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05/07/2024 | FRANCE | N°23/00092

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 3ème section, 05 juillet 2024, 23/00092


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le :




9ème chambre 3ème section


N° RG 23/00092 -
N° Portalis 352J-W-B7H-CYUSF


N° MINUTE : 6


Assignation du :
22 Décembre 2022










JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDEURS

Monsieur [P] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Madame [B] [F] [Z] née [O]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Représentés par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postul

ant, vestiaire #E0159 et par Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant.



DÉFENDERESSES

SOCIETE [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH prise en la personne de son représentant lég...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le :

9ème chambre 3ème section

N° RG 23/00092 -
N° Portalis 352J-W-B7H-CYUSF

N° MINUTE : 6

Assignation du :
22 Décembre 2022

JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDEURS

Monsieur [P] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Madame [B] [F] [Z] née [O]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Représentés par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0159 et par Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant.

DÉFENDERESSES

SOCIETE [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 6]
[Localité 3] - ALLEMAGNE

Représentée par Maître Louis DE GAULLE de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0035
Décision du 05 Juillet 2024
9ème chambre - 3ème section
N° RG 23/00092 - N° Portalis 352J-W-B7H-CYUSF

S.A. SOCIETE GENERALE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]

Représentée par Maître Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0077

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente
Madame SOULARD, Vice-présidente
Monsieur BERTAUX, Juge

assistés de Claudia CHRISTOPHE, Greffière

DÉBATS

A l’audience du 24 Mai 2024 tenue en audience publique devant Hadrien BERTAUX, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

rendu publiquement par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

M. [P] [Z] et Mme [B] [O], épouse [Z] ont ouvert dans les livres de la Société Générale un compte sous le n°30003 03702 00010124706 74 par lequel ont transité des opérations contestées.

Ils exposent, selon dépôt de plainte du 15 mars 2021, avoir été victimes d’un abus de confiance et avoir été contactés par plusieurs personnes se présentant comme conseillers au sein de la société Lloyds Bank leur proposant divers placements, le préjudice total s’élevant à 247 900,00 euros.

Par actes des 22 et 27 décembre 2022, les époux [Z] ont fait assigner la Société Générale et la société [G] Bank Ireland Plc (Frankfurt Branch) (ci-après BBI PLC) devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins notamment d’obtenir l’indemnisation de leur préjudice.

Suivant dernières conclusions notifiées par RPVA le 08 février 2024, les époux [Z] demandent au tribunal de :

“Vu les Directives européennes n°91/308/CEE – n°2001/97/CE – n°2005/60/CE – n°2015/849 – n°2018/843,
Vu le Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit « Rome II »,
Vu la Directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur,
Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil,
Vu l’article 1231-1 du Code civil,
Vu l’article 1104 du Code civil,
Vu l’article 1112-1 du Code civil,
Vu les pièces de la cause,

Débouter la société [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH de sa demande d’applicabilité du droit allemand au présent litige ;

Déclarer le droit français comme applicable à l’action engagée par Monsieur et Madame [Z] à l’encontre de la société [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH ;

Si mieux n’aime le Tribunal, statuer conformément au droit applicable et en justifier.

A TITRE PRINCIPAL :

Juger que les sociétés SOCIETE GENERALE et [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH n’ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT ;

Juger que les sociétés SOCIETE GENERALE et [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH sont responsables des préjudices subis par Monsieur et Madame [Z] ;

Condamner in solidum les sociétés SOCIETE GENERALE et [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH à rembourser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 36.500 € en réparation de leur préjudice matériel ;

Condamner in solidum les sociétés SOCIETE GENERALE et [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 7.300 €, correspondant à 20 % du montant de leur investissement, en réparation de leur préjudice moral et de jouissance ;

Condamner in solidum les sociétés SOCIETE GENERALE et [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.

