TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
1/2/2 nationalité B
N° RG 19/09004 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQNCU
N° PARQUET : 19-718
N° MINUTE :
Assignation du :
29 Juillet 2019
C.B.
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDEUR
Monsieur [N]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3] (INDE)
représenté par Me Stéphanie CALVO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0599
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
Parvis du Tribunal de Paris
[Localité 2]
MULLER-HEYM Isabelle, substitut
Décision du 05/07/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N° RG 19/09004
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Madame Victoria Bouzon, Juge
Assesseurs
assistées de Madame Hanane Jaafar, Greffière lors des débats et Madame Manon Allain, Greffière lors de la mise à disposition.
DEBATS
A l’audience du 24 Mai 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Contradictoire,
En premier ressort,
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente et par Manon Allain, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 29 juillet 2019 par M. [N] au procureur de la République,
Vu les dernières conclusions de M. [N] notifiées par la voie électronique le 31 mars 2024,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 15 décembre 2023,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 26 avril 2024, ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 24 mai 2024,
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la procédure
Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
Décision du 05/07/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N° RG 19/09004
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 13 mars 2020. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action déclaratoire de nationalité française
M. [N], se disant né le 12 juillet 2000 à [Localité 4] (Inde), revendique la nationalité française par filiation paternelle, sur le fondement de l'article 18 du code civil. Il fait valoir que son père, M. [Z] [K] [C] [W], a été jugé français par jugement du 4 octobre 2018.
Le ministère public sollicite, à titre principal, de dire que M. [N] n'est pas français et, à titre subsidiaire, de dire qu'il a perdu la nationalité française le 17 août 2012, sur le fondement de l'article 30-3 du code civil.
Néanmoins, cet article empêche l'intéressé, si les conditions qu'il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation. Dès lors qu'il ne suppose pas que la nationalité de l'intéressé soit établie préalablement mais seulement qu'elle soit revendiquée par filiation, la désuétude doit être examinée à titre principal.
Sur la désuétude
Aux termes de l’article 30-3 du code civil, lorsqu’un individu réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français.
L’application de l’article 30-3 du code civil invoqué par le ministère public doit être examiné au regard des seuls termes de ce texte, lequel n’institue pas un délai de prescription susceptible de suspension ou d’interruption mais instaure une perte du droit à apporter la preuve devant les tribunaux de sa nationalité française, sanctionnant le non usage de celle-ci aux personnes qui résident habituellement à l’étranger et dont les ascendants n’ont pas plus été sur le sol français depuis un certain temps.
Le tribunal doit dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l'article 23-6 du code précité, lequel impose de mentionner, dans le jugement, la date à laquelle la nationalité française a été perdue, ou, le cas échéant, la date à laquelle elle avait été perdue par les auteurs de l’intéressé, en précisant que ce dernier n’a jamais été français.
Pour l'application de l’article 30-3 précité, il convient de déterminer :
- que le requérant revendique la nationalité française par filiation,
- que le requérant réside ou a résidé habituellement a l'étranger et qu’il n’a pas eu de possession d’état de français, c’est à dire qu’il n’a pas été en possession de passeport ou carte nationale d’identité française, inscrit au Consulat ou sur les listes électorales notamment,
- que le ou les ascendants dont il tient par filiation la nationalité, sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle a l’étranger et que son parent direct, duquel il revendique la nationalité française, n’a pas davantage de possession d’état de français.
A cet égard, il ressort de la rédaction même de l'article 30-3 du code civil, que le législateur a distingué entre la condition de résidence habituelle à l'étranger, pour laquelle sont concernés « les ascendants dont il tient la nationalité », de la condition propre à la possession d'état pour laquelle sont visés les seuls « père et mère ». Ainsi, s'agissant de la fixation à l'étranger pendant plus de 50 ans des « ascendants » du demandeur, il n'y a pas de distinction quant au degré d'ascendance, et sont donc également concernés les grand-parents, à condition qu'ils appartiennent à la branche par laquelle est revendiquée la nationalité française.
Le délai cinquantenaire s’apprécie en la personne de l’ascendant du requérant à l’action déclaratoire. Le point de départ de la résidence a l’étranger de l’ascendant est :
- pour les ascendants nés avant l’accession à l’indépendance du pays où ils résident, constitué par la date de cette accession à l’indépendance puisque c’est bien depuis cette date qu’elles sont fixées a l’étranger,
- pour ceux nés postérieurement à cette accession à l’indépendance, la date depuis laquelle ces ascendants ayant été susceptibles de transmettre la nationalité française, sont fixés à l’étranger c’est à dire depuis l’accession à l’indépendance également, le texte de l’article 30-3 incluant tous les ascendants et non pas seulement la première génération de ceux-ci.
La fixation à l'étranger s'entend d'une absence de résidence en France.
L’article 30-3 du code civil interdit ainsi, dès lors que les conditions qu'il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude.
Édictant une règle de preuve, l'obstacle qu'il met à l'administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, de sorte qu'aucune régularisation sur le fondement de l'article 126 du même code ne peut intervenir.
