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03/09/2024 | FRANCE | N°22/39520

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 1/5/2 état des personnes, 03 septembre 2024, 22/39520


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS



Pôle famille
Etat des personnes

N° RG 22/39520 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CYNKP

ND

N° MINUTE :
[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

JUGEMENT
rendu le 03 Septembre 2024
DEMANDEUR

Monsieur [Y] [K]
[Adresse 6]
[Localité 8]
représenté par Me Tarik ABAHRI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1458


DÉFENDEUR

Monsieur [E] [P] [Z] [L]-[K]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représenté par Me Barbara ROSNAY-VEIL,

avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0693


MINISTÈRE PUBLIC

Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS


COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nastasia DRAGIC, Vice-Présid...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

Pôle famille
Etat des personnes

N° RG 22/39520 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CYNKP

ND

N° MINUTE :
[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

JUGEMENT
rendu le 03 Septembre 2024
DEMANDEUR

Monsieur [Y] [K]
[Adresse 6]
[Localité 8]
représenté par Me Tarik ABAHRI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1458

DÉFENDEUR

Monsieur [E] [P] [Z] [L]-[K]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représenté par Me Barbara ROSNAY-VEIL, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0693

MINISTÈRE PUBLIC

Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nastasia DRAGIC, Vice-Présidente
Sabine CARRE, Vice-Présidente
Anne FREREJOUAN DU SAINT, Juge

assistées de Emeline LEJUSTE, Greffière lors des débats et de Karen VIEILLARD, Greffière lors du prononcé.

Décision du 03 Septembre 2024
Pôle famille Etat des personnes
N° RG 22/39520 - N° Portalis 352J-W-B7G-CYNKP

DÉBATS

A l’audience du 25 juin 2024 tenue en chambre du conseil.
Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 03 septembre 2024.

JUGEMENT

Contradictoire
en premier ressort
Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Nastasia DRAGIC, Présidente et par Karen VIEILLARD, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [Y] [K] et Mme [M], [O] [F] se sont mariés le [Date mariage 4] 2005 à la mairie de [Localité 11].

Par jugement en date du 4 juin 2008, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé l’adoption simple de [P] [L], né le [Date naissance 9] 1965 à [Localité 10] (Hauts-de Seine), de [E] [L], né le [Date naissance 5] 1973 à [Localité 10] (Hauts-de Seine) et de [X] [L], né le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 12], par [Y] [K], né le [Date naissance 3] 1928 à [Localité 13] (Iran), en sa qualité de conjoint de la mère des adoptés, ces derniers prenant désormais le nom de “[L]-[K]”.

Mme [M], [O] [F] est décédée le [Date décès 1] 2019.

Par actes d’huissier de justice délivrés les 8, 21 et 23 juin 2021, M. [Y] [K], dit [G] [K], a fait assigner M. [P] [L]-[K], M. [E] [L]-[K] et M. [X] [L]-[K] devant le tribunal judiciaire de Paris, au visa de l’article 370 du code civil, afin de voir révoquer, avec toutes ses conséquences de droit, les adoptions simples prononcées le 4 juin 2008.
Saisi de conclusions d’incident par M. [X] [L]-[K], le juge de la mise en état a, par ordonnance du 13 décembre 2022, notamment :
rejeté l’exception de nullité soulevée par M. [X] [L]-[K],ordonné la disjonction de l’instance, les affaires concernant M. [P] [L]-[K] et M. [E] [L]-[K] étant enrôlées sous des numéros distincts.Suivant dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 novembre 2023, M. [K] a demandé au tribunal de :
dire et juger ses demandes recevables et bien fondées et y faisant droit,prononcer avec toutes les conséquences de droit la révocation de l’adoption simple de M. [E] [L]-[K] par lui-même,dire que M. [E] [L]-[K] ne portera plus le nom [K],ordonner la mention du jugement à intervenir sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 10],débouter M. [E] [L]-[K] de toutes ses demandes,condamner solidairement M. [E] [L]-[K] au paiement d’une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil,ordonner l’exécution provisoire.
Au soutien de ses prétentions, M. [K] a fait valoir qu’il justifiait de l’existence de motifs graves rendant l’adoption de M. [E] [L]-[K] insupportable ; qu’ainsi, depuis le décès de sa mère, M. [E] [L]-[K] l’avait totalement abandonné, se désintéressant de son sort pendant le confinement et ne lui portant aucune assistance ; qu’en outre, le 31 janvier 2020 puis le 9 juin 2020, en accord avec le défendeur, M. [X] [L]-[K] avait déposé à son encontre une plainte pénale pour le vol d’un plat en céramique qui était survenu dans la maison de Corse ; que cette plainte avait conduit à son audition le 11 janvier 2021 durant plus de deux heures, par les services de police, dans les locaux vétustes et mal aérés du commissariat, au risque de sa vie, étant en effet âgé de 92 ans et souffrant d’une maladie cardiaque et ce, durant un contexte sanitaire dégradé ; que cette plainte avait été classée sans suite par le parquet d’Ajaccio qui avait estimé, à juste titre, que l’infraction était insuffisamment caractérisée ; que cet épisode l’avait profondément affecté et il n’avait jamais oublié ce traumatisme qui l’avait fortement perturbé ; que si M. [E] [L]-[K] n’avait pas personnellement porté plainte contre lui, il avait tenté avec ses frères d’intimider et de menacer ses amis proches par l’envoi de courriers d’avocat, ce qui l’avait profondément affecté.