A TITRE SUBSIDIAIRE :

Juger que les sociétés SOCIETE GENERALE et [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH ont manqué à leur devoir général de vigilance ;

Juger que les sociétés SOCIETE GENERALE et [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH sont responsables des préjudices subis par Monsieur et Madame [Z] ;

Condamner in solidum les sociétés SOCIETE GENERALE et [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH à rembourser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 36.500 € en réparation de leur préjudice matériel ;

Condamner in solidum les sociétés SOCIETE GENERALE et [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 7.300 €, correspondant à 20 % du montant de leur investissement, en réparation de leur préjudice moral et de jouissance ;

Condamner in solidum les sociétés SOCIETE GENERALE et [G] BANK IRELAND PLC FRANKFURT BRANCH à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :

Juger que la société SOCIETE GENERALE n’a pas respecté son obligation d’information à l’égard de Monsieur et Madame [Z] ;

Juger que la société SOCIETE GENERALE est responsable des préjudices subis par Monsieur et Madame [Z] ;

Condamner la société SOCIETE GENERALE à rembourser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 36.500 €, correspondant à la totalité de leur investissement, en réparation de leur préjudice matériel ;

Condamner la société SOCIETE GENERALE à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 7.300 €, correspondant à 20 % du montant de leur investissement, en réparation de leur préjudice moral et de jouissance ;

Condamner la société SOCIETE GENERALE à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la même aux entiers dépens”.

Suivant dernières conclusions notifiées par RPVA le 05 janvier 2024, la Société Générale demande au tribunal, à titre principal et au visa des articles 1240 du code civil, L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, de :

“JUGER que les époux [Z] ne démontrent pas le contexte frauduleux sur lequel ils fondent leurs prétentions

JUGER que les dispositions de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme prévues par les articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier sont inapplicables dans le cadre de l’action initiée par les époux [Z] à l’encontre de SOCIETE GENERALE

JUGER que SOCIETE GENERALE a respecté son obligation d’exécuter les ordres de virement transmis par les époux [Z]

JUGER que SOCIETE GENERALE n’a, en la circonstance, commis aucune faute susceptible d’avoir engagé sa responsabilité

JUGER que les époux [Z] ne démontrent aucun préjudice indemnisable et, qu’en toute hypothèse, les graves manquements qu’ils ont commis sont de nature à exonérer totalement SOCIETE GENERALE de toute responsabilité dans les pertes qu’ils auraient à déplorer

En conséquence,

DEBOUTER purement et simplement les époux [Z] de l’ensemble de leurs demandes, fins, moyens et conclusions

CONDAMNER solidairement les époux [Z] à verser à SOCIETE GENERALE une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Les CONDAMNER aux entiers dépens.

En tout état de cause,

ECARTER l’exécution provisoire de droit, celle-ci n’étant pas compatible avec la nature de l’affaire”

Suivant dernières conclusions notifiées par RPVA le 27 février 2024, la société BBI PLC demande au tribunal :

“Vu l’article 9 du code de procédure civile,
Vu les articles 1240 et 1353 du Code civil,
Vu le Règlement (UE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles,
Vu l’article L. 561-5 et suivants du Code monétaire et financier,
Vu la jurisprudence et les pièces versées aux débats,

Sur le droit allemand, applicable au litige à l’égard de [G]

A titre principal, sur le caractère infondé des demandes au regard du droit allemand, seul applicable à l’égard de [G] :

- Vu que le lieu où le dommage s’est réalisé, à savoir le lieu de l’appropriation indue alléguée par les époux [Z], serait situé en Allemagne ;
- Vu que le droit allemand est le seul droit applicable à l’action en responsabilité délictuelle des époux [Z] contre [G] ;
- Vu que l’article 1240 du Code civil français, fondement de l’action en responsabilité délictuelle contre [G], est inapplicable ;
- Vu que [G] n’est aucunement soumise aux obligations de vigilance avancées par les époux [Z], à savoir celles résultant des dispositions du code monétaire et financier français et de la jurisprudence française ;
- Vu que les époux [Z] ne démontrent aucune faute au regard du droit allemand ni aucun principe d’engagement de la responsabilité de [G] au regard de ce droit ;

- DEBOUTER, en conséquence, Monsieur [P] [H] [X] [Z] et Madame [B] [F] [Y] [Z] de l’ensemble de leurs demandes contre [G].

