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11/03/2024 | FRANCE | N°23/00003

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 11 mars 2024, 23/00003


Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 4]
tél : [XXXXXXXX01]





Le 11 Mars 2024


N° RG 23/00003 - N° Portalis DBYC-W-B7H-KHGV



COMMUNE DE [Localité 9]

la SARL MARTIN AVOCATS

C/

[O] [W]
[Y] [W]

Me Aurane GERNIGON





J U G E M E N T


Nous, Philippe BOYMOND, Juge au Tribunal judiciaire de Rennes, Juge de l'Expropriation pour le Département de l'Ille et Vilaine, désigné à cette fonction par ordonnance de monsieur le Premier Président de la Cour d'A

ppel de Rennes en date du 08 décembre 2023, assisté de Madame Annie PRETESEILLE, Greffier,


ENTRE :

LA COMMUNE DE [Localité 9], [Adresse 11], représentée pa...

Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 4]
tél : [XXXXXXXX01]

Le 11 Mars 2024

N° RG 23/00003 - N° Portalis DBYC-W-B7H-KHGV

COMMUNE DE [Localité 9]

la SARL MARTIN AVOCATS

C/

[O] [W]
[Y] [W]

Me Aurane GERNIGON

J U G E M E N T

Nous, Philippe BOYMOND, Juge au Tribunal judiciaire de Rennes, Juge de l'Expropriation pour le Département de l'Ille et Vilaine, désigné à cette fonction par ordonnance de monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de Rennes en date du 08 décembre 2023, assisté de Madame Annie PRETESEILLE, Greffier,

ENTRE :

LA COMMUNE DE [Localité 9], [Adresse 11], représentée par son maire en exercice Monsieur [F] [D]

DEMANDERESSE- TITULAIRE DU DROIT DE PRÉEMPTION

Ayant pour avocat la SARL MARTIN AVOCATS, avocats au barreau de RENNES, représentée par Me Jean FLEISCHL, avocat

ET :

Monsieur [O] [M] [R] [W], demeurant [Adresse 5]

Madame [Y] [B] [W], demeurant [Adresse 3]

DÉFENDEURS VENDEURS

Ayant pour avocat Me Aurane GERNIGON, avocat au barreau de RENNES

ET :

Monsieur le Directeur Régional des Finances Publiques de la région [Localité 8] et du Département d’[Localité 12], [Adresse 10], représenté par M. [U] [H] , Commissaire du Gouvernement.

