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05/07/2024 | FRANCE | N°23/03036

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 2ème section, 05 juillet 2024, 23/03036


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




9ème chambre
2ème section


N° RG 23/03036 -
N° Portalis 352J-W-B7H-CZFE6

N° MINUTE : 7




Assignation du :
01 Mars 2023









JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDEURS

Madame [Z] [N] épouse [C]
[Adresse 3]
[Localité 6]

Monsieur [G] [D] [N]
[Adresse 4]
[Localité 7]

représentés par Maître Patrick MILLOT de l’ASSOCIATION LECHLER BERNARDY, a

vocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0107



DÉFENDERESSE

S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maître Sébastien ZIEGLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2258


Décision du 05...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

9ème chambre
2ème section

N° RG 23/03036 -
N° Portalis 352J-W-B7H-CZFE6

N° MINUTE : 7

Assignation du :
01 Mars 2023

JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDEURS

Madame [Z] [N] épouse [C]
[Adresse 3]
[Localité 6]

Monsieur [G] [D] [N]
[Adresse 4]
[Localité 7]

représentés par Maître Patrick MILLOT de l’ASSOCIATION LECHLER BERNARDY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0107

DÉFENDERESSE

S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maître Sébastien ZIEGLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2258

Décision du 05 Juillet 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/03036 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZFE6

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Gilles MALFRE, Premier Vice-Président adjoint
Augustin BOUJEKA, Vice-Président
Alexandre PARASTATIDIS, Juge

assistés de Alise CONDAMINE-DUCREUX, Greffière

DÉBATS

À l’audience du 24 Mai 2024 tenue en audience publique devant Monsieur BOUJEKA, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux conseils des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

____________________

FAITS ET PROCÉDURE

La société civile immobilière La Royale immobilière de Paris (ci-après la SCI La Royale) est titulaire d’un compte-titres numéro [XXXXXXXXXX02] ouvert dans les livres de la société anonyme BNP Paribas (ci-après la BNP).

Le 21 mars 2018, la BNP a procédé au rachat de 32 636,937 parts d’un produit financier dénommé « BARCLAY.MON.MKT EURO CL.C C.3 » correspondant à des parts d’un fonds commun de placement (FCP) émises par la banque Barclays abritées dans le compte de la SCI La Royale, pour la somme de 324.225,12 euros, avec une plus-value de 177.068 euros au profit de la SCI La Royale.

Le 28 mars 2018, la BNP a exécuté un ordre de souscription portant sur 2 931,809 parts d’un produit financier dénommé « BNP.SUS.B.EUR.S.T.CLA.CL C3DEC », correspondant à des parts d’un FCP émises par la BNP, pour la somme globale de 299.777,47 euros, les titres ainsi acquis étant inscrits au crédit du compte-titres de la SCI La Royale.

Le 17 avril 2018, la SCI La Royale a donné en nantissement son compte-titres ouvert dans les livres de la BNP, en garantie d’un prêt consenti par cet établissement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 mai 2019 et par courrier électronique du même jour, Monsieur [G] [N], agissant en qualité de gérant de la SCI La Royale, a reproché à la BNP une faute professionnelle consistant dans le rachat intervenu le 21 mars 2018, sans autorisation, des parts du FCP Barclays inscrites sur son compte-titres et ce sans bénéfice de l’abattement prévu en pareil cas dès lors que les titres concernés avaient été conservés pendant huit années. Par une autre lettre recommandée avec accusé de réception, le gérant de la SCI La Royale a réclamé un dédommagement à la BNP correspondant à la vente, sans autorisation, des parts du FCP Barclays et à l’imposition des plus-values supplémentaires subies par ses associés, la même demande étant réitérée par mise en demeure du conseil de la SCI La Royale en date du 19 mars 2020.

Par lettre du 18 novembre 2020, réitérée le 11 janvier 2021, la BNP a indiqué à la SCI La Royale que malgré les recherches entreprises, l’ordre de rachat des titres Barclays n’avait pu être retrouvé, précisant cependant qu’une convention de rachat était intervenue entre les parties, les sommes en résultant ayant servi à procéder à la souscription des parts du FCP BNP, le fait étant d’autant plus établi que les titres issus de la nouvelle souscription ont permis de nantir, au profit de la BNP, le compte-titres de la SCI La Royale en garantie d’un prêt consenti à cette SCI par la BNP, ajoutant ne pouvoir donner suite à la demande d’indemnisation portant sur les conséquences fiscales du rachat.

