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18/03/2024 | FRANCE | N°21/08141

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 18 mars 2024, 21/08141


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES


18 Mars 2024


2ème Chambre civile
60A

N° RG 21/08141 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JRLK


AFFAIRE :


S.A.R.L. TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN,


C/

S.A.R.L. TRANSPORTS LAHAYE,
MMA IARD S.A,


copie exécutoire délivrée
le :
à :





DEUXIEME CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE


PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-présidente

ASSESSEUR : Ju

lie BOUDIER, juge, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procé...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

18 Mars 2024

2ème Chambre civile
60A

N° RG 21/08141 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JRLK

AFFAIRE :

S.A.R.L. TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN,

C/

S.A.R.L. TRANSPORTS LAHAYE,
MMA IARD S.A,

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-présidente

ASSESSEUR : Julie BOUDIER, juge, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

GREFFIER : Anne-Lise MONNIER lors des débats et Fabienne LEFRANC lors de la mise à disposition, qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 05 Décembre 2023

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Julie BOUDIER, Juge
par sa mise à disposition au Greffe le 18 Mars 2024, après prorogation de la date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Madame Julie BOUDIER,

ENTRE :

DEMANDERESSE :

S.A.R.L. TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN, immatriculée au RCS de Rennes sous le numéro B529 138 141, représenté par son gérant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Virginie SIZARET, avocat au barreau de RENNES,

ET :

DEFENDERESSES :

S.A.R.L. TRANSPORTS LAHAYE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Maître François-xavier GOSSELIN de la SCP CABINET GOSSELIN, avocats au barreau de RENNES

MMA IARD S.A, immatriculée au RCS de LE MANS sous le n° 440 048 882, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Maître François-xavier GOSSELIN de la SCP CABINET GOSSELIN, avocats au barreau de RENNES

EXPOSE DU LITIGE

Le 14 décembre 2016, monsieur [T], salarié de la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN, a été victime d’un accident alors qu’il se trouvait dans les locaux de la société LAHAYE LOGISTIQUE. Monsieur [C], chef d’équipe au sein de ladite société, l’a heurté avec son véhicule alors qu’il manoeuvrait pour rejoindre un quai.

Un constat d’accident a été dressé, outre une déclaration de sinistre de la société LAHAYE LOGISTIQUE à son assureur, qui confirmait son entière responsabilité.

Monsieur [T] a été placé en arrêt de travail, arrêt qui s’est prolongé jusqu’en janvier 2019, date à laquelle le médecin du travail a envisagé une inaptitude. L’avis d’inaptitude a été rendu le 17 janvier suivant, dispensant l’employeur d’une obligation de reclassement au motif que “l’état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi”.

Jusqu’au 10 janvier 2019, la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN a maintenu le salaire de monsieur [T].

Par lettre du 8 février 2019, la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN a procédé au licenciement de son salarié, pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Elle a versé à monsieur [T] la somme de 8 905,80 € à titre d’indemnité spéciale de licenciement.

Par courrier recommandé en date du 8 avril 2021, la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN a sollicité de la société LAHAYE LOGISTIQUE qu’elle lui règle, en tant que responsable du préjudice subi, la somme de 10 111,35 €. Cette requête n’a pas été suivie d’effet.

***

C'est dans ces conditions que la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN a assigné la société LAHAYE LOGISTIQUE et son assureur MMA IARD devant le tribunal judiciaire par acte du 13 décembre 2021.

***

Dans ses dernières conclusions, signifiées le 15 mars 2023 par voie électronique, la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN demande au tribunal de :

CONDAMNER solidairement la société LAHAYE LOGISTIQUE et son assureur MMA IARD à payer à la société TRANSPORTS S. DAUGAN la somme de 10 111,35 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2021,

DECERNER ACTE à la société LAHAYE LOGISTIQUE et son assureur MMA IARD de ce qu'elIes n'ont pas de moyen opposant au règlement des sommes dues au titre des charges patronales et des frais de santé,

JUGER que les sommes mises à la charge de la société LAHAYE LOGISTIQUE et son assureur MMA IARD produiront intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2021 ;

CONDAMNER solidairement la société LAHAYE LOGISTIQUE et son assureur MMA IARD à payer à la société TRANSPORTS S. DAUGAN la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER solidairement la société LAHAYE LOGISTIQUE et son assureur MMA IARD aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par Maître Virginie SIZARET, Avocat.