A titre subsidiaire : si le droit français était applicable à l’égard de [G]

Sur le défaut de justification du contexte frauduleux et de l’implication de [G] dans ce contexte :

- Vu que les époux [Z] ne démontrent pas le contexte frauduleux qu’ils allèguent au soutien de leur demande d’indemnisation ;
- Vu que les époux [Z] ne démontrent pas l’implication de [G] dans le contexte frauduleuxqu’ils allèguent au soutien de leur demande d’indemnisation ;

- DEBOUTER, en conséquence, Monsieur [P] [H] [X] [Z] et Madame [B] [F] [Y] [Z] de l’ensemble de leurs demandes contre [G].

Sur l’absence de responsabilité de [G] en droit français :

- Vu que la responsabilité de [G] ne peut être recherchée sur le fondement d’un manquement à une obligation de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment ;
- Vu que la responsabilité de [G] ne peut être recherchée sur le fondement d’un devoir contractuel de vigilance ;

- DEBOUTER, en conséquence, Monsieur [P] [H] [X] [Z] et Madame [B] [F] [Y] [Z] de l’ensemble de leurs demandes contre [G].

En tout état de cause :

- CONDAMNER Monsieur [P] [H] [X] [Z] et Madame [B] [F] [Y] [Z] à régler à [G] la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER Monsieur [P] [H] [X] [Z] et Madame [B] [F] [Y] [Z] aux entiers dépens de la présente instance”.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, à leurs dernières écritures.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 05 avril 2024, l’affaire appelée à l’audience du 24 mai et mise en délibéré au 05 juillet.

MOTIFS DE LA DECISION

Il sera rappelé, à titre liminaire, qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de “juger” qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d’entraîner des conséquences juridiques au sens de l’article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise des moyens développés dans le corps des conclusions, et qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties et ce, étant au surplus observé que le tribunal n’est in fine saisi que de demandes indemnitaires identiques au soutien desquelles sont, en revanche, invoqués des moyens principaux et subsidiaires reproduits dans le dispositif des écritures des demandeurs lesquels ne sauraient davantage y figurer.

Il convient de souligner qu’aux termes de l’article 768 du code de procédure civile, “les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau énumérant les pièces justifiant ces prétentions est annexé aux conclusions. Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n'auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et le tribunal ne statue que sur les dernières conclusions déposées”.

A titre liminaire, sur la preuve de l’intervention de la BBI PLC

Aux termes des articles 6, 7 et 9 du code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder ; parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions. Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l’espèce, il convient de relever que les demandeurs n’établissent nullement que la BBI PLC ait été destinataire des fonds dès lors que, concernant le compte n°30003 03702 00010124706 74 sur lequel seraient intervenues lesdites opérations :

- le relevé de compte produit ne mentionne pas la banque réceptrice,
- le tableau produit par les époux [Z] a été manifestement établi par eux-mêmes, aucun autre élément de preuve ne venant corroborer l’intervention de la banque défendresse,
- la plainte déposée ne fait référence qu’à la société Lloyds Bank sans jamais évoquer la société BBI PLC, étant en outre relevé que ni les montants, ni l’IBAN mentionné au tableau susvisé ne figurent dans ladite plainte,
- la société BBI PLC conteste avoir ouvert dans ses livres un compte appartenant à la société CRFP8 responsable de l’escroquerie selon les demandeurs, cette allégation étant insuffisante pour caractériser un quelconque lien entre cette société, la banque défendresse et les virements contestés,

En conséquence et pour ces seuls motifs, il y aura lieu de rejeter les demandes dirigées contre la société BBI PLC, l’absence de caractérisation de son intervention dans le processus frauduleux rendant inopérant la recherche de la loi applicable à sa responsabilité ainsi que le principe même de celle-ci.

