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01/08/2024 | FRANCE | N°23/00312

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 8ème chambre 2ème section, 01 août 2024, 23/00312


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :




8ème chambre
2ème section


N° RG 23/00312
N° Portalis 352J-W-B7G-CYRNN

N° MINUTE :



Assignation du :
29 Décembre 2022





ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 01 Août 2024

DEMANDEURS

S.A.S. ITIMO, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 9]
[Localité 33]

Monsieur [H] [T]
[Adresse 6]
[Localité 26]

Madame [L] [S] épouse [T]
[Adresse 6]
[

Localité 26]

S.C.I. FOCH IMMOBILIER, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 8]
[Localité 26]

Le Syndicat des copriétaires de l’immeuble sis [Adresse 12] [Localité 26], représ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

8ème chambre
2ème section

N° RG 23/00312
N° Portalis 352J-W-B7G-CYRNN

N° MINUTE :

Assignation du :
29 Décembre 2022

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 01 Août 2024

DEMANDEURS

S.A.S. ITIMO, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 9]
[Localité 33]

Monsieur [H] [T]
[Adresse 6]
[Localité 26]

Madame [L] [S] épouse [T]
[Adresse 6]
[Localité 26]

S.C.I. FOCH IMMOBILIER, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 8]
[Localité 26]

Le Syndicat des copriétaires de l’immeuble sis [Adresse 12] [Localité 26], représenté par son syndic la société KST, SAS
[Adresse 16]
[Localité 24]

Le Syndicat des copriétaires de l’immeuble sis [Adresse 14] [Localité 26], représenté par son syndic,la société ITIMO
[Adresse 9]
[Localité 33]

Tous représentés par Maître France GUENET de , avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #G0257

Société SELECTIPIERRRE 2, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 18]
[Localité 34]

Le Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 27] et [Adresse 10] [Localité 26], représenté par son syndic, la société GESIP
[Adresse 5]
[Localité 26]

L’AMBASSADE DE HONGRIE
[Adresse 20]
[Localité 26]

Le Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 21] [Localité 26], représenté par son syndic , la société Dominique G FESSART, SAS
[Adresse 11]
[Localité 23]

SOCIÉTÉ CIVILE [Adresse 22], prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 22]
[Localité 26]

SCI DU [Adresse 32], prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 19]
[Localité 26]

SCI MAIZEN IMMO, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 31]
[Localité 26]

Le Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 2] [Localité 26], représenté par son syndic, la société COTRAGI, SAS
[Adresse 15]
[Localité 25]

Tous représentés par Maître France GUENET de , avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #G0257

DEFENDERESSE

Société COGEMAD, SAS, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 28]

représentée par Maître Olivier BEAUGRAND de l’AARPI OB£MA CONSEILS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #D0457

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Olivier PERRIN, Vice-Président

assisté de Nathalie NGAMI-LIKIBI, Greffière

DEBATS

A l’audience du 04 Juin 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 1er Août 2024.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DE LA PROCÉDURE

Le [Adresse 35] est une voie privée dans le [Localité 26]. Les riverains de cette voie sont membres d’une indivision conventionnelle qui résulte d’un contrat de 1863. Actuellement il y aurait 24 membres de l’indivision.

Par arrêté du 6 janvier 2012, la société MSM 1888 a obtenu un permis de construire pour, notamment, la restitution à l’usage de logements (après usage d’ambassade) d’un hôtel particulier situé [Adresse 4] et sa réhabilitation avec création de deux niveaux de sous-sol, création d’une piscine et de locaux techniques, etc. La surface hors œuvre nette (surface de plancher) créée est de 276 m².

Le 11 mai 2016, la société MSM 1888 a vendu l’hôtel particulier situé [Adresse 4] (section EU [Cadastre 13]) à la SAS COGEMAD moyennant le prix de 10,7 millions d’euros.

Courant août 2016, la société COGEMAD a commencé d’importants travaux de rénovation et d’aménagement de l’immeuble situé [Adresse 4] à [Localité 26]. Pour les besoins de son chantier, elle a posé des bungalows de type Algeco sur la parcelle cadastrée EU [Cadastre 13].