Après une nouvelle et vaine mise en demeure faite par le conseil de la SCI La Royale le 24 novembre 2022, Madame [Z] [N], épouse [C], associée de la SCI La Royale et Monsieur [G] [N], agissant tant en qualité de gérant que d’associé de la SCI La Royale ont, par acte du 1er mars 2023, fait assigner la BNP en recherche de la responsabilité de cet établissement et aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 8 février 2024, demandent à ce tribunal, au visa des articles 1112-1, 1240 et 1915 du code civil, de :

- Dire et juger que la société BNP Paribas a, en sa qualité de dépositaire, commis de nombreuses fautes contractuelles dans le cadre du contrat de dépôt conclu avec la société civile immobilière La Royale Immobilière de [Localité 8] :
- en réalisant au nom et pour le compte du déposant des opérations d’investissement non-autorisées ;
- en manquant à son devoir d’information et de mise en garde vis-à-vis du déposant ;
- et en violant les dispositions relatives à l’application des taux d’abattement lors de la déclaration de la plus-value réalisée le 20 mars 2018 lors de la cession des parts du Fonds Commun de Placement BARCLAY MON MKT EURO CL C C3, identifié sous le code ISIN LU0742800054, que détenait la société civile immobilière La Royale Immobilière de [Localité 8] ;
- Condamner la société BNP Paribas à régler :
- la somme de 2.809,80 euros au profit de Monsieur [G] [D] [N] ;
- et la somme de 6.945,00 euros au profit de Madame [Z] [N] épouse [C] ;

- Dire et juger que ces fautes ont entraîné une perte de chance, pour Madame [Z] [N] et Monsieur [G] [N], associés de la société civile immobilière La Royale Immobilière de [Localité 8], d’obtenir une meilleure rentabilité des parts du Fonds Commun de Placement BARCLAY MON MKT EURO CL C C3, identifié sous le code ISIN LU0742800054 ;
- En conséquence, condamner la société BNP Paribas à régler :
- la somme de 7.500,00 euros au profit de Monsieur [G] [D] [N] ;
- et la somme de 7.500,00 euros au profit de Madame [Z] [N] épouse [C] ;
À titre subsidiaire :
- Dire et juger que la société BNP Paribas a manqué à son obligation de conseil en n’appliquant pas le taux d’abattement sur la plus-value réalisée le 20 mars 2018 lors de la cession des parts du Fonds Commun de Placement BARCLAY MON MKT EURO CL C C3, identifié sous le code ISIN LU0742800054 ;
- En conséquence, condamner la société BNP Paribas à régler :
- la somme de 1.826,37 euros au profit de Monsieur [G] [D] [N] ;
- et la somme de 4.514,25 euros au profit de Madame [Z] [N] épouse [C] ;
En tout état de cause :
- Dire et juger que les fautes contractuelles commises par la société BNP Paribas ont causé un préjudice moral au gérant de la société civile immobilière La Royale Immobilière de [Localité 8], Monsieur [G] [D] [N] ;
- En conséquence, condamner la société BNP Paribas à régler la somme de 13.000 euros à Monsieur [G] [D] [N] ;
- Condamner la société BNP Paribas à régler à Madame [Z] [N] épouse [C] et Monsieur [G] [D] [N] la somme de 3.000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’au règlement des entiers dépens.

Par écritures signifiées le 29 décembre 2023, la BNP demande à ce tribunal de :

- Débouter Mme [N] épouse [C] et M. [N] de leurs demandes ;
- Condamner in solidum Mme [N] épouse [C] et M. [N] à payer à BNP Paribas la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et de les condamner in solidum aux dépens.

La clôture a été prononcée le 26 avril 2024, l’affaire étant appelée à l’audience du 24 mai 2024 et mise en délibéré au 5 juillet 2024.

Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes principales
Sur les demandes de la SCI La Royale

Monsieur et Madame [N] font tout d’abord reproche à la BNP, concernant la SCI La Royale, d’avoir cédé, le 20 mars 2018, sans mandat exprès, les titres du FCP Barclays qu’elle détenait en tant que dépositaire et ce en violation de l’article 1984 du code civil. Ils indiquent que les courriers produits aux débats par la BNP, annonçant l’exécution de l’ordre en cause, ne justifient en rien le prétendu mandat verbal dont se prévaut cette banque, l’acte de nantissement dont fait état cette banque ne mentionnant ni la cession des parts du FCP Barclays, ni la souscription des parts du FCP BNP, ce d’autant plus que celle-ci crée une confusion entre la qualité de dépositaire et celle de titulaire du FCP BNP. Ils affirment par ailleurs que la mention figurant sur un relevé selon laquelle le destinataire est réputé avoir approuvé, sauf réserve formulée dans un délai de 2 mois, les écritures et le solde y figurant, consiste dans une stipulation considérée comme abusive au sens de l’article L.212-1 du code de la consommation et doit être réputée non-écrite sans préjudice du droit de la SCI La Royale d’agir contre la BNP dès lors que la demande n’est pas prescrite. À l’argument adverse selon lequel une cession et une souscription de parts de FCP pourraient résulter d’un simple ordre verbal, l’ordre écrit n’étant pas une condition de validité d’un pareil acte, les concluants rétorquent que l’article 1359 du code civil pose l’exigence d’un écrit sous seing privé ou authentique pour établir la preuve de tout acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant 1.500 euros, une telle preuve étant ici défaillante à propos du rachat des parts d’un FCP d’une valeur totale de 324.225,12 euros. Ils ajoutent qu’en tout état de cause, la BNP ne met pas le tribunal en état de constater l’existence d’un ordre verbal portant consentement de la SCI La Royale à la cession des parts du FCP Barclays. Ils indiquent de plus fort que l’argument dont se prévaut la BNP, tenant à ce que la SCI aurait dû signaler son désaccord dans le délai de 13 mois est dénué de toute pertinence, l’établissement bancaire reconnaissant lui-même l’inapplicabilité de ce délai au cas particulier. Monsieur et Madame [N] estiment dès lors que la BNP a commis une faute de nature extracontractuelle qui leur porte préjudice, en application de l’article 1240 du code civil. Ils ajoutent que la BNP a de surcroît manqué, vis-à-vis de la SCI La Royale, à son obligation d’information afférente à la soumission à abattement des parts du FCP Barclays, ce qui est établi par son argumentation tendant à ce que les concluants ne démontrent pas que les conditions de l’abattement litigieux étaient réunies. Ils affirment encore que la BNP a manqué à son obligation de mise en garde vis-à-vis de la SCI La Royale, n’ayant pas attiré l’attention de la société dépositaire sur les conséquences néfastes de l’investissement. Le préjudice qu’ils invoquent est de nature financière, portant sur la lourde imposition qu’ils ont subi, en qualité d’associés, appliquée à la plus-value produite par les parts du FCP Barclays, observant que les associés n’ont rien perçu de cette plus-value immédiatement réinvestie par la BNP dans le FCP BNP sans l’accord de la SCI La Royale. Ce préjudice consiste dans la somme de 2.809,80 euros pour Monsieur [N] et 6.945 euros pour Madame [N], correspondant aux montants des impositions qu’ils ont respectivement acquittés. À cela, ils ajoutent un préjudice de perte de chance de n’avoir pas conservé les parts du FCP Barclays et d’en tirer une meilleure rentabilité, qu’ils évaluent à 7.500 euros chacun. À titre surabondant, ils se prévalent d’un préjudice né de la violation par la BNP des dispositions relatives à l’application du taux d’abattement sur les plus-values, étant observé que la BNP a en outre commis une erreur en indiquant que ces plus-values, au montant global de 177.068 euros, n’étaient pas éligibles à un abattement alors que l’article 150-0 D du code général des impôts en prévoit un, de 65 % pour les titres détenus depuis plus de 8 ans, tel étant le cas en l’espèce. Pour les concluants, si cet abattement avait été appliqué, Monsieur [N] aurait évité un trop-perçu d’imposition de 1.826,37 euros et Madame [N] de 4.514,25 euros, dont ils sollicitent l’indemnisation par la BNP.

