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04/07/2024 | FRANCE | N°22/06436

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 1/2/1 nationalité a, 04 juillet 2024, 22/06436


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




1/2/1 nationalité A

N° RG 22/06436
N° Portalis 352J-W-B7G-CW73A

N° PARQUET : 22/1033

N° MINUTE :

Assignation du :
30 Mai 2022

M.M.


[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :






JUGEMENT
rendu le 04 Juillet 2024









DEMANDEURS

Monsieur [E] [R]
[Localité 5] - Commune de [Localité 7]
[Adresse 2] Mauritanie

représentée par Me Nicole ANNONCIA, avocat au barreau de PARIS, avoc

at plaidant, vestiaire #E1405


DEFENDERESSE

LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 6]
[Localité 1]

Monsieur Arnaud FENEYROU, Vice-Procureur
Décision du 4 juillet 2024
Chambre du conte...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

1/2/1 nationalité A

N° RG 22/06436
N° Portalis 352J-W-B7G-CW73A

N° PARQUET : 22/1033

N° MINUTE :

Assignation du :
30 Mai 2022

M.M.

[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

JUGEMENT
rendu le 04 Juillet 2024

DEMANDEURS

Monsieur [E] [R]
[Localité 5] - Commune de [Localité 7]
[Adresse 2] Mauritanie

représentée par Me Nicole ANNONCIA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1405

DEFENDERESSE

LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 6]
[Localité 1]

Monsieur Arnaud FENEYROU, Vice-Procureur
Décision du 4 juillet 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 22/06436

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Présidente de la formation

Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs

assistées de Madame Christine Kermorvant, Greffière

DEBATS

A l’audience du 23 Mai 2024 tenue publiquement

JUGEMENT

Contradictoire
en premier ressort
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Maryam Mehrabi, vice-présidente et par Madame Christine Kermorvant, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,

Vu l'assignation délivrée le 30 mai 2022 par M. [X] [R] et Mme [K] [O], en qualité de représentants légaux de l'enfant [E] [R], au procureur de la République,

Vu les dernières conclusions en reprise d'instance de M. [E] [R] notifiées par la voie électronique le 21 décembre 2023,

Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 9 novembre 2023,

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 25 avril 2024 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 23 mai 2024,

MOTIFS

Sur la reprise d'instance

Par application des dispositions des articles 373 et suivants du code de procédure civile, il y a lieu de recevoir M. [E] [R], devenu majeur en cours de procédure, en sa reprise d'instance.

Sur la procédure

Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.

En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 26 octobre 2022. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.

Sur l'action déclaratoire de nationalité française

M. [E] [R], se disant né le 15 septembre 2005 à [Localité 8] (Mauritanie), revendique la nationalité française par filiation paternelle, sur le fondement de l'article 18 du code civil. Il expose que son père, M. [X] [R], né le 25 juin 1966 à [Localité 8], est issu d'[U] [R], lequel avait fixé son domicile de nationalite en France lors de l'accession à l'indépendance de la Mauritanie.

Son action fait suite à la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française qui lui a été opposée le 22 juillet 2020 par le directeur des services de greffe judiciaires du service de la nationalité française du tribunal judiciaire de Paris au motif qu'il ne justifiait pas de ce que son grand-père avait fixé son domicile de nationalite en France (pièce n°3 du demandeur).

Sur le fond

En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.

Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée par le demandeur, l'action relève des dispositions de l’article 18 du code civil aux termes duquel est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français.

Il doit être également rappelé que les effets sur la nationalité de l’accession à l’indépendance des anciens territoires d’outre-mer d’Afrique (hors Algérie, Comores et Djibouti) sont régis par la loi n°60-752 du 28 juillet 1960 et par le chapitre VII du titre 1er bis du livre premier du code civil (soit ses articles 32 à 32-5), qui s’est substitué au titre VII du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de la loi du 9 janvier 1973, qui s’est lui-même substitué aux articles 13 et 152 à 156 du même code dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 19 octobre 1945 et modifiée par la loi du 28 juillet 1960.