Une procédure devant le juge des référés a été engagée courant 2017. Elle s’est poursuivie devant la cour d’appel de Paris puis devant la Cour de cassation.

Le 24 avril 2018, une autre procédure judiciaire a été engagée par la société COGEMAD à l’encontre des propriétaires des [Adresse 30] à [Localité 26] ; elle s’est désistée de son instance le 25 mars 2019.

***
Le 11 septembre 2018, la société COGEMAD a acheté l’hôtel particulier situé [Adresse 7] (section EU 20). Le 13 janvier 2020, elle a obtenu un permis de construire de modification de façade et création de quatre niveaux de sous-sols d’une superficie de 704 m² et d’une piscine.

Un expert judiciaire a été désigné par le juge des référés le 19 avril 2022.

Des travaux de démolition ont commencé le 18 juillet 2022.

La société COGEMAD a saisi le juge des référés afin d’être autorisée à faire pénétrer des camions de plus de 3,5 tonnes dans le square. Par ordonnance du 28 septembre 2022, le juge des référés a débouté la demanderesse de ses prétentions. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel de Paris.

La société COGEMAD a saisi le tribunal judiciaire de Paris dans le cadre d’une procédure accélérée au fond aux mêmes fins. Par jugement du 4 juillet 2023, le tribunal a rejeté ses demandes. La cour d’appel a été saisie du litige.

***
Par acte du 9 novembre 2021, les poéux [T], la société civile [Adresse 22] et la société civile du [Adresse 1] ont assigné la société COGEMAD et la société ENTREPRISE PETIT devant la juridiction de céans. Cette instance a été enregistrée sous le numéro RG 21/14833.

***
Se plaignant des activités et nuisances répétées durant plusieurs années de la part de la société COGEMAD, plusieurs personnes physiques et morales ont, par acte du 29 décembre 2022, fait assigner la SAS COGEMAD devant la 8e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’indemnisation de leurs préjudices subis pendant plusieurs années, qu’ils soient matériels, moraux ou esthétiques, outre des injonctions adressées à la société COGEMAD de procéder à des travaux de remise en état. Le total des demandes est supérieur à 800.000 euros.

***
Par conclusions d’incident notifiées le 22 février 2023, la SAS COGEMAD a demandé au juge de la mise en état de statuer sur plusieurs incidents de procédure.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions d’incident n°4 notifiées le 03 juin 2024, la SAS COGEMAD a demandé au juge de la mise en état :

« Vu les articles 101 et 103 du Code de Procédure Civile
Vu l’article 789 du Code de Procédure Civile
Vu les articles 31 et 32 du Code de Procédure Civile
Vu les articles 100 et 101 du Code de Procédure Civile
Vu l’article 55 du décret du 17 mars 1967
Vu l’article 815-9 du Code Civil ;
Vu les pièces versées aux débats ;

Il est demandé au Juge de la mise en état de céans de :

- Juger la société COGEMAD recevable en ses prétentions ;

- Juger les défendeurs à titre incident irrecevables en leurs prétentions;

- Se déclarer incompétent pour statuer sur les demandes des demandeurs sur le fondement de l’article 815-9 du Code Civil au profit du Président du Tribunal Judiciaire de PARIS ;
- A défaut, juger les demandeurs irrecevables en leurs prétentions en l’absence d’intérêt à agir ;

- Subsidiairement juger prescrites les prétentions des demandeurs à l’encontre de la société COGEMAD.

- Plus subsidiairement, juger qu’il y a litispendance et renvoyer la présente instance devant la 8ème Chambre 3ème Section du Tribunal Judiciaire de PARIS préalablement saisie dans le cadre de l’instance n°21/14833 ;

- A titre plus subsidiaire, juger qu’il y a connexité, renvoyer en conséquence la présente instance devant la 8ème Chambre 3ème Section du Tribunal Judiciaire de PARIS dans le cadre de l’instance RG 21/14833 ;

- Condamner chacun des demandeurs à payer à la société COGEMAD une somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Condamner les demandeurs aux entiers dépens, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile. »

