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05/07/2024 | FRANCE | N°22/00529

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 2ème section, 05 juillet 2024, 22/00529


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




9ème chambre
2ème section


N° RG 22/00529 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CV4DV

N° MINUTE : 9




Assignation du :
06 Janvier 2022









JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDERESSE

Madame [Y] [B] [K]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Bertrand DE CAMPREDON de la SELARL GOETHE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0097




D

ÉFENDERESSE

E.U.R.L. BFG CAPITAL GESTION PRIVÉE
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Stéphane PEREL, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant, et Maître Anaïs GALLANTI, avocat au barreau...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

9ème chambre
2ème section

N° RG 22/00529 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CV4DV

N° MINUTE : 9

Assignation du :
06 Janvier 2022

JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDERESSE

Madame [Y] [B] [K]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Bertrand DE CAMPREDON de la SELARL GOETHE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0097

DÉFENDERESSE

E.U.R.L. BFG CAPITAL GESTION PRIVÉE
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Stéphane PEREL, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant, et Maître Anaïs GALLANTI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #G0475

Décision du 05 Juillet 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 22/00529 - N° Portalis 352J-W-B7G-CV4DV

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Gilles MALFRE, Premier Vice-Président adjoint
Augustin BOUJEKA, Vice-Président
Alexandre PARASTATIDIS, Juge

assistés de Alise CONDAMINE-DUCREUX, Greffière

DÉBATS

À l’audience du 31 Mai 2024 tenue en audience publique devant Monsieur BOUJEKA, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux conseils des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
___________________

FAITS ET PROCÉDURE

L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée BFG Capital Gestion Privée (ci-après la société BFG Capital) est une société dont l'activité principale est « le conseil, les services, le démarchage et la commercialisation de produits dans le domaine du conseil en gestion de patrimoine, du conseil en investissements financiers, du courtage en opérations de banque et services de paiement, du courtage en assurances, de la transaction immobilière et fonds de commerce », étant en outre immatriculée à l'ORIAS sous le numéro 11061262, notamment en qualité de conseiller en investissements financiers depuis le 12 octobre 2016.

Madame [Y] [K], exerçant la profession de responsable développement durable, indique qu’entre les années 2012 et 2015, de nombreux investisseurs dont elle-même ont été démarchés par la société BFG Capital, afin de souscrire des opérations de défiscalisation, sous le statut fiscal de loueur en meublé non professionnel (LMNP), vendues « clés en main » et aux termes desquelles les investisseurs achetaient, auprès de sociétés civiles de construction vente (ci-après « SCCV »), pour l'essentiel dans le cadre de ventes en l'état futur d'achèvement (VEFA), et au moyen d'un emprunt bancaire, un ou plusieurs lots dans un immeuble devant être exploité en résidences de services pour les seniors estampillées « Groupe Aquarelia » situées dans différentes villes de France.
Les investisseurs confiaient ensuite, en vertu d'un bail commercial, l'exploitation desdits lots à une société d'exploitation qui leur garantissait le versement d'un loyer, devant permettre le remboursement du prêt immobilier de financement de l’acquisition.

La société d'exploitation était présentée comme une filiale de la société Aquarelia Holding, disposant d'une expérience confirmée dans l'exploitation des résidences séniors, le montage de l’opération comprenant, en plus du montant hors taxe de l'acquisition du bien immobilier, les frais de notaire, de garantie, de courtage, de dossier, des intérêts intercalaires, ainsi que la TVA afférente à chacun de ces frais.

Madame [K] a ainsi signé, le 9 février 2013, un contrat de réservation avec la société civile de construction vente « SCCV Résidence [6] », portant sur un bien immobilier situé dans une « résidence séniors » située à [Localité 5], cet ensemble immobilier proposant à des personnes âgées des hébergements locatifs assortis d’un certain nombre de prestations de services.

Ce même 9 février 2013, Madame [K] a régularisé un acte authentique d’acquisition du bien auprès de la SCCV Renardats, portant sur un appartement de type T1, d’une superficie de 38,1m², ainsi qu’un emplacement de stationnement de 11,5m², au prix de 188.571 euros.

