles en concluent que la responsabilité des sociétés tierces, recherchées par la CPAM, ne pourra s’appliquer que sur le pourcentage restant de la responsabilité n’ayant pas été mise à la charge de la société ASSERVA. Elles ajoutent que la responsabilité de l’EARL DE MONTIFAULT a également été définitivement tranchée par le tribunal judiciaire de RENNES. Elles rappellent en détail la part de responsabilité retenue pour chaque intervenant dans le cadre du jugement rendu le 11 février 2020 qui a, selon elles, autorité de la chose jugée. Elles ajoutent que Monsieur [I] a également une part de responsabilité dans le sinistre, ce qui réduit d’autant la part d’indemnités susceptibles d’être mises à la charge à leur charge.

La société EVALOR et son assureur relèvent que la CPAM ne produit aucune créance définitive qui permettrait de s’assurer du détail des sommes versées. Elles soulignent que l’attestation d’imputabilité produite par l’organisme ne détaille aucunement les sommes versées entre 2009 et 2013 pour les frais médicaux, frais pharmaceutiques et transports. Elles estiment plus que probable que la CPAM ait remboursé, en quatre ans, des sommes sans aucun lien causal avec l’accident. Elles font observer qu’aucune information n’est apportée sur l’état de Monsieur [I]. Elles contestent donc les sommes réclamées au titre des frais médicaux, frais pharmaceutiques et de transport.

En réponse à l’appel en garantie de la SCEA DE MONTIFAULT à leur égard, la société EVALOR et son assureur font valoir que celui-ci se heurte à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu le 11 février 2020. Elles rappellent que ledit jugement a retenu une faute de la société DE MONTIFAULT venant réduire son droit à indemnisation de 30 %.

Elles s’opposent également au remboursement de l’indemnité de gestion de la CPAM, estimant que celle-ci ne peut être versée qu’une fois le remboursement obtenu et par la société ASSERVA, employeur de Monsieur [I].

Suivant conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 7 septembre 2023, la société DE MONTIFAULT demande au tribunal de :
“Débouter la CPAM d’[Localité 7] et les autres parties de leurs toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre la SCEA de Montifault.

Condamner la société Evalor et son assureur Groupama Loire-Bretagne à garantir La SCEA de Montifault de toutes condamnations qui seraient mises à sa charge.

Condamner la société Abeille IARD à garantir La SCEA de Montifault de toutes condamnations qui seraient mises à sa charge

Écarter l’exécution provisoire s’agissant des demandes formées contre la SCEA de Montifault

Condamner la CPAM d’[Localité 7], ou toute autre partie succombante, à payer à la SCEA de Montifault une somme de 3000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner la CPAM d’[Localité 7], ou toute autre partie succombante, aux entiers dépens”.

La SCEA DE MONTIFAULT rappelle les principes applicables en cas d’accident du travail impliquant un partage de responsabilité avec un tiers en indiquant que la CPAM doit établir que les indemnités versées au salarié sont d’un montant supérieur à celui des indemnités qui auraient été mises à la charge de l’employeur en vertu du droit commun afin de réparer l’entier dommage subi par le salaré victime de l’accident du travail, y compris les préjudices personnels du salarié non soumis au recours de l’organisme social. Elle soutient que la société ASSERVA, employeur de Monsieur [I], doit être considérée comme la responsable exclusive, du moins principale, de l’accident du travail dont son salarié a été victime lors de l’accident du 31 août 2009. Elle détaille les fautes relevées par l’expert judiciaire, puis le jugement du 11 février 2020 à la charge de la société ASSERVA.

La SCEA DE MONTIFAULT ajoute que sa responsabilité dans l’accident est inexistante ou, du moins, tout à fait réduite. Elle reprend les constatations de l’expertise judiciaire qui lui sont favorables. Elle conteste les manquements qui lui ont été reprochés par le jugement du 11 février 2020 estimant que les appréciations y figurant ne peuvent pas être étendues aux responsabilités encourues en raison des dommages subis par le salarié de la société ASSERVA, Monsieur [I]. Elle signale plus particulièrement que contrairement à ce qu’a retenu le jugement précité, il existait bien à l’époque des faits un document d’évaluation des risques professionnels de l’exploitation prévoyant, entre autres, que la maintenance de la station de traitement soit réalisée par une société spécialisée. A supposer qu’un partage de responsabilité soit retenu, elle considère que sa part de responsabilité dans l’accident est inférieure à celle de la société ASSERVA.