***
Par conclusions d’incident n°3 en réplique notifiées le 03 juin 2024, la société ITIMO, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 27] et [Adresse 10], représenté par son syndic Gesip, l’Ambassade de Hongrie, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 21], représenté par son syndic Dominique G Fessart, la Société Civile [Adresse 22], la SCI du [Adresse 32], la SCI Maizen Immo, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], représenté par son syndic Cotragi, Monsieur [H] [T] et Madame [L] [Z] [S] épouse [T], la SCI Foch Immobilier, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 12], représenté par son syndic K.S.T., le syndicat des copropriétaires du [Adresse 14], représenté par son syndic Itimo, et la société Selectipierre 2 ont demandé au juge de la mise en état :

« Vu les articles 544, 815-9, 1253, 2224 et 2239 et du Code civil,
Vu la théorie du trouble anormal du voisinage,
Vu l’article 55 du décret du 17 mars 1967,
Vu les articles 31, 32, 32-1, 100, 696, 699, 700 et 768 du Code de procédure civile,
Vu les pièces versées,

- débouter Cogemad de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Cogemad à payer à Itimo, le Syndicat des copropriétaires [Adresse 27] et [Adresse 10], l’Ambassade de Hongrie, le Syndicat des copropriétaires [Adresse 21], la Société Civile [Adresse 22], la SCI du [Adresse 32], la SCI Maizen Immo, le Syndicat des copropriétaires [Adresse 2], Monsieur [H] [T] et Madame [L] [Z] [S] épouse [T], la SCI Foch Immobilier, le Syndicat des copropriétaires [Adresse 12], le Syndicat des copropriétaires [Adresse 14], la société Selectipierre 2, Arwa Real Estate Company chacun la somme de 2.000 euros à titre de dommages intérêts,
- condamner Cogemad à payer à Itimo, le Syndicat des copropriétaires [Adresse 27] et [Adresse 10], l’Ambassade de Hongrie, le Syndicat des copropriétaires [Adresse 21], la Société Civile [Adresse 22], la SCI du [Adresse 32], la SCI Maizen Immo, le Syndicat des copropriétaires [Adresse 2], Monsieur [H] [T] et Madame [L] [Z] [S] épouse [T], la SCI Foch Immobilier, le Syndicat des copropriétaires [Adresse 12], le Syndicat des copropriétaires [Adresse 14], la société Selectipierre 2, Arwa Real Estate Company chacun la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ».

***
L’affaire a été plaidée à l’audience du 4 juin 2024.

La décision a été mise en délibéré au 1er août 2024.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, en ce qui concerne leurs moyens, le juge de la mise en état renvoie les parties à leurs conclusions régulièrement notifiées.

MOTIFS

1.- Sur l’irrecevabilité des prétentions des demandeurs en raison de l’incompétence matérielle du tribunal au fond

La société COGEMAD a allégué que les demandeurs fondent leurs prétentions sur les dispositions de l’article 815-9 alinéa 1er du code civil, et que cette procédure relève de la compétence exclusive du président du tribunal judiciaire

En l’occurrence, l’article 815-9 du code civil énonce en son premier alinéa que :

« Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l'effet des actes régulièrement passés au cours de l'indivision. A défaut d'accord entre les intéressés, l'exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal. »

Il est constant que le présent litige ne concerne pas « le défaut d’accord entre les intéressés » (c’est-à-dire le défaut d’accord entre coindivisaires) mais concerne les relations entre les coindivisaires et un tiers (la société COGEMAD).

Il en découle que le président du tribunal judiciaire n’est pas compétent pour trancher le litige.

Le moyen soulevé par la société COGEMAD est donc rejeté comme n’étant pas fondé en droit.

2.- Sur le défaut d’intérêt à agir personnel et légitime de la société ITIMO

Sur le fondement des dispositions des articles 31 et 32 du code de procédure civile, la société COGEMAD a soutenu que l’acte introductif a notamment été délivré au nom de la société ITIMO, mais que la preuve de la capacité d’ester en justice et de la qualité à agir en justice de cette société fait défaut. L’indivision ne disposant pas de la personnalité juridique, cette absence de personnalité juridique a pour conséquence la nullité des actes délivrés au nom de l’indivision. La société ITIMO, qui n’est qu’un administrateur des indivisaires et gestionnaire conventionnel, et qui n’a pas la qualité d’indivisaire, ne dispose pas d’un intérêt personnel et légitime à agir. Elle est donc, selon la société COGEMAD, irrecevable à agir en son nom propre.

