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11/03/2024 | FRANCE | N°23/08323

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 1re chambre civile, 11 mars 2024, 23/08323


Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 9] - tél : [XXXXXXXX01]




11 Mars 2024


1re chambre civile
50A

N° RG 23/08323 - N° Portalis DBYC-W-B7H-KVET





AFFAIRE :


[Y] [V]


C/

Société SCCV LUCAS
CRCAM D ILLE-ET-VILAINE CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’ILLE ET VILAINE,





copie exécutoire délivrée

le :

à :




PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉr>


PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente

ASSESSEUR : Philippe BOYMOND, vice-président

ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, juge


GREFFIER : Karen RICHARD lors des débats et Karen RICHARD lors d...

Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 9] - tél : [XXXXXXXX01]

11 Mars 2024

1re chambre civile
50A

N° RG 23/08323 - N° Portalis DBYC-W-B7H-KVET

AFFAIRE :

[Y] [V]

C/

Société SCCV LUCAS
CRCAM D ILLE-ET-VILAINE CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’ILLE ET VILAINE,

copie exécutoire délivrée

le :

à :

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente

ASSESSEUR : Philippe BOYMOND, vice-président

ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, juge

GREFFIER : Karen RICHARD lors des débats et Karen RICHARD lors du prononcé du jugement, qui a signé la présente décision.

DÉBATS

A l’audience publique du 18 Décembre 2023
Madame Dominique FERALI assistant en qualité de juge rapporteur sans opposition des avocats et des parties

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Dominique FERALI ,
par sa mise à disposition au greffe le 11 Mars 2024,
date indiquée à l’issue des débats.

Jugement rédigé par Madame Dominique FERALI.

-2-

ENTRE :

DEMANDERESSE :

Madame [Y] [V]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Maud AVRIL-LOGETTE, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant

ET :

DEFENDERESSES :

Société SCCV LUCAS
[Adresse 4]
[Localité 8]

représentée par Maître Yohan VIAUD de la SELARL PARTHEMA AVOCATS, avocats au barreau de NANTES, avocats plaidant

Société CRCAM D ILLE-ET-VILAINE CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’ILLE ET VILAINE,
[Adresse 7]
[Localité 5]

représentée par Maître Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant

*****
**

1 EXPOSE DU LITIGE :

Selon acte reçu par Maître [P] le 17 décembre 2021, Mme [W] [V] a acquis de la SCCV Lucas un appartement de type 3 (lot 47) et un parking (lot14) en l'état de futur achèvement, au sein d'un ensemble immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 10] au prix de 195 000 euros.

Il était indiqué à l'acte de vente que l'immeuble était au stade « hors d'eau et hors d'air » et la livraison prévue au cours du 1er trimestre 2022. En cas de résolution de la vente, il était stipulé une indemnité égale à 10% du prix.

Le financement a été assuré par des prêts consentis par la caisse régionale du Crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine (le Crédit agricole) d'un montant de 297 340 euros, dont une partie a été affectée au remboursement anticipé d'une précédente acquisition, les prêts suivants ayant été affectés à la vente litigieuse :
- PTH n°10001472853 d'un montant de 92 286,43 euros
- prêt FACILIMMO n°10001472854 d'un montant de 17 993,26 euros

Le 3 février 2022, Mme [V] a reçu un appel de fonds d'un montant de 29 250 euros correspondant à un état d'achèvement de 85% (achèvement des cloisons), mais faute de livraison de l'appartement au cours du 1er trimestre 2022, elle a été contrainte de trouver une solution d'hébergement et de souscrire un nouveau bail pour un loyer mensuel d'un montant de 680 euros. Elle est depuis en location dans un T3 pour un loyer mensuel de 690 euros.

Sans nouvelle de la date d’emménagement, Mme [V] a mis en demeure la SCCV Lucas par courriers recommandés des 23 mai 2022, 25 octobre 2022 et 9 décembre 2022, en vain. Parallèlement, Mme [V] a été informée par des copropriétaires de l'existence de désordres structurels qui aurait conduit à l'arrêt du chantier et à l'étayage de la dalle du rez-de-chaussée. Ces désordres ont amené l'UFC que Choisir et plusieurs copropriétaires à faire assigner en référé expertise le 23 janvier 2023, la SCCV Lucas, les intervenants à la construction et les assureurs. Par ordonnance du 15 septembre 2023, M [Z] a été désigné.

