TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
Pôle famille
Etat des personnes
N° RG 21/37259 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CVEW4
ND
N° MINUTE :
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 03 Septembre 2024
DEMANDEUR
Monsieur [X] [Z]
[Adresse 8]
[Localité 11]
représenté par Me Tarik ABAHRI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1458
DÉFENDEUR
Monsieur [O] [I] [M] [F] [B] [L]-[Z]
[Adresse 9]
[Localité 10]
représenté par Me Françoise HERMET LARTIGUE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0716
MINISTÈRE PUBLIC
Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Nastasia DRAGIC, Vice-Présidente
Sabine CARRE, Vice-Présidente
Anne FREREJOUAN DU SAINT, Juge
assistées de Emeline LEJUSTE, Greffière lors des débats et de Karen VIEILLARD, Greffière lors du prononcé.
Décision du 03 Septembre 2024
Pôle famille Etat des personnes
N° RG 21/37259 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVEW4
DÉBATS
A l’audience du 25 juin 2024 tenue en chambre du conseil.
Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 03 septembre 2024.
JUGEMENT
Contradictoire
en premier ressort
Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Nastasia DRAGIC, Présidente et par Karen VIEILLARD, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
_________________________________________________________
EXPOSE DU LITIGE
M. [X] [Z] et Mme [S], [U] [K] se sont mariés le [Date mariage 6] 2005 à la mairie de [Localité 14].
Par jugement en date du 4 juin 2008, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé l’adoption simple de [B] [L], né le [Date naissance 12] 1965 à [Localité 13] (Hauts-de Seine), de [F] [L], né le [Date naissance 7] 1973 à [Localité 13] (Hauts-de Seine) et d’[O] [L], né le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 15], par [X] [Z], né le [Date naissance 5] 1928 à [Localité 16] (Iran), en sa qualité de conjoint de la mère des adoptés, ces derniers prenant désormais le nom de “[L]-[Z]”.
Mme [S], [U] [K] est décédée le [Date décès 1] 2019.
Par actes d’huissier de justice délivrés les 8, 21 et 23 juin 2021, M. [X] [Z], dit [V] [Z], a fait assigner M. [B] [L]-[Z], M. [F] [L]-[Z] et M. [O] [L]-[Z] devant le tribunal judiciaire de Paris, au visa de l’article 370 du code civil, afin de voir révoquer, avec toutes ses conséquences de droit, les adoptions simples prononcées le 4 juin 2008.
Saisi de conclusions d’incident par M. [O] [L]-[Z], le juge de la mise en état a, par ordonnance du 13 décembre 2022, notamment :
rejeté l’exception de nullité soulevée par M. [O] [L]-[Z],ordonné la disjonction de l’instance, les affaires concernant M. [B] [L]-[Z] et M. [F] [L]-[Z] étant enrôlées sous des numéros distincts.Suivant dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 septembre 2023, M. [Z] a demandé au tribunal de :
dire et juger ses demandes recevables et bien fondées et y faisant droit,prononcer avec toutes les conséquences de droit la révocation de l’adoption simple de M. [O] [L]-[Z] par lui-même,dire que M. [O] [L]-[Z] ne portera plus le nom [Z],ordonner la mention du jugement à intervenir sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 15],débouter M. [O] [L]-[Z] de toutes ses demandes,condamner solidairement M. [O] [L]-[Z] au paiement d’une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil,ordonner l’exécution provisoire.
Au soutien de ses prétentions, M. [Z] a fait valoir qu’il justifiait de l’existence de motifs graves rendant l’adoption de M. [O] [L]-[Z] insupportable ; qu’ainsi, depuis le décès de sa mère, M. [O] [L]-[Z] l’avait totalement abandonné, se désintéressant de son sort pendant le confinement et ne lui portant aucune assistance ; qu’en outre, le 31 janvier 2020 puis le 9 juin 2020, en accord avec ses frères, M. [O] [L]-[Z] avait déposé à son encontre une plainte pénale pour le vol d’un plat en céramique qui était survenu dans la maison de Corse ; que cette plainte avait conduit à son audition le 11 janvier 2021 durant plus de deux heures, par les services de police, dans les locaux vétustes et mal aérés du commissariat, au risque de sa vie, étant en effet âgé de 92 ans et souffrant d’une maladie cardiaque et ce, durant un contexte sanitaire dégradé ; que cette plainte avait été classée sans suite par le parquet d’Ajaccio qui avait estimé, à juste titre, que l’infraction était insuffisamment caractérisée ; qu’en outre, ce plat en céramique attribué à [R] appartenait en réalité à sa propre famille depuis le 19ème siècle ; que M. [O] [L]-[Z] n’en était aucunement le propriétaire et avait décidé de se l’accaparer indûment, sans son autorisation ; que cet épisode l’avait profondément affecté et il n’avait jamais oublié ce traumatisme qui l’avait fortement perturbé.