En droit, aux termes des articles 31 et 32 du code de procédure civile,

« L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé » (article 31), et « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir » (article 32).

En l’espèce, il est constant que la société ITIMO est « gestionnaire du [Adresse 35] ».

Toutefois cette société n’intervient pas en qualité de représentant des indivisaires du [Adresse 35] (au demeurant une partie de ces derniers est personnellement partie à l’instance), mais en vertu de son droit personnel tendant à faire respecter le cahier des charges de 1863 qui concerne directement son activité professionnelle, et de son droit de faire réaliser les marquages au sol et de remplacement de bitume puisque son activité consiste à suivre et vérifier tous les travaux devant se dérouler au sein et aux alentours proches du square.

Subsidiairement, le juge constate que la société COGEMAD a attrait la société ITIMO dans plusieurs procédures de référé et de fond, sans qu’on sache si la société ITIMO est attraite en son nom propre ou en sa qualité de gestionnaire du [Adresse 35].

Il découle de ces considérations que la société ITIMO a un intérêt légitime et personnel, ne serait-ce que moral, à agir à l’instance.

Le moyen soulevé par la société COGEMAD est donc rejeté.

3.- Sur l’application de l’article 55 du décret du 17 mars 1967 à l’égard de cinq syndicats des copropriétaires (défaut d’autorisation d’ester en justice)

Sur le fondement des dispositions de l’article 55 du décret du 17 mars 1967, la société COGEMAD a expliqué que les cinq syndicats des copropriétaires parties à l’instance étaient irrecevables à agir en raison d’un défaut d’autorisation d’ester en justice.

En droit, les deux premiers alinéas de l’article 55 du décret du 17 mars 1967 énoncent que :

« Le syndic ne peut agir en justice au nom du syndicat sans y avoir été autorisé par une décision de l'assemblée générale.

Seuls les copropriétaires peuvent se prévaloir de l'absence d'autorisation du syndic à agir en justice. »

Il est constant que la société COGEMAD n’est propriétaire d’aucun immeuble en copropriété dont les syndicats sont parties à l’instance.

Seuls les copropriétaires pouvant se prévaloir de l'absence d'autorisa-tion du syndic à agir en justice, la société COGEMAD ne peut pas s’en prévaloir.

Surabondamment, les demandeurs ont apporté la preuve que les syndicats des copropriétaires avaient voté une résolution autorisant le syndic à engager une procédure d’indemnisation à l’encontre de la société COGEMAD.

Le moyen soulevé par la société COGEMAD est donc rejeté comme n’étant pas fondé en droit et en fait.

4.- Sur l’irrecevabilité de l’action des demandeurs faute de présentation de demandes personnelles et faute de justifier d’un intérêt direct et personnel

Sur le fondement des dispositions des articles 4, 5, 12, 31 et 32 du code de procédure civile, la société COGEMAD a expliqué que les demandes de condamnation sont formulées au nom des « demandeurs », sans aucune individualisation, et non pas au nom de chacun des demandeurs pris individuellement. Le cas de chacun des demandeurs est différent des autres, selon la localisation de son lot au sein du [Adresse 35]. L’action et les prétentions s’apparentent selon la société COGEMAD à une action de groupe, et aucune prétention individuelle et personnelle tendant à la réparation d’un préjudice personnel n’est formulée par les demandeurs.

Les demandeurs ont répliqué que la cause des préjudices (travaux de la société COGEMAD) est identique pour les douze demandeurs, lesquels ont subi le même préjudice et sollicitent les mêmes réparations.

En vertu des dispositions des articles 4 et 768 du code de procédure civile, la demande de condamnation d’une somme unique par préjudice pour l’ensemble des demandeurs n’est pas interdite par le code de procédure civile, à charge pour les demandeurs de se répartir entre eux les sommes éventuellement allouées.

Au surplus, cela constitue un moyen de fond qui pourrait être tranché par la juridiction si elle est amenée à connaître du litige.

Le moyen soulevé par la société COGEMAD est donc rejeté.