En réplique, la BNP affirme n’avoir jamais reconnu une vente de parts sans ordre, contrairement aux dires des demandeurs. Elle souligne immédiatement après que l’écrit n’est pas une condition de validité d’un ordre de souscription ou de rachat de parts de FCP, cet ordre pouvant être simplement verbal, sa preuve étant apportée par tout moyen, notamment par l’absence de contestation du donneur d’ordre à réception de l’avis d’opérer ou des relevés de compte mentionnant l’exécution des opérations, faisant présumer l’accord du titulaire du compte y figurant. Elle précise qu’un avis d’opéré du 22 mars 2018 mentionne la vente de parts du FCP Barclays et la souscription de parts du FCP BNP, les montants correspondant à l’une et l’autre opération apparaissant en outre dans les relevés de compte de la SCI La Royale, respectivement en date du 21 mars 2018 et du 27 mars 2018. Elle souligne que Monsieur [N], gérant de la SCI, laquelle agit en qualité de professionnel quand elle acquiert ou cède des placements destinés à sécuriser les dépôts de garanties de ses locataires, n’a formulé aucune protestation ou réserve, attendant mai 2019, soit plus de 13 mois après les opérations, pour remettre en cause l’ordre de rachat en raison de ses différends avec un autre associé. Elle indique par ailleurs que si les demandeurs se prévalent des dispositions des articles L.133-6 et L.133-7 du code monétaire et financier qui ne s’appliquent pourtant qu’en matière d’ordres de paiement, il demeure que le délai de 13 mois prévu à l’article L.133-24 du code monétaire et financier est expiré. Pour la BNP, les demandeurs invoquent tout aussi vainement les dispositions de l’article 1359 du code civil, en ce que n’ayant pas protesté ou émis des réserves pendant 13 mois, laissant présumer l’accord de la SCI aux opérations litigieuses, il ne lui appartient pas d’apporter la preuve d’un ordre écrit, mais aux demandeurs de démontrer l’absence d’ordre.

Pour la BNP, loin de pouvoir combattre cette présomption, la SCI a au contraire, le 17 avril 2018, nanti au profit de la concluante le compte-titres des parts du FCP BNP, cette affectation en garantie démontrant que la SCI, représentée par Monsieur [N], était pleinement informée de la cession des titres Barclays et de la souscription des titres BNP ce qui emportait ratification tacite par utilisation des titres objets des opérations de cession et de souscription litigieuses. À propos des manquements allégués à l’obligation d’information et de mise en garde, la BNP estime qu’en l’absence de conclusions d’un mandat de gestion et en l’absence d’opération spéculative concernant en outre des opérations au comptant sur des OPCVM monétaires ou obligataires, elle n’était tenue, en tant que simple dépositaire de titres à une pareille obligation portant en particulier sur les conséquences fiscales exposées.

À la demande de réparation du préjudice fiscal allégué, la BNP fait valoir que les demandeurs ne produisent aucune pièce relative à une imposition qui aurait été supportée du fait du rachat litigieux, pas même un procès-verbal d’assemblée générale de la SCI portant sur les comptes clos au 31 décembre 2018 ou leur avis d’imposition, de telle sorte que le préjudice n’est pas prouvé.

Quant à la demande subsidiaire afférente au manquement à l’obligation de conseil à propos du défaut d’application du taux d’abattement sur la plus-value réalisée et le préjudice afférent pour chacun des demandeurs, la BNP affirme que Monsieur et Madame [N] ne démontrent pas que les parts du FCP Barclays étaient éligibles au taux de 65 %, en particulier la condition tenant à ce qu’au moins 75 % des actifs des OPCVM concernés soient employés en parts ou actions de société en application de l’article 150-0 D du code général des impôts alors que les FCP Barclays étaient gérés de façon active et investis principalement en titre de créance négociable à court terme. Elle ajoute n’avoir jamais prétendu auprès des demandeurs que les parts du FCP Barclays fussent éligibles à un quelconque abattement, indiquant en outre que le relevé de l’opération de cession l’atteste clairement. Elle réfute tout autant l’argument de Monsieur et Madame [N] tenant à ce que mieux informés, ils eussent souscrit un autre investissement alors que les demandeurs ont souscrit les parts litigieuses directement auprès d’une filiale de la Barclays sans démontrer que cette souscription a été effectuée par le truchement de la concluante.