Sur l’irrecevabilité de ses demandes soulevée en défense, il a fait valoir qu’en application de l’article 750-1 du code de procédure civile, les parties étaient dispensées de recourir à la médiation ou à la conciliation si l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable était justifiée par un motif légitime ; qu’en l’espèce, cette tentative de conciliation ne pouvait avoir lieu en raison des graves accusations injustifiées de vol et de recel articulées à son encontre par son fils adoptif ; qu’en outre, l'article 750-1 du code de procédure civile avait été annulé par un arrêt du Conseil d'Etat du 22 septembre 2022, de sorte que ses demandes étaient parfaitement recevables.
En réponse aux moyens adverses, il a indiqué qu’il avait rencontré la mère de l’adopté cinq mois seulement après le décès de sa première épouse ; que leur mariage avait été célébré cinq mois après leur rencontre et que la démarche d’adoption avait été initiée 18 jours seulement après ce mariage ; que la requête afin d’adoption avait été déposée à l’initiative de M. [O] [L]-[Z], en sa qualité d’avocat et de futur adopté, ce qui constituait un grave conflit d’intérêts ; que les relations qu’il entretenait avec M. [O] [L]-[Z] n’étaient pas saines et encore moins satisfaisantes, et ce bien avant le décès de son épouse ; qu’en effet, les trois frères entretenaient des relations empreintes de jalousie et de rancœur, en lien avec des questions d’héritage ; qu’il avait, de son côté, déployé des efforts permanents pour atténuer les frictions familiales et protéger son épouse malade des violences morales qu’ils subissaient tous les deux ; que d’ailleurs, son épouse avait évoqué dans son ultime testament les inimitiés entre ses trois enfants ; que la dégradation de leurs relations s’était accentuée avec le décès de Mme [K] ; que si M. [O] [L]-[Z] laissait entendre qu’il aurait détourné l’argent de sa mère et persistait ainsi dans son attitude vexatoire tenant à le présenter comme malhonnête, il n’en était rien puisqu’il gagnait correctement sa vie et participait lui-même activement à l’entretien du ménage ; qu’il avait d’ailleurs vendu deux de ses propriétés pour environ 1000 000 d’euros, cette somme ayant été utilisée exclusivement pour subvenir aux besoins du couple ; qu’en outre, il avait lui-même cédé, le 29 novembre 2020, sans contrepartie financière, la totalité de l’usufruit sur le bien immobilier situé en Corse, dont M. [O] [L]-[Z] était le nu-propriétaire, pour une valeur de 122 250 euros ; qu’au regard de l’ensemble de ces éléments, la mésentente majeure existant avec M. [O] [L]-[Z] avait entraîné une altération irrémédiable de leurs liens affectifs liée notamment à l’abandon et à l’attitude offensante et vexatoire dont il avait été victime, ce qui justifiait sa demande de révocation.
Suivant conclusions notifiées par la voie électronique le 6 juillet 2023, M. [O] [L]-[Z] a demandé au tribunal de :
débouter M. [Z] de l’ensemble de ses demandes aussi irrecevables qu’infondées, condamner M. [Z] au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil,ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
En réplique, M. [O] [L]-[Z] a fait valoir que le demandeur, alors âgé de 77 ans et venant de perdre la compagne de sa vie [C], s’était marié avec sa mère, âgée de 65 ans, après un coup de foudre tardif et improbable entre deux êtres meurtris par la vie, mais toujours épris d’absolu ; que l’amour que se portaient les « jeunes » époux avait conduit M. [Z] qui n’avait jamais eu d’enfant, à adopter les trois fils de son épouse, orphelins depuis le décès de leur père survenu le [Date décès 2] 1990 ; que M. [Z] leur avait témoigné, particulièrement à son égard puisqu’il était le cadet, une affection sincère jusqu’au décès de leur mère des suites d’une longue maladie ; que néanmoins, probablement sous l’influence «d’amis » désireux d’investir la nouvelle vie de l’artiste sans son épouse, leurs relations s’étaient dégradées jusqu’à se rompre totalement ; qu’après avoir perdu son père, puis sa mère, il avait pris conscience qu’il perdait son père adoptif et grand-père de sa fille [A] ; que pour autant, aucun motif grave ne venait justifier la révocation de son adoption.
