TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
1/2/2 nationalité B
N° RG 22/07888 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWZO5
N° PARQUET : 22-1063
N° MINUTE :
Assignation du :
18 Mai 2022
AJ du TJ DE PARIS du 03 Janvier 2022 N° 2021/014930
C.B.[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDEUR
Monsieur [Y] [L]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Julie MAIRE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1474 (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/014930 du 03/01/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 4]
[Localité 1]
MULLER-HEYM Isabelle, substitut
Décision du 05/07/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N° RG 22/07888
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Madame Victoria Bouzon, Juge
Assesseurs
assistées de Madame Hanane Jaafar, Greffière lors des débats et Madame Manon Allain, Greffière lors de la mise à disposition.
DEBATS
A l’audience du 24 Mai 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Contradictoire,
En premier ressort,
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente et par Manon Allain, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les articles 56, 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions de M. [Y] [L] constituées par l'assignation délivrée le 18 mai 2022 au procureur de la République, et le bordereau de communication de pièces notifié par la voie électronique le 16 juin 2023,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 10 novembre 2023,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 22 mars 2024, ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 24 mai 2024,
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la procédure
Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 11 août 2022. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action en contestation de refus d'enregistrement de déclaration de nationalité française
Le 12 février 2021, M. [Y] [L], se disant né le 10 mai 2003 à Somankidi (Mali), de nationalité malienne, a souscrit une déclaration de nationalité française devant le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal de proximité de Montmorency, sur le fondement de l'article 21-12 du code civil, sous le numéro de dossier DnhM N° 14/2021. Récépissé lui en a été remis le 12 février 2021 (pièce n°4 du demandeur).
Par décision du 30 juin 2021, notifiée le jour-même, l'enregistrement de la déclaration a été refusé au motif que son acte de naissance n'était pas probant au sens de l'article 47 du code civil (pièce n°2 du demandeur).
M. [Y] [L] sollicite du tribunal d'annuler la décision de refus d’enregistrement de sa déclaration de nationalité française et de dire qu'il est français en vertu de l'article 21-1 du code civil. Il expose qu'il remplit l'ensemble des conditions de l'article 21-12 du code civil.
Le ministère public s'oppose à ces demandes et sollicite du tribunal de dire que M. [Y] [L] n'est pas de nationalité française. Il soutient que le demandeur ne justifie pas d'un état civil fiable et certain.
Sur les demandes de M. [Y] [L]
M. [Y] [L] sollicite du tribunal de « déclarer nulle la décision en date du 30 juin 2021 refusant d'enregistrer [sa] déclaration de certificat de nationalité française ».
Il est rappelé que le tribunal judiciaire n'a pas le pouvoir d'annuler la décision de refus d'enregistrement d'une déclaration de nationalité française, mais peut seulement, si les conditions en sont remplies, en ordonner l’enregistrement, demande que le tribunal considère comme comprise dans les demandes de M. [Y] [L].
La demande de M. [Y] [L] tendant à voir annuler la décision de refus d’enregistrement de sa déclaration de nationalité française sera donc jugée irrecevable.
En outre, M. [Y] [L] sollicite du tribunal de “dire [qu'il] est français sur le fondement de l'article 21-1 du code civil”.
Toutefois, le tribunal relève que dans ses écritures, le demandeur exerce une action en contestation de refus d'enregistrement d'une déclaration de nationalité française souscrite sur le fondement de l'article 21-12 du code civil et soulève des moyens tendant à voir établir qu'il est de nationalité française sur ce fondement. De même, le ministère public, en défense, a conclu pour voir dire que celui-ci n'était pas de nationalité française en ce que le demandeur ne remplit pas les conditions posées par l'article 21-12 du code civil, ayant ainsi admis que le demandeur agissait en déclaration de nationalité française sur ce fondement.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, le tribunal considère que le demandeur a sollicité par une erreur de plume d'être dit français en vertu de l'article 21-1 du code civil et qu'il sollicite, en réalité, de voir juger qu'il est de nationalité française sur le fondement de l'article 21-12 du code civil.
Sur le fond
Aux termes de l'article 21-12, 3e alinéa 1° du code civil, l'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance, peut, jusqu'à sa majorité, déclarer, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants, qu'il réclame la qualité de Français, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France.
Il résulte de l'article 26-3 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 applicable en l'espèce, que la décision de refus d'enregistrement doit intervenir six mois au plus après la date à laquelle a été délivré au déclarant le récépissé constatant la remise de toutes les pièces nécessaires à la preuve de recevabilité de la déclaration. L'article 26-4 du code civil poursuit qu'à défaut de refus d'enregistrement dans les délais légaux, copie de la déclaration est remise au déclarant revêtue de la mention de l'enregistrement.
En l'espèce, le récépissé de la déclaration a été remis à M. [Y] [L] le 12 février 2021. La décision de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française en date du 30 juin 2021, lui a été notifiée le jour-même, soit moins de 6 mois après la remise du récépissé (pièces n°2 et 4 du demandeur).