Il résulte de l’application combinée de ces textes que seuls ont conservé la nationalité française :
- les originaires du territoire de la République française (et leur conjoint, veuf ou descendant) tel que constitué le 28 juillet 1960, et qui étaient domiciliés au jour de son accession à l'indépendance sur le territoire d'un Etat qui avait eu antérieurement le statut de territoire d'outre-mer de la République française,
- les personnes qui ont souscrit une déclaration de reconnaissance de la nationalité française,
- celles qui ne se sont pas vu conférer la nationalité de l’un des nouveaux Etats anciennement sous souveraineté française,
- enfin, celles, originaires de ces territoires, qui avaient établi leur domicile hors de l’un des Etats de la Communauté lorsqu’ils sont devenus indépendants,
- les enfants mineurs de 18 ans suivant la condition parentale selon les modalités prévues à l’article 153 du code de la nationalité française de 1945 dans sa version issue de l'ordonnance du 19 octobre 1945 telle que modifiée par la loi du 28 juillet 1960.

Le domicile au sens du droit de la nationalité s’entend d’une résidence effective présentant un caractère stable et permanent et coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations ; il ne se réduit pas au lieu de travail.

Il appartient ainsi à M. [E] [R], qui n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité française, de démontrer, d'une part, la nationalité française du parent duquel il la tiendrait et, d’autre part, un lien de filiation légalement établi a l’égard de celui-ci, au moyen d’actes d’état civil probants au sens de l’article 47 du code civil, étant précisé qu’afin de satisfaire aux exigences de l’article 20-1 du code civil, cet établissement doit être intervenu pendant sa minorité pour avoir des effets sur la nationalité.

Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.

Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et la Mauritanie, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 21 de la convention franco-mauritanienne en matière de justice signée 19 juin 1961 et publiée par décret du 24 janvier 1962 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer et certifiés conformes à l'original par ladite autorité.

Enfin, nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s’il ne dispose d’un état civil fiable et certain.

En l'espèce, M. [E] [R] justifie d'un état civil fiable et certain et d'une chaîne de filiation à l'égard de [U] [R] par la production d'actes d'état civil transcrits au service central d'état civil, ce qui n'est au demeurant pas contesté par le ministère public.

Il résulte de ces pièces que M. [E] [R] est né le 15 septembre 2005 à [Localité 8], [Localité 3] (Mauritanie), de [X] [R], né le 25 juin 1966 à [Localité 8], et de [K] [O], née le 31 décembre 1984 à [Localité 8] (pièce n°2 du demandeur).

Le mariage de M. [X] [R] et de Mme [K] [O] a été célébré à [Localité 8] le 15 juin 1999 (pièce n°8 du demandeur).

M. [X] [R] est né le 25 juin 1966 à [Localité 8] ([Localité 3]/République Islamique de Mauritanie), d'[U] [R], né en 1930 à [Localité 8], et de [D] [Z], née en 1945 à [Localité 8], la naissance ayant été déclarée par le père (pièce n°6 du demandeur).

[U] [R] est né en 1930 à [Localité 8], de [F], [I] [R] et de [N] [L] (pièce n°12 du demandeur).

Le ministère public conteste la nationalité française de M. [X] [R] en faisant valoir qu'il n'est pas justifié de la nationalité française d'[U] [R] avant l'indépendance de la Mauritanie puisque le demandeur ne produit pas les actes d'état civil relatifs aux ascendants de celui-ci.

Or, il convient d'abord de relever qu'en application des dispositions précitées, ont conservé la nationalité française les personnes originaires des anciens territoires d’outre-mer d’Afrique, qui avaient établi leur domicile hors de l’un des Etats de la Communauté lorsqu’ils sont devenus indépendants.

Pour l'application de ces dispositions, il appartient au demandeur de démontrer la qualité d'originaire de la Mauritanie de son grand-père paternel. Dès lors, les moyens des parties quant à la portée de la loi Lamine Gueye du 7 mai 1946 sont inopérants.

En ce qui concerne la qualité d'originaire de la Mauritanie d'[U] [R], M. [E] [R] fait à juste titre état de l'impossibilité d'obtenir les actes de naissance des parents de celui-ci. En effet, [U] [R] étant né en 1930, ses parents sont nés avant 1920, donc avant la colonisation de la Mauritanie par la France qui n'a pas recensé les populations subissant la politique coloniale.

M. [E] [R] expose en outre que toute l'Afrique de l'Ouest était colonie ou territoire français ; que le code de l'indigénat empêchait la libre circulation des populations africaines ; que les parents d'[U] [R] étaient nécessairement issus de ce territoire et non d'une contrée lointaine.