PARTIE INTERVENANTE

EXPOSE DU LITIGE

La commune de [Localité 9] a pour projet de restructurer son centre-bourg et d'y créer de nouveaux locaux commerciaux, logements et espaces publics ainsi que de modifier leur desserte.
Par l'intermédiaire de son notaire, Monsieur [O] [W] a déposé, le 12 octobre 2022, une déclaration d’intention d’aliéner une parcelle bâtie, cadastrée section [Cadastre 7], sise [Adresse 2], d’une superficie totale de 700 m² et au prix de 257 000 €, la commission de l'agent immobilier étant à sa charge.
Cette parcelle se situe au centre du bourg.
Par décision du 10 janvier 2023, la commune de [Localité 9] a décidé de préempter cette parcelle, comprise dans son droit de préemption urbain, au prix de 225 000 €. Par lettre missive du 08 février suivant, Monsieur [O] [W] et Madame [Y] [W], propriétaires indivis, ont indiqué à la commune qu'ils n'acceptaient pas ce prix.
Par mémoire reçu au greffe le 21 février 2023, la commune a saisi la juridiction de l’expropriation du département d'Ille et Vilaine à l’effet de voir fixer le prix dû aux vendeurs.
Le transport sur les lieux s'est tenu le 08 janvier 2024, conformément à une ordonnance rendue le 16 octobre précédent.
Lors de l’audience qui s'est ensuite tenue en salle des délibérations de la mairie, la commune de [Localité 9] et Monsieur et Madame [O] et [Y] [W], assistée, s'agissant de la première et représentés, en ce qui concerne les seconds, par leurs avocats respectifs, se sont référés à leurs mémoires. Le commissaire du gouvernement s'est rapporté à ses conclusions.
Pour plus ample exposé du litige, des moyens et des prétentions respectives des parties, la juridiction se réfère, outre au procès-verbal de transport sur les lieux et d'audience, aux mémoires et conclusions sus évoquées, en application des dispositions des articles R 213-11 du code de l'urbanisme et R 311-9 et suivants de celui de l'expropriation, comme l'y autorisent les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
La juridiction rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est tenue de statuer sur les demandes de « constatations », de « décerner acte » ou de « dire et juger » que lorsqu'elles constituent des prétentions (Civ. 2ème 09 janvier 2020 n° 18-18.778 et 13 avril 2023 n° 21-21.463).
Sur les règles relatives à la fixation du prix d'un bien préempté
L'article L 213-4 du code de l'urbanisme dispose que :
« A défaut d'accord amiable, le prix d'acquisition est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation ; ce prix est exclusif de toute indemnité accessoire, et notamment de l'indemnité de réemploi.
Lorsqu'il est fait application de l'article L 213-2-1, le prix d'acquisition fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation tient compte de l'éventuelle dépréciation subie, du fait de la préemption partielle, par la fraction restante de l'unité foncière.
Le prix est fixé, payé ou, le cas échéant, consigné selon les règles applicables en matière d'expropriation. Toutefois, dans ce cas :
a) La date de référence prévue à l'article L 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est :
- pour les biens compris dans le périmètre d'une zone d'aménagement différé :
i) la date de publication de l'acte délimitant le périmètre provisoire de la zone d'aménagement différé lorsque le bien est situé dans un tel périmètre ou lorsque l'acte créant la zone est publié dans le délai de validité d'un périmètre provisoire ;
ii) la date de publication de l'acte créant la zone d'aménagement différé si un périmètre provisoire de zone d'aménagement différé n'a pas été délimité ;
iii) dans tous les cas, la date du dernier renouvellement de l'acte créant la zone d'aménagement différé ;
- pour les biens non compris dans une telle zone, la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien ;
b) Les améliorations, les transformations ou les changements d'affectation opérés par le propriétaire postérieurement à la date mentionnée au a) ci-dessus ne sont pas présumés revêtir un caractère spéculatif ;
c) A défaut de transactions amiables constituant des références suffisantes pour l'évaluation du bien dans la même zone, il pourra être tenu compte des mutations et accords amiables intervenus pour des biens de même qualification situés dans des zones comparables.
Lorsque la juridiction compétente en matière d'expropriation est appelée à fixer le prix d'un bien dont l'aliénation est envisagée sous forme de vente avec constitution de rente viagère, elle respecte les conditions de paiement proposées par le vendeur mais peut réviser le montant de cette rente et du capital éventuel ».
L'article L 322-2 du code de l'expropriation dispose ainsi que :
« Les biens sont estimés à la date de la décision de première instance.
Toutefois, et sous réserve de l'application des dispositions des articles L. 322-3 à L. 322-6, est seul pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L 1 ou, dans le cas prévu à l'article L 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l'article L 121-8 du code de l'environnement ou par l'article 3 de la loi n°2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat.
Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l'utilisation ou l'exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au deuxième alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive.
Quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu'ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d'utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble ».
Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la valeur vénale du bien préempté doit être estimée à la date de la décision de première instance, soit celle du présent jugement. L’usage effectif de l’immeuble, les critères de qualification de terrain à bâtir ou non et les possibilités de construction doivent être appréciés eux, par contre, à une date dite de référence qu'il revient à la juridiction de l'expropriation de déterminer en application des seules règles posées par l'article L 213-4 du code de l'urbanisme suscité.
Sur le bien à évaluer
Il s'agit d'une parcelle comprenant en son milieu une maison d'habitation, située en centre-bourg et à proximité immédiate d'une zone de stationnement automobile desservant l'église et des commerces. Cette maison est accessible par deux entrées, dont une carrossable et bénéficie, outre d'un stationnement privatif pour deux à trois véhicules, d'un jardin d'agrément, entièrement clos mais au moyen d'un grillage ajouré, doté d'un puits et bien entretenu.
Les parties ont indiqué que la maison a été principalement construite vers 1750, puis qu'elle a ensuite bénéficié d'une extension et de l'ajout d'un garage, avec lequel elle ne communique toutefois pas directement, mais à des dates qui n'ont pas précisées.
Si les occupants de cette maison bénéficient d'une vue dégagée sur leur environnement, pour autant, leur intimité est faible, en raison d'une propre vue de leur maison et de son jardin, en ses quatre faces, offerte aux riverains et passants.
La maison s'ouvre sur une cuisine de petite taille, basse de plafond, partiellement équipée et recevant une chaudière murale à gaz. Cette pièce dessert une chambre de petite surface ainsi qu'une salle d'eau avec toilettes séparées, laquelle bénéficie d'une simple ventilation naturelle. L'autre partie du rez-de-chaussée de la maison est occupée par une pièce de vie traversante, équipée d'une cheminée avec foyer ouvert. Un volumineux escalier en bois permet d'accéder à l'étage, composé d'une grande chambre en mezzanine mais ouverte sur la salle du bas ainsi que d'une seconde, de plus petite surface mais elle fermée et qui dispose d'un lavabo. Cette seconde chambre dessert un grenier à usage de rangement, lequel correspond à la partie non aménagée de cette partie de la maison située sous toiture.
Les ouvrants bénéficient d'un survitrage et les parties se sont accordées sur la nécessité de procéder à la réfection de l'installation électrique. Elles s'opposent, par contre, sur la surface de la maison. La commune soutient qu'une surface de 90 m2 doit être retenue puisqu'elle correspond à celle qui a été déclarée, par les propriétaires, aux services fiscaux. Monsieur et Madame [W], sur le fondement d'un diagnostic de performance énergétique (DPE) auquel ils ont fait récemment procéder, réclament qu'une surface de 100 m2 soit retenue dans le cadre de la présente évaluation.
Outre l'interrogation qui subsiste quant à la qualité de la structure, au vu de l'ancienneté de sa construction, l'agencement de la maison et sa décoration, dans l'ensemble, ne correspondent plus aux goûts actuels.
A la demande des parties et du commissaire du gouvernement, la juridiction a examiné, depuis la voie publique, l'aspect extérieur de plusieurs termes de comparaison situés à proximité pédestre du bien préempté.
Sur la détermination de la date dite de référence
La commune soutient que la date de référence est le 18 juin 2022, date à laquelle est devenu opposable le plan local d'urbanisme approuvé le 22 mars précédent. Le commissaire du gouvernement est d'un avis identique.
Monsieur et Madame [W] n'ont pas conclu.
La commune ne dit pas quel est l'acte qui a modifié, le 22 mars 2022, le plan local d'urbanisme intercommunal (sa pièce n°5), ni ne soutient que cet acte a délimité la zone dans laquelle se situe le bien préempté. Elle ne justifie pas plus de l'opposabilité aux tiers de cet acte, à la date du 18 juin 2022. Cette date n'étant toutefois pas discutée, elle sera dès lors retenue, en application des dispositions de l'article L 213-4 du code de l'urbanisme, précité.
La commune affirme, sans être contredite, qu'à cette date, la parcelle préemptée est classée en zone Ua au plan local d'urbanisme intercommunal mais sans dire à quoi correspond ce zonage. Le commissaire du gouvernement précise, toutefois, que cette zone est principalement destinée à recevoir des constructions à usage d'habitation, commercial et de services.
Sur la qualification de la parcelle préemptée ou non en terrain à bâtir
L'article L 322-3 du code de l'expropriation dispose que :