C'est dans ces circonstances que par requête reçue le 18 octobre 2023, Mme [V] a saisi le président du tribunal judiciaire de Rennes aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe la SCCV Lucas et le Crédit agricole au visa de l'article 840 du code de procédure civile. Par ordonnance du 18 octobre 2023 il a été fait droit à sa demande pour l'audience du 18 décembre 2023.

Par acte du 30 octobre 2023, Mme [V] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Rennes la SCCV Lucas et le Crédit agricole aux fins de résolution de la vente et d'indemnisation de ses préjudices, demandant également d'ordonner la caducité des contrats de prêt.

Dans ses dernières conclusions (n°2) notifiées par RPVA le 15 décembre 2023, Mme [V] demande au tribunal de :

A TITRE PRINCIPAL

- ORDONNER la résolution de la vente immobilière reçue le 17 décembre 2021 par Maître [P], et publiée à la conservation des hypothèques le 30 décembre 2021, Volume 2021P, 10612, police
- ORDONNER la publication du jugement à la conservation des hypothèques,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la restitution du prix de vente soit 195.000 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date de délivrance de l’assignation,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à verser à Madame [V] la somme de 4.135,22 euros correspondant à la restitution des frais consécutifs à ladite vente immobilière,

- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge à la prise en charge de la plus-value liée au revêtement de sol stratifié soit 2030,94 euros TTC
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge de la somme de 19.500 euros au titre de la clause pénale,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge du loyer de Madame [V] soit 680 euros par mois à compter du mois d’avril 2022 jusqu’à parfaite exécution du jugement,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge des frais engendrés par la commande d’une cuisine sur mesure par bon de commande du 3 novembre 2021 à hauteur de 3.100 euros,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge d’une indemnité de 3.500 euros au titre du préjudice moral subi,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge des intérêts des prêts souscrits par Madame [V] jusqu’à parfaite exécution du jugement, soit à ce jour 3.987,87 euros,
- ORDONNER la caducité des contrats de prêts ci-dessus souscrits auprès de la caisse du crédit agricole d’ille et vilaine :
• Prêt tout habitat FACILIMMO N°10001472852 d’un montant de 102.472,42 euros TTC,
• Prêt lisseur n°10001472855 d’un montant de 132.973,19 euros TTC,
- CONDAMNER la Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Ille et Vilaine à rembourser àMadame [V] l’intégralité des sommes versées en ce compris l’intégralité des frais facturés qui viendront en soustraction du capital emprunté à rembourser,
- CONDAMNER, à défaut, la SCCV LUCAS à la prise en charge de tous les frais liés à la souscription des prêts soit 6.173,40 euros et assurances emprunteurs soit 1.463,57 euros,
- DIRE que Madame [V] devra rembourser le capital prêté à réception des fonds du vendeur,

A TITRE SUBSIDIAIRE

Vu les articles 1112-1 du Code Civil et 1137 du Code Civil,

- ORDONNER l’annulation de la vente immobilière reçue le 17 décembre 2021 par Maître [P], portant sur le bien suivant :
- ORDONNER la publication du jugement à la conservation des hypothèques,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la restitution du prix de vente soit 195.000 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date de délivrance de l’assignation,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à verser à Madame [V] la somme de 4.135,22 euros correspondant à la restitution des frais consécutifs à ladite vente immobilière,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge à la prise en charge de la plus-value liée au revêtement de sol stratifié soit 2030,94 euros TTC
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge de la somme de 19.500 euros au titre de la clause pénale,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge du loyer de Madame [V] soit 680 euros par mois à compter du mois d’avril 2022 jusqu’à parfaite exécution du jugement,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge des intérêts des prêts souscrits par Madame [V] jusqu’à parfaite exécution du jugement, soit à ce jour 3.987,87 euros.
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge des frais engendrés par la commande d’une cuisine sur mesure par bon de commande du 3 novembre 2021 à hauteur de 3.100 euros,
- CONDAMNER la SCCV LUCAS à la prise en charge d’une indemnité de 3.500 euros au titre du préjudice moral subi,
- ORDONNER la nullité des contrats de prêts ci-dessus souscrits auprès de la caisse du crédit agricole d’ille et vilaine :
• Prêt tout habitat FACILIMMO N°10001472852 d’un montant de 102.472,42 euros TTC,
• Prêt lisseur n°10001472855 d’un montant de 132.973,19 euros TTC,
- CONDAMNER la Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Ille et Vilaine à rembourser à Madame [V] l’intégralité des sommes versées en ce compris l’intégralitédes frais facturés qui viendront en soustraction du capital emprunté à rembourser,
- CONDAMNER, à défaut, la SCCV LUCAS à la prise en charge de tous les frais liés à la souscription des prêts soit 6.173,40 euros et assurances emprunteurs soit 1.463,57 euros,
- DIRE que Madame [V] devra rembourser le capital prêté à réception des fonds du vendeur.