Par ailleurs, la nationalité française d'[U] [R] a été tenue pour établie par plusieurs jugements rendus par ce tribunal, dont le dernier en date 28 mars 2013 concerne un des fils de ce celui-ci, sans que le ministère public ait élevé une quelconque contestation sur la qualité d'originaire de la Mauritanie de l'intéressé (pièce n°19 du demandeur).

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la qualité d'originaire de la Mauritanie d'[U] [R] est établie.

En ce qui concerne le domicile de nationalite de ce dernier, le demandeur produit notamment :
- un relevé de carrière concernant [U] [R], né le 2 décembre 1930, mentionnant des trimestres de cotisation retraite entre 1959 et 1972 (pièce n°15 du demandeur),
- une attestation en date du 6 juillet 1961 de la société des Chantiers et Ateliers de Province pour la période du 14 mai 1959 au 6 juillet 1961 (pièce n°16 du demandeur),
- une carte d'immatriculation à la sécurité sociale au nom d'[U] [R], avec effet au 14 mai 1959 (pièce n°17 du demandeur),
- un certificat de travail de l'usine de Peintures Marius Dufour située à [Localité 4], pour les années 1964 et 1965 (pièce n°21 du demandeur),
- un certificat de traitement terminé des Sanatoriums de la Seine pour les années 1968 et 1969 (pièce n°22 du demandeur).

Le ministère public soutient qu'il n'est pas permis de s'assurer que ces documents concernent bien le grand-père paternel du demandeur, les dates et lieu de naissance du nommé [U] [R] qui y est cité n'étant pas précisés ou ne correspondant pas à ceux connus pour l'ascendant dont le demandeur se revendique.

Or, comme le fait valoir à juste titre le demandeur, il importe peu que sur son relevé de carrière, il soit mentionné qu'[U] [R] est né le 2 décembre 1930, alors que sur son acte de naissance il est indiqué qu'il est né en 1930, dès lors qu'il est parfaitement identifiable sur l'ensemble des documents précités par son numéro de sécurité sociale qui y est mentionné.

Il est donc établi qu'à la date de l'indépendance de la Mauritanie le 28 novembre 1960, [U] [R] travaillait en France.

Le ministère public fait enfin valoir qu'aucun élément ne permet d'établir que l'intéressé avait fixé le centre de ses attaches familiales en France.

Toutefois, comme le relève le demandeur, il résulte de l'acte de mariage de l'intéressé qu'il s'est marié en Mauritanie le 23 juillet 1962 (pièce n°13 du demandeur). Il est en outre établi qu'il a eu des enfants en Mauritanie entre 1963 et 1985 (pièce n°14 du demandeur).

Il apparaît ainsi qu'à la date de l'indépendance, [U] [R] était célibataire et sans attaches familiales.

Au regard de ces éléments, il est démontré que lors de l'indépendance de la Mauritanie, [U] [R] avait fixé son domicile de nationalite en France de sorte qu'en application des dispositions précitées, il a conservé la nationalité française postérieurement à cette date.

M. [X] [R] est ainsi de nationalité française en application de l'article 17 du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de la loi du 9 janvier 1973, régissant sa situation au regard de sa date de naissance et aux termes duquel est français l’enfant, légitime ou naturel, dont l’un des parents au moins est français.

En conséquence, M. [E] [R] justifiant d'un lien de filiation légalement établi avec M. [X] [R] et rapportant la preuve de la nationalité française de ce dernier, il sera jugé qu'il est français en application de 18 du code civil, précité.

Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil

Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, cette mention sera en l’espèce ordonnée.

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

En application de l’article 696 du code de procédure civile, le ministère public sera condamné aux dépens.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu de condamner le Trésor public à payer à M. [E] [R] la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

Reçoit M. [E] [R] en sa reprise d'instance ;

Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;

Juge que M. [E] [R], né le 15 septembre 2005 à [Localité 8], [Localité 3] (Mauritanie), est de nationalité française ;

Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;

Condamne le Trésor public à payer à M. [E] [R] la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne le ministère public aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 04 Juillet 2024

La GreffièreLa Présidente
Christine KermorvantMaryam Mehrabi


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 1/2/1 nationalité a
Numéro d'arrêt : 22/06436
Date de la décision : 04/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-04;22.06436 ?
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