Le 22 septembre 2014, Madame [K] a en outre conclu un bail commercial avec la société Aquarelia Premium [Localité 5] aux fins de gestion du bien immobilier précédemment acquis.

Madame [K] indique en outre que les investisseurs, dont elle-même, ont dû faire face à d’importantes difficultés postérieurement à l'acquisition des biens correspondant aux opérations conseillées par la société BFG Capital dont un retard de plusieurs mois dans la livraison et des malfaçons importantes.

C’est ainsi que par courrier du 27 octobre 2017, le conseil de Madame [K] et d’autres investisseurs ont mis en demeure la SASU Obeo [Localité 5], exploitante de la résidence séniors contenant le bien de Madame [K], de régler des arriérés de loyers sous quinzaine.

Par une autre mise en demeure en date du 27 septembre 2021, le conseil de Madame [K], agissant simultanément pour d’autres investisseurs, a mis en demeure la société BFG Capital d’avoir à payer à chacun de ses mandants la somme de 100.000 euros de préjudice de perte de chance et 12.000 euros de préjudice moral, en raison des manquements commis par cette société dans son rôle d’intermédiaire dans la distribution des investissements défiscalisants souscrits notamment par Madame [K].

Selon Madame [K], ces manquements de la société BFG Capital, agissant en qualité de conseiller en gestion de patrimoine (CGP), tiennent dans le défaut d’information et de conseil sur les risques affectant l’opération, en particulier le non-paiement des loyers et la dépréciation, par rapport aux prix du marché, de la valeur du bien immobilier servant de support à l’investissement.

Décision du 05 Juillet 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 22/00529 - N° Portalis 352J-W-B7G-CV4DV

C’est dans ce contexte que par acte du 7 janvier 2022, Madame [Y] [K] a fait assigner la société BFG Capital Gestion Privée en recherche de la responsabilité de celle-ci et, aux termes de cet acte introductif d’instance, demande au tribunal de céans, au visa des articles 1134, 1135 et 1147 du code civil, 700 du code de procédure civile, de :
- Dire que la société BFG Capital Gestion Privée a manqué à ses obligations d'information et de conseil à son égard ;
- Constater que le préjudice subi par la demanderesse est en lien direct avec les manquements de la société BFG Capital Gestion Privée ;
- Condamner la société BFG Capital Gestion Privée à lui payer la somme à parfaire de 106.540,48 euros à titre de réparation des pertes financières résultant des manquements du conseiller ;
- Condamner la société BFG Capital Gestion Privée à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de réparation du préjudice moral subi ;
- Condamner la société BFG Capital Gestion Privée à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de ses frais de procédure, conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- D’assortir l'ensemble des condamnations des intérêts légaux sur la totalité des sommes et de faire application de l'article 1154 du code civil concernant la capitalisation des intérêts ;
- Condamner la société BFG Capital Gestion Privée aux dépens dont distraction au profit de Me Bertrand de Campredon du cabinet Goethe Avocats en sa qualité d'avocat.

Par ordonnance du 7 avril 2023, le juge de la mise en état près ce tribunal a :
- Rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la société à responsabilité limitée unipersonnelle BFG Gestion Privée ;
- Renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état de la 2è section de la 9è chambre de ce tribunal du 16 juin 2023 à 9h30, la société BFG Gestion Privée devant avoir produit des conclusions au fond avant cette date ;
- Réservé les dépens et les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

Par dernières écritures signifiées le 21 mai 2024, Madame [K] demande à ce tribunal, au visa des anciens articles 1134, 1135 et 1147 du code civil, 700 du code de procédure civile, de :
- Ordonner un rabat de la clôture prononcée le 22 décembre 2023, à la date des plaidoiries soit le 31 mai 2024 ;
- Juger que la société BFG Capital Gestion Privée a manqué à ses obligations d’information et de conseil à l’égard du demandeur ;
- Constater que le préjudice subi par le demandeur est en lien direct avec les manquements de la société BFG Capital Gestion Privée ;
- Condamner la société BFG Capital Gestion Privée à payer au demandeur, la somme de 73.905,81 euros à titre de réparation de la perte de chance résultant des manquements du conseiller ;
- Condamner la société BFG Capital Gestion Privée à payer au demandeur, la somme de 15.000 euros à titre de réparation du préjudice moral subi « par ces derniers » ;
- D’assortir l’ensemble des condamnations des intérêts légaux sur la totalité des sommes et de faire application de l’article 1154 du code civil concernant la capitalisation des intérêts.
En tout état de cause,
- Débouter la société BFG Capital Gestion Privée, de l’ensemble de ses demandes, fin et prétentions ;
Décision du 05 Juillet 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 22/00529 - N° Portalis 352J-W-B7G-CV4DV