En réponse aux moyens adverses, il a indiqué qu’il avait rencontré la mère de l’adopté cinq mois seulement après le décès de sa première épouse ; que leur mariage avait été célébré cinq mois après leur rencontre et que la démarche d’adoption avait été initiée 18 jours seulement après ce mariage ; que la requête afin d’adoption avait été déposée à l’initiative de M. [X] [L]-[K], en sa qualité d’avocat et de futur adopté, ce qui constituait un grave conflit d’intérêts ; que cette décision d’adoption n’avait pas eu pour but de fonder une famille ou de s’occuper de M. [E] [L]-[K], déjà âgé de 35 ans à l’époque, mais n’avait été motivée que par le seul désir de faire plaisir à sa « jeune épouse », qu’il avait vraiment aimée et n’avait jamais reniée ; que les relations qu’il entretenait avec M. [E] [L]-[K] n’étaient plus supportables, en raison notamment du comportement indifférent que ce dernier avait adopté à son égard ; que les seules préoccupations de ses enfants adoptifs restaient purement matérielles ; que M. [E] [L]-[K] n’avait jamais manifesté un quelconque intérêt pour lui, sauf quand il avait besoin de lui ; qu’il avait, depuis très longtemps, décidé de ne jamais donner suite ou de répondre à ses courriels car il n’avait jamais supporté ses avis, ses conseils et sa franchise, et ce depuis 2007, alors même qu’il n’était pas encore officiellement adopté ; qu’il était donc faux de prétendre que leurs mauvaises relations ne seraient qu’une simple brouille familiale déclenchée par le décès de Mme [F] puisqu’elles préexistaient à ce décès, même si elles s’étaient encore davantage dégradées après ; que par ailleurs, les trois frères entretenaient des relations empreintes de jalousie et de rancœur, en lien avec des questions d’héritage ; qu’il avait, de son côté, déployé des efforts permanents pour atténuer les frictions familiales et protéger son épouse malade des violences morales qu’ils subissaient tous les deux ; que d’ailleurs, son épouse avait évoqué dans son ultime testament les inimitiés entre ses trois enfants ; qu’il avait lui-même cédé la totalité de l’usufruit sur les biens immobiliers situés en Corse, dont ses trois fils étaient nus-propriétaires, pour une valeur de 214 500 euros ; qu’en dépit de ce que soutenait le défendeur, il n’avait adopté à son égard aucune attitude vexatoire et blessante ; que s’il lui était reproché de s’être montré indifférent à la dégradation de son état de santé lorsqu’il avait été atteint de la Covid 19, c’était tout simplement car il n’avait pas été mis au courant et que personne n’avait jugé bon de le prévenir ; qu’en revanche, de son côté, M. [E] [L]-[K] avait fait preuve à son égard d’une indifférence totale, d’une ingratitude ainsi que d’une attitude blessante, vexatoire, méprisante, et offensante, voire attentatoire à son honneur par les accusations de vol portées à son encontre ; qu’il existait donc un conflit majeur entre eux, ayant entraîné une altération irrémédiable de leurs liens affectifs, voire une absence totale de tels liens de nature à rendre moralement impossible le maintien des liens créés par l’adoption.