« La qualification de terrains à bâtir, au sens du présent code, est réservée aux terrains qui, un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L 1 ou, dans le cas prévu à l'article L 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois :
1° Situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l'absence d'un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d'une commune ;
2° Effectivement desservis par une voie d'accès, un réseau électrique, un réseau d'eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l'urbanisme et à la santé publique l'exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d'assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu'il s'agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l'objet d'une opération d'aménagement d'ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l'ensemble de la zone.
Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l'article L 322-2 ».
Pour être qualifiée de terrain à bâtir, une parcelle doit donc remplir deux conditions cumulatives, respecter un critère matériel (être desservie par une voie d'accès et des réseaux utiles à proximité immédiate) et un critère juridique (être située dans un secteur constructible).
Le commissaire du gouvernement indique que ces deux conditions étant remplies au cas présent, la parcelle préemptée doit recevoir la qualification de terrain à bâtir.
Les parties étant taisantes sur ce point, cette qualification sera retenue.
Sur l'évaluation du bien et son prix
L'article R 311-22 du code de l'expropriation, en son premier alinéa, applicable en la cause sur renvoi de l'article R 213-11 de celui de l'urbanisme, dispose que :
« Le juge statue dans la limite des prétentions des parties, telles qu'elles résultent de leurs mémoires et des conclusions du commissaire du gouvernement si celui-ci propose une évaluation inférieure à celle de l'expropriant ».
Il revient au juge de l'expropriation de choisir souverainement la méthode d'évaluation qui lui apparaît la meilleure et la mieux appropriée, compte tenu des éléments du dossier (Civ. 3ème 11 mai 2011 n° 10-14.599). Au cas présent, les parties et le commissaire du gouvernement s'accordent pour retenir la méthode par la comparaison, laquelle sera dès lors retenue.
La commune soumet aux débats cinq termes de comparaison, dont elle produit les actes de mutation correspondants (ses pièces n° 12 à 16), pour fonder sa proposition de prix du bien préempté de 163 398,60 € sur la base d'un prix moyen de cession de ces cinq termes, qu'elle dit être de marché, de 1 815,54 € du m².
Le premier de ces termes de comparaison correspond à la cession au prix de 277 000 €, le 01er mars 2022, d'une maison d'habitation de 119 m², édifiée en pierres maçonnées sur un terrain (cadastré section [Cadastre 6]) de 690 m² et situé à proximité immédiate du bien préempté. Vue lors du transport, cette maison, au charme certain, comporte une terrasse ouverte à l'avant et deux niveaux d'habitation en sus de combles aménagés. Il ressort de l'acte de vente (pièce commune n°12) qu'elle offre quatre chambres, dont trois à l'étage et une sous toit, un bureau, deux salles d'eau (une au rez-de-chaussée, l'autre à l'étage), trois toilettes, un double garage et deux dépendances. Elle est, par ailleurs, équipée d'un poêle à bois et le diagnostic de son installation électrique (laquelle a été rénovée en tout ou partie en 2020) n'a révélé aucune anomalie.
Le commissaire du gouvernement propose également ce terme (n°2), en précisant qu'il s'agit d'une maison plus grande mais édifiée en bordure de rue passante.
Monsieur et Madame [W] le critiquent aux seuls motifs qu'il est dépourvu d'intimité, ce qui est également le cas de leur maison et qu'il se situe face à la rue principale de la commune, laquelle supporterait un « passage constant des voitures et bus qui rejoignent l'entrée de la quatre voie » (en page 12 de leur dernier mémoire), ce qui n'a pas été constaté lors du transport. Cette critique est également à relativiser, compte devant être tenu de la présence d'un lieu de stationnement de véhicules à proximité immédiate de leur maison.
Ce terme, pertinent, doit être retenu dans le cadre de la présente évaluation mais comme ayant une valeur vénale bien supérieure à celle du bien préempté (maison ayant plus de charme, plus grande, mieux équipée et d'une meilleure qualité apparente de construction).
Le second terme correspond à la vente d'une maison d'une superficie de 104 m², le 15 juillet 2019 au prix de 192 000 €, située en centre-bourg et à proximité immédiate du bien préempté. Il ressort de l'acte de vente (pièce commune n°13) qu'elle offre trois chambres, dont une sous toiture, deux salles d'eau, deux toilettes. Elle a été, récemment, entièrement rénovée, les travaux ayant été achevés en 2016 et elle est équipée d'un poêle à granulés. Vue lors du transport, cette maison, au charme certain, ne dispose toutefois que d'un jardinet, n'a pas de garage et se trouve enserrée dans un groupe de bâtiments comportant des commerces, dont un débit de boissons ouvert tous les jours. Monsieur et Madame [W] pointent pertinemment ces facteurs de moins-value, mais en passant, toutefois, sous silence, ceux lui conférant une incontestable plus-value par rapport à leur maison : rénovation entière et récente d'une maison qui, au vu des ses extérieurs et de l'acte de vente, doit très probablement répondre au goût du jour.