Au sujet du préjudice relatif au trop-payé d’impôts supporté par l’un et l’autre des demandeurs, ceux-ci ne justifient ni de l’assiette, ni du taux, ni du montant d’imposition réglé, de telle sorte que la demande doit être rejetée.

Sur ce,

Il est de principe que si la réception sans protestation ni réserve des avis d'opéré et des relevés de compte fait présumer l'existence et l'exécution des opérations qu'ils indiquent, elle n'empêche pas le client, pendant le délai convenu ou, à défaut, pendant le délai de la prescription, de reprocher à celui qui a effectué ces opérations d'avoir agi sans mandat.

Sur le manquement afférent à l’exécution d’ordres sans autorisation

Au cas particulier et s’agissant des manquements allégués, la BNP produit aux débats un relevé du compte-titres de la SCI La Royale mentionnant expressément l’avis d’opéré du 21 mars 2018 portant sur le rachat des parts du FCP Barclays pour la somme de 324.225,12 euros et l’avis d’opéré du 28 mars 2018 portant sur la souscription des parts du FCP BNP pour la somme globale de 299.777,45 euros.

Si la BNP soutient que l’exécution de cet ordre de rachat et de cet ordre de souscription a été approuvée implicitement par la SCI La Royale, l’établissement bancaire n’allègue, ni ne démontre, que par convention conclue entre lui-même et la SCI La Royale, il a été stipulé un délai à l’épuisement duquel la SCI La Royale, titulaire du compte, ne pouvait plus les contester.

En revanche, le relevé de compte produit par la BNP comporte la mention suivante : « Les écritures et le solde de ce relevé sont établis sauf erreur ou omission.
Vous êtes réputé les avoir approuvées sauf réserves formulées auprès de la Banque dans le délai de deux (2) mois à compter de la date de comptabilisation de l’opération. »

Si la SCI La Royale querelle le caractère abusif de cette stipulation en application de l’article L.212-1 du code de la consommation, il sera relevé qu’en souscrivant les parts du FCP Barclays dont le rachat est en litige, elle a agi en qualité de professionnel dès lors que l’investissement en cause était destiné à sécuriser les dépôts de garantie de loyers versés par ses locataires, de telle sorte que la demande en vue de voir la clause réputée non écrite ne saurait prospérer.

Pour autant, cette clause prévoit une règle de preuve, à l’origine d’une présomption réfragable d’approbation par le client titulaire du compte des opérations qui se trouvent inscrites sur le relevé, en fixant un délai de deux mois au client pour émettre des réserves sur les erreurs ou omission qu’il peut contenir.

Dès lors la SCI La Royale est en droit de contester l’existence des ordres de rachat et de souscription en litige, en se soumettant cependant au délai de prescription applicable dont la BNP ne se prévaut d’ailleurs pas.

Relativement au délai de prescription, c’est à juste titre que Monsieur et Madame [N] se prévalent de l’inapplicabilité du délai de forclusion prévu à l’article L.133-24 du code monétaire et financier à partir du moment où les opérations de rachat et de souscription en litige ne constituent pas des opérations de paiement au sens des articles L.133-1 et suivants du code monétaire et financier.

Par suite, la prescription applicable, dont ne se prévaut d’ailleurs pas la BNP, est de cinq ans, en application de l’article L.110-4 du code de commerce.

Ceci étant précisé, il appartient à la BNP d’apporter la preuve de l’existence des ordres de rachat et de souscription litigieux, devant être retenu que la SCI La Royale, à qui il ne peut être attribué la preuve, par définition impossible, d’un fait négatif, ne peut être contrainte de démontrer n’avoir pas donné pareils ordres.