Suivant conclusions notifiées par la voie électronique le 9 janvier 2024, M. [E] [L]-[K] a demandé au tribunal de :
débouter M. [K] de l’ensemble de ses demandes ; le juger recevable et bien-fondé dans l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ; condamner M. [K] à lui verser la somme d’un euro symbolique au titre de la réparation de son préjudice moral ; condamner M. [K] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; condamner M. [K] aux entiers dépens de la présente instance.
En réplique, M. [E] [L]-[K] a fait valoir que M. [K] réécrivait l’histoire familiale de manière mensongère et nauséabonde, cette présentation s’avérant de nature à salir la mémoire de sa mère qu’il aimait par-dessus tout ; qu’en effet, s’il les avait adoptés avec ses deux frères, c’était bien parce qu’il les aimait et entretenait avec eux des relations étroites, eux-mêmes ayant perdu leur père très jeune et lui témoignant chacun amour et affection ; qu’en aucun cas, l’adoption n’avait été envisagée pour répondre à la demande de son épouse malade afin de préserver l’unité de la famille une fois qu’elle serait décédée ; qu’en effet, lors de l’adoption, Mme [F] était en parfaite santé et en pleine possession de ses moyens ; que l’adoption avait donc affirmé les liens de cette famille recomposée et constituait un acte volontaire de M. [K] qui reflétait ce qu’il souhaitait de cette famille qui était devenue la sienne ; que pour justifier sa demande de révocation, M. [K] prétendait qu’il aurait eu, avec ses frères, un comportement négligent et qu’il l’aurait abandonné pendant la période de confinement ; que néanmoins, ce comportement n’était rapporté que par de simples attestations, toutes rédigées par des amis très proches du demandeur qui ne faisaient que relater ses dires ; qu’au contraire, il ressortait des pièces produites par le demandeur lui-même que M. [P] [L]-[K], son frère aîné, avait tenté de maintenir un lien avec leur père adoptif, se heurtant néanmoins à un refus de la part de ce dernier ; qu’en tout état de cause, ce comportement, s’il était prouvé, ne serait que le fruit du comportement odieux que M. [K] avait adopté envers ses fils adoptifs, notamment lorsqu’il les avait empêchés de se rendre en Corse pour être au chevet de leur mère malade, prétextant, à tort, que tout allait bien alors que ce n’était évidemment pas le cas, ce qui les avait profondément blessés ; que de surcroît, M. [K] l’avait lui-même particulièrement délaissé à un moment dramatique de sa vie, lorsqu’au mois de janvier 2021, il avait été plongé dans le coma artificiel pendant plus de trois semaines après avoir contracté une forme grave de la Covid-19 et avoir subi ensuite deux AVC ; que M. [K] ne lui avait alors adressé aucun mot, ne l’avait jamais appelé, ni pris de ses nouvelles, alors qu’il se trouvait entre la vie et la mort à l’hôpital ; que par ailleurs, la plainte pénale évoquée par le demandeur avait été déposée par son frère [X] et non par lui-même ; que dès lors, les comportements visés par M. [K] ne constituaient que des désaccords et des querelles familiales dus à son comportement épouvantable et ne sauraient en aucun cas être qualifiés de motifs graves ; qu’en effet, M. [K] ne démontrait nullement que le maintien du lien de filiation était impossible mais se contentait uniquement de salir la mémoire de sa défunte femme et de blesser son fils.

S’agissant des dommages et intérêts, il a exposé que les écritures étaient exclusivement composées de propos dédaigneux, profondément mensongers et vexatoires, ce qui occasionnait pour lui un préjudice moral.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 25 janvier 2024, le ministère public a demandé au tribunal de débouter M. [K] de sa demande de révocation d’adoption simple.

Au soutien de sa position, le ministère public a fait valoir que si l'adoption procédait d'un accord de volonté, elle revêtait un aspect institutionnel prépondérant, de telle sorte que sa révocation constituait une mesure exceptionnelle qui ne pouvait, en dépit de l'accord des parties, être prononcée que pour des motifs graves ; que si M. [K] prétendait avoir subi un abandon de la part de ses fils adoptifs et faisait valoir à l'appui de sa demande quatre attestations, la force probante de ces témoignages apparaissait néanmoins discutable ; qu’en effet, leur contenu apparaissait semblable, se contentait de dénoncer un abandon soudain et immédiat des enfants adoptifs sans être étayé par des éléments précis, les témoignages ayant été rédigés au cours d'une même période et décrivant avant tout la personnalité et le parcours artistique du demandeur ; qu’en outre, ces témoignages étaient pour partie contredits par les pièces versées aux débats en défense et notamment par les courriels adressés au demandeur par lesquels les fils adoptifs exprimaient leur amour et leur intention de se voir ; qu’en réalité, l'ensemble des attestations versées à la procédure faisait état d'une négligence et d'une indifférence qui se seraient manifestées particulièrement pendant le confinement mais venaient à l'appui d'une brouille familiale déclenchée et alimentée par la mort de Mme [F] et par la crise sanitaire, mais ne confirmaient pas un comportement violent, répété ou vindicatif qui aurait pu justifier la révocation de l'adoption ; que l'adoption était une institution importante du droit de la famille, encadrée par la loi et prononcée par jugement ; qu’elle ne saurait donc se défaire au gré des envies ; que M. [K] s'était engagé, librement et en pleine capacité à souscrire un acte dont il ne pouvait ignorer la portée ; qu’en outre, la dimension successorale qu'apportait une adoption ne pouvait être reprochée au défendeur ; qu’une mésentente dont la responsabilité pouvait être partagée, pouvait naître dans toutes les familles mais ne constituait pas un motif grave justifiant la révocation de l’adoption, motif grave dont la preuve n’était pas rapportée en l’espèce.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024.

L’affaire a été appelée à l’audience du 25 juin 2024 pour être plaidée puis mise en délibéré au 3 septembre 2024.

[DÉBATS NON PUBLICS – Motivation de la décision occultée]

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Déboute M. [Y] [K], dit [G] [K], de toutes ses demandes ;

Déboute M. [E] [L]-[K] de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne M. [Y] [K], dit [G] [K], à verser à M. [E] [L]-[K] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [Y] [K], dit [G] [K] aux dépens.

Fait et jugé à Paris, le 3 septembre 2024.

La Greffière La Présidente

Karen VIEILLARD Nastasia DRAGIC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 1/5/2 état des personnes
Numéro d'arrêt : 22/39520
Date de la décision : 03/09/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-09-03;22.39520 ?
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