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

- DEBOUTER la SCCV LUCAS et la CRCAM de toutes ses demandes fins et conclusions plus amples et contraires à l’encontre de Madame [V],
- CONDAMNER la ou les parties succombantes à une indemnité de 4.000 euros au titre de l’article 700 CPC, outre les entiers dépens de l’instance, qui seront recouvrés par Me Maud AVRIL-LOGETTE, conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC,
- DIRE n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir

Mme [V] soutient à l'appui de sa demande de résolution de la vente que la clause de suspension légitime des travaux insérée à l'acte de vente et opposée par le constructeur crée à son égard un déséquilibre significatif en ce que les travaux ne sont pas suspendus mais arrêtés, la SCCV Lucas étant dans l'incapacité de communiquer un délai de livraison. Elle estime dès lors que le retard est d'une gravité suffisante pour demander la résolution de la vente.

A titre subsidiaire, elle fonde sa demande d'annulation de la vente sur le dol, en affirmant que le jour de la signature de l'acte authentique, la SCCV Lucas était informée des difficultés du chantier et qu'elle s'est abstenue de l'en informer. Elle soutient par ailleurs que cette demande subsidiaire est recevable en soutenant qu'il n'est pas expressément spécifié que les dispositions relatives aux demandes incidentes, communes à toutes les juridictions, ne s'appliquent pas à la procédure à jour fixe.

Elle expose que la résolution de la vente, étant imputable au vendeur, elle est bien fondée à prétendre au montant de la clause pénale et à l'indemnisation de ses préjudices constitués des frais de logement engagés depuis avril 2022, le montant des intérêts du prêt immobilier, le coût de l'acompte versé le 3 novembre 2021 pour la réalisation d'une cuisine sur mesure.

Enfin, elle demande que les prêts immobiliers destinés à l'acquisition soient déclarés caducs et que leur remboursement soit subordonné à la restitution du prix de vente par le vendeur.

*****
**
La SCCV Lucas a notifié ses dernières conclusions (n°3) par RPVA le 16 décembre 2023 en demandant au tribunal de :

- DEBOUTER Madame [V] de sa demande de résolution judiciaire du contrat de vente comme mal fondée,

En tout état de cause,
débouter Madame [V] de sa demande d’application à son profit de la clause pénale de 10 % du prix de vente stipulée au contrat, sauf, à défaut, à rejeter alors l’ensemble de ses autres prétentions indemnitaires.

En toute hypothèse,
- débouter Madame [V] de ses demandes au titre de la prise en charge de ses loyers, des intérêts qu’elle a acquittés, des frais bancaires qu’elle a réglés et de son préjudice moral.
- Débouter la Banque CREDIT AGRICOLE de ses demandes dirigées contre la SCCV LUCAS sauf, en cas de résolution des contrats de crédit faisant suite à la résolution de la vente, à limiter l’indemnisation de ses préjudices à la somme de 5 845,20 €.
- CONDAMNER Madame [V] à régler à la SCCV LUCAS la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
- CONDAMNER Madame [V] aux entiers dépens.

La SCCV Lucas réplique que le contrat de VEFA prévoit une clause de suspension du délai de livraison, notamment en raison de la défaillance d'une entreprise, en le reportant d'un temps égal au double de celui pendant lequel l’événement a bloqué le chantier. Elle expose que le retard a pour cause la défaillance de la société TMB, qu'elle a été contrainte de résilier le marché, de faire reprendre certaines malfaçons, de déclarer le sinistre à son assureur dommages-ouvrage et de rechercher une nouvelle entreprise qu'elle n'a toujours pas trouvée.

