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05/07/2024 | FRANCE | N°22/05875

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 2ème chambre 2ème section, 05 juillet 2024, 22/05875


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :




2ème chambre civile

N° RG 22/05875 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CWVCY

N° MINUTE :

Assignation du :
14 Avril 2022
JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDERESSE

Madame [W], [F], [X] [V]
[Adresse 11]
[Localité 10]

Représentée par Maître Flore LELACHE, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant et par Maître Carole MISSISTRANO, avocat au barreau de PARIS, avocat

postulant, vestiaire #E0655






DÉFENDEURS

Madame [S], [M], [I] [C] épouse [G]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Madame [N] [G]
[Adresse 14]
[Localité...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :

2ème chambre civile

N° RG 22/05875 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CWVCY

N° MINUTE :

Assignation du :
14 Avril 2022
JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDERESSE

Madame [W], [F], [X] [V]
[Adresse 11]
[Localité 10]

Représentée par Maître Flore LELACHE, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant et par Maître Carole MISSISTRANO, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0655

DÉFENDEURS

Madame [S], [M], [I] [C] épouse [G]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Madame [N] [G]
[Adresse 14]
[Localité 4]

Madame [O] [G]
Chez Mme [S] [G] : [Adresse 2]
[Localité 5]

Monsieur [A] [G]
Chez Mme [S] [G] : [Adresse 2]
[Localité 5]

Tous les quatre représentés ensemble par Maître Laurence DE MONTAUZAN de la SELARL PEISSE DUPICHOT LAGARDE BOTHOREL et Associés, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #J0149 et par Maître Delphine GICQUELAY, avocat au barreau de QUIMPER, avocat plaidant.

Décision du 05 Juillet 2024
2ème chambre civile
N° RG 22/05875 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWVCY

S.A. [13]
[Adresse 8]
[Localité 12]
Représentée par Maître Virginie SANDRIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, avocat plaidant, vestiaire #115

Monsieur [J] [G]
[Adresse 9]
[Localité 7]
Défaillant

_________________________

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.

Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.

Madame Claire ISRAEL, Vice-Présidente, statuant en juge unique.
Assistée de Madame Audrey HALLOT, Greffière,

DÉBATS

A l’audience du 13 Mai 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 05 juillet 2024,

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au Greffe
Réputé contradictoire et en premier ressort

__________________________________

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCEDURE

[D] [V] est décédée le [Date décès 3] 2018, laissant pour lui succéder, sa fille, Mme [W] [V].

Par jugement du juge des tutelles du tribunal d’instance d’Aulnay-sous-Bois du 1er mars 2000, elle avait été placée sous curatelle, et [R] [G] avait été désigné comme curateur.

Le 11 avril 2001, [D] [V] a souscrit un contrat d’assurance-vie n°965 488118 07, auprès de la société [13], dont le capital s’élevait au jour de son décès à la somme de 42 926,33 euros et dont les bénéficiaires étaient [R] [G] et son beau-frère, [Z] [C].
Par jugement du 15 novembre 2004, [D] [V] a été placée sous tutelle et la [15] a été désignée pour la représenter, remplacée ensuite par l’[16] 93, par jugement du 27 janvier 2011.

A son décès, le blocage du capital décès au titre du contrat d’assurance-vie n°965 488118 07, a été ordonné par ordonnance de référé du 21 octobre 2021 à la demande de Mme [W] [V] et la société [13] désignée comme séquestre.

Par exploits d’huissier en date des 14, 25 et 28 avril 2022, Mme [W] [V] a fait assigner la société [13], [R] [G] et [Z] [C] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins essentielles et principales de voir prononcer la nullité du contrat GMO n°965 4884418 07 souscrit auprès de [13] le 11 avril 2001 et ordonner le déblocage du capital décès à son profit.

Après l’introduction de l’instance, le conseil de la société [13] a informé Mme [W] [V] des décès de :

-[Z] [C] le [Date décès 6] 2005,
-[R] [G] le [Date décès 1] 2020, lequel laisse pour lui succéder son épouse Mme [S] [C] épouse [G] et ses quatre enfants, Mme [N] [G], Mme [O] [G], M. [A] [G] et M. [J] [G].

Par exploits d’huissier des 6, 7 et 8 décembre 2022, Mme [W] [V] a fait assigner Mme [S] [C] épouse [G], Mme [N] [G], Mme [O] [G], M. [A] [G] et M. [J] [G].

Le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux instances le 2 janvier 2023.