Il appartient donc à M. [Y] [L] de rapporter la preuve de ce que les conditions de la déclaration de nationalité française, posées par l'article 21-12, 3e alinéa 1° du code civil précitées, sont remplies.
A cet égard, il y a lieu de relever que conformément aux dispositions de l’article 16 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 dans sa version issue du décret n°2019-1507 du 30 décembre 2019 ici applicable, la souscription de la déclaration prévue à l’article 21-12 du code civil doit être accompagnée de la production d’un acte de naissance du déclarant.
Il est en outre rappelé que nul ne peut se voir attribuer la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas de façon certaine de son état civil, par la production de copies intégrales d'actes d’état civil en original, étant précisé que le premier bulletin de la procédure rappelle la nécessité de produire de tels actes.
Il est également rappelé qu'aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
M. [Y] [L] doit donc également justifier d'un état civil fiable et certain, attesté par des actes d'état civil probants au sens de cet article.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et le Mali, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 24 de l'accord de coopération en matière de justice signé le 9 mars 1962 et publié par décret du 17 juin 1964 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer et, s'il s'agit d'expéditions, qu'ils soient certifiés conformes à l'original par ladite autorité.
Par ailleurs, l'article 36 de l'accord de coopération franco-malien précité précise que la partie à l'instance qui invoque l'autorité d'une décision judiciaire ou qui en demande l'exécution doit produire, une expédition de la décision réunissant les conditions nécessaires à son authenticité.
En l'espèce, pour justifier de son état civil, M. [Y] [L] produit une copie délivrée le 12 novembre 2020 de son acte de naissance n°295 qu'il avait produit lors de sa déclaration de nationalité française, une extrait conforme délivré le 15 novembre 2021 du jugement supplétif d'acte de naissance n°3682 rendu le 10 novembre 2021 par le tribunal de grande instance de Kayes, ainsi qu'une copie délivrée le 25 novembre 2021 de l'acte son acte de naissance n°137 dressé en vertu du jugement supplétif précité (pièces n°6, 7 et 9 du demandeur).
Toutefois, comme le relève le ministère public, le jugement supplétif est produit sous forme de simple extrait, et non d'une expédition certifiée conforme , conformément aux conditions précitées de l'article 36 de l'accord de coopération.
Il sera rappelé qu'un acte d'état civil dressé en exécution d'une décision de justice est indissociable de celle-ci. En effet, l'efficacité de ladite décision de justice, même si elle existe de plein droit, reste toujours subordonnée à sa propre régularité internationale. La valeur probante de l'acte de naissance de M. [Y] [L] est ainsi subordonnée à la régularité internationale du jugement en exécution duquel il a été dressé.
Dès lors, l'acte de naissance de M. [Y] [L] ayant été dressé sur transcription de ce jugement supplétif, il en est indissociable et se voit priver de toute force probante au sens de l'article 47 du code civil.
En outre, le ministère public relève que le jugement supplétif n'a pas annulé l'acte de naissance n°295 du demandeur, de sorte que celui-ci dispose dorénavant de deux actes de naissance.
Le demandeur n'a formulé aucune observation sur ce point.
Il est donc rappelé qu'en principe l'acte de naissance est un acte unique, conservé dans le registre des actes de naissance, le fait de disposer de deux actes différents remettant ainsi en cause le caractère probant desdits actes, sans qu'aucun ne puisse dès lors faire foi au sens de l'article 47 du code civil.
Partant, le demandeur ne justifie pas d'un état civil fiable et certain, de sorte qu'il ne peut se voir reconnaître la nationalité française à aucun titre.
En conséquence, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens soulevés par le ministère public, M. [E] [V] sera débouté de sa demande tendant à voir juger qu'il est de nationalité française sur le fondement de l'article 21-12 du code civil. Par ailleurs, dès lors qu'il ne peut revendiquer la nationalité française à aucune titre, il sera jugé, conformément à la demande reconventionnelle du ministère public, qu'il n'est pas de nationalité française.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, la mention de la présente décision sera ordonnée en application de cet article.
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, M. [Y] [L], qui succombe, sera condamné aux dépens, lesquels seront recouvrés conformément à la législation en matière d'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par décision mise à disposition au greffe :
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
Juge irrecevable la demande de M. [Y] [L] tendant à voir annuler la décision de refus d'enregistrement de sa déclaration de nationalité française ;
Déboute M. [Y] [L] de ses demandes tendant à voir ordonner l'enregistrement de sa déclaration de nationalité française et à dire qu'il est de nationalité française ;
Juge que M. [Y] [L], se disant né le 10 mai 2003 à [Localité 5] (Mali), n’est pas de nationalité française ;
Ordonne la mention prévue à l’article 28 du code civil en marge des actes concernés ;
Condamne M. [Y] [L] aux dépens, lesquels seront recouvrés conformément à la législation en matière d'aide juridictionnelle.
Fait et jugé à Paris le 05 Juillet 2024
La GreffièreLa Présidente
M. ALLAIN A. FLORESCU-PATOZ