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15/04/2024 | FRANCE | N°21/02594

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 1re chambre civile, 15 avril 2024, 21/02594


Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
7 rue Pierre Abélard - CS 73127 - 35031 RENNES CEDEX - tél : 02.99.65.37.37



15 Avril 2024


1ère chambre civile
54G

N° RG 21/02594
N° Portalis :
DBYC-W-B7F-JGWD





AFFAIRE :


[Y] [X]
[F]-[N] [X]-[H]


C/

[R] [O]
Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles de Bretagne-Pays de la Loire (Groupama Loire Bretagne)






copie exécutoire délivrée

le :

à :


COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES

DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ


PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente

ASSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président

ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, Juge


GREFFIER : Karen RICHARD lo...

Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
7 rue Pierre Abélard - CS 73127 - 35031 RENNES CEDEX - tél : 02.99.65.37.37

15 Avril 2024

1ère chambre civile
54G

N° RG 21/02594
N° Portalis :
DBYC-W-B7F-JGWD

AFFAIRE :

[Y] [X]
[F]-[N] [X]-[H]

C/

[R] [O]
Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles de Bretagne-Pays de la Loire (Groupama Loire Bretagne)

copie exécutoire délivrée

le :

à :

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente

ASSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président

ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, Juge

GREFFIER : Karen RICHARD lors des débats et lors du prononcé du jugement, qui a signé la présente décision.

DÉBATS
A l’audience publique du 11 Décembre 2023
David LE MERCIER assistant en qualité de juge rapporteur sans opposition des avocats et des parties

JUGEMENT
rendu au nom du peuple français
En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Dominique FERALI ,
par sa mise à disposition au greffe le 15 Avril 2024,
date indiquée à l’issue des débats.

Jugement rédigé par Grégoire MARTINEZ.

DEMANDERESSES :

Madame [Y] [X]
Madame [F]-[N] [X]-[H]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par la Selarl Verso avocats (Me De Luca), avocat au
barreau de Rennes,

DEFENDEURS :

Monsieur [R] [O], exerçant en son nom personnel,
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par la Selarl Quadrige (Me Carfantan-Mouzin), avocat au barreau de Rennes

Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles de Bretagne-Pays de la Loire (Groupama Loire Bretagne)
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Moulière, avocat au barreau de Rennes,
FAITS ET PROCEDURE

Suivant devis du 8 décembre 2012, Mme [Y] [X] et sa fille Mme [F]-[N] [X]-[H] ont confié à M. [R] [O], assuré par la Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles de Bretagne-Pays de la Loire (la société CRAMA), l’installation, dans leur maison située à [Localité 6], d’une chaudière pour un montant de 26 354,10 €.

Suivant factures des 29 et 31 mai 2013, Mme [Y] [X] et sa fille Mme [F]-[N] [X]-[H] ont confié à M. [R] [O] des travaux dans leur salle de bain pour 9 981,07 € et 3 029,17 €.

Suivant devis du 4 septembre 2013, elles ont confié à M. [R] [O] l’installation d’un poêle à bois pour 1 890,69 €.

Se plaignant de multiples désordres, elles ont assigné M. [O] en référé-expertise devant le tribunal de grande instance de Rennes. L’expertise a été ordonnée le 9 août 2018 et M. [G] a été désigné expert.

L’expert a déposé son rapport le 13 mars 2019.

Par actes des 29 mars et 12 avril 2021, Mme [X] et Mme [X]-[H] ont assigné M. [O] et son assureur la société CRAMA devant le tribunal judiciaire de Rennes en réparation.

