TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :
■
2ème chambre civile
N° RG 22/06762 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CXCLC
N° MINUTE :
Assignation du :
08 Juin 2022
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 01 Août 2024
DEMANDERESSE
Madame [P], [F], [W] [I] épouse [E]
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représentée par Maître Agathe LEVY-SEBAUX de l’AARPI Laude Esquier & Associés, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #R144,
DEFENDEUR
Monsieur [O] [Z], [Y] [I]
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représenté par Maître Emmanuel RAVANAS de la SELEURL ERAVANAS - AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D1318
____________________________
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Madame Claire ISRAEL, Vice-Présidente
Assistée de Madame Audrey HALLOT, Greffière
DEBATS
A l’audience du 03 Juin 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 01 Août 2024.
ORDONNANCE
Rendue publiquement par mise à disposition au Greffe
Contradictoire et susceptible de recours,
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCEDURE
Par acte du 14 décembre 1988, [T] [B] épouse [I] a donné à ses enfants, Mme [P] [I] épouse [E] et M. [O] [I], la nue-propriété d’un bien immobilier situé [Adresse 4] » à [Localité 6] (76) et s’en est réservé l’usufruit.
Par acte de donation-partage du 18 mai 2010, [T] [B] épouse [I] et son époux, [L] [I] ont donné à M. [O] [I] la nue-propriété d’un appartement situé [Adresse 2] à [Localité 9].
[L] [I] est décédé le [Date décès 5] 2014.
[T] [B] veuve [I] est décédée le [Date décès 1] 2020, laissant pour lui succéder ses deux enfants.
Dépendent de sa succession des liquidités et des biens meubles meublant un appartement situé [Adresse 3] à Genève (Suisse), propriété d’une SCI et l’appartement situé [Adresse 2] à Paris 17ème.
Par exploit d’huissier en date du 8 juin 2022, Mme [P] [I] épouse [E] a fait assigner M. [O] [I] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins essentielles de voir ordonner l’ouverture des opérations de partage de l’indivision portant sur le bien d’Etretat, de l’indivision portant sur les biens meubles se trouvant dans les appartements de Paris et Genève et de voir ordonner la licitation du bien d’Etretat.
Par conclusions d’incident signifiées par voie électronique le [Date décès 1] 2024 et en dernier lieu le 21 mai 2024, M. [O] [I] demande au juge de la mise en état de :
- SE DÉCLARER INCOMPÉTENT pour statuer sur la demande d’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage formée par Mme [P] [E];
- RENVOYER les parties à mieux se pourvoir devant les juridictions suisses ;
- CONDAMNER Mme [P] [E] à payer à M. [O] [I] la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions sur incident signifiées par voie électronique le 24 mai 2024, Mme [P] [I] épouse [E] demande au juge de la mise en état de :
- SE DECLARER COMPETENT pour statuer sur la demande d’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des indivisions immobilière et successorale telle que formée par Mme [P] [E] ;
- DEBOUTER M. [O] [I] de l’ensemble de ses demandes ;
- CONDAMNER M. [O] [I] à payer à Mme [P] [E] la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’exception d’incompétence
M. [O] [I] se fonde sur les dispositions de l’article 4 du Règlement (UE) n°650-2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 pour soutenir que le tribunal judiciaire de Paris n’est pas compétent pour connaître des demandes de Mme [P] [I] épouse [E] qui portent sur le partage de biens relevant d’une indivision successorale, le lieu de résidence habituelle de [T] [B] veuve [I] à son décès se trouvant en Suisse.
S’agissant de l’indivision portant sur le bien d’[Localité 6], il soutient qu’elle procède d’une donation-partage de leur mère et partant, qu’elle relève bien des dispositions du Règlement (UE) n°650-2012, applicable aux pactes successoraux. Il expose que l’arrêt UM de la Cour de Justice de l’Union Européenne en date du 9 septembre 2021 (aff C-277/20) qui concerne une donation entre époux de biens à venir, n’exclut pas pour autant l’application du règlement européen aux donations-partages, ainsi que cela ressort des conclusions de l’Avocat général et selon l’interprétation de la doctrine.