La demanderesse sollicite le remboursement des charges patronales versées du 15 décembre 2016 au 8 février 2019, soit 1205,55 €, outre le remboursement de l’indemnité spéciale de licenciement de 8 905,80 € qu’elle a versée à son salarié.

A l'appui de ses demandes, elle fait valoir que la loi du 5 juillet 1985 liste les prestations qui ouvrent un droit à recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur, parmi lesquelles figurent les salaires et accessoires du salaire. Il est également prévu par la même loi que les charges patronales puissent être recouvrées en cas de maintien de salaire. En outre, elle rappelle que la loi du 5 juillet 1985 prévoit que le préjudice du tiers est réparé en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l’indemnisation des dommages causés à la victime directe d’un accident de la circulation.

Enfin, la demanderesse rappelle les termes de l’article 1240 du code civil, obligeant celui qui cause un dommage à autrui à le réparer.

Elle déduit des textes pré-cités qu’elle peut solliciter le remboursement du coût du maintien du salaire de son employé, soit les charges patronales versées sur cette période. Elle tire également de ces textes sa possibilité, en tant que tiers victime d’un préjudice personnel lié aux dommages causés à son salarié, d’être indemnisée.

En l’espèce, elle sollicite la somme de 1205,55 €, correspondant au coût du maintien des salaires et accessoires et aux charges patronales versées pendant la durée de l’arrêt de travail de monsieur [T], soit du 15 décembre 2016 au 8 février 2019. Elle produit pour justifier de cette somme, l’attestation établie par son expert comptable.

Elle décerne acte à la défenderesse de l’absence de moyens opposants.

S’agissant du remboursement de l’indemnité spéciale de licenciement, elle fait valoir qu’elle n’agit pas en qualité de tiers payeur mais en réparation de son préjudice personnel, de victime par ricochet. Elle rappelle que l’article 6 de la loi de 1985 l’autorise à agir en réparation de son propre préjudice et que la Cour de cassation le rappelle régulièrement. A partir du moment où elle démontre un préjudice personnel et un lien de causalité entre ledit préjudice et l’accident, elle s’estime fondée à obtenir réparation, soit le remboursement de l’indemnité spéciale de licenciement versée.

Répondant aux moyens en défense, elle indique que la jurisprudence fournie par la société LAHAYE LOGISTIQUE concerne des cas dans lesquels les employeurs des victimes étaient tenus de proposer un reclassement, lequel avait été refusé par les salariés accidentés. La Cour de cassation avait alors considéré que le préjudice lié au versement d’indemnités de licenciement n’était pas directement lié à l’accident mais au refus de reclassement opposé par le salarié. La demanderesse rappelle qu’en l’espèce, le licenciement (et le versement d’indemnité de licenciement) n’est aucunement lié à un refus de reclassement. En l’espèce, la société TRANSPORT STEPHANE DAUGAN n’était pas tenue au reclassement, suivant décision du médecin du travail. Dans ces conditions, il y a nécessairement un lien de causalité entre l’accident et le préjudice revendiqué par elle puisque le versement de l’indemnité résulte non pas du refus de reclassement mais de l’inaptitude au poste, directement liée à l’accident.

Aux termes de ses dernières conclusions, signifiées le 20 mars 2023 par la voie électronique, la société LAHAYE LOGISTIQUE et son assureur MMA IARD demandent au tribunal de :

Donner acte aux concluantes de ce qu’elles n’ont pas de moyen opposant au règlement des sommes dues au titre des charges patronales et des frais de santé.