Par dernières conclusions, notifiées via le RPVA le 13 juin 2022, elles demandent au tribunal de :
« A titre principal sur le fondement des articles 1792 et 1792-4-3 du code civil :
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur [R] [O] et Monsieur [R] [O] au paiement des sommes de :
• 4 319, 43 euros pour la réparation du poêle ;
• 1958 euros pour la réparation de la chaudière ;
• 11 923, 78 euros pour les réparations dans la salle-de-bain.
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur [R] [O] et Monsieur [R] [O] en réparation du préjudice de jouissance de Madame [X] [Y] et Madame [X] [F]-[N] au paiement de la somme totale de 28.946,10 euros ;
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur [R] [O] et Monsieur [R] [O] en réparation du préjudice de déplacement de Madame [X] [Y] et Madame [X] [F]-[N] au paiement de la somme totale de 2 928 euros ;
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur [R] [O] et Monsieur [R] [O] en réparation du préjudice d’inhabitabilité de Madame [X] [Y] et Madame [X] [F]-[N] au paiement de la somme totale de 35 928 euros ;
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur [R] [O] et Monsieur [R] [O] en réparation du préjudice morale de Madame [X] [Y] et Madame [X] [F]-[N] au paiement de la somme totale de 30 000 euros.
A titre subsidiaire sur le fondement des articles 1147 ancien du code civil et 1231-1 nouveau du code civil :
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur [R] [O] et Monsieur [R] [O] au paiement des sommes de :
• 4 319, 43 euros pour la réparation du poêle ;
• 1958 euros pour la réparation de la chaudière ;
• 11 923, 78 euros pour les réparations dans la salle-de-bain.
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur
[R] [O] et Monsieur [R] [O] en réparation du préjudice de jouissance de Madame [X] [Y] et Madame [X] [F]-[N] au paiement de la somme totale de 28 946,10 euros ;
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur [R] [O] et Monsieur [R] [O] en réparation du préjudice de déplacement de Madame [X] [Y] et Madame [X] [F]-[N] au paiement de la somme totale de 2 928 euros ;
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur

[R] [O] et Monsieur [R] [O] en réparation du préjudice d’inhabitabilité de Madame [X] [Y] et Madame [X] [F]-[N] au paiement de la somme totale de 35 928 euros ;
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur [R] [O] et Monsieur [R] [O] en réparation du préjudice morale de Madame [X] [Y] et Madame [X] [F]-[N] au paiement de la somme totale de 30 000 euros.
En tout état de cause,
-DEBOUTER la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur [R] [O] et Monsieur [R] [O] de l’ensemble de leurs demandes contraires aux présentes
-CONDAMNER in-solidum la société GROUPAMA prise en sa qualité d’assureur de Monsieur [R] [O] et Monsieur [R] [O] au paiement de la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l’article 700, ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris les dépens afférents à l’ordonnance de référé du 13 mars 2019 et les honoraires de l’expert judiciaire, Monsieur [G]. »

Par dernières conclusions, notifiées via le RPVA le 8 septembre 2022, M. [O] demande au tribunal de :
« -CONDAMNER la CRAMA à garantir MONSIEUR [O] de toutes condamnations prononcées à son encontre à la requête des consorts [X] ;
En tout état de cause,
-LIMITER le montant alloué pour les travaux de reprise de la salle de bains à 2.640 € TTC ;
-DEBOUTER les consorts [X] de leurs demandes d’indemnisation au titre du préjudice de « déplacement », du préjudice « d’inhabitabilité » et du préjudice moral ;
-REDUIRE à de plus justes proportions les demandes formulées par les consorts [X] au titre de leur préjudice de jouissance.
-REDUIRE à de plus justes proportions la demande des consorts [X] formulée au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile. »

Par dernières conclusions, notifiées via le RPVA le 17 août 2022, la société CRAMA demande au tribunal de :
« -DEBOUTER Madame [Y] [X], Madame [F] [X]-[H] et Monsieur [R] [O] de leurs demandes dirigées à l’encontre de GROUPAMA LOIRE BRETAGNE au titre du poêle, la concluante étant fondée à opposer une non garantie ;
-DECERNER ACTE à GROUPAMA LOIRE BRETAGNE de ce qu’elle ne conteste pas devoir sa garantie au titre des frais de réparation de la chaudière ;
-DEBOUTER Madame [Y] [X], Madame [F] [X]-[H] et Monsieur [R] [O] de leurs demandes dirigées à l’encontre de GROUPAMA LOIRE BRETAGNE au titre du des travaux de reprise de la salle de bain en l’absence de dommage de nature physique décennale ;
-DEBOUTER Madame [Y] [X], Madame [F] [X]-[H] de leurs demandes d’indemnisation au titre du préjudice de « déplacement », du préjudice « d’inhabitabilité » et du préjudice moral ;
-RAMENER le montant des dommages intérêts alloués en réparation du trouble de jouissance à plus justes proportions ;
En tout état de cause,
-DIRE ET JUGER que GROUPAMA LOIRE BRETAGNE pourra déduire de son règlement le montant de la franchise contractuelle ;
-STATUER ce que de droit quant aux dépens. »

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé à ces dernières conclusions pour l'exposé des moyens.