- Juger que l’action intentée par le demandeur n’est pas abusive ;
- Débouter la société BFG Capital Gestion Privée de sa demande de paiement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
En conséquence,
- Condamner la société BFG Capital Gestion Privée à payer au demandeur, la somme de 3.000 euros au titre de ses frais de procédure, conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société BFG Capital Gestion Privée aux entiers dépens dont distraction à Me Bertrand de Campredon du cabinet Goethe Avocats en sa qualité d’avocat.

Par dernières écritures signifiées le 17 mai 2024, la société BFG Capital Gestion Privée demande à ce tribunal, au visa des articles 1240 du code civil, 313-1 du code pénal, 514-1 et 700 du code de procédure civile, de :
- Constater l’absence de préjudice de Madame [K] ;
- Débouter Madame [K] de l’ensemble de ses demandes ;
- Constater l’existence d’une escroquerie à jugement ;
- Condamner Madame [K] au paiement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Si par extraordinaire le tribunal devait condamner la concluante aux paiements de quelques sommes que ce soit, il conviendrait de :
- Ne pas assortir la décision de l’exécution provisoire.
En tout état de cause,
- Condamner Madame [K] au paiement de la somme de 5.000 euros, au titre de l’article 700 au profit de la société défenderesse ;
- Condamner Madame [K] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Perel, avocat au Barreau de Marseille, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

La clôture, prononcée le 22 décembre 2023, a été révoquée le 31 mai 2024 pour être de nouveau ordonnée ce même jour, après réception des dernières écritures des parties, pour être plaidée ce même 31 mai 2024, l’affaire étant mise en délibéré au 5 juillet 2024.

Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes principales
Sur les manquements

Madame [K] se prévaut des dispositions de l’article 1147, ancien, du code civil pour soutenir que la société BFG Capital, qui est intervenue dans l’opération d’investissement litigieuse en qualité de conseil en gestion de patrimoine (CGP), a manqué à ses obligations professionnelles, en particulier celles d’information et de conseil.

S’agissant de la qualité de la société défenderesse, celle-ci n’a acquis l’agrément de conseiller en investissement financier (CIF) que postérieurement à l’opération d’investissement en litige, sa qualité de CGP étant cependant indiscutable lors de la souscription de cet investissement. Elle précise qu’en qualité de CGP, la société BFG Capital était tenue de fournir un renseignement neutre et objectif sur l’investissement et, dès lors, une information exacte, claire et non trompeuse sur l’investissement proposé, aussi bien dans les documents publicitaires et/ou commerciaux que dans la documentation contractuelle. Cette information devait, selon Madame [K], porter sur les caractéristiques du produit, en particulier sur le risque, notamment de perte en capital ou le risque fiscal, le sérieux, la faisabilité et la régularité de l’investissement. Ainsi, selon Madame [K], la société défenderesse ne lui a communiqué aucune information sur le risque de l’opération et sur la valeur locative du bien immobilier acquis, mais encore sur l’avantage fiscal attendu. Elle expose que la viabilité de l’opération dépendait des loyers que l’exploitant s’engageait à verser à l’investisseur, lesquels loyers se devaient d’être facturés au prix du marché afin d’attirer les clients, devant être tenu compte en outre des charges d’exploitation. Elle souligne que l’étude du gestionnaire Aquarelia par la société BFG Capital vante la combinaison d’une rentabilité élevée avec un risque réduit à sa portion incompressible dans un investissement en résidences séniors, seuls les aspects avantageux de l’opération étant mis en relief. Elle reproche encore à la société défenderesse de ne l’avoir pas informée sur un risque exceptionnel tenant à ce que le bien immobilier était loué à un prix inférieur à celui du marché alors que l’exploitant bénéficiait d’une franchise initiale de versement des loyers pendant plusieurs mois et n’a pas été en mesure de régler ses loyers et ce dès le début de l’exploitation. Elle relève le croisement d’intérêts personnels de la société venderesse et de la société exploitante à propos de la réalisation de l’opération d’investissement, au regard des liens capitalistiques existant entre elles, la première ayant intérêt à vendre le bien au prix le plus élevé possible alors que l’exploitant promettait des loyers qu’il savait ne pas avoir à verser à court terme. Elle estime que la société BFG Capital a manqué à son obligation d’information concernant non seulement les risques généraux, mais également les risques particuliers de l’opération.