Débouter la société TRANSPORTS DAUGAN de ses plus amples demandes, fins et conclusions et notamment de sa demande au titre de l’indemnité de licenciement.

La débouter de sa demande formulée au titre de l”article 700 du code de procédure civile.

Dépens comme de droit.

En défense, elle indique ne pas s’opposer au remboursement des sommes versées au titre des charges patronales, en application de l’article 29.4 et de l’article 32 de la loi du 5 juillet 1985.

En revanche, elle s’oppose au remboursement de l’indemnité spéciale de licenciement,citant deux arrêts de la Cour de cassation, en date des 7 avril 2011 et 8 février 2018, qui rappellent que l’indemnité de licenciement est la contrepartie du droit de résilisation unilatérale dont dispose l’employeur et que l’indemnité de licenciement versée en contrepartie du licenciement décidé après usage par le salarié de la sa liberté de choix de refuser les postes de reclassement qui lui étaient proposés, a alors pour cause exclusive la rupture du contrat et non l’accident.
Transposant la jurisprudence de la Cour de cassation au cas d’espèce, la défenderesse conteste tout lien de causalité entre le préjudice de la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN (soit le versement de l’indemnité de licenciement) et l’accident.

Répondant à la demanderesse, elle ajoute que ladite jurisprudence a été confirmée par un arrêt du 4 juillet 2019. La défenderesse en déduit que l’employeur qui a procédé au licenciement et réglé une indemnité ne peut prétendre à l’existence d’un lien de causalité direct et certain alors qu’il n’a fait qu’exécuter ses obligations, peu important dans ces conditions, le contexte dans lequel le licenciement intervient. Selon elle, les conditions dans lesquelles le licenciement intervient (reclassement refusé ou non) sont indifférentes en ce que l’indemnité de licenciement est la contrepartie du droit de résiliation unilatérale dont dispose l’employeur.

Contestant à la demanderesse sa qualité de victime par ricochet, elle affirme alors que la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN ne dispose d’aucun recours du fait d’avoir versé une indemnité de licenciement qui n’est pas en relation causale avec l’accident. Peu importe finalement que le licenciement relève du refus de reclassement du salarié ou de l’impossibilité de l’employeur de prononcer un reclassement. Assurant que le licenciement de monsieur [T] a été prononcé suite à l’incapacité de son employeur à lui proposer un poste de reclassement, la défenderesse assure que la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN n’est pas fondée dans son action, ne pouvant exercer aucun recours sur le fondement de l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 dite Badinter.

***

Le juge de la mise en état a ordonné la clôture des débats par décision du 12 octobre 2023

L’affaire a été renvoyée à l’audience de plaidoiries du 5 décembre 2023, date à laquelle elle a été mise en délibéré au 20 février 2024, puis prorogée au 18 mars 2024, date du présent jugement.

***

MOTIFS

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que monsieur [T], salarié de la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN a été victime d’un accident de la circulation alors qu’il se trouvait dans l’exercice de ses fonctions. La société LAYAHE LOGISTIQUE, employeur du conducteur du véhicule ayant renversé la victime, ne conteste pas sa responsabilité.

Après avoir procédé au licenciement de monsieur [T], la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN a saisi le tribunal pour se voir indemnisée, en sa qualité de tiers payeur, du coût du maintien du salaire de la victime jusqu’à sa déclaration d’inaptitude par la médecine du travail. Elle demande aussi l’indemnisation d’un préjudice personnel, lié au versement d’une indemnité spéciale de licenciement.

I- Sur le recours de la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN prise en sa qualité de tiers payeur

L’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 liste les prestations (versées à la victime en réparation de son dommage) qui ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur. Au numéro 4 de cette liste, figurent “les salaires et accessoires du salaire maintenus par l’employeur pendant la période d’inactivité consécutive à l’événement qui a occasionné le dommage”. L’article 32 de la même loi poursuit: “les employeurs sont admis à poursuivre directement contre le responsable des dommages ou son assureur le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées à la victime pendant la période d’indisponibilité de celle-ci”.