Le 13 octobre 2022, la clôture a été ordonnée et l’affaire a été fixée ensuite à l’audience du 11 décembre 2023.

MOTIFS

Sur le désordre relatif au poêle :

1.1 Les conclusions de l’expert :

L’expert constate un risque incendie provenant de :
Une absence d’entrée d’air de combustion dans la pièce où est situé le poêle ;Une absence de trappe d’accès en pied de tubage ;Une distance de sécurité insuffisante avec les matériaux combustibles ;
Il préconise la mise en arrêt du poêle dans l’attente des travaux de mise en conformité pour y remédier.

1.2 Les prétentions au titre de ce désordre :

Selon l’article 1792 du code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

Il en résulte que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage en son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-19.640).

Il se déduit des dispositions des articles 1792-4-1 du code civil, que le dommage doit être apparu dans les dix années suivant la réception de l’ouvrage, ne pas avoir été apparent au moment de la réception ni réservé à cette occasion à moins que l’ampleur de ses conséquences et de sa gravité ne se soit révélée postérieurement.

Mme [X] et Mme [X]-[H] soutiennent que le poêle à bois est un élément d’équipement relevant de la garantie décennale. Le constat de l’expert judiciaire et d’un technicien du 20 février 2018 sur le risque incendie engendré par l’installation a contraint Mme [X] et Mme [X]-[H] à cesser d’utiliser le poêle dans l’attente d’une réparation. Le poêle étant un élément essentiel du système de chauffage de la maison, son arrêt a entrainé un défaut de chauffage rendant l’habitation impossible.

Il en résulte donc une impropriété à destination qui n’est, au demeurant, pas contestée par M. [O]. La société CRAMA ne se prononce pas sur la nature décennale du désordre. Elle se contente de dénier sa garantie compte tenu de l’absence de déclaration de l’activité de fumisterie de M. [O].

Il y a lieu de rappeler que la réception des travaux constitue le point de départ du délai décennal qu’il convient d’établir précisément pour engager la responsabilité du constructeur.
En l’espèce, aucun procès-verbal de réception n’a été dressé et les parties n’allèguent pas d’une réception tacite dans leurs conclusions et ne demandent pas de fixer une réception judiciaire. Pourtant, la survenance du désordre dans le délai décennal n’est discutée ni par M. [O] ni par son assureur qui dénie sa garantie en opposant une absence d’activité déclarée. Ainsi, il s’en déduit que les parties prennent acte, sans la mentionner dans leurs conclusions, de l’existence d’une réception nécessairement tacite. A cet égard, compte tenu du fait que le paiement de l'intégralité des travaux d'un lot et sa prise de possession par le maître de l'ouvrage valent présomption de réception tacite, que la facture a été réglée au 17 septembre 2013 et qu’il n’y aucune opposition sur la prise de possession du poêle, la réception tacite peut se déduire à cette date.

1.3 La responsabilité de M. [O] et la garantie de la société Groupama :

Le désordre est de nature décennale. M. [O] ne conteste pas qu’il est imputable à son intervention. Sa responsabilité est engagée.

Les demanderesses sollicitent la condamnation in solidum de la société CRAMA sans préciser sur quel fondement.

L'action directe de la victime contre l'assureur de l'auteur du dommage constitue un droit propre à l'indemnité due en vertu du contrat d'assurance. Dès lors que la victime le demande, l'assureur doit être tenu in solidum avec l'assuré dans les limites de la somme garantie par le contrat. (Civ. 1re, 14 novembre 1995, n° 92-18.200).