La SCEA DE MONTIFAULT observe que les éléments produits par la CPAM ne permettent pas non plus de déterminer si le montant total réclamé de 2009 à 2013 correspond réellement et exclusivement à des prestations et indemnités en rapport avec l’accident litigieux.

Pour solliciter la garantie de la société EVALOR et de son assureur, la SCEA DE MONTIFAULT se prévaut des manquements retenus à la charge de cette société à la fois par l’expert judiciaire et le jugement du 11 février 2020. Elle conteste l’autorité de la chose jugée invoquée par la société EVALOR et son assureur faisant observer que la chose demandée et la cause fondant sa demande sont différentes dans le cadre de la présente instance.

Pour solliciter la garantie de son propre assureur, la société DE MONTIFAULT précise qu’elle était titulaire, à l’époque des faits, d’une police d’assurance “multirisques exploitation” souscrite auprès de la société AVIVA ASSURANCES devenue ABEILLE IARD. Elle observe que celle-ci ne conteste pas sa garantie.

Selon conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 26 octobre 2023, la société ABEILLE IARD & SANTE demande au tribunal de :
“Vu les articles L 376-1 et L 454-1 du Code de la sécurité sociale

- Juger que Monsieur [I] a commis des fautes en lien direct avec ses dommages
- Débouter la CPAM de l’ensemble de demandes formulées à l’encontre de la société Abeille IARD
- Condamner la société Evalor et son assureur, Groupama Loire Bretagne, à garantir la société Abeille IARD de toute condamnation
- Ecarter l’exécution provisoire

A titre subsidiaire :

- Juger que Monsieur [I] a commis des fautes en lien directe avec la survenance de son préjudice de sorte que son droit à indemnisation, et ainsi celui de la CPAM, sont limités ;
- Juger que la CPAM d’[Localité 7] ne peut exercer son recours à l’encontre des sociétés tierces que dans la mesure où les indemnités dues dépassent celles qui auraient été mises à la charge de l’employeur en vertu du droit commun ;
- Juger que la société [P] ne peut être tenue responsable au-delà 30% ;
- Juger que les sociétés ASSERVA et EVALOR sont tenues responsables à hauteur de 70% ;

En tout état de cause :

- Débouter la SAS Evalor et la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles de Bretagne Pays de Loire (dite Groupama Loire Bretagne) de leur demande en garantie formulée contre l’EARL [P] et la société Abeille IARD ;
- Condamner la CPAM d’[Localité 7] ou toute partie succombante à verser à Abeille IARD la somme de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du CPC et à supporter la charge des entiers dépens ;
- Débouter la CPAM d’[Localité 7] ou toute autre partie du surplus des demandes formées à l’encontre de la société Abeille IARD, es qualité d’assureur de la société [P]”.

La compagnie d’assurance fait valoir que la CPAM ne démontre pas que les indemnités versées à Monsieur [I] sont d’un montant supérieur à celui des indemnités qui auraient été mises à la charge de l’employeur en vertu du droit commun.

Elle ajoute que les tiers ne sauraient être condamnés au remboursement des débours de la CPAM sans qu’il ne soit statué au préalable au sujet des parts de responsabilité de l’employeur et de ces tiers. Elle relève que le jugement du 11 février 2020 n’a pas statué sur les fautes commises par les divers intervenants et leur lien de causalité avec les préjudices subis par Monsieur [I]. Elle soutient qu’en l’absence d’une décision jugeant que la société [P] a commis une faute en lien avec les préjudices de Monsieur [I], les demandes de la CPAM ne sont pas fondées.

En tout état de cause, la société ABEILLE IARD & SANTE fait valoir qu’en vertu du jugement du 11 février 2020 et du rapport d’expertise judiciaire, la société ASSERVA est la responsable principale, sinon exclusive, du dommage subi par son salarié et par celui de la société [P], Monsieur [U]. Elle invoque également la propre faute commise par Monsieur [I].