Madame [K] expose encore qu’au regard de son profil d’investisseur prudent, la société défenderesse devait s’assurer de l’adéquation de ce profil avec ses attentes, en mentionnant les caractéristiques les moins favorables et les risques, corollaires des avantages affichés ainsi que les programmes de défiscalisation les plus adaptés à sa situation, tel n’ayant pas été le cas alors que la concluante était un investisseur profane, de telle sorte que la société BFG Capital a manqué à l’obligation d’information, de conseil et de mise en garde lui incombant, ainsi que l’a déjà reconnu le tribunal de céans dans plusieurs jugements rendus en fin d’année 2023 et en début d’année 2024.

En réplique, la société BFG Capital fait valoir, à titre liminaire, que la commercialisation des résidences véhiculant l’investissement tel que celui en litige a été compromise du fait de la diffusion d’informations dénigrantes dans la presse locale, avec une interview du conseil de différents demandeurs, alors que la résidence abritant le bien immobilier acquis par Madame [K] a pu sortir de terre et fonctionne toujours.

Ceci étant rappelé, elle précise ne proposer que des investissements financiers à ses clients, de telle sorte que sa responsabilité ne peut être recherchée pour des investissements tels que celui en cause. Elle souligne que l’action de Madame [K] repose sur les dispositions des articles 1134 et 1147, ancien, du code civil alors qu’il n’existe aucun lien contractuel entre celle-ci et la concluante, la demanderesse ayant contracté avec la SCCV. La société BFG Capital note encore que l’ensemble des décisions citées par Madame [K], au soutien de son allégation de manquement à l’obligation de mise en garde, porte exclusivement sur des opérations d’investissement mobilier complexes, soumises à la réglementation de l’Autorité des Marchés Financiers, alors que l’investissement en litige, reposant essentiellement sur une acquisition immobilière en état futur d’achèvement, ne se caractérise par aucune complexité et échappe dès lors à l’obligation de mise en garde. Elle précise que si certains loyers ne sont pas payés, c’est en raison de motifs légitimes comme l’absence de signature d’un bail ou le non-paiement du prix, qui ne sont pas imputables à la concluante tout comme les retards de livraison des biens à reprocher au promoteur.

Sur ce,

Aux termes de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable, « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

Il est constant qu’au jour de la souscription de l’investissement en litige, la société BFG Capital avait la qualité de CGP et non celle de CIF, cette dernière qualité lui ayant été acquise seulement en octobre 2016.

Ceci étant précisé, il est de principe que le CGP, investi d’un mandat de recherche d’investissement défiscalisant prenant pour support un bien immobilier à usage locatif, est débiteur, vis-à-vis de l’investisseur, d’une obligation d’information et de conseil.

La preuve de l’exécution de cette obligation pèse sur le CGP.

Au cas particulier, la société BFG Capital a proposé à Madame [K] un investissement défiscalisant de type « LMNP ».

Cet investissement a pris pour support un bien immobilier consistant dans un appartement de 38,1 m² et un emplacement de stationnement, situés dans une résidence séniors « services » située à [Localité 5].

Il sera relevé que Madame [K] produit aux débats un document de présentation, établi par la société Aquarelia Premium, décrivant le groupe auquel appartient cette entreprise, les données chiffrées de ce groupe et ses perspectives économiques, l’état du marché des résidences séniors inscrites dans l’activité de ce groupe, l’exploitation de ces résidences et une liste des partenaires de ce groupe incluant la société BFG Management group.