La société CRAMA se réfère à la nomenclature des activités du bâtiment pour dénier sa garantie en considérant que la pose d’un poêle relève d’une activité de fumisterie non déclarée par l’assuré et non d’une activité de chauffagiste.

Suivant les conditions personnelles du contrat d’assurance de responsabilité décennale de M. [O] (pièce n° 1 CRAMA), ce dernier a déclaré une activité de chauffagiste–climaticien comprenant notamment la réalisation d’installations de chauffage sans que les poêles ne soit expressément exclu de cette désignation. La société CRAMA se prévaut d’une nomenclature distinguant l’activité de fumisterie de celle de chauffagiste. Elle ne démontre pas avoir notifié cette exclusion à son assuré ce qui la rend inopposable à ce dernier. Le poêle ayant pour fonction de chauffer la maison, il constitue bien une installation de chauffage couverte par la garantie décennale.

1.4 Le coût des réparations et l’obligation de paiement :

Il convient de retenir le chiffrage résultant de l’estimation de l’expert à savoir un devis de la société Godin de novembre 2018 (3 926,76 € HT) qui n’est pas contesté.

M. [U] [O] et la société CRAMA sont condamnés in solidum à verser à Mme [X] et Mme [X]-[H] la somme de 3 926,76 €.

Sur le désordre relatif à la chaudière :
2.1 Les conclusions de l’expert :

L’expert constate un risque incendie provenant de :
- une absence d’entrée d’air de combustion dans la pièce où se trouve la chaudière ;
- une mise en défaut régulière de l’appareil par absence d’arrivée d’air pouvant entraine
- une dégradation de la combustion propice à la création de nombreux imbrulés ;
- une absence de ventilation des coffrages de conduits de fumée ;

L’expert préconise la mise en conformité de l’installation pour y remédier.

2.2 Les prétentions au titre de ce désordre :

Vu les articles 1792 et 1792-4-1 du code civil précités,

Mme [X] et Mme [X]-[H] soutiennent que la chaudière constitue un élément d’équipement assimilable à un ouvrage relevant de la garantie décennale dès lors que l’insuffisance de chauffage rend l’immeuble impropre à sa destination. Elles se réfèrent au constat de l’expert judiciaire et d’un technicien du 6 avril 2018 sur les malfaçons qualifiées de défauts majeurs de l’installation et l’arrêt de celle-ci entrainant une absence de chauffage de l’ensemble de la maison. L’absence de chauffage rend l’immeuble impropre à sa destination.

Au demeurant, la nature décennale du désordre n’est pas contestée.

S’agissant de la réception, ainsi qu’il a été mentionné au sujet de précédent désordre, il ressort des débats que les parties prennent acte de la survenance du désordre dans le délai décennal et ainsi de l’existence d’une réception nécessairement tacite qui est établi à la date de paiement de la facture le 29 mai 2013.

2.3 La responsabilité de M. [O] et la garantie de la société Groupama :

M. [O] ne conteste pas que le désordre soit imputable à son intervention.

Les demanderesses sollicitent la condamnation in solidum de la société Groupama sans préciser sur quel fondement.

La société CRAMA ne dénie pas sa garantie.

M. [O] ayant installé la chaudière qui dysfonctionne, sa responsabilité décennale de plein est engagée. La garantie décennale de la société CRAMA est mobilisable.

2.4 Le coût des réparations et l’obligation de paiement :

Il convient de retenir le chiffrage de l’expert à savoir 654,50 € TTC (devis Faye du 3 mai 2018) ainsi qu’une estimation à 220 € TTC pour ventiler les conduits. La facture mentionnée par les demandeurs n’est pas intégrée au chiffrage de l’expert et le lien avec la réparation du désordre n’est pas justifié.

M. [U] [O] et la société Groupama sont condamnés in solidum à verser à Mme [X] et Mme [X]-[H] la somme de 874,50 € à ce titre.

3. Sur le désordre relatif à la salle de bain :

3.1 Les conclusions de l’expert :

L’expert constate un défaut d’étanchéité lié à
un défaut d’évacuation des eaux des deux lavabos ;un défaut de plancher de la douche ;un défaut d’alignement de la robinetterie de la douche, des traces de choc sur la robinetterie ;
Selon l’expert, les causes du désordre relèvent d’une non-conformité de l’installation notamment de la mauvaise étanchéité de la douche sur le plancher bois. Il préconise soit une reprise de l’étanchéité de la douche soit une reprise complète de la salle de bain.