Mme [S] [C] épouse [G], Mme [N] [G], Mme [O] [G] et M. [A] [G] (ci-après les consorts [G]) ont constitué avocat mais le 28avril 2022, l’huissier chargé de la signification de l’assignation à M. [J] [G] a dressé un procès-verbal de recherches infructueuses conformément aux dispositions de l’article 659 du code de procédure civile. M. [J] [G] n’a pas constitué avocat.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 29 mars 2023, Mme [W] [V] demande au tribunal de :
VU le décès de Messieurs [R] [G] et [Z] [C] avant l’engagement de l’instance, juger parfait le désistement de Madame [W] [V] à leur encontre ;

Vu le contrat GMO n° 965 4884418 07 souscrit auprès de la [13] ;

-ANNULER le contrat GMO n° 965 4884418 07 souscrit auprès de la [13] le 11 avril 2001,
-DEBOUTER les consorts [G] de l’ensemble de leurs demandes,
-Subsidiairement, ORDONNER la réintégration dans la succession de Madame [D] [V] de l’ensemble des primes versées, au regard de leur caractère manifestement excessif.

En toute hypothèse,
-ORDONNER le déblocage par la [13] du capital décès et des intérêts du contrat GMO n° 965 4884418 07 dont était titulaire Madame [D] [V], au bénéfice de Madame [W] [V], son héritière,
-CONDAMNER solidairement la [13], Madame [S] [G], Madame [N] [G], Madame [O] [G], Monsieur [A] [G] à payer à Madame [W] [V] une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure Civile,
-ECARTER l’exécution provisoire,
-CONDAMNER solidairement la [13], Madame [S] [G], Madame [N] [G], Madame [O] [G], Monsieur [A] [G] aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Carole MISSISTRANO dans les conditions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 17 mars 2023, les consorts [G] demandent au tribunal de :

-DEBOUTER Madame [W] [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
-ORDONNER le déblocage par la société [13] du capital décès et des intérêts du contrat GMO n° 965 4884418 07 dont était titulaire Madame [D] [V], au bénéfice de Mesdames [S], [O], [N] [G] et Monsieur [A] [G], héritiers de [R] [G] ;
-DIRE et JUGER que le déblocage des fonds au profit des Mesdames [S], [N], [O] [G] et Monsieur [A] [G] sera conditionné à l’accomplissement des formalités fiscales leur incombant ;
-ECARTER l’exécution provisoire ;
-CONDAMNER Madame [W] [V] à verser à Mesdames [S], [N], [O] [G] et Monsieur [A] [G] la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
-CONDAMNER Madame [W] [V] aux entiers dépens d’instance.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 4 mai 2023, la société [13] demande au tribunal de :

Constatant que la Société [13] s’en rapporte à sa décision quant à la demande d’annulation formée par Madame [W] [V] du contrat d’assurance-vie GM0 n°965 488 418, souscrit par feue Madame [D] [V],
-Statuer ce que de droit,

Si la demande d’annulation de Madame [W] [V] est acceptée,
-Dire que seul le montant des primes versées diminuées d’un rachat à hauteur de 7.800 euros pourra être versé à la succession de Mme [D] [V], soit une somme maximum de 31.440,82 euros.

Si la demande d’annulation de Madame [W] [V] est rejetée,
-Dire que le déblocage des capitaux décès actuellement séquestrés, au profit des héritiers de Monsieur [G] sera assorti de la justification par ces derniers de l’accomplissement des formalités fiscales leur incombant et de la remise à [13] d’un dossier administratif complet,

Pour le cas où le Tribunal jugerait que les primes versées par Madame [D] [V] sur le contrat GMO n°965 488 418 présentent un caractère manifestement exagéré, juger que la réintégration sera limitée à la seule partie manifestement exagérée et après déduction des rachats partiels, sans que la réintégration puisse excéder la somme de 31.440,82 euros,

En tout état de cause,
-Rejeter toute demande de condamnation formée à l’encontre de [13] à quelque titre que ce soit,
-Écarter l’exécution provisoire compte tenu des problématiques fiscales,
-Ordonner, en application de l’article 521 Code de procédure civile, la poursuite de la consignation du capital décès du contrat litigieux par [13] jusqu’à la fin de la procédure et l’épuisement des voies de recours,

