TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
1/2/2 nationalité B
N° RG 19/02363 - N° Portalis 352J-W-B7D-CPFGT
N° PARQUET : 19-189
N° MINUTE :
Assignation du :
25 Février 2019
AJ du TJ DE PARIS du 27 Février 2018 N° 2017/059237
[1]V.B.
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 05 Juillet 2024
DEMANDEUR
Monsieur [P] [F]
domicilié : chez Monsieur [I] [O]
[Adresse 3]
[Localité 1] (ALGERIE)
représenté par Me Julie JARNO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #R0290 (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2017/059237 du 27/02/2018 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 4]
[Localité 2]
MULLER-HEYM Isabelle, substitut
Décision du 05/07/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N° RG 19/02363
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Madame Victoria Bouzon, Juge
Assesseurs
assistées de Madame Hanane Jaafar, Greffière lors des débats et de Madame Manon Allain, Greffière lors de la mise à disposition
DEBATS
A l’audience du 24 Mai 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Contradictoire,
En premier ressort,
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente et par Jaafar Hanane, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 25 février 2019 par M. [P] [F] au procureur de la République,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 11 juin 2020,
Vu le jugement de révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 16 juillet 2020,
Vu les dernières conclusions de M. [P] [F] notifiées par la voie électronique le 20 mai 2022,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 21 décembre 2022,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 26 avril 2024 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 24 mai 2024,
MOTIFS
Sur la procédure
Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 6 mai 2019. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action déclaratoire de nationalité française
M. [P] [F], se disant né le 24 avril 1989 à [Localité 6] (Algérie), revendique la nationalité française par filiation maternelle, sur le fondement de l'article 18 du code civil. Il expose que sa mère, Mme [E] [B], née le 10 juin 1968 à [Localité 5] (Algérie) est elle-même française pour être issue de Mme [J] [W], née le 18 avril 1944, qui aurait bénéficié de l'effet collectif attaché à la déclaration de nationalité française souscrite le 26 mars 1963 par son père, [V] [W].
Son action fait suite à la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française qui lui a été notifiée le 12 octobre 2014 au motif que sa grand-mère maternelle ne pouvait bénéficier de l'effet collectif attaché à la déclaration souscrite par son propre père, étant âgée de plus de dix-huit ans et mariée lors de la souscription de la déclaration (pièce n°4 du demandeur).
Le recours gracieux contre cette décision a été rejeté le 29 juin 2016 pour les mêmes motifs (pièce n°5 du demandeur).
Le ministère public sollicite du tribunal de dire que M. [P] [F] n'est pas français.
Sur le fond
En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.
Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée par le demandeur, l'action relève des dispositions de l’article 18 du code civil aux termes duquel est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français.
Il est rappelé à cet égard que les effets sur la nationalité française de l’accession à l’indépendance des départements d’Algérie, fixés au 1er janvier 1963, sont régis par l’ordonnance n°62-825 du 21 juillet 1962 et par la loi n°66-945 du 20 décembre 1966 ; ils font actuellement l’objet des dispositions des articles 32-1 et 32-2 du code civil ; il résulte en substance de ces textes que les Français originaires d’Algérie ont conservé la nationalité française :
- de plein droit, s’il étaient de statut civil de droit commun ce qui ne pouvait résulter que de leur admission ou de celle de l’un de leur ascendant, ce statut étant transmissible à la descendance, à la citoyenneté française en vertu exclusivement, soit d’un décret pris en application du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, soit d’un jugement rendu sur le fondement de la loi du 4 février 1919 ou, pour les femmes, de la loi du 18 août 1929, ou encore de leur renonciation à leur statut personnel suite à une procédure judiciaire sur requête, étant précisé que relevaient en outre du statut civil de droit commun les personnes d’ascendance métropolitaine, celles nées de parents dont l’un relevait du statut civil de droit commun et l’autre du statut civil de droit local, celles d’origine européenne qui avaient acquis la nationalité française en Algérie et les israélites originaires d’Algérie qu’ils aient ou non bénéficié du décret “Crémieux” du 24 octobre 1870 ;
- s’ils étaient de statut civil de droit local, par l’effet de la souscription d’une déclaration de reconnaissance au plus tard le 21 mars 1967 (les mineurs de 18 ans suivant la condition parentale dans les conditions prévues à l’article 153 du code de la nationalité française), ce, sauf si la nationalité algérienne ne leur a pas été conférée postérieurement au 3 juillet 1962, faute de quoi ils perdaient la nationalité française au 1er janvier 1963.