3.2 Les prétentions au titre de ce désordre :

Vu l’article 1792 précité,

Mme [X] et Mme [X]-[H] font état de la survenance de quatre dégâts des eaux en septembre 2014, février 2016, avril 2018 et mars 2020. Elles soutiennent que la non-conformité de l’installation, constatée par l’expert et un technicien, a entrainé des désordres rendant l’immeuble impropre à sa destination et entrainera, avec certitude, des désordres futurs si aucune réparation n’est effectuée.

La société CRAMA soutient qu’aucun dommage de nature à rendre l’immeuble impropre à sa destination n’a été constaté par l’expert.

La nature décennale du désordre n’est pas contestée par M. [R] [O].

Il convient de rappeler que l’engagement de la responsabilité décennale suppose de caractériser en quoi les travaux réalisés étaient assimilables, par leur importance, à des travaux de construction d'un ouvrage.

Il en résulte que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage en son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-19.640, Bull. 2017, III, n° 713e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi n° 16-17.323, Bull. 2017, III, n° 100; 3e Civ., 26 octobre 2017, pourvoi n° 16-18.120, Bull. 2017, III, n° 119, 3e Civ., 7 mars 2019, pourvoi n° 18-11.741 BICC).

Seuls les éléments d’équipement destinés à fonctionner relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage en son ensemble impropre à sa destination :

Le devis de M. [O] (pièce n° 3 demandeurs) comprend une prestation de pose (sanitaire, lavabos, douche, receveur et paroi) et de raccordement plomberie (évacuation, tuyau, tube cuivre…) au sein de la seule salle de bain de la maison. La société CRAMA explique, sans que ce soit contesté, qu’une autre entreprise est intervenue pour réaliser la faïence et le carrelage à la salle de bain.

Il s’agit d’éléments dissociables, installés sur l’existant et destinés à fonctionner en ce qu’ils ne sont pas inertes.

Le défaut d’étanchéité du plancher de la douche qui subsiste lors des opérations d’expertise, et ce, après la survenance de plusieurs dégâts des eaux présente un degré de gravité certain rendant impossible l’utilisation de la douche sans risquer de créer des infiltrations sous plancher et d’endommager l’ensemble immeuble. Le désordre rend impossible l’utilisation de la seule douche de la maison. L’impropriété à destination est caractérisée.

S’agissant de la réception, ainsi qu’il a été mentionné au sujet de précédent désordre, il ressort des débats que les parties prennent acte de la survenance du désordre dans le délai décennal et ainsi de l’existence d’une réception nécessairement tacite qui est établi à la date de paiement de la facture le 31 mai 2013.

3.3 La responsabilité de M. [O] et la garantie de la société Groupama :

La nature décennale du désordre lié au défaut d’étanchéité de la douche est établie. M. [O] ne conteste pas que le désordre soit imputable à son intervention, sa responsabilité est engagée pour le défaut d’étanchéité de la douche.

La société CRAMA se contente de contester le caractère décennal du désordre. Celui-ci ayant été établi, sa garantie est mobilisable.

3.4 Le coût des réparations et l’obligation de paiement :

Les demandeurs versent un devis de la société Touffet pour une reprise de l’étanchéité et du carrelage de la salle de bain d’un montant de 8 096,22 € TTC et un devis de la société Enveo pour une reprise de la robinetterie et des évacuations pour un montant de 4 175,52 € TTC. L’expert a fait la même estimation.

M. [U] [O] et la société CRAMA sont condamnés in solidum à verser à Mme [X] et Mme [X]-[H] la somme de 12 271,74 € en réparation.