En l’occurrence, la BNP allègue, dans sa mise en demeure du 18 novembre 2020, que le rachat litigieux est intervenu suivant convention des parties et en vertu d’un ordre dont elle n’a pu retrouver la trace, ajoutant que la même convention prévoyait le rachat des parts du FCP BNP, cet argument étant étayé, selon elle, par le fait que la SCI La Royale a nanti le compte-titres en faisant expressément référence aux parts du FCP BNP y figurant et ce dès le 17 avril 2018, n’ayant contesté les ordres que plus d’un an après ces différentes opérations.

Cependant, la BNP se prévaut en l’espèce d’une convention dont l’existence n’est pas établie par ses soins, reconnaissant en outre l’impossibilité pour elle de produire l’ordre de rachat dont elle affirme n’avoir pu retrouver le support.

En outre, si la BNP fait état d’un ordre de souscription des parts du FCP BNP établi le 23 mars 2018 et exécuté le 28 mars 2018, elle n’apporte pas non plus la preuve de l’existence de ce dernier ordre.

Au demeurant, la circonstance que la SCI La Royale a consenti, au profit de la BNP, le nantissement de son compte-titres ayant successivement abrité les parts du FCP Barclays et les parts du FCP BNP en faisant référence, dans l’acte de nantissement, aux parts du FCP BNP, est insuffisante à apporter la preuve de l’existence de l’ordre de rachat et de l’ordre de souscription querellés.

En effet, s’il n’est pas discuté que les parts du FCP BNP ont bien figuré dans le compte-titres de la SCI La Royale au jour du nantissement, intervenu le 17 avril 2018, l’existence des parts de ce FCP et de l’ordre de souscription afférent n’est pas nécessairement corrélée au rachat des parts du FCP Barclays et de l’ordre d’exécution afférent.

De plus, il sera relevé que la BNP se prévaut, dans ses écritures, de l’existence d’un mandat verbal constituant ordre de rachat et ordre de souscription en litige alors même qu’elle n’a pas invoqué ce mandat verbal dans ses échanges avec la SCI La Royale préalablement à l’ouverture de cette instance.

Il demeure que, à lui seul, le nantissement consenti par la SCI La Royale le 17 avril 2018 échoue à étayer l’existence de ce mandat verbal, en considération de ce qui a été dit plus avant.

Par suite, il sera retenu que la BNP a procédé au rachat des parts du FCP Barclays et à la souscription des parts du FCP BNP sans avoir reçu de la SCI La Royale, titulaire du compte-titres accueillant ces parts, les ordres d’exécution nécessaires, ce qui constitue un manquement aux obligations contractuelles liant les parties.

À propos du préjudice tenant aux conséquences financières d’ordre fiscal subies par Monsieur et Madame [N], il sera relevé qu’aucun des codemandeurs ne produit aux débats des pièces justifiant du paiement des impositions dont ils se prévalent du caractère dommageable en raison des manquements imputables à la BNP.

Ils ne produisent pas davantage de pièce portant réclamation de l’administration fiscale leur demandant le règlement de pareilles impositions.

Monsieur et Madame [N] se prévalent par ailleurs d’une décision (Cass.Com., 12 janv. 2012, n°10-26.837) pour soutenir l’existence de leur préjudice de perte de chance alors que les faits en litige et la solution retenue ne peuvent être transposés au présent litige.

En effet, dans cette affaire, l’établissement conservateur avait cédé les titres dans le contexte de la crise financière de 2007/2008 sans l’autorisation de leur détenteur et avait immédiatement offert, sans succès, aux titulaires la reconstitution à l’identique de leur portefeuille, ce qu’ils avaient refusé en reprochant, vainement, à l’établissement de leur avoir fait perdre la chance d’une meilleure rentabilité.

Par suite, le caractère certain du dommage invoqué par Monsieur et Madame [N], relativement aux conséquences fiscales des plus-values du rachat des parts du FCP Barclays, n’est pas établi et leurs demandes afférentes seront en conséquence rejetées.