Sur les demandes dirigées contre la Société Générale

Il sera rappelé que les dernières directives (UE) 2015/849 et 2018/843 du dispositif dit “LCB-FT” (lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme) s’inscrivent dans une suite comprenant :

- la directive 91/308/CEE du Conseil définissant le blanchiment de capitaux en termes d'infraction liées au trafic de stupéfiants et n'imposant d'obligations qu'au secteur financier,

- la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil étendant le champ d'application de la précédente, à la fois pour ce qui est des délits et de l'éventail des professions et des activités couvertes,

- puis les directives 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et 2006/70/CE de la Commission prenant en compte les recommandations du Groupe d'action financière internationale (GAFI) pour y intégrer le financement du terrorisme et fixer des exigences plus détaillées concernant l'identification des clients et la vérification de leur identité, les situations dans lesquelles un risque plus élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme peuvent justifier l'application de mesures renforcées, mais aussi les situations dans lesquelles un risque réduit peut justifier la mise en œuvre de contrôles moins rigoureux.

Le considérant n°1 de la directive 2018/843 rappelle de manière particulièrement claire que “la directive (UE) 2015/849 [...] constitue le principal instrument juridique en matière de prévention de l’utilisation du système financier de l’Union aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Cette directive [...] définit un cadre juridique global et efficace de lutte contre la collecte de biens ou d’argent à des fins terroristes, en imposant aux États membres d’identifier, de comprendre et d’atténuer les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme”.

Ainsi, selon une jurisprudence constante (Com., 28 avril 2004, pourvoi n°02-15.054, Bull., 2004, IV, n° 72, Com., 21 septembre 2022, pourvoi n°21-12.335) dont les demandeurs poursuivent la remise en cause, les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers découlant de ces directives et prévues au code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la victime d'agissements frauduleux ne pouvant se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.

Il s’évince de ces motifs de droit, d’une part, que les directives n’ont qu’un effet direct vertical vis-à-vis des Etats membres en cas d’absence ou de mauvaise transposition, de sorte que celles formant le dispositif “LCB-FT” ne sauraient être doublement invoquées par les demandeurs à l’encontre des établissements bancaires dès lors qu’elles ont fait l’objet d’une transposition dans le droit national et ne peuvent davantage créer d’obligations à l’égard des défendeurs et, d’autre part, qu’ainsi que le précisent les considérants des directives susvisées et que le rappelle une jurisprudence constante sur ce point, ces normes ont une visée spécifique tendant à prévenir les infractions de blanchiment et de financement du terrorisme ainsi qu’à protéger le marché intérieur européen, de sorte que les demandeurs ne saurait se fonder sur ces dispositions au soutien de leur action indemnitaire, l’ensemble de ces moyens devant être écartés.

Par ailleurs, en application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

En outre, le code monétaire et financier prévoit :

- en son article L.133-8 alinéa 1 I, que “l'utilisateur de services de paiement ne peut révoquer un ordre de paiement une fois qu'il a été reçu par le prestataire de services de paiement du payeur sauf disposition contraire du présent article”,

- en son article L. 133-10 I, que “lorsque le prestataire de services de paiement refuse d'exécuter un ordre de paiement ou d'initier une opération de paiement, il le notifie à l'utilisateur de services de paiement, ou met la notification à sa disposition selon les modalités convenues, dès que possible et, en tout état de cause, dans un délai ne pouvant excéder celui prévu à l'article L. 133-13, et lui en donne, si possible et à moins d'une interdiction en vertu d'une autre disposition du droit de l'Union ou de droit national pertinente, les motifs. Lorsque le refus est justifié par une erreur matérielle, il indique, si possible, à l'utilisateur de services de paiement la procédure à suivre pour corriger cette erreur”, étant relevé que cette disposition légale se limite d'enjoindre au prestataire de services de paiement de notifier à l'utilisateur les motifs du refus, tel n’étant toutefois pas le cas, si ce refus procède d'une interdiction d'exécuter relevant d'une autre disposition du droit de l'Union ou de droit national pertinente comme les règles de la lutte contre le blanchiment d'argent,

- en son article L.133-21, qu’ “un ordre de paiement exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l'identifiant unique. Si l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n'est pas responsable de la mauvaise exécution ou de la non-exécution de l'opération de paiement”.