Il fait également valoir que le juge devra statuer sur la validité du testament de [T] [B] veuve [I] en date du 28 novembre 2016, lequel attribue le bien d’[Localité 6], sur son articulation avec la donation-partage et sur la validité de la convention du 9 octobre 2020 par laquelle les héritiers ont renoncé à se prévaloir de ce testament, de sorte que la compétence du juge doit s’apprécier par rapport à l’ensemble de ces actes et non seulement la donation-partage.
S’agissant de l’indivision mobilière il soutient que l’application de l’article 10 du Règlement (UE) irait à l’encontre de l’objectif d’assurer une convergence entre la compétence juridictionnelle et la loi applicable puisque le juge français, s’il se déclarait compétent, devrait appliquer la loi suisse conformément à l’article 21.
Enfin, il expose que les dispositions du Règlement (UE) ne pouvant fonder la compétence que de juridictions appartenant aux Etats membres de l’Union, il convient d’appliquer les règles de compétences internationales de la loi fédérale suisse de droit international privé, lesquelles donnent compétence aux autorités judicaires suisses du dernier domicile du défunt pour connaître des litiges successoraux.
Mme [P] [I] épouse [E] soutient que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître de l’ensemble de ses demandes.
S’agissant de l’indivision immobilière, elle fait valoir que :
- Le Règlement exclut expressément en son article 1er de son champ d’application les biens transférés au moyen de libéralités,
- L’indivision portant sur le bien d’[Localité 6] est une indivision conventionnelle, le bien ne dépendant pas de la succession de [T] [B] veuve [I],
- La donation du 14 décembre 1988 n’est en tout état de cause pas une donation-partage dès lors que les donataires se trouvent en indivision sur le bien immobilier,
- Il ne s’agit pas non plus d’une donation à cause de mort, de sorte que l’arrêt « UM » de la CJUE du 9 septembre 2021 n’est pas applicable,
- M. [O] [I] ne peut se prévaloir du testament du 28 novembre 2016 auquel il a renoncé par la convention du 9 octobre 2020,
- En conséquence, le partage de l’indivision portant sur le bien d’Etretat n’a pas de dimension internationale et s’agissant d’une action mixte, l’application de l’article 46 du code de procédure civile conduit à retenir la compétence du tribunal judiciaire de Paris, lieu du domicile du défendeur, M. [O] [I].
S’agissant de l’indivision successorale, mobilière, elle ne conteste pas que la résidence habituelle de la défunte se trouvait en Suisse à l’ouverture de la succession mais elle se fonde sur les dispositions de l’article 10 du Règlement (UE) n°650/2012 pour retenir la compétence des juridictions françaises, en ce que [T] [B] veuve [I] était de nationalité française et les meubles meublant l’appartement de Paris se trouvent bien en France, de même que de nombreux avoirs bancaires.
Sur ce
Sur l’indivision portant sur le bien d’[Localité 6]
En application des articles 1075 et 1076 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006, les père et mère peuvent faire sous forme de donation-partage ou de testament-partage, entre leurs enfants et descendants, la distribution et le partage de leurs biens présents.
Il résulte de ces dispositions qu'il n'y a de donation-partage que dans la mesure où l'ascendant effectue une répartition matérielle de ses biens entre ses descendants.
En l’espèce, par acte authentique du 14 décembre 1988, [T] [B] épouse [I] a fait donation à ses deux enfants, chacun pour moitié, de la nue-propriété du bien situé à [Localité 6]. Par cet acte, qui ne donne que des droits indivis aux gratifiés, elle n’a pas opéré à leur égard un partage de ses biens, de sorte que cet acte constitue une donation simple entre vifs, créant une indivision conventionnelle entre les donataires.
M. [O] [I] ne peut se prévaloir du testament du 28 novembre 2016 pour soutenir que la défunte a ultérieurement opéré une répartition de biens divis, dès lors qu’il est constant que par convention du 9 octobre 2020, il a convenu, avec sa sœur, de renoncer aux règles de partage énoncées dans le testament et alors qu’il n’a jamais contesté la validité de cette renonciation.