A titre plus infiniment subsidiaire encore,

-Ordonner, à la charge de la requérante ou des bénéficiaires, la constitution d’une garantie réelle ou personnelle suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations, sur le fondement de l’article 514-5 du Code de procédure civile,
-Condamner la requérante au paiement à [13] d’une somme de 2.400 euros en vertu des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,
-La condamner aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 26 juin 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 13 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le désistement partiel des demandes contre [R] [G] et [Z] [C]

Par application des dispositions de l'article 384 et 394 à 399 du code de procédure civile, il sera constaté le désistement d'instance de Mme [W] [V] à l’égard de [R] [G] et [Z] [C], tous deux décédés étant observé en tout état de cause que d’une part les demandes formées à l’encontre d’une personne décédée antérieurement à l’assignation sont nulles en raison du défaut de pouvoir pour défendre à l’action, et d’autre part que les héritiers de [R] [G] ont été assignés et que Mme [W] [V] maintient des demandes à leur encontre, de sorte que l’instance était en fait reprise s’agissant d’une action patrimoniale, sans qu’un désistement ne soit nécessaire.

L’extinction de l’instance sera, par conséquent, constatée à l’égard de [Z] [C] mais l’instance se poursuit à l’égard des héritiers de [R] [G].

Sur la demande de nullité du contrat d’assurance-vie

Mme [W] [V] demande au tribunal d’annuler le contrat d’assurance-vie souscrit le 11 avril 2001 et fait valoir que le fondement de l’ancien article 510 du code civil et de l’article L. 132-4-1 du code des assurances que :

-[D] [V] était sous curatelle au moment de la souscription, [R] [G] était son curateur, or il n’était pas présent lors de cette souscription qui n’est pas signée par lui, alors que l’assistance du curateur était nécessaire à la validité de la souscription du contrat, s’agissant de la réception et de l’emploi de capitaux,
-La société [13] ne pouvait ignorer qu’elle était sous curatelle,
-[D] [V] a désigné son curateur comme bénéficiaire ainsi que le beau-frère de celui-ci alors qu’il existait un conflit d’intérêts,
-Le contrat aurait dû être résilié par le curateur car il n’était pas dans l’intérêt de la majeure protégée, au regard de ses ressources mensuelles très restreintes,
-[R] [G] a commis des manœuvres dolosives pour convaincre [D] [V] de souscrire une assurance-vie à son profit et d’y placer la somme reçue après le décès de sa mère,

Les consorts [G] demandent à titre reconventionnel le déblocage des fonds à leur profit et opposent que :

-L’article 510 du code civil en vigueur au 11 avril 2001 n’exigeait pas la signature du curateur pour la souscription d’un contrat d’assurance-vie, seuls les actes de dispositions, nécessitant l’autorisation du conseil de famille en cas de tutelle sur le fondement de l’article 495 code civil, nécessitant l’assistance du curateur,
-Or il ne s’agit pas ici d’un acte de disposition, engageant le patrimoine de [D] [V], cette dernière décidant du placement sécurisé d’une somme héritée et plus aucun versement après le versement initial n’ayant été effectué sous la curatelle de [R] [G],
-En outre, l’article L. 132-4-1 du code des assurances qui prévoit l’autorisation du juge des tutelles pour la souscription d’un contrat d’assurance-vie n’existait pas à l’époque de la souscription du contrat litigieux, mais est issu de la loi n°2007-1775 du 17 décembre 2007,
-L’article L. 509-1 du code des assurances en vigueur à l’époque permettait au curateur d’être bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie de son protégé en l’absence d’opposition d’intérêts,
-Il n’y avait aucune opposition d’intérêts, [R] [G] ayant pour rôle de protéger [D] [V] et de l’aider dans sa gestion quotidienne mais non gérer son patrimoine, et [D] [V] ayant logiquement désigné ses deux amis proches comme bénéficiaires, aucune modification des bénéficiaires n’étant d’ailleurs intervenue après reprise de la tutelle par l’[16] 93,
-En tout état de cause la sanction du conflit d’intérêts n’est pas la nullité de l’acte.

La société [13] s’en rapporte mais fait valoir qu’aucun texte n’exigeait la participation du curateur à l’époque pour souscrire un contrat d’assurance-vie et qu’en tout état de cause, la nullité du contrat serait relative et pouvait être confirmée rétroactivement comme c’est le cas en l’espèce dès lors que [R] [G] a procédé à des rachats puis les tuteurs successifs n’ont pas cherché à en obtenir l’annulation.