En l’espèce, la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN justifie du coût du maintien du salaire de monsieur [T] jusqu’au 10 janvier 2019, pour un montant total de 1205,55 €.

La défenderesse ne conteste ni le fondement de la prétention, ni la somme.

Il y a lieu de considérer que la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN, en sa qualité de tiers payeur, a subi un préjudice à hauteur de 1205,55€. Elle dispose alors d’un recours à l’encontre du tiers responsable de l’accident.

En conséquence, il y a lieu de condamner la société LAYAHE LOGISTIQUE à indemniser la demanderesse à hauteur de 1205,55 €.

II- Sur le préjudice personnel revendiqué par la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN

L’article 6 de la loi Badinter dispose que : “le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d’un accident de la circulation est réparé en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l’indemnisation de ces dommages”.

L’article 1240 du code civil dispose que “tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

Il résulte de la combinaison de ces articles que la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN, si elle démontre un préjudice propre, est fondée à en demander réparation dans la limite de l’indemnisation des dommages causés à la victime directe de l’accident, soit monsieur [T].

La société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN s’estime fondée à demander le remboursement de l’indemnité spéciale de licenciement qu’elle a versée à la victime, soit une somme de 8 905,80€, expliquant qu’elle s’est trouvée contrainte de verser cette somme en raison exclusivement de l’accident survenu le 14 décembre 2016, qui a entraîné l’inaptitude de son salarié, et dont la société LAHAYE LOGISTIQUE est entièrement responsable.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 7 avril 2011 produit par la défenderesse rappelle que “l’article 6 de la loi du 5 juillet 1985 autorise un tiers à demander la réparation du préjudice qu’il a subi du fait des dommages causés à la victime directe d’un accident de la circulation. (...) Toutefois, pour obtenir la réparation de son préjudice par ricochet, le tiers doit établir l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice qu’il allègue et l’accident”.

Dans ces conditions, il y a lieu d’apprécier l’existence d’un préjudice par ricochet et d’un lien de causalité avec l’accident.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN a dû procéder au licenciement de monsieur [T] du fait de son inaptitude et qu’elle lui a versé la somme de 8 905,80 € au titre d’une indemnité spéciale de licenciement. Le “préjudice” de victime par ricochet est donc constitué par le versement de l’indemnité spéciale de licenciement.

La société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN revendique un lien de causalité direct entre son préjudice personnel et l’accident, là où la société LAHAYE LOGISTIQUE estime que la cause exclusive du préjudice personnel de la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN est la rupture du contrat et non l’accident en lui-même.

Sur le point de savoir s’il existe un lien de causalité direct entre le préjudice personnel de la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN et l’accident, il y a lieu de regarder les conditions dans lesquelles le licenciement a été ordonné. En effet, la question des conditions de licenciement est déterminante et la Cour de cassation ne dit pas autre chose, y compris dans son arrêt du 4 juillet 2019, produit par la défenderesse.

En effet, s’il est exact que la Cour rappelle que “l’indemnité de licenciement est la contrepartie du droit de résilisation unilatérale dont dispose l’employeur”, elle ajoute “après avoir apprécié les reclassements qu’il était suspceptible de proposer”. Il en résulte qu’il est nécessaire de regarder les conditions dans lesquelles l’employeur a dû procéder au licenciement de son salarié et notamment s’il était tenu de proposer un reclassement.

Au surplus, la Cour de cassation rappelle dans cet arrêt qu’il appartient aux juges du fond de décider s’il est justifié d’un lien de causalité direct entre l’obligation de payer l’indemnité de licenciement et l’accident.

Dans le cas d’espèce, il y a lieu de rappeler l’article 1226-2-1 du code du travail, qui dispose que “lorsqu’il est impossible à l’employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement. L’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article 1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi”.

En l’espèce, il résulte de l’avis d’inaptitude fourni par la demanderesse que le médecin du travail a précisé que “l’état de santé du salarié [faisait]obstacle à tout reclassement dans un emploi”.