Elle ajoute qu'à ce jour la défaillance de cette entreprise constitue encore un obstacle à la reprise des travaux et qu'elle est toujours dans le délai imparti pour livrer.

Elle affirme par ailleurs que Mme [V] a été régulièrement informée des difficultés qu'elle rencontrait et qu'en l'état seuls les travaux de reprise des balcons font obstacle à la livraison et ajoute qu'étant en cours de chiffrage et pourraient être terminés en février 2024.

S'agissant de la demande fondée sur le dol, elle soutient qu'au visa de l'article 840 du code de procédure civile, Mme [V] ne peut faire évoluer sa demande d’annulation et y ajoutant une demande de nullité de la vente, qui ne figurait dans son assignation.

Elle réplique cependant que lors de la signature de l'acte de vente par Mme [V], elle avait fait intervenir la Socotec pour lever des doutes sur la réalisation des ferraillages et que ce n'est qu'à la lecture du rapport de la société IBC en mai 2022 qu'elle n'a pris la mesure de l'ampleur des désordres.

S'agissant des demandes indemnitaires, la SCCV Lucas réplique que Mme [V] ne peut prétendre cumulativement au versement de la clause pénale et à l'indemnisation des préjudices qu'elle allègue, conformément à ce que prévoit l'acte de vente.

Dans l'hypothèse où le tribunal écarterait l'application de la clause pénale, la SCCV Lucas s'oppose au versement des intérêts puisque la caducité des prêts entraînera le remboursement des intérêts et des frais bancaires. Elle s'oppose également au remboursement des loyers qui constituent des frais que Mme [V] aurait été obligée d'engager pour se loger. Enfin elle réplique que le préjudice moral n'est pas établi et à tout le moins doit être rapporté à un montant plus raisonnable.

*****
**
Le Crédit agricole a notifié ses dernières conclusions par RPVA le 11 décembre 2023 en demandant au tribunal de :

- CONSTATER que la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'ILLE ET VILAINE s'en remet à justice sur la demande de résolution du contrat principal,

A titre subsidiaire, si la résolution du contrat principal et la caducité des contrats de prêt est ordonnée :
- CONDAMNER Madame [V] à rembourser à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'ILLE ET VILAINE sous la garantie de toute autre partie responsable, le capital prêté soit 194 840€, outre les intérêts à taux légal à compter du jugement à intervenir,
- ORDONNER la compensation entre les sommes qui seraient dues par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'ILLE ET VILAINE au titre des intérêts perçus à restituer, et celles dues par Madame [V]
- CONDAMNER, la SCCV LUCAS ou toute autre partie responsable, à indemniser la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'ILLE ET VILAINE de son préjudice constitué par la perte des intérêts escomptés fixé à la somme totale de 32 116,50€ outre les frais de dossier
- REJETER l’ensemble des demandes, fins et conclusions présentées par Madame [V] et la SCCV LUCAS.

En tout état de cause :
- CONDAMNER tout succombant à payer la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'ILLE ET VILAINE la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- CONDAMNER tout succombant aux entiers dépens.

Elle soutient qu'outre le remboursement en capital des sommes débloquées et non remboursées, elle est bien fondée à être indemnisée par la SCCV Lucas de la perte des intérêts conventionnels, lesquels s'élèvent à la somme de 32 116,50 euros.

Elle précise en revanche qu'elle ne peut être condamnée à verser les frais d'un montant de 6 173,40 euros (garantie CAMCA, frais de dossier, frais de courtier), n'étant qu'un intermédiaire entre l'organisme de garantie et Mme [V], et étant étrangère aux relations contractuelles entre le courtier, l'assureur et l'emprunteuse.

MOTIFS

1 – LA RESOLUTION DE LA VENTE

Selon les stipulations contractuelles (P20 et 21 de l'acte de vente), le vendeur s'obligeait à effectuer les travaux afin de livrer l'ouvrage au 1er trimestre 2022, sauf survenance d'un cas de force majeure ou de suspension des délais de livraison au nombre desquels «le retard provenant de la défaillance d'une entreprise, les retards entraînés par la recherche et la désignation d'une nouvelle entreprise se substituant à l'entreprise défaillante, la résiliation d'un marché de travaux dû à la faute d'une entreprise ».