Dès lors, sans même qu’il ne soit besoin d’examiner si les dispositions du Règlement (UE) n°650-2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 applicables aux pactes successoraux ont vocation à s’appliquer aux donations-partages comme le soutient M. [O] [I], il convient de juger que l’indivision conventionnelle sur le bien d’[Localité 6], née d’une donation simple est expressément exclue du champ d’application du Règlement (UE) n°650-2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 lequel s’applique aux successions à cause de mort, à l’exclusion notamment des droits et biens créés ou transférés autrement que par succession, par exemple au moyen de libéralités.
En l’absence d’élément d’extranéité, la compétence juridictionnelle territoriale pour connaître de l’action en partage de cette indivision doit s’apprécier au regard des règles de code de procédure civile.
En application de l’article 46 du code de procédure civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière mixte, la juridiction du lieu où est situé l'immeuble.
L’action en partage d’une indivision conventionnelle, qui met en cause à la fois un droit personnel et un droit réel, présente un caractère mixte.
Dès lors, le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaître de l’action en partage de l’indivision portant sur le bien situé à Etretat, s’agissant de la juridiction du lieu où demeure le défendeur, M. [O] [I] qui est domicilié [Adresse 2] à Paris 14ème.
L’exception d’incompétence soulevée par ce dernier sera donc rejetée s’agissant de l’action en partage de l’indivision conventionnelle portant sur le bien d’[Localité 6].
Sur l’indivision mobilière
Il est constant que les biens meubles dont le partage est demandé dans l’assignation dépendent de l’indivision successorale résultant du décès de [T] [B] veuve [I].
Cette dernière étant décédée le [Date décès 1] 2020, il convient de vérifier la compétence du tribunal judiciaire de Paris au regard des dispositions du Règlement (UE) n°650-2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité qui est applicable.
Aux termes de l’article 4 du Règlement, sont compétentes pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.
L’article 10 prévoit toutefois des compétences subsidiaires et il résulte notamment du paragraphe 1 a) que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un État membre, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès.
En l’espèce, il est constant que la résidence habituelle de [T] [B] veuve [I] au moment de son décès se trouvait en Suisse, qui n’est pas un Etat membre de l’Union européenne.
Toutefois, il est tout aussi constant qu’elle avait la nationalité française et que des biens successoraux sont situés en France, notamment les meubles meublant l’appartement de Paris, de même que des avoirs bancaires ainsi que cela ressort de la déclaration de succession.
En application de l’article 10 du Règlement (UE) n°650-2012, les juridictions françaises et singulièrement le tribunal judiciaire de Paris compte tenu du lieu où se trouvent certains meubles, est compétent pour statuer sur l’ensemble de la succession de [T] [B] veuve [I].
Enfin, le fait que la loi applicable à la succession en application des dispositions des articles 20 et suivants du Règlement ne soit pas la loi française ne suffit pas à écarter la compétence des juridictions françaises.
L’exception d’incompétence soulevée par M. [O] [I] sera donc rejetée.
La demanderesse sera toutefois invitée dans le dispositif de ses prochaines écritures au fond à reformuler ses prétentions dès lors qu’elle évoque désormais le partage de la succession alors qu’aux termes de l’assignation sa demande portait uniquement sur les meubles meublant présents dans les appartements de [Localité 8] et [Localité 7].
Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de réserver les dépens et les demandes au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Nous Claire Israel, juge de la mise en état, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire, susceptible de recours,
Rejette l’exception d’incompétence soulevée par M. [O] [I],
Déclare le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer sur l’action en partage de l’indivision conventionnelle portant sur le bien situé [Adresse 4] Etretat (76),
Déclare le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer sur l’action en partage de l’indivision successorale résultant du décès de [T] [B] veuve [I],
Renvoyons à l’audience de mise en état du 14 octobre 2024 à 13h30 pour conclusions au fond en défense,
Réservons les dépens,
Réservons les demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Faite et rendue à Paris le 01 Août 2024
La Greffière Le Juge de la mise en état