5.- Sur la prescription de l’action des demandeurs

Sur le fondement des dispositions de l’article 2224 du code civil, la société COGEMAD a expliqué que les demandes de condamnation, fondées sur les troubles anormaux du voisinage, sont soumises à la prescription quinquennale, qui commence lors de la première manifes-tation du trouble.

Elle a souligné que les travaux avaient commencé en 2012-2013 par l’ancien propriétaire, et qu’elle-même les avait poursuivis à compter d’août 2016. Les travaux n’ont jamais été suspendus. La première manifestation de l’éventuel trouble anormal du voisinage remonte à la date du 14 octobre 2013 (pour la société MSM 1888) ou au 5 août 2016, ou au 6 octobre 2016 (pour la société COGEMAD). Mais dès avril 2016, les copropriétaires ont été informés des travaux à intervenir. La prescription court donc d’août 2016 à août 2021, et subsidiairement à compter du 21 octobre 2016 (courrier envoyé par lettre recommandée) ou du 7 novembre 2016 (constat d’huissier de justice), ou encore du 20 ou 21 décembre 2016 (visite expertale / assemblée générale extraordinaire). En assignant la société COGEMAD le 9 décembre 2022, les demandeurs auraient agi tardivement et hors du délai de la prescription quinquennale.

En pages 14 et 15 de leurs conclusions récapitulatives, les demandeurs ont invoqué les dispositions de l’article 2239 du code civil qui permettent la suspension de la prescription lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Ils ont soutenu que la procédure de référé préventif engagée par la société MSM 1988 en 2012 avait suspendu la prescription jusqu’au dépôt du rapport d’expertise le 22 novembre 2012, puis de 2016 (désignation d’un nouvel expert) au 1er octobre 2020, date du dépôt du rapport d’expertise définitif. Cette mesure d’expertise a suspendu la prescription ; le délai a repris cours à cette date. La 3e chambre civile de la cour de cassation a eu à connaître d’un cas similaire de suspension de prescription en matière de vices cachés.

Par ailleurs la société civile [Adresse 29], Monsieur et Madame [T] et à l’époque la société civile [Adresse 1] ont engagé le 2 janvier 2017 une procédure devant le juge des référés, ce qui entraîne la suspension du délai de prescription.

***
En droit, l’article 2224 du code civil énonce que :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

L’article 2239 du code civil dispose en outre que :

« La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. »

Il est constant que l’article 2224 est applicable en matière de troubles anormaux du voisinage (voir par exemple Cass. Civ. 3e, 16 janvier 2020, pourvoi n°16-24.352).

En l’espèce, les pièces versées aux débats montrent, sans nul doute possible, que les copropriétaires du [Adresse 35] avaient connaissance des troubles du voisinage au cours de l’année 2016.

Non seulement les travaux entrepris par la société COGEMAD ont commencé courant août 2016 (comme le reconnaissent les copropriétaires dans leurs conclusions), mais les copropriétaires s’en sont plaint le 21 octobre 2016 par courrier envoyé par lettre recommandée, et ces troubles ont été constatés le 7 novembre 2016 par d’huissier de justice.

Le délai de prescription a donc commencé courant août 2016 et s’est terminé en août 2021.

S’agissant de la suspension du délai de prescription à l’égard de tous les demandeurs, il résulte des dispositions de l’article 2239 précité du code civil que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.

Toutefois il est de principe constant que la suspension de la prescription n’a lieu qu’au profit de la personne physique ou morale qui en a pris l’initiative afin de préserver ses droits (voir par exemple Cass. Civ. 2e, 31 janvier 2019, pourvoi n°18-10011).

En l’espèce la mesure de référé préventif a été diligentée par la société MSM 1988 puis par la société COGEMAD. Les demandeurs à la présente instance ne sont pas ceux qui ont réclamé cette mesure d’expertise en 2012 ni le changement d’expert en 2016. Au surplus, cette mesure d’instruction n’avait qu’une fonction probatoire par application de l’article 145 du code de procédure civile et se distingue de l’action éventuellement engagée par d’autres parties devant une juridiction. Cette mesure préventive ne tend donc pas au même but que les prétentions des demandeurs au fond, de sorte qu’elle n’a pas pu suspendre la prescription de leur action.