Le commissaire du gouvernement ne critique que l'ancienneté, selon lui, de ce terme de comparaison, soutenant que le marché immobilier a fortement évolué à la hausse depuis 2020, affirmation qui n'est toutefois pas documentée alors même qu'il est constant que le marché de l'immobilier, en France, est actuellement orienté à la baisse, en raison de la forte augmentation des taux des crédits.
Ce terme, pertinent, doit être retenu dans le cadre de la présente évaluation.
Monsieur et Madame [W] ne critiquent les trois autres termes de comparaison proposés par la commune qu'en raison de leur prétendue ancienneté (2018, 2019 et 2021) au motif que « les prix immobiliers se sont envolés ces trois dernières années » (ibid, page 13), affirmation qui n'est pas plus documentée que celle du commissaire du gouvernement et ne peut dès lors être retenue.
Le troisième terme de comparaison de la commune correspond à la mutation, intervenue le 30 juillet 2021 au prix de 320 000 €, d'une maison d'une surface de 168 m², édifiée sur une parcelle de 844 m², également située en centre-bourg. Toutefois, outre qu'il s'agit d'une maison beaucoup plus grande que celle à évaluer, l'acte versé aux débats par la commune en pièce n°14 ne correspond pas à cette mutation, étant ici fait observer aux parties et au commissaire du gouvernement que les pièces n° 14 et 16 de la commune sont identiques. Ce terme sera, en conséquence, écarté.
Le quatrième terme de comparaison de la commune est constitué de la cession, le 23 avril 2018 au prix de 120 000 €, d'une maison de 86 m², assortie d'une dépendance de surface équivalente, édifiées sur une parcelle de 638 m², également située en centre-bourg et à proximité immédiate du bien préempté. Il ressort de l'acte de vente (pièce commune n°15) qu'il s'agissait d'une maison à rénover comprenant deux chambres en enfilade, une salle d'eau et un grenier. Le diagnostic de son installation électrique avait révélé des anomalies.Vue lors du transport, cette maison en pierres apparentes maçonnées a visiblement été, depuis sa mutation, rénovée puisqu'elle dispose de menuiseries en PVC récentes et présente un très bon état apparent extérieur. Elle bénéficie d'une terrasse à l'avant et d'un jardin clos à l'arrière, à l'abri des regards des passants.
Ni le commissaire du gouvernement, ni les défendeurs n'en discutent la pertinence autrement que par une critique de principe de son ancienneté. Ce terme sera dès lors retenu, dans le cadre de la présente évaluation, compte devant toutefois être tenu du coût des travaux auxquels les acquéreurs ont manifestement procédé et sur lequel ni les parties, ni le commissaire du gouvernement ne forment d'observations.
Le cinquième et dernier terme de la commune correspond à la vente d'une maison en centre-bourg, le 20 mai 2019 au prix de 150 000 €, d'une maison de 100 m². Il découle de l'acte de vente (pièce commune n°16) qu'il s'agissait d'une maison, mitoyenne par un côté, comprenant une salle d'eau avec toilettes au rez-de-chaussée, trois chambres à l'étage et toilettes, un grenier sous toiture et un cellier-buanderie. Le diagnostic de son installation électrique avait révélé des anomalies. Vue lors du transport, cette maison en pierres apparentes maçonnées présente un bon état apparent extérieur de conservation, dispose d'un petit jardin sur l'avant entièrement clos, avec terrasse et piscine.
Ni le commissaire du gouvernement, ni les défendeurs n'en discutent là encore la pertinence autrement que par une critique de principe de son ancienneté. Ce terme sera dès lors retenu, dans le cadre de la présente évaluation, compte devant toutefois être tenu de sa superficie de parcelle moins importante que celle préemptée (291 m²).
Monsieur et Madame [W], pour fonder leur demande de fixation du prix de leur bien à la somme de 245 000 €, entendent s'appuyer sur des estimations d'agents immobiliers (leur pièce n°4) et de ventes dont ils ne produisent ni les actes notariés correspondants, ni n'en indiquent les références de publication de sorte qu'ils ne peuvent qu'être écartés de la présente évaluation (Civ. 3ème 19 mars 2020 n° 19-11.463). Il est, par ailleurs, admis que de simples offres d’achat non concrétisées, des annonces ou des estimations notariales ou immobilières ne peuvent pas être retenues par les juridictions de l'expropriation. Il en résulte qu'ils ne démontrent par aucune pièce probante que la valeur vénale de leur bien s'établirait à hauteur de 245 000 € comme ils l'allèguent.
Le commissaire du gouvernement propose cinq termes de comparaison, mais sans produire les actes de vente et en formant à leur sujet des observations très succinctes. Son second terme correspond au premier de la commune.