Il a exposé que M. [Z] n’avait pas tenté de résoudre amiablement le litige en contradiction avec l’article 750-1 du code de procédure civile ; que le motif légitime invoqué par ce dernier et tenant à la mésentente les opposant ne pouvait justifier l’absence de recours à une médiation ou à une tentative de conciliation, sauf à prétendre que tout conflit qui justifie la saisine d’un tribunal est un motif légitime qui exonère le justiciable de tenter de résoudre son conflit à l’amiable.
Subsidiairement, sur le fond, il a fait valoir que M. [Z] n’apportait nullement la preuve des motifs graves qui justifieraient la révocation de son adoption ; que les quatre attestations produites ne constituaient que des témoignages indirects, les amies de M.[Z] ne faisant que rapporter ses propres dires ; qu’elles étaient rédigées sur le même modèle, utilisaient les mêmes termes et provenaient du même ordinateur (police identique), de sorte qu’il convenait de s’interroger sur l’identité de la personne qui avait pu les dicter ; que ces témoignages évoquaient les trois enfants sans distinction, comme s’ils avaient été indissociables et comme si leur comportement avait été identique ; qu’en réalité, M. [Z] souhaitait uniquement écarter en bloc de sa succession ses trois fils adoptifs et ayants droit,; qu’il utilisait le confinement et la crise sanitaire, de même qu’un désaccord né à la suite du décès de leur mère à l’occasion de la dispersion des vêtements et objets personnels de la défunte – évènements ponctuels, ni violents, ni répétés, ni vindicatifs – pour prétendre à « l’abandon », puis à la révocation de l’adoption ; que de son côté, il contestait avoir voulu abandonner son père adoptif et estimait que celui-ci, désormais très âgé, avait été manipulé par des « amis » prompts à l’entourer après le décès de son épouse pour s’emparer de son œuvre ; que par ailleurs, si M. [Z] produisait une pièce n°6 qualifiée de « convocation au commissariat de police à la suite d’une plainte pénale de M. [O] [L] », cette pièce constituait bien une convocation dans le cadre d’une enquête préliminaire pour vol mais ne comportait nullement son nom, lui-même contestant formellement avoir porté plainte contre son père adoptif ; qu’en effet, s’il avait bien déposé une plainte à l’occasion de la dispersion des objets personnels de sa mère, il avait expressément précisé lors de son audition qu’il mettait hors de cause son père adoptif ; que cette plainte était totalement indépendante de celle que ses deux frères avaient pu eux-mêmes faire régulariser par ailleurs ; qu’en effet, le concernant, les relations entretenues avec le demandeur avaient toujours été empreintes d’affection, étant lui-même le plus proche de son père adoptif ; que leurs liens étaient si prégnants qu’il l’avait naturellement choisi pour être témoin de son mariage célébré le [Date mariage 4] 2017 ; que néanmoins, le décès de Mme [K] avait bouleversé cette belle harmonie ; que M. [Z] vivait mal la solitude imposée par son deuil, ce qui le rendait vulnérable et en faisait une proie facile pour une cour de prétendus amis ; que malgré son changement d’attitude, il avait continué à prendre de ses nouvelles et de s’inquiéter pour lui ; que M. [Z] leur avait fermé sa porte et ne voulait plus voir ses enfants, sa petite-fille et sa famille ; qu’il ne poursuivait désormais qu’un seul but : que ceux-ci renoncent à sa succession ; que désormais, il avait institué pour héritiers spirituels «3 personnes de totale confiance qui lui (étaient) proches », dont deux d’entre elles avaient attesté dans le cadre de la présente procédure pour tenter de prouver qu’il aurait été abandonné par ses enfants adoptés ; que de son côté, il n’avait jamais abandonné son père et avait vécu avec douleur le rejet de celui-ci, y compris lorsqu’il lui avait annoncé la naissance de son petit-fils au mois de mars 2023 ou encore lorsqu’il n’avait pas répondu à l’appel qui lui avait été passé par sa belle-fille alors que lui-même était hospitalisé au mois de janvier 2022 dans un état grave et que sa vie était en danger ; qu’il était douloureux pour lui de constater que le deuil pour