Ainsi, le requérant qui agit en action déclaratoire de nationalité française alors qu’il réside ou a résidé habituellement à l’étranger et que ses ascendants y ont été fixés depuis plus de 50 ans sans avoir eu d’élément de possession d’état pour venir faire exception, sur cette période, à la désuétude encourue du fait de leur fixation à l’étranger, a déjà perdu la nationalité française, comme il résulte de l’application de l’article 23-6 du code civil, sans qu’aucune régularisation postérieure ne puisse intervenir.
La cession des Etablissements français de [Localité 6], [Localité 4], [Localité 5] et [Localité 7] ayant été réalisée par le Traité du 28 mai 1956 qui est entré en vigueur le 16 août 1962, les personnes et leurs ascendants dont ils tiendraient la nationalité française, qui y ont résidé depuis plus de 50 années à compter de cette date, résident à l’étranger depuis plus de 50 ans, et ne sont plus admis à faire la preuve qu’ils ont la nationalité française à compter du 17 août 2012, s’ils n’ont pas eu de possession d’état de Français.
En l'espèce, M. [N] revendique la nationalité française par filiation paternelle.
La saisine datant du 29 juillet 2019 pour un délai de 50 ans acquis le 17 août 2012, seule la démonstration d’une résidence habituelle en France de M. [N] ou d’un de ses ascendants paternels, ou la démonstration d’une possession d’état de français du requérant ou de son père avant le 17 août 2012 permet d’écarter la désuétude.
Dans ses écritures, le ministère public fait valoir que le demandeur et ses ascendants dans la branche paternelle sont demeurés fixé à l'étranger pendant plus de 50 ans durant la période antérieure au 17 août 2012, et que ni le demandeur ni son père n'ont d'élément en faveur d'une possession d'état français antérieure au 17 août 2012.
Sur la condition tenant à la résidence à l'étranger, le demandeur fait valoir qu'elle n'est pas remplie puisque aucun de ses ascendants n'est demeuré fixé depuis plus de 50 ans à l'étranger, son père étant âgé de 49 ans à la date de son assignation et sa grand-mère paternelle étant décédée avant d'atteindre l'âge de 50 ans.
Or, l'article 30-3 n'exige ni que le parent dont il tiendrait sa nationalité française ni que ses ascendants soient âgés de plus de 50 ans, la condition de fixation à l'étranger depuis plus d'un demi-siècle s'appréciant, si l'intéressé n'est pas âgé de 50 ans, sur la lignée des ascendants dont il tiendrait par filiation la nationalité française.
Ce moyen est ainsi inopérant.
Sur la condition tenant à la possession d'état de français, comme le fait valoir à juste titre le ministère public, tous les éléments de possession d'état de français de son père revendiqué produits par M. [N] sont postérieurs au 17 août 2012 (pièces n°6, 13, 18, 19, 20 et 24 du demandeur).
M. [N] soutient également que l'article 30-3 du code civil, tel qu'interprété par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 juin 2019, porte atteinte à son droit à la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de ladite convention.
Le tribunal rappelle que dans la mesure où le droit à une nationalité est assuré, l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut pas faire échec au droit de chaque État de déterminer les conditions d'accès à sa nationalité.
La perte de la nationalité française en raison de l'absence d'effectivité correspond à un motif d'intérêt général. Il est légitime pour un État membre de vouloir protéger le rapport particulier de solidarité et de loyauté entre lui-même et ses ressortissants ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs, qui sont le fondement du lien de nationalité. Passé un certain délai, les personnes n'ayant plus de lien effectif avec la France, ni en ce qui concerne leur résidence, ni en ce qui concerne leur possession d'état de Français, se trouvent dans l'impossibilité de faire établir cette qualité.
L'article 30-3 du code civil poursuit ainsi l'intérêt général de faire obstacle à la dévolution illimitée et perpétuelle de la nationalité française à des personnes n'ayant plus aucun lien effectif avec la France depuis plus de 50 ans.
En l'espèce, M. [N] qui ne prétend pas être apatride si la nationalité française ne lui est pas reconnue, a toujours vécu et vit encore en Inde. Il ne rapporte pas la preuve que l'article 30-3 du code civil porte une atteinte disproportionnée à son droit à la vie privée et familiale, étant précisé que l'article 21-14 du code civil lui ouvre le droit, le cas échéant, de souscrire une déclaration d'acquisition ou de réintégration dans la nationalité française.
Par suite, il convient de faire droit à la demande du ministère public en ce qui concerne la désuétude soulevée.
Il sera donc jugé que M. [N] n'est pas admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française et de dire qu'il est réputé avoir perdu la nationalité française le 17 août 2012.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, la mention de la présente décision sera ordonné en application de cet article.
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, M. [N], qui succombe, sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
Juge que M. [N] n'est pas admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française ;
Juge que M. [N], né le 12 juillet 2000 à [Localité 4] (Inde), est réputé avoir perdu la nationalité française le 17 août 2012 ;
Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
Condamne M. [N] aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 05 Juillet 2024
La GreffièreLa Présidente
M. ALLAIN A. FLORESCU-PATOZ