Sur ce

A titre liminaire, il sera relevé que les dispositions invoquées par la demanderesse de l’article L. 132-4-1 du code des assurances qui d’une part exigent l’assistance du curateur pour la souscription ou le rachat d'un contrat d'assurance sur la vie ainsi que la désignation ou la substitution du bénéficiaire et d’autre part, énonce que le curateur bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie est réputé être en opposition d'intérêts avec la personne protégée, ont été créés par la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007. Elles ne sont entrées en vigueur que le 1er janvier 2009 et ne s'appliquent pas rétroactivement à des actes souscrits avant leur entrée en vigueur.

La régularité du contrat souscrit par [D] [V] doit donc être examinée à la lumière des articles 508 et suivants du code civil et L. 132-3 et suivants du code des assurances dans leur rédaction antérieure à cette loi.

Aux termes du premier alinéa de l’article 510 du code civil dans sa version en vigueur au 11 avril 2001, date de la souscription du contrat d’assurance-vie litigieux, le majeur en curatelle ne peut, sans l'assistance de son curateur, faire aucun acte qui, sous le régime de la tutelle des majeurs, requerrait une autorisation du conseil de famille. Il ne peut non plus, sans cette assistance, recevoir des capitaux ni en faire emploi.

Aux termes de l’article 510-1, si le majeur en curatelle a fait seul un acte pour lequel l'assistance du curateur était requise, lui-même ou le curateur peuvent en demander l'annulation.

L'action en nullité s'éteint par le délai prévu à l'article 1304 ou même, avant l'expiration de ce délai, par l'approbation que le curateur a pu donner à l'acte.

Il résulte du premier texte que le majeur en curatelle peut faire seul des actes d’administration et doit être assisté pour accomplir des actes de disposition et pour l’emploi de capitaux.

En l’espèce, il est constant que le 11 avril 2001, [D] [V] a souscrit seule, sans l’assistance de [R] [G] son curateur désigné par jugement du 1er mars 2000, le contrat d’assurance-vie n°965 488118 07, auprès de la société [13], au bénéfice de [Z] [C] et [R] [G], en effectuant un versement initial d’une somme de 180 000 francs (soit 27 440, 82 euros).

Or, la souscription d’un contrat d’assurance-vie constitue un acte d’emploi d’un capital et la désignation d’un bénéficiaire un acte de disposition pour lesquels le majeur protégé doit être assisté de son curateur.

Il ne saurait être prétendu que l'action en nullité s'est trouvée éteinte par l'approbation du curateur donnée à la souscription de ce contrat manifestée par le rachat du 26 mai 2004, dès lors qu'étant bénéficiaire du contrat d'assurance-vie et curateur, l'approbation, en raison de cette opposition d'intérêts, ne pouvait être valablement donnée que par un curateur ad hoc désigné par le juge des tutelles.

L’exécution du contrat par les tuteurs successifs, lesquels ont procédé à des versements ente 2008 et 2010, ainsi que cela ressort de l’historique du contrat versé aux débats par la société [13], ne saurait davantage valoir confirmation dès lors qu’il n’est pas établi qu’ils avaient connaissance de la cause de nullité.

Mme [W] [V], héritière de [D] [V], peut donc réclamer l’annulation de ces actes sur le fondement de l’article 510-1 du code civil.

Toutefois, même lorsque l’acte argué de nullité a été accompli par le majeur en curatelle, seul, sans l'assistance d'un curateur ad hoc et dans l'intérêt du curateur, comme ici dans la mesure où [R] [G] était désigné comme bénéficiaire, l'article 510-1 du code civil n'édicte pas une nullité de droit et laisse au juge la faculté d'apprécier s'il doit ou non prononcer la nullité, eu égard aux circonstances de la cause, en recherchant si la souscription du contrat d’assurance-vie était contraire ou non aux intérêts de la personne protégée, ou si cet acte correspondait à la volonté lucide de cette dernière.

En l’espèce, si les parties ne versent aux débats aucune pièce de nature à éclairer le tribunal sur les relations entre [D] [V] et [R] [G] et [Z] [C], Mme [W] [V] indique elle-même qu’elle n’avait aucune relation avec sa mère. Elle n’a pas été auditionnée par le juge des tutelles lors du placement sous curatelle de sa mère, ni postérieurement.

Au contraire, il ressort du jugement du 1er mars 2000 que le juge des tutelles a entendu [Z] [C] et Mme [S] [G], qui sont désignés comme des « amis » de [D] [V] et qu’il a jugé que [R] [G] était particulièrement apte à conseiller et contrôler [D] [V] dans les actes de la vie civile, ce qui tend à démontrer la réalité des liens d’amitié entre eux. [R] [G] a d’ailleurs été le curateur de [D] [V] pendant quatre ans, avant son placement sous tutelle.