Au sujet du préjudice de perte de chance en raison de la vente sans autorisation des titres du FCP Barclays invoqué par Monsieur et Madame [N], ceux-ci estiment qu’il consiste dans ce qu’ils n’ont pu conserver les titres du FCP Barclays et en tirer une meilleure rentabilité, précisant que le dommage est notamment caractérisé par la vente sans autorisation de titres conservés par un dépositaire qui n’a pu reconstituer le portefeuille à l’identique à la suite de cette cession.

Il sera cependant relevé que Monsieur et Madame [N] ne produisent aucun élément permettant d’établir qu’ils auraient pu escompter une rentabilité meilleure des titres Barclays en l’absence du rachat intervenu le 21 mars 2018, pareil élément pouvant tenir notamment dans la valorisation actualisée des titres similaires à ceux en litige.

De plus, si Monsieur et Madame [N] précisent que le préjudice est caractérisé notamment, en présence d’une vente de titres sans autorisation par le conservateur du compte sans reconstituer le portefeuille à l’identique à la suite de cette cession, ils ne démontrent pas en quoi les titres du FCP BNP contiendraient des attributs de performance moindres que ceux du FCP Barclays, ou en quoi les perspectives de performances des premiers seraient moindres que ceux du second.

Davantage encore ne précisent-ils pas les performances actualisées des titres du FCP Barclays comparées à celles des titres du FCP BNP.

Par suite, et abstraction faite du caractère forfaitaire de l’évaluation du préjudice allégué, il sera retenu que Monsieur et Madame [N] n’apportent pas la preuve du préjudice de perte de chance dont ils se prévalent.

Sur le manquement à l’obligation d’information et de conseil

Concernant le manquement à l’obligation d’information, si Monsieur et Madame [N] font reproche à la BNP de ne leur avoir pas transmis les informations afférentes au fort impact fiscal du rachat des titres Barclays et de la perte de chance d’optimiser la rentabilité des titres du FCP Barclays, il sera cependant retenu que la BNP n’est pas intervenue en qualité d’émettrice des parts du FCP Barclays à propos desquelles elle a agi en qualité de simple conservateur.

En outre, Monsieur et Madame [N] ne contestent pas sérieusement l’affirmation de la BNP selon laquelle ces titres n’ont fait l’objet d’aucune opération spéculative de nature à donner lieu à la délivrance d’informations spécifiques à leur détenteur.

Au demeurant, la circonstance que la BNP est intervenue à l’opération de rachat des titres Barclays, en qualité de mandataire, n’impliquait pas nécessairement qu’elle soit débitrice, à l’égard de Monsieur et Madame [N], d’une quelconque obligation d’information, sans préjudice de ce que ceux-ci contestent avoir donné l’ordre préalable à cette dernière opération.

Par ailleurs, la BNP conteste la qualité de gérant du FCP BNP que lui attribuent Monsieur et Madame [N], devant être retenu que la souscription des parts du FCP BNP n’encourt pas le grief du manquement à l’obligation d’information de la part de Monsieur et Madame [N] qui limitent leur contestation aux titres du FCP Barclays.

Dès lors la BNP ne saurait se voir reprocher le manquement à l’obligation d’information à propos des titres Barclays dès lors que ceux-ci ont été émis par un autre qu’elle-même et qu’il n’est allégué, ni démontré l’existence d’une clause contractuelle lui attribuant la charge d’une pareille obligation.

Quant au manquement à l’obligation de conseil, le grief afférent, dont Monsieur et Madame [N] se prévalent vis-à-vis de la BNP, appelle, mutatis mutandis, la même réponse qui vient d’être faite à propos du manquement à l’obligation d’information à partir du moment où la BNP n’est pas l’émetteur des titres issus des parts du FCP Barclays, qu’aucune clause contractuelle ne met à sa charge une telle obligation et que les demandeurs ne se prévalent pas d’opérations spéculatives justifiant le déploiement d’une pareille obligation.

Il sera en outre retenu, relativement à l’obligation de conseil, que les conditions d’application de l’abattement de 65 % revendiqué par Monsieur et Madame [N] aux plus-values dégagées par la cession des titres du FCP Barclays, ne sont pas réunies, en application de l’article 150-0 D du code général des impôts dès lors que, ainsi que le soutient la BNP, le fonds investissait en titres de créance négociables à court terme et non en actions de société.