Il s’en infère que :

- le banquier teneur de compte a l'obligation d'exécuter un virement que son client lui ordonne, pourvu que l'ordre soit régulier et que le compte contienne une somme disponible suffisante, celui-ci n’étant pas tenu de s'immiscer dans les affaires de son client et n’ayant ainsi pas, en principe, à effectuer de recherches ou à réclamer des justifications pour s’assurer que les opérations qui lui sont demandées par son client sont régulières, non dangereuses pour lui et qu’elles ne sont pas susceptibles de nuire à un tiers, considérant que la banque n’est investie d'aucune mission générale de police de la relation bancaire, que ce soit dans l'intérêt public ou des tiers, ni même de sa clientèle,

- le devoir de non-immixtion du banquier trouve toutefois une limite dans le devoir de surveillance, lequel est limité à la détection des seules anomalies apparentes, qu'elles soient matérielles lorsqu'elles affectent les mentions figurant sur les documents ou effets communiqués au banquier, ou intellectuelles, lorsqu'elles portent sur la nature des opérations effectuées par le client et le fonctionnement du compte.

Au cas présent, il n’est pas discuté que les sommes virées depuis le compte des époux [Z] l’ont été sur le compte indiqué et qu’ils en étaient le donneur d’ordre, si bien que ces ordres étaient authentiques et n’ont pas été dévoyés, les demandeurs n’en querellant que l’objet.

Il ne saurait en outre dériver de la connaissance de l’établissement teneur de compte d’investissements, à la supposer établie, un devoir de conseil ou de mise en garde, le banquier n’y étant, sauf convention dont l’existence n’est ici pas établie, pas tenu sur des produits auxquels il demeure étranger, de sorte que la Société Générale n’était tenue à aucune obligation d’information sur les risques que présentaient les investissements effectués, pas plus qu’elle n’était tenue d’en vérifier la légalité.

Enfin, les époux [Z] ne caractérisent nullement l’anomalie intellectuelle qu’ils évoquent, le compte étant suffisamment provisionné pour permettre l’exécution des virements et la circonstance alléguée que ceux-ci soient à destination d’une banque étrangère située au sein de l’Union européenne n’est pas davantage de nature à caractériser une telle anormalité.

Au surplus, le nombre de virements, au demeurant restreint selon les déclarations des demandeurs, ne saurait constituer une anomalie intellectuelle eu égard aux circonstances qui précèdent dans lesquelles ces opérations se sont inscrites et que leur régularité, pour des montants divers, ne permettaient ni de confirmer ni d’infirmer, à ce stade, l’existence de manoeuvres frauduleuses et ce, étant observé, d’une part, que les demandeurs expliquent eux-mêmes, dans la plainte, avoir souhaité initialement investir divers montants, le critère d’apparence n’étant ainsi, et de ce fait, pas satisfait, et, d’autre part, que le mécanisme d’escroquerie décrit, relevant de la matière pénale, ne constitue un fondement pertinent que pour engager la responsabilité de ses auteurs.

En conséquence, les demandes seront rejetées.

Sur les autres demandes

Les époux [Z], parties succombant à la présente instance, seront condamnés solidairement aux dépens.

Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge des sociétés défendresses les frais irrépétibles non compris dans les dépens de sorte que les demandeurs seront condamnés solidairement à leur payer, chacune, une somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire mis à disposition au greffe, et en premier ressort,

DEBOUTE M. [P] [Z] et Mme [B] [O], épouse [Z] de l’ensemble de leurs demandes indemnitaires ;

CONDAMNE solidairement M. [P] [Z] et Mme [B] [O], épouse [Z] à payer à la Société Générale et à la société [G] Bank Ireland Plc (Frankfurt Branch), chacune, une somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE solidairement M. [P] [Z] et Mme [B] [O], épouse [Z] aux dépens ;

Fait et jugé à Paris le 05 Juillet 2024

La GreffièreLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 3ème section
Numéro d'arrêt : 23/00092
Date de la décision : 05/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-05;23.00092 ?
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