S’agissant de la procédure engagée le 2 janvier 2017 devant le juge des référés par la société civile du [Adresse 29], par Monsieur et Madame [T] et à l’époque par la société civile du [Adresse 1], il résulte des pièces que les troubles anormaux du voisinage étaient déjà connus à cette date par ces deux demandeurs personnes morales et deux demandeurs personnes physiques. Or la suspension ou l’interruption d’un délai de prescription a pour objectif de protéger des personnes vulnérables ou qui ignorent l’étendue de leurs droits. En l’occurrence, les demandeurs étaient au courant de l’existence de ces troubles et la mesure de référé n’avait pas pour objet une indemnisation au fond de leur préjudice matériel, moral ou esthétique (ce qui est le sujet de la présente instance), mais l’enlèvement de biens mobiliers ou immobiliers.

Or l’effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s’étend pas à une seconde demande différente de la première par son objet ; il en est de même lorsque les demandes en justice n’ont pas la même finalité. Ainsi l’instance engagée le 2 janvier 2017, qui tend à la cessation de l’occupation de la parcelle EU [Cadastre 17], est une action autonome et distincte de la présente instance au fond. Ces actions n’ont pas la même finalité. Il en découle que l’instance engagée en 2017 n’a pas eu pour effet d’interrompre le délai de prescription.

Le moyen soulevé par la société COGEMAD est donc accueilli : les demandeurs, qui fondent leurs prétentions sur la théorie des troubles du voisinage (et très accessoirement sur les dispositions des article 815-9 et 544 du code civil), sont irrecevables en leur action pour cause de prescription.

6.- Sur la litispendance et la connexité

Il découle de ce qui précède que ce moyen ne sera pas étudié, comme étant sans objet.

7. Sur les autres demandes

Les faits de l’espèce et l’équité ne justifient pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Les parties seront déboutées de leurs demandes formées en ce sens.

Les faits de l’espèce ne justifient pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Les parties seront déboutées de leurs demandes formées en ce sens.

« Partie perdante » au sens des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, les demandeurs seront condamnés aux dépens.

L’exécution provisoire est de droit.

Mettant fin à l’instance, l’ordonnance est rendue en premier ressort.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, par ordonnance contradictoire rendue en premier ressort et mise à disposition :

DÉCLARE IRRECEVABLES en leur action pour cause de prescription la société ITIMO, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 27] et [Adresse 10], représenté par son syndic Gesip, l’Ambassade de Hongrie, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 21], représenté par son syndic Dominique G Fessart, la Société Civile [Adresse 22], la SCI du [Adresse 32], la SCI Maizen Immo, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], représenté par son syndic Cotragi, Monsieur [H] [T] et Madame [L] [Z] [S] épouse [T], la SCI Foch Immobilier, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 12], représenté par son syndic K.S.T., le syndicat des copropriétaires du [Adresse 14], représenté par son syndic Itimo, et la société Selectipierre 2 ;

CONSTATE l’extinction de l’instance ;

DIT n’y avoir pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et DÉBOUTE les parties de leurs demandes sur ce sujet ;

DIT n’y avoir pas lieu de faire application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile et DÉBOUTE les parties de leurs demandes sur ce sujet ;

CONDAMNE solidairement à supporter les dépens de l’instance la société ITIMO, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 27] et [Adresse 10], représenté par son syndic Gesip, l’Ambassade de Hongrie, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 21], représenté par son syndic Dominique G Fessart, la Société Civile [Adresse 22], la SCI du [Adresse 32], la SCI Maizen Immo, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], représenté par son syndic Cotragi, Monsieur [H] [T] et Madame [L] [Z] [S] épouse [T], la SCI Foch Immobilier, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 12], représenté par son syndic K.S.T., le syndicat des copropriétaires du [Adresse 14], représenté par son syndic Itimo, et la société Selectipierre 2 ;

DIT n’y avoir pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.

Faite et rendue à Paris le 1er Août 2024.

La Greffière Le Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 8ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 23/00312
Date de la décision : 01/08/2024
Sens de l'arrêt : Déclare la demande ou le recours irrecevable

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-08-01;23.00312 ?
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