En outre, il ne saurait être soutenu que la souscription du contrat d’assurance-vie litigieux s’est révélée contraire aux intérêts de [D] [V] dès lors qu’il s’est manifestement agi d’une solution d’épargne sure et efficace, le capital s’élevant au jour du décès à la somme de 42 926,33 euros, alors que l’historique du compte fait apparaître un montant net de versements (versements – rachat) de 31 440,82 euros.

Il convient d’ajouter que [D] [V] a également pu effectuer avec l’assistance de son curateur, un rachat partiel d’un montant de 7 800 euros le 26 mai 2004 pour apurer une dette, selon les écritures des parties et le courrier de [R] [G] en date du 28 mars 2004, étant observé qu’aucune pièce n’est versée aux débats s’agissant des éventuelles dettes de l’intéressée.

Il n’est donc pas démontré que la souscription de ce contrat a aggravé la situation patrimoniale de [D] [V] et l’a privée de ressources même si elle ne percevait qu’une très petite retraite, au regard du rendement de ce placement, de la possibilité d’effectuer si besoin des rachats et de la situation de ses autres comptes bancaires à son décès qui présentaient un solde total de 33 650,91 euros selon le compte de gestion de l’[16] 93 en date du 18 avril 2018.

Le fait que la créance du conseil général de Seine Saint Denis au titre de l’aide sociale à l’hébergement soit très importante, ne démontre pas que la souscription du contrat d’assurance-vie n’était pas dans l’intérêt de la majeure protégée. En effet, cette aide est accordée par le département en fonction des ressources de l’intéressé et peut être recouvrée du vivant du bénéficiaire en cas de retour à meilleure fortune ou sur la partie de l'actif net de sa succession.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’en désignant [R] [G] en qualité de bénéficiaire de son contrat d’assurance-vie, [D] [V] a entendu manifester sa reconnaissance à ce dernier, comme à [Z] [C], lesquels étaient manifestement ses plus proches et que la souscription de ce contrat n’était pas contraire à ses intérêts.

Il n’y a donc pas lieu d'annuler le contrat litigieux qui correspond à la volonté lucide de [D] [V].

La demande principe de Mme [W] [V] sera donc rejetée.

Sur la demande subsidiaire de réintégration des primes manifestement excessives

Me [W] [V] demande à titre subsidiaire la réintégration des primes versées dans la succession de [D] [V] en raison de leur caractère manifestement excessif.

Elle soutient que la souscription du contrat et les versements effectués avaient pour objectif de la priver de la succession et que les primes versées ont excédé la quotité disponible. Elle fait valoir que :

-Le premier versement d’un montant de 27 440,82 euros était excessif au regard des ressources très restreintes de [D] [V], et alors qu’elle avait une dette locative qui a nécessité un rachat en 2004 d’un montant de 7 800 euros,
-Les versements suivants étaient également excessifs, de 3000 euros le 22 janvier 2008, 6000 euros le 24 décembre 2009 et d’un montant mensuel de 100 euros de février 2008 à mai 2010, alors que [D] [V], âgée de 71 ans avait besoin de l’aide sociale pour payer sa maison de retraite,
-La majeure partie de ses économies a été versée sur ce contrat et c’est l’[16] 93 qui a mis fin aux versements lorsqu’elle est devenue tutrice,
-Au décès de [D] [V], ses comptes bancaires présentaient un solde total de 77 917,12 euros dont 44 278,48 euros sur le contrat assurance-vie,
-Elle n’était propriétaire d’aucun bien immobilier.

Les consort [G] opposent que :
-Un seul et unique versement a été effectué sous la curatelle de [R] [G], de 27 440,82 euros après l’héritage de la mère de [D] [V],
-Le placement a permis de protéger l’actif de [D] [V] tout en permettant des rachats en cas de besoin, comme cela a été le cas en 2004 pour lui permettre d’apurer une dette locative,
-L’[16] 93 a fait le choix de poursuivre les versements en 2008 et 2009, ce qui confirme l’utilité du contrat pour [D] [V].

La société [13] s’en rapporte.

Sur ce

Il résulte de l'article L. 132-13 du code des assurances que le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Un tel caractère s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge, ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur.

En l’espèce, il ressort du compte de gestion établi par l’[16] 93 au décès de [D] [V] qu’elle percevait une très petite retraite de 627,76 euros mensuels.