De même, la société ABEILLE IARD & SANTE soutient que la responsabilité de son assurée, la SCEA DE MONTIFAULT, apparaît inexistante. Elle reprend les manquements retenus à la charge de celle-ci par le jugement du 11 février 2020 qui a fixé sa part de responsabilité à hauteur de 30 %, mais souligne que la SCEA DE MONTIFAULT n’avait reçu aucune information de la part de la société EVALOR concernant les risques liés à la formation de gaz en cas d’arrêt de la station, ni de la part de la société ASSERVA au sujet des risques liés à son intervention. Elle estime que les griefs retenus par le jugement précité à la charge de la SCEA DE MONTIFAULT ne sont pas fondés. Elle ajoute que celle-ci avait bien établi un document d’évaluation des risques professionnels de l’exploitation. Elle en déduit que les motifs retenus par le jugement précité ne peuvent être étendus aux responsabilités encourues au titre des préjudices de Monsieur [I].

A titre subsidiaire, la société ABEILLE IARD & SANTE estime que la part de responsabilité imputable à son assurée doit être inférieure à celle de la société ASSERVA. Elle en déduit que sa garantie s’exercera nécessairement dans les limites de la responsabilité de son assurée.

Elle conclut également que la demande de garantie de la société EVALOR et son assureur doit être rejetée compte tenu des fautes commises par la première. A l’inverse et pour la même raison, elle sollicite la garantie de la société EVALOR et son assureur.

Enfin, la société ABEILLE IARD & SANTE souligne que la CPAM ne verse aux débats aucun détail des dépenses de santé engagées, ce qui ne permet pas d’en vérifier le bien fondé. Elle estime insuffisante l’attestation du médecin-conseil produite et juge très probable que de 2009 à 2013, Monsieur [I] ait eu des dépenses de santé sans lien avec l’accident.

***
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 25 janvier 2024.

Les parties qui ont conclu ont toutes accepté que la procédure soit traitée sans audience. Elles ont déposé leur dossier dans le délai imparti. A réception, l’affaire a été mise en délibéré au 16 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur la demande principale :

En vertu de l’article L454-1 du code de la sécurité sociale, si la lésion dont est atteint l'assuré social est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre.
Les caisses primaires d'assurance maladie sont tenues de servir à la victime ou à ses ayants droit les prestations et indemnités prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident, dans les conditions ci-après ; ce recours est également ouvert à l'Etat et aux institutions privées, lorsque la victime est pupille de l'éducation surveillée, dans les conditions définies par décret.
Si la responsabilité du tiers auteur de l'accident est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément.
Si la responsabilité du tiers est partagée avec l'employeur, la caisse ne peut poursuivre un remboursement que dans la mesure où les indemnités dues par elle en vertu du présent livre dépassent celles qui auraient été mises à la charge de l'employeur en vertu du droit commun. Si la responsabilité du tiers auteur de l’accident est partagée avec la victime et/ou son employeur, les caisses primaires d’assurance maladie ne peuvent poursuivre le remboursement des prestations à leur charge qu’à due concurrence de la part d’indemnité mise à la charge du tiers qui répare l’atteinte à l’intégrité physique de la victime et seulement dans la mesure où les indemnités dues par elles en vertu des dispositions précitées dépassent celles qui auraient été mises à la charge de l’employeur en vertu du droit commun.

1) Sur la recevabilité de la demande principale :

L’application des principes rappelés ci-dessus suppose, pour statuer sur la demande de la CPAM, de déterminer la part de responsabilité des différents intervenants impliqués à l’occasion de l’accident du 31 août 2009, y compris la part de responsabilité de la victime, Monsieur [I], et de son employeur, la société ASSERVA pour apprécier l’étendue du recours de l’organisme.

Cette détermination relève du bien fondé de l’action de la CPAM, mais ne remet pas en cause la recevabilité de celle-ci.

Il n’est pas non plus nécessaire, dans ce cadre, qu’il ait déjà été statué sur la part de responsabilité des tiers impliqués à l’égard de la victime directe.

La demande principale est en conséquence bien recevable, étant au surplus observé que l’irrecevabilité invoquée aurait dû être soumise au juge de la mise en état en vertu de l’article 789 6° du code de procédure civile.

2) Sur le bien fondé de la demande principale :

Comme déjà indiqué, pour déterminer l’étendue du recours de la CPAM, il convient au préalable de statuer sur la part de responsabilité des différents intervenants, notamment du salarié victime et de son employeur.

Pour ce faire, il convient de s’en rapporter au rapport d’expertise judiciaire du 21 mars 2012 et au jugement rendu le 11 février 2020 par le tribunal judiciaire de RENNES.