Il sera encore relevé que Madame [K] produit aux débats un document de présentation du groupe Aquarelia par la société BFG Capital, sous le logo « BFG », exposant une analyse budgétaire de chaque résidence du groupe Aquarelia ainsi que les résultats prévisionnels de celles-ci.

Or l’un et l’autre document ainsi produits ne font état d’aucun risque véhiculé par l’investissement litigieux alors qu’ils vantent les avantages de ce produit financier et invitent les investisseurs potentiels à y souscrire.

En revanche, le document de présentation émanant de la société BFG Capital souligne la performance du taux d’occupation des résidences qui, après deux années d’exploitation, se situe entre 95 et 100 %, mais encore la rentabilité élevée de l’investissement comprise entre 4,5 et 5 %, avec « un risque totalement maîtrisé…réduit à sa portion incompressible ».

Le document de la société BFG Capital présente encore l’investissement comme sécurisé par la signature d’un bail commercial conclut entre l’investisseur et l’exploitant, celui-ci reversant 100 % des loyers à l’investisseur en se rémunérant sur les seuls services.

Il ressort encore de ce document que l’investissement est présenté comme celui « d’un bon père de famille », reposant sur un support non spéculatif révélant un « investissement citoyen », le caractère élevé des prix des biens par rapport à ceux du marché étant justifié par les caractéristiques propres de ces biens et la sujétion liée à la partie « services ».

Par ailleurs, il est encore produit aux débats le contrat de réservation du bien qui ne comporte pas davantage d’information sur un quelconque risque lié à l’opération, lors même que les parties ne font état d’aucune étude patrimoniale préalable à l’investissement, réalisée par la société BFG Capital en qualité de CGP.

Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, il sera retenu que Madame [K] n’a été ni informée, ni conseillée sur les aléas négatifs de l’opération d’investissement en litige, en particulier sur les difficultés de réalisation du projet immobilier et de son exploitation locative, ainsi que la dépréciation de la valeur, au regard des prix du marché, du bien immobilier servant de support à cet investissement.

Certes, le document de présentation du projet fait état d’un taux d’occupation compris entre 95 et 100 % pour ce type d’investissement.

Cependant, cette précision ne peut être considérée comme de nature à attirer l’attention sur le risque lié à l’exploitation locative du bien dès lors qu’elle est immédiatement édulcorée par l’assurance d’un taux de rentabilité net de 4,5 % à 5 %, inscrit dans un contexte de risque maîtrisé.

En réalité, les éléments d’informations portés à la connaissance de Madame [K] revêtaient un caractère systématiquement laudateur, portant sur les avantages financiers et fiscaux de l’opération, les risques étant minimisés ou passés sous silence, en particulier ceux liés à l’exploitation et à la possible dévaluation du bien au regard du marché de l’immobilier.

La société BFG Capital, en sa qualité de CGP, était tenue d’informer Madame [K] sur les avantages, mais également sur les risques de l’investissement litigieux, plus encore de lui délivrer les conseils appropriés.

Or les éléments portés à la connaissance de Madame [K] n’ont pas éclairé celle-ci sur le coût global de l’investissement mis en balance avec la valeur vénale du bien immobilier lui servant de support, en considération de l’état du marché au jour de l’investissement et de l’évolution prévisible de ce marché.

En s’abstenant de délivrer l’information et le conseil appropriés, la société BFG Capital a manqué à ses obligations contractuelles, au regard des dispositions de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable.

Sur le préjudice

À propos du préjudice, Madame [K] invoque une perte de chance d’avoir pu souscrire à une opération sécurisée, ce préjudice étant matérialisé par les importants arriérés locatifs qui ne lui ont pas permis de bénéficier du rendement présenté par la société BFG Capital, l’exécution du jugement à intervenir étant rien moins que certaine en raison de l’ouverture d’une procédure collective contre la société exploitante, étant observé que l’argument adverse doit être écarté, consistant à soutenir que la résidence fonctionne normalement et offre les services escomptés. Elle détermine le préjudice subi au moyen d’une comparaison du prix d’acquisition du bien avec une moyenne des estimations de biens comparables situés au même lieu, ce qui révèle une estimation du bien, tout au plus, à la somme de 74.586 euros ôtée de 148.491,81 euros, soit une perte de 73.905,81 euros. Elle conteste la réévaluation adverse qui, selon elle, est erronée pour porter sur une méthode appelée « par le rendement » en ce qu’elle tient compte de la valeur locative de l’ensemble immobilier, dès lors que la société exploitante est en procédure collective.