Toutefois, il est constant que la somme versée par [D] [V] de 27 440,82 euros lors de la souscription du contrat d’assurance-vie le 11 avril 2001 provenait de la succession de sa propre mère et partant n’a donc pas été diminué ses ressources habituelles.

Il n’est pas davantage démontré que les versements postérieurs effectués les 22 janvier 2008 et 24 décembre 2009 de même que les versements réguliers de 100 euros mensuels de février 2008 à mai 2010 ont mis [D] [V] en difficulté au regard de ses ressources, étant observé qu’il ressort des pièces versées aux débats que dès le mois de mai 2005 elle percevait, outre sa retraite, l’aide sociale à l’hébergement pour financer sa maison de retraite.

Ce placement a donc au contraire permis de protéger le patrimoine de [D] [V], laquelle était placée sous curatelle et n’a pas empêché le règlement de sa dette locative au moyen d’un rachat lorsque cela a été nécessaire.

Alors qu’elle était âgée de 64 ans au moment de la souscription et du premier versement, qu’elle est décédé 17 ans plus tard, les versements effectués ont donc présenté une utilité pour elle dès lors qu’ils lui permettaient de constituer une épargne, le capital s’élevant au jour du décès à la somme de 42 926,33 euros, alors que l’historique du compte fait apparaître un montant net de versements (versements – rachat) de 31 440,82 euros, et n’interdisait pas qu’elle puisse user au besoin de sa faculté de rachat partiel.

[D] [V] disposait en outre à son décès de plusieurs comptes bancaires qui présentaient un solde total de 33 650,91 euros.

Il n’est dès lors pas démontré par Mme [W] [V] que le montant des primes, était au moment des versements, manifestement exagéré au regard des facultés de la défunte.

La demande de réintégration des primes à la succession sera donc rejetée.

En conséquence, l’ensemble des demandes de Mme [W] [V] étant rejeté, il y a lieu de faire droit à la demande des consorts [G] de déblocage du capital décès à leur profit, en qualité d’héritiers de [R] [G] après accomplissement des formalités fiscales leur incombant.

Sur les demandes accessoires

Mme [W] [V], partie succombant à l’instance sera condamnée aux dépens.

Elle sera également condamnée à payer à la société [13] la somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande en revanche de rejeter les demandes des consorts [G] fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire. Toutefois l’ensemble des parties s’accorde pour demander que l’exécution provisoire soit écartée compte tenu des problématiques fiscales attachées au versement du capital décès.

Dans ses conditions il y a lieu d’écarter l’exécution provisoire.

L’exécution provisoire étant écartée, il n’y a pas lieu d’ordonner la consignation du capital décès ou la constitution d’une garantie en application des articles 521 et 514-5 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort

Constate le désistement de Mme [W] [V] de l'instance engagée à l'encontre de [R] [G] et [Z] [C],

Déclare le désistement d'instance parfait et l'instance éteinte à l’égard de [Z] [C],

Dit que l’instance s’est poursuivie à l’égard des héritiers de [R] [G],

Rejette la demande de Mme [W] [V] d’annulation du contrat d’assurance-vie n°965 488118 07, souscrit auprès de la société [13] par [D] [V] le 11 avril 2001,

Rejette la demande de Mme [W] [V] de réintégration à la succession de [D] [V] des primes versées sur ce contrat au regard de leur caractère manifestement excessif,

Rejette la demande de Mme [W] [V] d’ordonner le déblocage du capital décès du contrat d’assurance-vie n°965 488118 07 à son profit,

Ordonne le déblocage du capital décès du contrat d’assurance-vie n°965 488118 07 au profit des héritiers de [R] [G], soit Mme [S] [C] épouse [G], Mme [N] [G], Mme [O] [G], M. [A] [G] et M. [J] [G], après accomplissement des formalités fiscales leur incombant,

Condamne Mme [W] [V] aux dépens,

Condamne Mme [W] [V] à payer à la société [13] la somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de Mme [S] [C] épouse [G], Mme [N] [G], Mme [O] [G] et M. [A] [G] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Ecarte l’exécution provisoire de droit du présent jugement,

Rejette les demandes de la société [13] tendant à :

-La consignation du capital décès jusqu’à l’épuisement des voies de recours,
-Ordonner la constitution d’une garantie réelle ou personnelle par les bénéficiaires.

Fait et jugé à Paris le 05 Juillet 2024

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 2ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 22/05875
Date de la décision : 05/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-05;22.05875 ?
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