Celui-ci n’a pas autorité de la chose jugée dans le cadre de la présente instance, puisqu’il n’avait pas pour objet de statuer sur les préjudices subis par Monsieur [I], mais uniquement sur ceux subis par l’EARL DE MONTIFAULT et son salarié, Monsieur [U].

Pour autant, ce jugement a procédé à une analyse tout à fait exhaustive, détaillée et pertinente des responsabilités en cause. Cette analyse n’est pas remise en cause par les parties, à l’exception de la SCEA DE MONTIFAULT et son assureur qui font état d’une nouvelle pièce, à savoir un document d’évaluation des risques professionnels de l’exploitation.

Il convient de la reprendre pour chacun des intervenants et de la compléter s’agissant de la SCEA DE MONTIFAULT, étant précisé que l’explosion intervenue le 31 août 2009 est liée à la conjugaison de deux facteurs :
- l’accumulation du méthane issu du lisier stocké jusqu’à constituer une atmosphère explosive suite à l’arrêt prolongé de la station depuis le 25 juillet en raison des congés des gérants de l’exploitation, puis de la panne de certains éléments composant l’installation,
- l’étincelle provoquée par la meuleuse manipulée par Monsieur [U] et apportée par Monsieur [I] dans le but d’aménager un passage au niveau de la trappe métallique.

* Sur la part de responsabilité de la société EVALOR :

Comme retenu dans le cadre du jugement rendu le 11 février 2020, la responsabilité de la société EVALOR est engagée à raison des manquements suivants :
- une mauvaise conception de la fosse qui génère une accumulation dangereuse de méthane en cas d’arrêt prolongé de l’installation,
- un défaut d’information à l’égard de l’EARL DE MONTIFAULT, son cocontractant, quant aux conditions favorisant l’accumulation de méthane et aux risques correspondants,
- une faute dans l’exécution de son contrat de suivi technique de la station après la mise en marche de celle-ci, faute constituée par le fait que la société EVALOR, informée de ce que la station fonctionnait régulièrement de manière non confome, n’a pas formellement mis en garde l’exploitant contre le risque d’accumulation de méthane.

Ces différents manquements sont totalement étrangers à la qualité de donneur d’ordre que la société EVALOR a pu avoir à l’égard de la société ASSERVA. Partant, ces manquements ne sont pas assimilables à des manquements de l’employeur de Monsieur [I] et ne sont donc pas susceptibles de limiter le recours de la CPAM pour le remboursement des prestations servies en faveur de ce dernier.

* Sur la part de responsabilité de la société ASSERVA et/ou Monsieur [I] :

Comme l’a fait le jugement précité du 11 février 2020, il convient de retenir à ce titre la décision fautive de Monsieur [I] de faire usage d’une meuleuse à proximité d’une station de traitement de lisier à l’arrêt liée tout à la fois à :
- l’intervention de la société ASSERVA au moyen d’un procédé non soumis à la validation préalable de son donneur d’ordre, la société EVALOR, et sans information de l’exploitant quant aux modalités de l’opération, alors qu’elle était déjà intervenue à plusieurs reprises sur l’exploitation,
- l’absence totale de prévention des risques et, notamment, l’absence d’élaboration du document unique d’évaluation des risques professionnels.

* Sur la part de responsabilité de la SCEA DE MONTIFAULT :

Le jugement du 11 février 2020 a estimé que cette société n’avait pas utilisé correctement l’ouvrage réalisé par la société EVALOR en lui reprochant plusieurs manquements :
- le fait d’avoir laissé la station de traitement du lisier à l’arrêt durant ses congés alors que le contrat de suivi conclu avec la société EVALOR lui imposait un suivi quotidien du fonctionnement de la station,
- le fait de ne pas avoir fait valider par la société EVALOR le remplacement de la pompe défaillante qui excédait la simple maintenance, alors que le contrat précité le lui imposait,
- l’usage par son salarié de la meuleuse ayant déclenché l’explosion à la demande du gérant de la SCEA DE MONTIFAULT sans la moindre formalisation, ni information quant aux risques encourus par ce salarié.

Le tribunal a également relevé que l’EARL DE MONTIFAULT n’avait pas été en mesure de produire, au cours de l’expertise, un document unique comportant l’évaluation des risques, notamment ATEX (risque explosion), et la mise en place d’un zonage.