Madame [K] se prévaut en outre d’un préjudice moral, reposant sur les contraintes générées par l’inexécution du contrat, source de soucis et d’anxiété alors que l’investissement était présenté comme dénué de risque, justifiant l’allocation de la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts. Elle sollicite de surcroît l’application de l’intérêt au taux légal à compter du jour de l’assignation, avec anatocisme pour toutes les condamnations qui viendraient à être prononcées.

En réplique, la société BFG Capital indique que l’action de Madame [K] ne peut prospérer que si le bien acquis par l’intéressée a été revendu et que cette revente a révélé une moins-value par référence à la réalité du marché, auquel cas l’action devrait être dirigée contre la venderesse et non contre la concluante. Elle souligne qu’une telle revente n’est pas intervenue, plus encore relativement à l’évaluation du préjudice, que Madame [K] produit le même courrier de l’agence immobilière Just’Immo, implantée à [Localité 7], appréciant un appartement de 42m² situé dans une résidence abritant le bien et ce à un prix de 2.600 euros le m², alors qu’un huissier de justice a collecté des éléments établissant que des biens similaires sont proposés à la vente à un montant moyen de 4.600 euros le m². Elle ajoute qu’il est certes possible de trouver dans la même zone des biens immobiliers dont la valorisation au m² est proche de celle de Madame [K] mais dépourvus des services offerts par la résidence abritant le bien de la demanderesse, estimant en outre que le bien de Madame [K] se situe non pas à [Localité 7], mais à [Localité 5], de telle sorte que l’évaluation adverse n’est pas pertinente. Elle affirme que le prêt de financement du bien acquis par Madame [K] est tout à la fois garanti par l’étude menée par la banque sur le projet à financer et par l’organisme cautionnant le remboursement de ce prêt, plus encore par les actes des notaires intervenus dans l’opération. Elle note par ailleurs qu’en considération des avantages fiscaux procurés aux investisseurs, le coût réel de l’acquisition pour chacun des investisseurs s’élève à plus ou moins 55 % de la valeur du bien, alors que la demanderesse produit une attestation fallacieuse ne tenant aucun compte de ces avantages, ce qui témoigne de la mauvaise foi de la demanderesse et si indemnisation il y a, celle-ci doit intervenir sans perte ni profit. Elle relève encore les vains efforts de Madame [K] qui, après avoir recouru malencontreusement à l’évaluation défaillante de l’agence Just Immo, se prévaut à présent de celle de l’algorithme « meilleuragent.com » pour avancer une valeur très inférieure au prix d’acquisition du bien, ne tenant pas une fois de plus compte de l’avantage fiscal, encore moins des caractéristiques du bien en litige comme les services offerts par la résidence, la valorisation de Madame [K] s’appliquant exclusivement au demeurant à un bien d’habitation et se privant elle-même de tout crédit en soulignant sa portée purement indicative et son inopposabilité au bailleur. Elle considère qu’aucun des trois postes de préjudice réclamés par Madame [K] n’est justifié, précisant encore que la perte de chance invoquée est dénuée de consistance dès lors que l’intermédiaire à qui la réparation est demandée a parfaitement décrit l’opération d’investissement et que la réalisation de cet investissement est conforme à la description. Elle indique que c’est à la demanderesse de justifier le mode de calcul de la perte de chance et en quoi un autre placement aurait été plus rentable.

