TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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1/2/2 nationalité B
N° RG 22/06492 - N° Portalis 352J-W-B7G-CXAIC
N° PARQUET : 22-575
N° MINUTE :
Assignation du :
30 Mai 2022
A.F.P.
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDERESSE
Madame [M] [N]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Raymond CUJAS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire C1598
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 7]
[Localité 2]
MULLER-HEYM Isabelle, substitut
Décision du 05/07/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N° RG 22/06492
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Madame Victoria Bouzon, Juge
Assesseurs
assistées de Madame Hanane Jaafar, Greffière lors des débats et Madame Manon Allain, Greffière lors de la mise à disposition.
DEBATS
A l’audience du 24 Mai 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Contradictoire,
En premier ressort,
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente et par Manon Allain, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 30 mai 2022 par Mme [M] [N] au procureur de la République,
Vu le dernier bordereau de communication de pièces de Mme [M] [N] notifié par la voie électronique le 3 juin 2022,
Vu les dernières conclusions du minsitère public notifiées par la voie électronique le 22 novembre 2023,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 22 mars 2024 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 24 mai 2024,
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la procédure
Le tribunal rappelle qu'aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
Décision du 05/07/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N° RG 22/06492
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 25 octobre 2023. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action en contestation de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française
Le 6 mai 2021, Mme [M] [N], se disant née le 20 mai 1981 à [Localité 5] (Côte d'Ivoire), a souscrit une déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil, à raison de son mariage célébré le 29 mars 2012 à [Localité 3] (Côte d'Ivoire), avec M. [I], [J] [K], né le 19 octobre 1969 à [Localité 6] (Mauritanie). Récépissé lui en a été remis le 7 octobre 2021 (pièce n°1 de la demanderesse).
Par décision en date du 6 décembre 2021, le ministère de l'intérieur a refusé l'enregistrement de cette déclaration au motif qu'elle avait produit un diplôme délivré par un pays qui figure dans la liste prévue à l’article 14-1 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 et définie par l’arrêté du 12 mars 2020 (INTV2006315A), sans être accompagné d’une attestation de comparabilité délivrée dans les conditions fixées par l’arrêté précité par un centre ENIC-NARIC, mentionnant qu'elle avait suivi ses études en langue française et que le niveau de votre diplôme était au moins égal au niveau 3 de la nomenclature nationale des niveaux de formation”(pièce n°1 de la demanderesse).
Mme [M] [N] conteste ce refus d'enregistrement dans le cadre de la présente instance.
Elle demande au tribunal, notamment, de :
- juger qu'elle dispose de la nationalité française,
- juger qu'elle est recevable en sa demande de déclaration acquisitive de nationalité française ;
Le ministère public demande au tribunal de dire que Mme [M] [N] est de nationalité française.
Sur le fond
Aux termes de l’article 21-2 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n°2006-911 du 24 juillet 2006 ici applicable, l’étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu’à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n’ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.
Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque l’étranger, au moment de la déclaration, soit ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage, soit n’est pas en mesure d’apporter la preuve que son conjoint français a été inscrit pendant la durée de leur communauté de vie à l’étranger au registre des Français établis hors de France.
En outre, le mariage célébré à l’étranger doit avoir fait l’objet d’une transcription préalable sur les registres de l’état civil français. Le conjoint étranger doit également justifier d’une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d'Etat.
L’article 31 du décret 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française précise que l’autorité compétente pour enregistrer la déclaration examine si les conditions sont remplies. Dans la négative, elle refuse l’enregistrement de la déclaration par une décision motivée qui est notifiée au déclarant en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception avant l’expiration du délai fixé par l’un des deux derniers alinéas de l’article 26-3 du code civil.
Aux termes de l’article 26-3 alinéas 3 et 4 du code civil, la décision de refus d’enregistrement doit intervenir six mois au plus après la date à laquelle a été délivré au déclarant le récépissé constatant la remise de toutes les pièces nécessaires à la preuve de recevabilité de la déclaration. Le délai est porté à un an pour les déclarations souscrites en vertu de l’article 21-2 du code civil.
En l'espèce, le récépissé de la déclaration de nationalité française a été remis à Mme [M] [N] le 7 octobre 2021 (pièce n°1 de la demanderesse).
La décision de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française est intervenue le 6 décembre 2021.
L'assignation ayant été délivrée le 30 mai 2022, la notification des décision de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française a nécessairement eu lieu avant l'expiration du délai d'un an.
Aucun élément ne justifie ainsi un enregistrement de plein droit de la déclaration de nationalité française souscrite par Mme [M] [N].