Selon l'article 153 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°45-2441 du 19 octobre 1945, modifiée par la loi n°60-752 du 28 juillet 1960 « les enfants mineurs de dix-huit ans, non mariés, des personnes ayant bénéficié des dispositions de l’article 152 suivront la condition :
1° s’ils sont légitimes, de leur père ou, en cas de prédécès, de leur mère survivante ;
2° s’ils sont enfants naturels, du parent à l’égard duquel leur filiation est d’abord établie ou, en cas de prédécès de celui-ci, de l’autre parent survivant ».
Il appartient donc à M. [P] [F], non titulaire d'un certificat de nationalité française, d'une part, de démontrer un lien de filiation à l'égard de sa grand-mère revendiquée, et, d'autre part, d'établir que celle-ci était mineure non mariée de dix-huit ans lorsque son propre père a souscrit une déclaration recognitive de nationalité française dans les conditions précitées, par des actes d’état civil fiables et probants au sens de l’article 47 du code civil, étant rappelé qu'aux termes de l’article 20-1 du code civil, la filiation de l'enfant n'a d'effet sur la nationalité de celui-ci que si elle est établie durant sa minorité.
Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et l'Algérie, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 36 du protocole judiciaire signé le 28 août 1962 et publié par décret du 29 août 1962 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer.
Enfin, nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s’il ne dispose d’un état civil fiable et certain.
En l'espèce, M. [P] [F] soutient que sa grand-mère, Mme [J] [W], a bénéficié de l'effet collectif attaché à la déclaration souscrite par [V] [W].
Comme précédemment rappelé, pour bénéficier de l'effet collectif attaché à ladite déclaration souscrite le 26 mars 1963, Mme [J] [W] devait être alors mineure de dix-huit ans, non mariée, en application de l'article 153 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°45-2441 du 19 octobre 1945, modifiée par la loi n°60-752 du 28 juillet 1960.
Or, il ressort de l'acte de naissance de cette dernière et de l'acte de son mariage, que celle-ci est née le 18 avril 1944 et qu'elle s'est mariée le 20 mars 1963 (pièces n°23 et n°31 du demandeur).
Il en résulte que lorsque son père a souscrit la déclaration récognitive de nationalité française le 26 mars 1963, Mme [J] [W] était donc âgée de dix-neuf ans et était mariée.
Partant, comme l'avaient indiqué à juste titre le service de la nationalité des Français nés et établis hors de France et le ministère de la justice, celle-ci ne remplissait pas les conditions de l'article 153 du code de la nationalité française pour pouvoir bénéficier de l'effet collectif attaché à la déclaration souscrite par son père (pièces n°4 et 5 du demandeur).
M. [P] [F] ne justifie donc pas que sa grand-mère maternelle Mme [J] [W] a pu conserver la nationalité française lors de l'accession à l'indépendance de l'Algérie.
En conséquence, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par le ministère public, il y a lieu de débouter M. [P] [F] de sa demande tendant à voir dire qu'il est de nationalité française par filiation maternelle. En outre, dès lors qu'il ne revendique la nationalité française à aucun autre titre, il sera jugé, conformément à la demande reconventionnelle du ministère public, qu'il n'est pas de nationalité française.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, cette mention sera en l’espèce ordonnée.
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, M. [P] [F] , qui succombe, sera condamné aux dépens lesquels seront recouvrés conformément à la législation en matière d'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
Déboute M. [P] [F] de sa demande tendant à voir dire qu'il est français ;
Juge que M. [P] [F], né le 24 avril 1989 à [Localité 6] (Algérie), n'est pas de nationalité française ;
Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
Condamne M. [P] [F] aux dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément à la législation en matière d'aide juridictionnelle ;
Fait et jugé à Paris le 05 Juillet 2024
La GreffièreLa Présidente
M. ALLAIN A. FLORESCU-PATOZ