De plus, la société BFG Capital produit pour sa part, un rapport d’évaluation, émanant d’un expert immobilier près la cour d’appel, établissant un prix moyen au m² compris entre 6.000 et 8.000 euros, l’expertise révélant, à propos des biens prétendument comparables situés à [Localité 7], que loin d’avoir perdu de la valeur, ils en ont gagné en moyenne d’environ 400 euros le m², alors même que relativement à la résidence de [Localité 5] où se situe le bien de Madame [K], le prix d’acquisition est aujourd’hui de 4.331 euros par m², étant précisé que ce prix était de 3.200 euros par m² à la date de l’acquisition, soit 1.400 euros par m² de valeur supérieure, hors avantage fiscal, la dépréciation alléguée n’étant dès lors en rien justifiée. Elle conteste l’argument adverse selon lequel l’expertise reposerait sur la seule méthode « par rendement » dans la mesure où l’expert combine deux méthodes pour établir une valorisation pertinente. Elle conteste tout autant l’existence d’une procédure collective ouverte à l’encontre de la société Obeo [Localité 5], exploitante de la résidence, précisant qu’une telle procédure ouverte en 2018 a été rétractée dans un jugement du 5 février 2019. Elle estime qu’au regard de ces éléments, le préjudice n’est pas démontré.

Sur ce,

Il est de principe que le préjudice, dont la réparation est intégrale, doit être actuel, direct et certain.

Le caractère certain du préjudice de perte de chance s’entend de la disparition actuelle et indubitable d’une éventualité favorable, avec un quantum mesuré à l’aune de la chance perdue, son montant ne pouvant être égal à l’avantage initialement espéré si la chance s’était réalisée.

En l’espèce, Madame [K] invoque un préjudice matériel consistant dans la perte de chance d’avoir pu souscrire un investissement dépourvu des risques qui ne lui ont pas été révélés, précisant que le dommage s’enrichit des arriérés locatifs, ainsi que de la perte en valeur du bien en cas de revente, évaluant ce préjudice à la somme de 73.305,81 euros correspondant à la différence entre le prix d’acquisition et le prix actuel du bien évalué en fonction du marché.

Ce faisant, Madame [K] n’apporte pas la preuve que l’investissement immobilier défiscalisant qu’elle a effectué s’est avéré être une éventualité certes réalisée mais plus défavorable que celle qui aurait consisté à ne pas effectuer pareil investissement.

En effet, ainsi que le reconnaît Madame [K] elle-même, la perte de chance ne se confond pas avec la perte financière subie par l’investisseur dans une opération telle que celle en litige.

Certes, la demanderesse produit aux débats différents éléments de comparaison permettant selon elle, d’étayer l’évaluation qu’elle établit sur la valeur réelle de son bien au regard des prix actuels du marché de l’immobilier, en établissant une moyenne des termes de comparaison qu’elle retient.

Cependant, elle ne fournit de précisions ni sur les loyers qu’elle a effectivement perçus depuis le début de l’exploitation du bien, ni sur les avantages fiscaux consistant dans le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée et la réduction d’impôt de 25 % de la valeur du bien ou de l’amoindrissement du coût de revient global de l’investissement donnant droit à pareils avantages en raison de la nature de l’acquisition.

Pourtant, Madame [K] doit évaluer la perte de chance qu’elle invoque en considération de l’éventualité défavorable mesurée à l’aune de l’investissement pris dans sa globalité.

Décision du 05 Juillet 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 22/00529 - N° Portalis 352J-W-B7G-CV4DV

Cette évaluation doit résulter d’un rapport coûts/avantages, devant tenir notamment compte, côté avantages, du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée et de la réduction fiscale obtenue.

La demanderesse ne fait pas état de ces derniers éléments, pas plus qu’elle ne produit une quelconque attestation justifiant qu’elle aurait pu effectuer un meilleur investissement.

En conséquence, le préjudice de perte de chance allégué n’est pas démontré.

Quant au préjudice moral dont se prévaut Madame [K], celle-ci ne le démontre ni dans le principe, ni dans le quantum, devant être précisé que les manquements évoqués plus avant comme les faits du litige n’induisent pas en eux-mêmes l’existence d’un tel préjudice.