Dans cette hypothèse, « l'époque prévue pour la livraison serait différée pour tenir compte de la perturbation apportée au déroulement du chantier, d'un temps égal au double de celui pendant lequel l’événement considéré aurait mis obstacle à la poursuite des travaux ».

La SCCV Lucas ne conteste pas le retard dans la livraison de l'immeuble qu'elle justifie par la défaillance de la société TMB titulaire du gros œuvre, dont le marché a été résilié avec effet au 2 mai 2022, en raison des désordres affectant ses travaux, à savoir, selon la déclaration de sinistre effectuée auprès de la SMABTP le 22 avril 2022 :
infiltrations dans le sous-sol qui n'est pas livrable en l'état,
fissuration très inquiétante de la dalle supérieur au niveau de la liaison entre l’immeuble collectif et les maisons,
fissure évolutive au niveau du 4è étage de l'immeuble collectif,
fissure évolutive au niveau des maisons,
défaut de solidité des balcons.

Il n'est pas contesté que le chantier est toujours à l'arrêt et que la SCCV Lucas n'est toujours pas en mesure de communiquer le nom de l'entreprise qui a accepté de reprendre les travaux, nonobstant la note adressée aux parties le 16 décembre 2023 à la suite de la réunion du 8 décembre 2023 dans le cadre de l’expertise judiciaire, aux termes de laquelle l'expert M [Z] indique au sujet des balcons « les trois derniers feront l'objet d'un renforcement avec poutre métal en sous-face. Ces travaux sont en cours de chiffrage et pourraient se terminer en février 2024».

La clause litigieuse n'a pas pour effet de créer, au détriment des acquéreurs non-professionnels, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et, partant, n'est pas abusive (3è civ 24 octobre 2012, n° 11-17.800 – 3è civ 23 mai 2019 18-14.212). Ce principe a été rappelé même en cas de dépassement important des délais (3è civ 12 juin 2013 n°12-19.285).

Mais il revient au tribunal de vérifier non seulement que la cause de retard invoquée par le vendeur est bien visée par la clause de majoration des délais, et constitue donc une cause conventionnelle de retard, mais également qu'elle est effectivement à l'origine du retard constaté (3è civ 11 mars 2015, n°14-15.425). En d'autres termes, le retard est légitime s'il est visé dans la clause de majoration conventionnelle mais également si le vendeur ne pouvait l'éviter ou le réduire par des diligences raisonnables. La gravité du manquement à l'obligation de délivrance dans le délai convenu n'étant pris en compte qu'en l'absence de la force majeure ou d'une cause contractuelle de suspension des délais, ou si le retard est imputable au vendeur (3e Civ., 23 mars 2017, n° 15-26.404).

Or il résulte des pièces versées que ce sontbien les graves malfaçons affectant les travaux de gros œuvre qui ont contraint le constructeur à résilier le marché avec la société TMB, à régulariser une déclaration de sinistre auprès de la SMABTP et à attendre les conclusions de l'expertise amiable DO, puis à faire réaliser les travaux de reprise et enfin rechercher une nouvelle entreprise pour terminer les travaux afin de parvenir à livrer l'immeuble.

Mme [V] ne conteste d'ailleurs pas que la cause de l'arrêt des travaux est la défaillance de l'entreprise de gros œuvre, au sens des stipulations contractuelles et ne soutient pas que la SCCV Lucas aurait pu réduire le délai.

En conséquence, et au regard des stipulations contractuelles, applicables en l'espèce, Mme [V] sera déboutée de sa demande de résolution de la vente.

2 – LA NULLITE DE LA VENTE POUR DOL

2.1 la recevabilité de la demande

L'article 840 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que « La requête doit exposer les motifs de l'urgence, contenir les conclusions du demandeur et viser les pièces justificatives ».

L'article 63 du code de procédure civile dispose que « Les demandes incidentes sont : la demande reconventionnelle, la demande additionnelle et l'intervention ».

Selon l'article 65 « Constitue une demande additionnelle la demande par laquelle une partie modifie ses prétentions antérieures ».