4. Sur les préjudices immatériels :

Il se déduit de la combinaison des articles 1792 du code civil et L. 241-1, L.243-8 et A. 243-1 du code des assurances que le constructeur est tenu d’indemniser le préjudice immatériel résultant d’un désordre décennal (cf 3e Civ., 15 janvier 2003, pourvoi n° 00-16.106, 00-16.453, Bull. 2003, III, n° 5), qu’un tel préjudice n’est en revanche pas garanti par le contrat d’assurance obligatoire et relève donc de l’assurance facultative (cf. 3e Civ., 5 juillet 2006, pourvoi n° 05-16.277, Bull. 2006, III, n° 167).


Le préjudice de jouissance :

Mme [X] et Mme [X]-[H] font état d’un préjudice de jouissance constitué de frais nécessaires à leur relogement à [Localité 8] durant 11 mois entre août 2018 et juin 2019. A ce titre, elles demandent le remboursement :
de 11 mois de loyer (1 170 €) soit 12 870 €, (contrat de bail en pièce n° 15) ;des honoraires de l’agence immobilière (827 €) ;des frais d’état des lieux d’entrée (110 €) ;de la taxe d’habitation de 711 € (avis d’impôt 2019 en pièce 16) ;des frais de déménagement de 5 990 € (devis Evras déménagement en pièce n° 17) ;des frais de location d’un garage de 674 € (facture C-Park en pièce 18) ;des frais d’assurance habitation pour 121 € (échéancier GMF en pièce 19) ;des frais d’électricité pour 714,12 € (facture direct energie en pièce 20) ;des frais de chauffage pour 1 542,67 € (facture de gaz en pièce n° 21) ;des frais de nettoyage de l’appartement à l’entrée et à la sortie pour 816 € (devis concept nettoyage en pièce n° 22) ;des frais de consommation d’eau pour 320,32 € (facture d’eau en pièce n° 23) ;des frais d’ameublement pour 4 249,99 € (factures, tickets de caisse en pièce n° 24).
M. [O] et la société CRAMA demandent la réduction du préjudice.

La nécessité pour Mme [X] et Mme [X]-[H] de se reloger n’est pas discutée. Le préjudice est fondé en son principe. En revanche, il y a lieu d’en réduire le montant. Le choix de s’installer à [Localité 8] à 40 km de [Localité 6] n’est pas expliqué de sorte que le lien de causalité direct entre le désordre et l’installation à [Localité 8] n’est pas établi. Les défendeurs justifient des loyers applicables pour un bien similaire situé à proximité de [Localité 6], en l’occurrence une maison avec 3 chambres à [Localité 7]. Il convient de retenir le montant de 680 € sur 11 mois au titre des loyers (7 480 €).

Les défendeurs soutiennent que les honoraires de l’agence immobilière (827 €), les frais d’état des lieux d’entrée (110 €) et la taxe d’habitation de 711 € (avis d’impôt 2019 en pièce 16) auraient été moins onéreux en cas de location d’une maison à proximité de [Localité 6]. Cependant, ils ne justifient nullement de leurs allégations.

Les frais relatifs à la consommation d’eau, d’électricité et de chauffage ne constituent des frais supplémentaires nécessaires. Ils auraient également été exposés dans la maison de [Localité 6].

En revanche, les frais de nettoyage et d’ameublement du logement de [Localité 8] ne présentent pas un degré de nécessité suffisant pour établir un lien de causalité direct avec le désordre. Ces postes de préjudice sont infondées.

Les frais de déménagement (5 990 €), de location de garage (674 €) et d’assurance habitation (121 €) ne sont pas discutés. Ils constituent des frais nécessaires au relogement composant le préjudice indemnisable.

M. [O] et la CRAMA sont condamnés in solidum à verser à Mme [X] et Mme [X]-[H] la somme de 15913€ en réparation de leur préjudice de jouissance.

Les frais de déplacement :

Ensuite, Mme [X] et Mme [X]-[H] font état de frais de déplacement soit des allers-retours [Localité 6]-[Localité 8] deux fois par semaine durant 11 mois. Elles estiment ce préjudice à 2 928 € (40cts/km sur 41.6km)

M. [O] et la société CRAMA soutiennent que le préjudice allégué n’est pas certain en l’absence de justificatifs des déplacements, qu’il n’a pas à indemniser leur choix de s’installer à 40 km.