La notification de la décision de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française étant intervenue moins d'un an après la délivrance du récépissé, il appartient à Mme [M] [N] de rapporter la preuve, d'une part, d'un état civil fiable et certain, et, d'autre part, de ce que les conditions de la déclaration de nationalité française posées par l'article 21-2 du code civil sont remplies.
Il est en effet rappelé que nul ne peut se voir attribuer la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas de façon certaine de son état civil, par la production de copies intégrales de s actes d’état civil en original, étant précisé que le premier bulletin de la procédure rappelle la nécessité de produire de tels actes.
Il est également rappelé qu'aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et la Côte d'Ivoire, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 21 de l'accord de coopération en matière de justice signé le 24 avril 1961 et publié le 10 février 1982 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer et, s'il s'agit d'expéditions, certifiés conformes à l'original par ladite autorité.
En l'espèce, pour justifier de son état civil, Mme [M] [N] produit la copie originale d'un extrait du registre des actes de l'état civil pour l'année 1981 délivrée par l'officier d'état civil de la commune de Bouake selon lequel elle est née le 20 mai 1981 à la maternité de Sokoura / Bouake, fille de [H] [W] [N], commerçant et de [Z] [A], sans profession.
Le ministère public ne conteste pas le caractère probant de l'acte d'état civil de Mme [M] [N].
Il convient donc de considérer que Mme [M] [N] justifie ainsi d'un état civil fiable et certain.
Le mariage de Mme [M] [N] et M. [I] [J] [K] a été célébré le 29 mars 2012 à [Localité 3] (Côte d'Ivoire) et a été transcrit sur les registres du service central d'état civil le 22 mai 2012 (pièce n°2 de la demanderesse).
La déclaration de nationalité française souscrite le 6 mai 2021 a fait suite à plus de quatre ans de mariage.
Mme [M] [N] produit la photocopie de sa carte nationale d'identité pour justifier la nationalité française de M. [I] [J] [K] (pièce n°7).
La nationalité française de celui-ci n'est pas contestée par le ministère public et n'a pas davantage été contestée lors de l'examen de la demande d'enregistrement de la déclaration de nationalité française de Mme [M] [N]. Dès lors, le tribunal tient pour acquis que cette condition est remplie.
S'agissant de la connaissance suffisante de la langue française, Mme [M] [N] a produit la copie d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) “petite enfance”, qui lui a été délivrée par le Ministère de l’Education Nationale français le 5 juillet 2018 (pièce n°13).
Il est rappelé à cet égard que l'article 14 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993, tel que modifié par décret n°2015-108 du 2 février 2015, prévoit que « pour l'application de l'article 21-2 du code civil, tout déclarant doit justifier d'une connaissance de la langue française caractérisée par la compréhension des points essentiels du langage nécessaire à la gestion de la vie quotidienne et aux situations de la vie courante ainsi que par la capacité à émettre un discours simple et cohérent sur des sujets familiers dans ses domaines d'intérêt. Son niveau est celui défini par le niveau B1, rubriques "écouter", "prendre part à une conversation" et "s'exprimer oralement en continu" du Cadre européen commun de référence pour les langues, tel qu'adopté par le comité des ministres du Conseil de l'Europe dans sa recommandation CM/ Rec (2008) 7 du 2 juillet 2008 ».
Le texte précise également « qu'à défaut d'un tel diplôme, le déclarant peut justifier de la possession du niveau requis par la production d'une attestation délivrée soit par un organisme reconnu par l'Etat comme apte à assurer une formation "français langue d'intégration", soit à l'issue d'un test linguistique certifié ou reconnu au niveau international, comportant des épreuves distinctes permettant une évaluation du niveau de compréhension du déclarant et, par un entretien, celle de son niveau d'expression orale, et figurant sur une liste fixée par un arrêté du ministre chargé des naturalisations ».
L’arrêté du 12 mars 2020 fixant la liste des diplômes et certifications attestant le niveau de maîtrise du français requis des candidats à la nationalité française prévoit, en son article 1, que :
“Les diplômes nécessaires à l'acquisition de la nationalité française mentionnés aux articles 14 et 37 du décret du 30 décembre 1993 susvisé sont les suivants :
1° Le diplôme national du brevet ;
2° Ou tout diplôme délivré par une autorité française, en France ou à l'étranger, sanctionnant un niveau au moins égal au niveau 3 de la nomenclature nationale des niveaux de formation ;
3° Ou tout diplôme attestant un niveau de connaissance de la langue française au moins équivalent au niveau B1 du cadre européen de référence pour les langues”.