Pour l’ensemble de ces manquements, le tribunal a estimé que l’EARL DE MONTIFAULT avait contribué à l’accident litigieux et fixé sa part de responsabilité à 30 %.

Dans le cadre de la présente procédure, la SCEA DE MONTIFAULT produit un document d’évaluation des risques professionnels sur son site daté du 17 juillet 2003. Pour la station de traitement (page 6/14), ce document identifie certains risques, en particulier le risque de noyade et d’électrocution en recommandant l’intervention d’une société compétente (EVALOR) pour le premier et d’une personne compétente pour le second, mais n’identifie aucunement le risque explosion.

Partant, ce document n’est pas de nature à modifier la part de responsabilité de la SCEA DE MONTIFAULT dans l’accident du 31 août 2009 telle qu’elle a été retenue par le jugement rendu le 11 février 2020.

Pour les sociétés EVALOR et ASSERVA, le tribunal a estimé qu’elles avaient contribué de manière identique à l’accident, ce qui conduit à retenir une part de responsabilité de chacune à hauteur de 35 %.

Compte tenu de ce partage de responsabilité, la CPAM n’est pas fondée à réclamer aux autres tiers impliqués la part correspondant à la faute commise par le salarié blessé et son employeur. Son droit à remboursement doit être réduit de 35 %.

Pour le surplus, l’organisme est fondé à réclamer la condamnation in solidum de la société EVALOR, et de son assureur, la CRAMA, ainsi que de la SCEA DE MONTIFAULT et de son assureur, la société ABEILLE IARD & SANTE.

Reste à déterminer si la CPAM justifie suffisamment du lien de causalité entre les dépenses qu’elle dit avoir exposées et l’accident litigieux.

En l’occurrence, la CPAM ne produit strictement aucun justificatif quant aux lésions présentées et soins reçus par Monsieur [I] en lien avec l’accident litigieux.

Elle produit uniquement une attestation d’imputabilité établie le 9 mars 2021 par le médecin-conseil de son service médical faisant état de :
- frais médicaux et pharmaceutiques d’un montant total de 5 947,03 pour la période du 31 août 2009 au 13 juillet 2013 composés de “consultations médicales, de frais pharmaceutiques, de frais de transports, de pansements, de soins infirmiers, de séances de kinésithérapie ainsi que de consultations spécialisées nécessaires au suivi et à l’état de santé du patient” sans autre détail,
- indemnités journalières d’un montant total de 19 827,62 euros au titre des risques professionnels du 1er septembre 2009 au 1er août 2010.

Il n’existe pas de difficulté pour retenir ces dernières indemnités.

Il en va différemment des autres frais. En l’occurrence, alors que ce poste de dépenses est précisément contesté et de manière argumentée par les tiers impliqués, la CPAM ne fournit aucun détail des dépenses mentionnées (nature et date de chacune notamment) sur une période de près de quatre ans, ce qui rend impossible le contrôle du bien fondé de sa demande.

Partant, il faut considérer qu’elle ne fait pas suffisamment la preuve du lien entre les dépenses invoquées et l’accident litigieux pour ces frais particuliers.

En définitive, la CPAM est bien fondée à réclamer le remboursement des indemnités journalières exposées, mais après réduction de 35 % pour tenir compte de la part de responsabilité de la société ASSERVA, employeur, et de son salarié, ce qui conduit à condamner in solidum la société EVALOR, et son assureur, la CRAMA, ainsi que la SCEA DE MONTIFAULT et son assureur, la société ABEILLE IARD & SANTE, à lui rembourser la somme de 12 887,95 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement en application de l’article 1153-1 devenu 1231-7 du code civil.

Conformément à la demande formulée, il convient d’autoriser la capitalisation annuelle des intérêts prévue à l’article 1154 devenu 1343-2 du code civil.

II - Sur les appels en garantie :

En l’occurrence, les débours mis à la charge in solidum des sociétés EVALOR et DE MONTIFAULT, ainsi que de leurs assureurs respectifs tiennent déjà compte de la part de responsabilité imputable à Monsieur [I] et/ou son employeur.

Il faut donc rejeter l’appel en garantie dirigé par la société EVALOR et la CRAMA à l’encontre de Monsieur [I].