Au demeurant, la BNP soutient, sans que la SCI La Royale ne conteste le fait, que sa cliente a effectué l’investissement querellé en agissant en qualité de professionnel, ce qui la rend inéligible au bénéfice de l’obligation de mise en garde.

Sur le préjudice moral du gérant de la SCI La Royale

Monsieur [N], pris en sa qualité de gérant de la SCI La Royale, soutient que les différents manquements commis par la BNP dans sa relation avec cette SCI ont provoqué une forte dégradation de la confiance qui lui était témoignée dans l’exercice de sa gérance. Il indique qu’une assignation en révocation judiciaire de son mandat de gérance a été introduite qui, si elle devait être accueillie, entraînerait un lourd préjudice à son détriment, ajoutant devoir assumer la charge financière de sa représentation en justice pour un coût non encore déterminé. L’exercice de cette gérance, dans un climat de défiance, contraint Monsieur [N] à travailler, selon lui, sous la pression et dans l’incertitude de l’issue de la procédure de révocation, qui est en lien direct avec les manquements commis par la BNP dans sa mission de dépositaire et se trouve à l’origine d’un préjudice moral évalué à 13.000 euros.

En réplique, la BNP se prévaut de l’article 9 du code de procédure civile pour dire que les demandeurs ne produisent ni l’assignation dont Monsieur [N] serait la cible, ni le moindre élément établissant la pression subie par Monsieur [N] dans l’attente d’une telle action, encore moins du lien entre cette pression et le fait de la concluante. Elle relève simplement que dans le cadre d’une expertise en cours pour déterminer la valeur vénale de parts, un unique associé représentant 8 % du capital se plaint de l’absence de communication par la gérance des relevés de placement entre 2013 et 2018. Elle ajoute que n’est pas davantage démontrée une atteinte à l’honneur de Monsieur [N] ou à sa réputation, en lien avec la BNP, ou quel que préjudice que ce soit.

Sur ce,

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Au cas particulier, les demandeurs produisent aux débats une sommation de Monsieur [W] [N], associé de la SCI La Royale détenant 8 % du capital de cette société, enjoignant à Monsieur [G] [N], es qualité, de lui communiquer, sous 48 heures, les relevés du compte-titres de la SCI et les documents afférents à la cession des titres du FCP Barclays, de lui fournir des explications sur l’évolution de ces titres depuis 2013 et invitant le gérant de la SCI La Royale à lui répondre à d’autres questions afférentes à la gérance de cette société.

Il sera relevé que, ainsi que le précise la BNP, hormis cette sommation émanant d’un unique associé détenteur d’une fraction fort limitée du capital social, les demandeurs ne produisent pas aux débats d’autres éléments propres à étayer la dégradation des relations entre le gérant de la SCI La Royale et les autres associés, en particulier une copie de l’assignation en révocation de son mandat de gérant dont Monsieur [G] [N] affirme être la cible.

En considération de ce qui précède, il sera retenu que les demandeurs n’apportent pas la preuve des faits dont Monsieur [G] [N] estime être à l’origine du préjudice moral qu’il allègue, faits en lien étroit avec les manquements reprochés à la BNP à propos desquels il sera rappelé que seule l’absence de mandat d’exécution du rachat des titres du FCP Barclays et de la souscription du FCP BNP a été caractérisée.

Par suite, en l’absence de fait générateur ayant provoqué le préjudice moral dont se prévaut Monsieur [N], la demande de réparation afférente doit être rejetée.

Sur les demandes annexes
Succombant, Monsieur [G] [N] et Madame [Z] [N], épouse [C], seront condamnés in solidum aux dépens.

Conformément à l’équité, il ne sera pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de la teneur de la décision, l’exécution provisoire sera écartée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

DÉBOUTE Monsieur [G] [N] et Madame [Z] [N], épouse [C], de l’ensemble de leurs demandes ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [G] [N] et Madame [Z] [N], épouse [C], aux dépens ;

DÉCLARE n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

ÉCARTE l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 05 Juillet 2024

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 23/03036
Date de la décision : 05/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-05;23.03036 ?
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