L’article 70 alinéa 1 dispose que « Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ».

En application de l'article 70 une demande peut être formée à titre reconventionnel à condition de se rattacher à la demande originaire par un lien suffisant, souverainement apprécié par le juge du fond ; il n'est pas dérogé à cette règle par les dispositions régissant la procédure à jour fixe (Civ. 2e, 6 juillet 2017, no 16-18.442). De même s'agissant d'une intervention volontaire, les articles 788 et suivants du code de procédure civile qui régissent la procédure à jour fixe n'apportent aucune dérogation à la forme des demandes incidentes régie par l'article 68 du même code (3e civ 1er octobre 2020 n°18-15.670).

Il s'en déduit que la demande additionnelle, demande incidente, si elle se rattache à la demande originaire par un lien suffisant est recevable dans le cadre de la procédure à jour fixe, ce qui est le cas en l'espèce. La demande d'annulation de la vente est donc recevable.

2.2 l'existence d'un dol

En application de l'article 1137 du code civil, «Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».

L'article 1112-1 dispose que « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants »

Selon les mentions portées lors de la signature de l'acte de vente le 17 décembre 2021, l'immeuble était hors d'eau, hors d'air avec une livraison prévue au 1er trimestre 2022.

Il résulte des pièces versées que le 15 novembre 2021 la Socotec a été chargée du diagnostic de solidité des ouvrages par la SCCV Lucas, à la suite des doutes émis par le maître d’œuvre sur les conditions de réalisation des ferraillages, et notamment des balcons des appartements 11,21 et 31. Dans son rapport du 17 novembre suivant, la Socotec décrit les ouvrages sans en tirer de conclusions ni poser de diagnostic.

Aucune conclusion ni diagnostic n'est davantage formulé par la Socotec dans son rapport du 24 janvier 2022, faisant suite à une nouvelle visite du 14 janvier, qui décrit les ouvrages au moyen de Ferroscan.

Un constat par Maître [X] le 9 mars 2022 a mis en évidence de nombreux désordres et non-façons, et notamment des fissures sur l'ensemble de l'ouvrage, l'affaissement de la dalle supérieure au niveau de la liaison entre le collectif et les maisons, des zones d'humidité.

C'est à la suite de ce constat que la SCCV Lucas a mandaté la société d'ingénierie du bâtiment IBC qui après s'être déplacée sur les lieux le 26 avril 2022 et avoir réalisé des prélèvements les 3 et 4 mai 2022 a, dans son rapport du 14 juin 2022 diagnostiqué « des non-conformités des mise en œuvre des aciers pouvant générer des désordres structurels graves à terme ».

Rien ne permet de considérer, et Mme [V] qui a la charge de la preuve ne le démontre pas, qu'à la date du 17 décembre 2021, la SCCV Lucas avait connaissance de l’étendue des désordres et de leur conséquence, ni même qu'elle pouvait s'en douter. En effet, la Socotec n'avait alors ni posé de diagnostic, ni attiré l'attention du constructeur sur des craintes révélées par ses mesures. Il n'est pas davantage établi, ni d'ailleurs allégué, que la SCCV Lucas qui n'était pas en charge du suivi des travaux, avait été alertée par son maître d’œuvre, à cette date, des nombreuses malfaçons, ce dernier pourtant présent sur le chantier, n'ayant émis que des doutes.

En conséquence, Mme [V] ne démontre pas que la SCCV Lucas a fait preuve de réticence dolosive pour la convaincre de signer l'acte de vente, ni même d'avoir manqué à son obligation d'information.
Elle sera déboutée de sa demande d'annulation de la vente et par voie de conséquence de l'ensemble de ses demandes.

3 – LES DEMANDES ACCESSOIRES
Mme [V] qui succombe sera condamnée aux dépens.
Il n'est pas inéquitable au regard de la nature de l'affaire de débouter la SCCV Lucas et le Crédit agricole de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
Déclare recevable la demande d'annulation de la vente pour dol ;
Déboute Mme [Y] [V] de l'ensemble de ses demandes ;
Déboute la SCCV Lucas et la Caisse régionale de Crédit agricole d'Ille et Vilaine de leurs demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [Y] [V] aux dépens.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 1re chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/08323
Date de la décision : 11/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-11;23.08323 ?
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