En revanche, en tant que co-responsables, les sociétés EVALOR et DE MONTIFAULT, ainsi que leurs assureurs respectifs sont bien fondés à réclamer leur garantie réciproque à proportion de leur part de responsabilité dans le dommage telle

qu’elle a été détaillée ci-dessus, ce qui conduit à accueillir leurs appels en garantie dans les limites suivantes :
- à hauteur de 46 % pour la société EVALOR et son assureur
- à hauteur de 54 % pour la société DE MONTIFAULT et son assureur.

Comme demandé et à défaut de contestation de la part de l’assureur concerné, il convient également de condamner la société ABEILLE IARD & SANTE à garantir son assurée, la société DE MONTIFAULT, des condamnations mises à sa charge.

Ces différents appels en garantie sont accordés tant pour le principal que pour l’indemnité de gestion, les dépens et l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile examinés ci-après.

III - Sur les demandes accessoires :

Il convient d’allouer à la CPAM D’[Localité 7] le montant de l’indemnité forfaitaire réclamée, soit 1 191 euros, étant précisé que le texte applicable est l’article L454-1 et non l’article L376-1 du code de la sécurité sociale.

Monsieur [I] étant partie à la présente procédure, le présent jugement lui est nécessairement opposable sans qu’une mention expresse en ce sens soit utile au sein du dispositif.

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, les sociétés EVALOR et DE MONTIFAULT, ainsi que leurs assureurs respectifs, parties principalement perdantes, doivent supporter in solidum les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit du conseil de la CPAM D’[Localité 7] dans les conditions de l’article 699 du même code.

Partant, il convient de rejeter les demandes formées par ces deux sociétés et leurs assureurs au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il y a lieu en revanche d’allouer à la CPAM une indemnité de 1 000 euros à la charge in solidum des deux sociétés et leurs assureurs sur ce fondement.

Compte tenu de l’ancienneté de l’accident litigieux, il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de la présente décision.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

DECLARE recevables les demandes de la caisse primaire d’assurance maladie d’[Localité 7],

CONDAMNE in solidum la société EVALOR (SAS), son assureur, la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles BRETAGNE PAYS DE LOIRE, la société DE MONTIFAULT (SCEA) et son assureur, la société ABEILLE IARD & SANTE (SA) à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie d’[Localité 7] la somme de 12 887,95 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

AUTORISE la capitalisation annuelle de ces intérêts,

REJETTE le surplus de la demande principale de la caisse primaire d’assurance maladie d’[Localité 7],

CONDAMNE la société DE MONTIFAULT (SCEA) et son assureur, la société ABEILLE IARD & SANTE (SA), à garantir la société EVALOR (SAS) et son assureur, la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles BRETAGNE PAYS DE LOIRE, de leurs condamnations dans la limite de 46 %, y compris au titre de l’indemnité de gestion, des dépens et de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ci-après,

CONDAMNE la société EVALOR (SAS) et son assureur, la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles BRETAGNE PAYS DE LOIRE, à garantir la société DE MONTIFAULT (SCEA) et son assureur, la société ABEILLE IARD & SANTE (SA), de leurs condamnations dans la limite de 54 %, y compris au titre de l’indemnité de gestion, des dépens et de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ci-après,

CONDAMNE la société ABEILLE IARD & SANTE (SA) à garantir son assurée, la société DE MONTIFAULT (SCEA), de toutes les condamnations mises à sa charge, y compris au titre de l’indemnité de gestion, des dépens et de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ci-après,

CONDAMNE in solidum la société EVALOR (SAS), son assureur, la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles BRETAGNE PAYS DE LOIRE, la société DE MONTIFAULT (SCEA) et son assureur, la société ABEILLE IARD & SANTE (SA), à verser à la caisse primaire d’assurance maladie d’[Localité 7] la somme de 1 191 euros à titre d’indemnité forfaitaire de gestion,

CONDAMNE in solidum la société EVALOR (SAS), son assureur, la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles BRETAGNE PAYS DE LOIRE, la société DE MONTIFAULT (SCEA) et son assureur, la société ABEILLE IARD & SANTE (SA) aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit du conseil de la caisse primaire d’assurance maladie d’[Localité 7] dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la société EVALOR (SAS), son assureur, la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles BRETAGNE PAYS DE LOIRE, la société DE MONTIFAULT (SCEA) et son assureur, la société ABEILLE IARD & SANTE (SA), à verser à la caisse primaire d’assurance maladie d’[Localité 7] une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les autres demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an que dessus,

La Greffière,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/03454
Date de la décision : 16/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-16;22.03454 ?
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