Ainsi, dès lors que le déclarant présente un diplôme délivré par une autorité française qui sanctionne un niveau au moins égal au niveau 3 de la nomenclature nationale des niveaux de formation, la condition relative à la connaissance de la langue française doit être considérée comme remplie.
En l'espèce, il convient de préciser que le CAP est un diplôme de niveau 3 selon la nomenclature des diplômes par niveau. Il en résulte que la production de la copie du CAP français de l’intéressée est suffisante pour justifier de sa connaissance de la langue française à l’oral et à l’écrit au moins égale au niveau B1.
Le tribunal tient donc pour acquis que cette condition est remplie, ce que le ministère public ne conteste pas.
En ce qui concerne la communauté de vie exigée par les dispositions précitées, il est rappelé qu'elle n’est pas définie par la loi ou le règlement. Elle comporte nécessairement une double dimension, matérielle et affective, laquelle peut toutefois se décliner différemment selon les couples ; notamment, la communauté matérielle n’impose pas la cohabitation, ni ne se réduit à elle. La preuve peut, en outre, être rapportée par tous moyens.
À ce titre, le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 indique simplement que le déclarant doit fournir une attestation sur l’honneur des époux signée devant l’autorité qui reçoit la déclaration certifiant qu’à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n’a pas cessé entre eux depuis le mariage et accompagnée de tous documents corroborant cette affirmation, dont notamment la copie intégrale de l'acte de naissance des enfants nés avant ou après le mariage et établissant la filiation à l'égard des deux conjoints (article 14-1, 3°), et que le préfet du département de résidence du déclarant procède, dès la souscription, à une enquête pouvant donner lieu à un entretien individuel avec le déclarant, destinée à vérifier la continuité de la communauté de vie tant affective que matérielle entre les époux depuis le mariage (article 15).
En effet, la communauté de vie, prévue par l'article 215 du code civil au titre des devoirs et des droits respectifs des époux, ne se résume pas à la seule cohabitation, élément matériel, mais suppose également un élément intentionnel, à savoir la volonté de vivre durablement en union, concrétisée par un ensemble de circonstances matérielles et psychologiques. D'ailleurs, l'article 21-2 du code civil exige cette double dimension, à savoir une communauté de vie matérielle et affective.
A cet égard, Mme [M] [N] produit les avis d'imposition pour la période 2016 - 2020 (pièces n°16 à n°20 de la demanderesse).
Ces pièces permettent d'établir une communauté de vie matérielle.
Mme [M] [N] produit également le livret de famille et les copies des cartes nationales d'identité des enfants commun (pièces n°8 à n°12 de la demanderesse) :
[L] [K], née le 5 juin 2012 ;
[U] [K], née le 4 mars 2015 ;
[Y], née le 22 mars 2017 ;
[G], née le 11 juillet 2019 ;
Elle justifie ainsi d'une communauté de vie affective entre elle et M. [I] [J] [K].
Au regard de ces éléments, la preuve de la communauté de vie matérielle et affective est rapportée.
Les conditions posées par l'article 21-2 du code civil apparaissent ainsi remplies par Mme [M] [N].
Partant, il y a lieu d’ordonner l’enregistrement de la déclaration acquisitive de nationalité française au titre de l’article 21-2 du code civil, souscrite par Mme [M] [N] le 6 mai 2021.
En conséquence, par application de l’article 26-5 du code civil, il sera jugé que Mme [M] [N] a acquis la nationalité française le 6 mai 2021.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, la mention de la présente décision sera en l’espèce ordonnée sur lesdits actes.
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, l'instance ayant été nécessaire à l'établissement des droits de la demanderesse, Mme [M] [N] sera condamnée aux dépens. La demande de distraction au profit de Maître Raymond Cujas sera donc rejetée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par décision mise à disposition au greffe :
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
Ordonne l’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 6 mai 2021 par Mme [M] [N], née le 20 mai 1981 à [Localité 5] (Côte d'Ivoire), sous le numéro de dossier 2021DX015981 ;
Juge que Mme [M] [N], née le 20 mai 1981 à [Localité 5] (Côte d'Ivoire), a acquis la nationalité française le 6 mai 2021 ;
Ordonne la mention prévue à l’article 28 du code civil en marge des actes concernés ;
Condamne Mme [M] [N] aux dépens ;
Rejette toute autre demande.
Fait et jugé à Paris le 05 Juillet 2024
La GreffièreLa Présidente
M. ALLAIN A. FLORESCU-PATOZ