Il en résulte que le licenciement ne résulte pas de l’exercice par l’employeur d’un droit de résiliation unilatérale du contrat de travail mais bien d’un élément extérieur, à savoir l’inaptitude du salarié, elle-même résultant directement de l’accident dont la société LAHAYE LOGISTIQUE est entièrement responsable. S’il est exact, à lire les arrêts produits par la défense, que dans les cas évoqués, les conditions du licenciement étaient indifférentes, cette jurisprudence n’est pas transposable au cas d’espèce, du fait que l’employeur n’était pas tenu de proposer un reclassement puisque tout reclassement dans un emploi était impossible. Il y a lieu de considérer que le “droit” de résiliation unilatérale du contrat par l’employeur est devenu, en l’espèce, un “devoir” de résiliation unilatérale, puisque le salarié a été déclaré inapte à tout type d’emploi. L’employeur s’est alors vu dispensé de proposer un reclassement puisque monsieur [T] est devenu inapte à exercer tout type de poste. Or, cette inaptitude est directement liée à l’accident.

Dans la mesure où aucune alternative n’était envisageable en l’espèce, il ne peut être considéré que les circonstances du licenciement sont indifférentes. Au contraire, puisque le licenciement était inévitable, sans que l’employeur n’ait à “apprécier les reclassements qu’il était susceptible de proposer”, le lien est directement établi entre l’accident et le préjudice de l’employeur, qui a été tenu de licencier son salarié devenu inapte du fait de la société LAHAYE LOGISTIQUE.

La cause du versement de l’indemnité est l’inaptitude résultant directement de l’accident et non le choix fait par l’employeur d’exercer son droit de résiliation unilatérale. L’employeur ne s’est pas, en l’espèce, contenté d’exécuter ses obligations : il a été contraint, sans aucune autre possibilité, de procéder au licenciement de son salarié devenu inapte à tout emploi.

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’il existe un lien direct entre le préjudice de la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN (soit le versement d’une indemnité spéciale de licenciement), et l’accident ayant conduit à l’inaptitude de monsieur [T]. Par conséquent, le préjudice est indemnisable par la personne tenue pour responsable de l’accident.

La société LAHAYE LOGISTIQUE sera alors condamnée à indemniser la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN de ce chef et à lui verser la somme de 8 905,80 €.

III- Sur les demandes annexes

La demanderesse sollicite que les intérêts soient comptabilisés à compter de la date de sa réclamation, soit le 8 avril 2021

L’article 1231-7 du code civil dispose que “En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement, à moins que le juge n’en décide autrement.”

En l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la société TRANSPORTS S. DAUGAN tendant à faire “remonter” les intérêts à la date de l’assignation. Ces derniers seront comptabilisés à compter du présent jugement.

La demanderesse sollicite la condamnation de la société LAHAYE LOGISTIQUE aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître SIZARET, avocat.

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, “la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie”.

L’article 699 du code de procédure civile dispose que “ les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont il ont fait l’avance sans avoir reçu de provision”.

En l’espèce, la société LAHAYE LOGISTIQUE, succombant à l’instance, sera condamnée aux dépens, dont distraction au profit de Maître SIZARET.

La demanderesse sollicite enfin une somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L’article 700 du code de procédure civile dispose“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l'État”.

En l’espèce, il y a lieu de faire droit à la demande formulée par la société TRANSPORTS DAUGAN.

Enfin, l’article 514 du Code de procédure civile prévoit que “les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement”

En l’espèce, il n’y a pas lieu à écarter ces dispositions.

PAR CES MOTIFS

CONDAMNE la société LAHAYE LOGISTIQUE, solidairement avec son assureur MMA IARD, à verser à la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN la somme de 10 111, 35 €, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

CONDAMNE la société LAHAYE LOGISTIQUE aux entiers dépens ;

CONDAMNE la société LAHAYE LOGISTIQUE à verser à la société TRANSPORTS STEPHANE DAUGAN la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l’exécution provisoire.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/08141
Date de la décision : 18/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-18;21.08141 ?
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