M. [Z] était un deuil qui impliquait d’injurier son fils adoptif et de mépriser l’héritage de sa mère ; qu’il lui était reproché d’avoir été en conflit d’intérêt à l’âge de 30 ans, alors qu’il était jeune avocat, en déposant pour son futur père adoptif une requête en adoption, reprise par la suite par Maître [G], dont le seul nom figurait finalement dans la procédure et dans le jugement, et ce uniquement au départ pour une question d’économie d’honoraires ; que si M. [Z] adoptait désormais une attitude méprisante à l’égard de l’histoire qu’il avait entretenue avec son épouse ou émettait des regrets, il souhaitait qu’il soit rappelé que les liens de l’adoption restaient indéfectibles ; qu’il n’avait personnellement que faire des droits patrimoniaux sur la succession de son père adoptif, ce dernier ayant d’ailleurs prévu de le déshériter au profit d’une fondation dédiée à sa mémoire ; qu’en revanche, il souhaitait que soit préservée l’image conjointe du couple formée par sa défunte mère et par son père adoptif.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 24 mai 2022, le ministère public a demandé au tribunal de débouter M. [Z] de sa demande de révocation d’adoption simple.
Au soutien de sa position, le ministère public a fait valoir que si l'adoption procédait d'un accord de volonté, elle revêtait un aspect institutionnel prépondérant, de telle sorte que sa révocation constituait une mesure exceptionnelle qui ne pouvait, en dépit de l'accord des parties, être prononcée que pour des motifs graves ; que si M. [Z] prétendait avoir subi un abandon de la part de ses fils adoptifs et faisait valoir à l'appui de sa demande quatre attestations, la force probante de ces témoignages apparaissait néanmoins discutable ; qu’en effet, leur contenu apparaissait semblable, se contentait de dénoncer un abandon soudain et immédiat des enfants adoptifs sans être étayé par des éléments précis, les témoignages ayant été rédigés au cours d'une même période et décrivant avant tout la personnalité et le parcours artistique du demandeur ; qu’en outre, ces témoignages étaient pour partie contredits par les pièces versées aux débats en défense et notamment par les courriels adressés au demandeur par lesquels les fils adoptifs exprimaient leur amour et leur intention de se voir ; qu’en réalité, l'ensemble des attestations versées à la procédure faisait état d'une négligence et d'une indifférence qui se seraient manifestées particulièrement pendant le confinement mais venaient à l'appui d'une brouille familiale déclenchée et alimentée par la mort de Mme [K] et par la crise sanitaire, mais ne confirmaient pas un comportement violent, répété ou vindicatif qui aurait pu justifier la révocation de l'adoption ; que l'adoption était une institution importante du droit de la famille, encadrée par la loi et prononcée par jugement ; qu’elle ne saurait donc se défaire au gré des envies ; que M. [Z] s'était engagé, librement et en pleine capacité à souscrire un acte dont il ne pouvait ignorer la portée ; qu’en outre, la dimension successorale qu'apportait une adoption ne pouvait être reprochée au défendeur ; qu’une mésentente dont la responsabilité pouvait être partagée, pouvait naître dans toutes les familles mais ne constituait pas un motif grave justifiant la révocation de l’adoption, motif grave dont la preuve n’était pas rapportée en l’espèce.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024.
L’affaire a été appelée à l’audience du 25 juin 2024 pour être plaidée puis mise en délibéré au 3 septembre 2024.
[DÉBATS NON PUBLICS – Motivation de la décision occultée]
PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
Rejette la demande de M. [O] [L]-[Z] tendant à voir déclarer M. [X] [Z], dit [V] [Z], irrecevable en sa demande de révocation d’adoption simple ;
Déboute M. [X] [Z], dit [V] [Z], de toutes ses demandes ;
Rejette la demande d’exécution provisoire ;
Condamne M. [X] [Z], dit [V] [Z], à verser à M. [O] [L]-[Z] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [X] [Z], dit [V] [Z], aux dépens.
Fait et jugé à Paris, le 3 septembre 2024.
La Greffière La Présidente
Karen VIEILLARD Nastasia DRAGIC