Sur la demande reconventionnelle

La société BFG Capital, par une demande reconventionnelle, invoque à l’encontre de Madame [K] une tentative d’escroquerie au jugement et un abus de droit d’ester en justice. À cet effet, elle précise que l’attestation de valeur a été délivrée par la société Just Immo dans l’urgence, sans visite de l’appartement en cause, pour donner une indication de valeur dans la perspective, aux dires de la destinatrice, du règlement d’une succession. Elle estime que par ce moyen, Madame [K] tente de tromper le tribunal par une manœuvre de surcroît emprunte de mauvaise foi, par une action abusive en présentant sciemment un document qui, sans être un faux, altère la vérité et équivaut dès lors à un faux, afin d’obtenir un jugement en sa faveur par une évaluation toutes taxes comprises alors que la TVA a été remboursée à la demanderesse, ce qui constitue tout à la fois une tentative d’escroquerie au jugement et un abus de droit d’agir en justice. Elle sollicite en conséquence l’allocation de 15.000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive. La société BFG considère par ailleurs que l’intention de nuire est caractérisée par la production d’éléments mensongers par les 64 demandeurs, dont Madame [K], pour fonder une demande indemnitaire. Elle souligne que le caractère malveillant de l’action découle des manœuvres et tromperies mises en œuvre à son détriment invoquant en outre la légèreté blâmable dans la présente action révélée par les quelques 7.500 euros de préjudice invoqués par l’ensemble des demandeurs. Elle soutient par ailleurs que le préjudice dont la demanderesse sollicite la réparation est disproportionné dès lors qu’à l’instar d’autres demandeurs dans le même type de litige, elle ne démontre l’existence d’aucune perte. Le préjudice de perte de chance retenu dans l’arrêt de la cour d’appel de Caen du 23 octobre 2014, dont se prévaut Madame [K] n’est pas transposable au cas d’espèce, les faits et le fondement juridique n’étant pas les mêmes. Elle estime dès lors que Madame [K] doit être condamnée à lui verser la somme de 15.000 euros pour procédure abusive.

En réplique, Madame [K] conteste l’existence d’un abus de droit d’agir invoqué par la société BFG Capital qui, sous couvert de cet argument, invoque en réalité un défaut de qualité à agir à son encontre alors que ce point a été déjà réglé en sa défaveur par un incident qu’elle a soulevé. Elle précise que le fait que la société défenderesse ait porté plainte contre la concluante pour tentative d’escroquerie au jugement, dont les suites ne sont d’ailleurs pas connues, n’est pas en soit un argument. Elle estime dès lors que la demande, infondée, doit être rejetée.

Sur ce,

Il est acquis aux débats que Madame [K] a fondé initialement sa demande de réparation sur une estimation qu’elle a produite aux débats, établie le 30 septembre 2021 par l’agent immobilier Just Immo, avant d’asseoir par la suite ses prétentions sur d’autres estimations.

Ceci étant précisé, il sera retenu que l’attestation de l’agence Just Immo a été régulièrement produite aux débats, soumise à un échange contradictoire, lequel a par ailleurs conduit la demanderesse à s’en affranchir pour produire d’autres éléments de preuve, abstraction faite de ce que ces derniers éléments se sont avérés insuffisants à emporter la conviction du tribunal.

Il demeure que si la production de cette attestation participe du principe dispositif, son appréciation relève de l’office du tribunal statuant au fond.

Par suite, la société BFG Capital n’est pas fondée à quereller cette estimation au prétexte d’une tentative d’escroquerie au jugement véhiculant un abus de droit d’agir en justice.

Cette production ne se révèle en effet animée d’aucune intention de nuire démontrée, pas plus qu’elle ne constitue une faute lourde équipollente au dol, ou une légèreté blâmable.

En conséquence, la demande reconventionnelle n’est pas fondée et sera rejetée.

Sur les demandes annexes
Succombant, à titre principal, Madame [Y] [K] sera condamnée aux dépens, dont distraction au profit de Maître Stéphane Pérel.

Conformément à l’équité, il ne sera pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de la teneur de la décision, l’exécution provisoire sera écartée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

DÉBOUTE Madame [Y] [K] de l’ensemble de ses demandes ;

DÉBOUTE l’EURL BFG Capital Gestion Privée de sa demande reconventionnelle ;

CONDAMNE Madame [Y] [K] aux dépens, dont distraction au profit de Maître Stéphane Pérel ;

REJETTE les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;

ÉCARTE l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 05 Juillet 2024

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 22/00529
Date de la décision : 05/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-05;22.00529 ?
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