Les parties ne les discutent pas.
Le premier terme a été vu lors du transport. Il correspond à une maison en bon état apparent extérieur de conservation, avec terrasse à l'avant et piscine non enterrée et garage en fond de parcelle, laquelle est d'une contenance de 1 062 m². Ce bien est situé à proximité immédiate de celui préempté, disposerait d'une surface utile de 95 m² selon les services fiscaux et a été cédé le 04 février 2022 au prix de 227 500 €. Aucune raison ne commande de l'écarter mais il doit être tenu compte de sa plus grande superficie de parcelle (d'un tiers environ) que celle du bien litigieux.
Les trois derniers termes, au vu des photographies produites, correspondent manifestement à des maisons de construction récente, dont au moins une de lotissement (TC n°3), sans grand rapport avec le bien préempté. Faute de pouvoir disposer des actes de vente, seules sont dès lors connues leur superficie déclarée. Ces termes, non pertinents, ne peuvent dès lors être retenus.
Il se déduit des termes de comparaison, jugés comme étant pertinents, un prix médian de 192 000 €.
Les deux prix inférieurs peuvent s'expliquer principalement, pour le plus faible (120 000 €), par l'état d'un bien à rénover et pour le second (150 000 €), en raison d'une superficie de parcelle bien moins importante (291 m² contre 700 m² pour le bien préempté).
Le prix le plus élevé (277 000 €) peut se justifier par une maison présentant de nombreux facteurs de plus-value par rapport à celui préempté (plus grande surface, meilleur agencement, charme, commodités).
Le bien cédé au prix médian peut utilement être rapproché du bien à évaluer dans la mesure où ses facteurs de moins-value (voisinage, terrain d'agrément de surface réduite, absence de garage) se compensent avec ceux de plus-value (rénovation récente, commodités et charme). Ce prix médian est également proche de celui correspondant au second prix plus élevé (227 500 €), une fois, en effet, retraité de la différence de superficie de parcelle (d'un tiers environ) séparant le bien auquel il correspond de celui préempté.
Il en résulte que la valeur vénale du bien préempté se situe entre ces deux prix, de sorte qu'elle sera fixée à la somme de 195 000 €.
Sur les honoraires de négociation
Les honoraires de négociation de la vente, mis à la charge de l'acquéreur initial, ne sont dus par le titulaire du droit de préemption que si ceux-ci sont mentionnés dans la déclaration d'intention d'aliéner et dans l'engagement des parties, ce dernier devant indiquer le montant de la rémunération de l'intermédiaire et la partie qui en a la charge (Civ. 3ème 26 septembre 2007 n° 06-17.337 Bull. n°158).
Monsieur et Madame [W] demandent qu'il soit ordonné que les frais d'agence seront à la charge de l'acquéreur, « ainsi qu'il résulte de la déclaration d'aliéner » (ibid, page 20) mais sans dire quel est le montant de cette rémunération.
La commune est demeurée taisante sur cette prétention.
Outre que l'acte d'engagement des parties n'est pas produit, il ressort de la lecture de la déclaration d'intention d'aliéner versée aux débats (pièce n°3 de la partie préemptée, qui n'est que la reproduction de la pièce n°2 de la commune) que la commission de l'agent immobilier y est mentionnée comme étant à la charge du vendeur.
Dès lors mal fondés en leur demande, Monsieur et Madame [W] ne pourront qu'en être déboutés.
Sur les dépens et les frais
L'article L 312-1 du code de l’expropriation, applicable en la cause sur renvoi de l'article L 213-4 de celui de l'urbanisme, dispose que « l'expropriant supporte seul les dépens de première instance ».
La commune de [Localité 9], en application de cette disposition, supportera seule la charge des dépens de la présente instance.
Maître Aurane GERNIGON n’allègue pas avoir avancé des dépens sans recevoir provision. Il n’y a donc pas lieu de lui accorder un droit de recouvrement direct comme elle le réclame.
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, applicable en la cause sur renvoi de l'article R 213-11 du code de l'urbanisme et R 211-6 de celui de l'expropriation, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Compte tenu des caractéristiques de l'espèce et de la situation respective des parties, il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge de Monsieur et de Madame [O] et [Y] [W] leurs frais irrépétibles.
DISPOSITIF
Nous, Philippe BOYMOND, juge de l'expropriation du département d'Ille et Vilaine, statuant au nom du peuple français, par décision mise à disposition au greffe :
FIXONS à la somme de 195 000 € (cent quatre-vingt-quinze mille euros), la valeur vénale de la parcelle sise [Adresse 2] et cadastrée section [Cadastre 7] sur la commune de [Localité 9] ;
LAISSONS la charge des dépens à cette commune ;
REJETONS toute autre demande, plus ample ou contraire.

La greffièreLe juge de l'expropriation


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/00003
Date de la décision : 11/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-11;23.00003 ?
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