Il est indéniable que ces frais ne sont pas justifiés par les pièces du dossier. La demande est rejetée.

L’inhabitabilité :

Elles soutiennent qu’elles ont subi un préjudice d’inhabitabilité d’un montant de 100 € par jour sur les 11 mois de relogement soit 33 000 €.

M. [O] et la société CRAMA sollicitent le débouté. Il soutient que la demande d’indemnisation fait doublon avec la demande de réparation du préjudice de jouissance.

Le montant allégué résulte d’une affirmation des demanderesses reposant sur un comparatif entre la maison de [Localité 6] et l’appartement à [Localité 8]. Il s’en déduit que les demanderesses font état d’une perte de surface, d’une perte de garage et de la proximité avec un commerce. Or, ces éléments sont inhérents au choix de se loger à [Localité 8]. Au demeurant, ils ne sont que partiellement démontrés puisque la présence d’un commerce au RDC n’est qu’affirmée. En outre, certains éléments comme la perte du garage a été indemnisée dans le cadre de la réparation du préjudice de jouissance.

La demande est rejetée.

Le préjudice moral :

Elles soutiennent qu’elles ont souffert des désordres et rappellent qu’elles ont été contraintes de changer d’habitation durant un an à [Localité 8].

M. [O] et la société CRAMA sollicitent le débouté. Ils soutiennent que le préjudice tel qu’allégué correspond à un choix des demanderesses et qu’il n’est pas démontré.

L’octroi de dommages-intérêts en réparation de ce préjudice n’est pas justifié. L’installation temporaire à [Localité 8] relève d’un choix des demanderesses. Elles ne peuvent solliciter la réparation d’une perte de qualité de vie, au demeurant discutable compte tenu de l’avantage pour Mme [X]-[H] de résider dans la même ville que la faculté où elle était inscrite. Elle font état de souffrance et de perte de confiance sans justifier des spécificités de ces éléments.

Mme [X] et Mme [X]-[H] sont déboutées de leur demande à ce titre.

Sur la demande en garantie

M. [O] sollicite la garantie de son assureur pour l’indemnisation des préjudices.

La CRAMA reprend les moyens développés par M. [O] pour contester les préjudices. S’agissant de sa garantie, elle se contente d’opposer l’application de la franchise ce qui laisse entendre une reconnaissance implicite de l’application de sa garantie.

La société CRAMA demande l’application d’une franchise sur la garantie de la condamnation de M. [O] à hauteur de 12 % des indemnités avec un maximum de 2 520 €. Compte tenu du tableau des franchises (pièce 1 c), il y a lieu de faire droit à cette demande qui n’est pas contestée.

Sur les frais d’instance :

M. [O] et la société Groupama, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens comprenant les frais d’expertise judiciaire ainsi qu’à une somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

CONDAMNE in solidum M. [O] et la société Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles de Bretagne-Pays de la Loire à verser à Mme [X] et Mme [X]-[H], les sommes suivantes en réparation de leur préjudice avec les intérêts à taux légal à compter du présent jugement :
- 3 926,76 € en réparation du désordre du poêle à bois ;
- 874,50 € en réparation du désordre de la chaudière ;
- 12 271,74 € en réparation du désordre de la salle de bain ;

CONDAMNE in solidum M. [O] et la société Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles de Bretagne-Pays de la Loire à verser à Mme [X] et Mme [X]-[H] la somme de 15 913 € en réparation de leur préjudice de jouissance ;

CONDAMNE la société Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles de Bretagne-Pays de la Loire à garantir M. [O] des condamnations prononcées ci-dessus ;

DIT que la société Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles de Bretagne-Pays de la Loire peut opposer à M. [O] la franchise contractuelle qui s’élève à 12% dans la limite de 2 520 € ;

CONDAMNE in solidum M. [O] et la société Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles de Bretagne-Pays de la Loire aux dépens comprenant notamment les dépens de l’instance en référé et les frais de l’expertise judiciaire ;

CONDAMNE in solidum M. [O] et la société Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles de Bretagne-Pays de la Loire à verser à Mme [X] et Mme [X]-[H] la somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes ;

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 1re chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/02594
Date de la décision : 15/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-15;21.02594 ?
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