La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2024 | FRANCE | N°22/03787

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 1/2/2 nationalité b, 04 juillet 2024, 22/03787


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




1/2/2 nationalité B

N° RG 22/03787 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CVWGF

N° PARQUET : 22-312

N° MINUTE :

Assignation du :
23 Mars 2022

AFP



[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :






JUGEMENT
rendu le 04 Juillet 2024
DEMANDERESSE

Madame [I] [F] [B]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
ALGÉRIE

représentée par Me Nadia HOUAM-PIRBAY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E0448



DEFENDE

RESSE

LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 4]
[Localité 2]

Monsieur Etienne LAGUARIGUE DE SURVILLIERS, Vice-Procureur



Décision du 04/07/2024
Chambre du contentieux
de la ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

1/2/2 nationalité B

N° RG 22/03787 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CVWGF

N° PARQUET : 22-312

N° MINUTE :

Assignation du :
23 Mars 2022

AFP

[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

JUGEMENT
rendu le 04 Juillet 2024
DEMANDERESSE

Madame [I] [F] [B]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
ALGÉRIE

représentée par Me Nadia HOUAM-PIRBAY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E0448

DEFENDERESSE

LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 4]
[Localité 2]

Monsieur Etienne LAGUARIGUE DE SURVILLIERS, Vice-Procureur

Décision du 04/07/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N°RG 22/03787

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente
Présidente de la formation

Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Madame Victoria Bouzon, Juge
Assesseurs

Assistées de Madame Hanane Jaafar, Greffière

DEBATS

A l’audience du 23 Mai 2024 tenue publiquement sans opposition des représentants des parties, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile par Madame Antoanela Florescu-Patoz, magistrate rapporteure, qui a entendu les plaidoiries et en a rendu compte au tribunal dans son délibéré.

JUGEMENT

Contradictoire,
en premier ressort,
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente et par Madame Hanane Jaafar, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,

Vu l'assignation délivrée le 21 mars 2022 par Mme [I] [F] [B] au procureur de la République,

Vu les dernières conclusions de Mme [I] [F] [B] notifiées par la voie électronique le 21 novembre 2023,

Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 13 mars 2024,

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 26 avril 2024 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 23 mai 2024,

MOTIFS

Sur la procédure

Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.

En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 4 avril 2022. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.

Sur l'action déclaratoire de nationalité française

Mme [I] [F] [B], se disant née le 2 septembre 1989 [Localité 3] (Algérie), revendique la nationalité française par filiation maternelle, sur le fondement de l'article 18 du code civil. Elle fait valoir que sa mère, Mme [Z] [L], née le 29 février 1964 à [Localité 3] (Algérie), a bénéficié de l'effet collectif attaché à la déclaration recognitive de nationalité française souscrite par son propre père, M. [E] [L], né le 14 août 1923 à [Localité 5] (Algérie), le 15 septembre 1964 alors qu'elle était encore mineure.

Elle indique également que sa mère a été jugée française par le tribunal de grande instance de Paris le 1er juillet 2016.

Le ministère public soulève la désuétude, sur le fondement de l'article 30-3 du code civil.

Sur la désuétude

Aux termes de l’article 30-3 du code civil, lorsqu’un individu réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français.

L’application de l’article 30-3 du code civil invoqué par le ministère public doit être examinée au regard des seuls termes de ce texte, lequel n’institue pas un délai de prescription susceptible de suspension ou d’interruption mais instaure une perte du droit à apporter la preuve devant les tribunaux de sa nationalité française, sanctionnant le non usage de celle-ci aux personnes qui résident habituellement à l’étranger et dont les ascendants n’ont pas plus été sur le sol français depuis un certain temps. Il s’ensuit qu’il ne peut donc être constaté une inégalité entre l’action négatoire du ministère public, qui peut être combattue par la possession d’état reconnue par l’article 21-13 du code civil, et l’action déclaratoire de nationalité française, dont l’exercice n’est pas davantage subordonné à un délai, dès lors que l’intéressé dispose d’éléments de possession d’état durant la période visée.

Le tribunal doit dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l'article 23-6 du code précité, lequel impose de mentionner, dans le jugement, la date à laquelle la nationalité française a été perdue, ou, le cas échéant, la date à laquelle elle avait été perdue par les auteurs de l’intéressé, en précisant que ce dernier n’a jamais été français.

Pour l'application de l’article 30-3 précité, il convient de déterminer :
- que le requérant revendique la nationalité française par filiation,
- que le requérant réside ou a résidé habituellement a l'étranger et qu’il n’a pas eu de possession d’état de français, c’est à dire qu’il n’a pas été en possession de passeport ou carte nationale d’identité française, inscrit au Consulat ou sur les listes électorales notamment,
- que le ou les ascendants dont il tient par filiation la nationalité, sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle a l’étranger et que son parent direct, duquel il revendique la nationalité française, n’a pas davantage de possession d’état de français.

A cet égard, il ressort de la rédaction même de l'article 30-3 du code civil, que le législateur a distingué entre la condition de résidence habituelle à l'étranger, pour laquelle sont concernés « les ascendants dont il tient la nationalité », de la condition propre à la possession d'état pour laquelle sont visés les seuls « père et mère ». Ainsi, s'agissant de la fixation à l'étranger pendant plus de 50 ans des « ascendants » du demandeur, il n'y a pas de distinction quant au degré d'ascendance, et sont donc également concernés les grand-parents, à condition qu'ils appartiennent à la branche par laquelle est revendiquée la nationalité française.

Le délai cinquantenaire s’apprécie en la personne de l’ascendant du requérant à l’action déclaratoire. Le point de départ de la résidence a l’étranger de l’ascendant est :
- pour les ascendants nés avant l’accession à l’indépendance du pays où ils résident, constitué par la date de cette accession à l’indépendance puisque c’est bien depuis cette date qu’elles sont fixées a l’étranger,
- pour ceux nés postérieurement à cette accession à l’indépendance, la date depuis laquelle ces ascendants ayant été susceptibles de transmettre la nationalité française, sont fixés à l’étranger c’est à dire depuis l’accession à l’indépendance également, le texte de l’article 30-3 incluant tous les ascendants et non pas seulement la première génération de ceux-ci.

La fixation à l'étranger s'entend d'une absence de résidence en France.

L’article 30-3 du code civil interdit ainsi, dès lors que les conditions qu'il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude.

Édictant une règle de preuve, l'obstacle qu'il met à l'administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, de sorte qu'aucune régularisation sur le fondement de l'article 126 du même code ne peut intervenir.

Ainsi, le requérant qui agit en action déclaratoire de nationalité française alors qu’il réside ou a résidé habituellement à l’étranger et que ses ascendants y ont été fixés depuis plus de 50 ans sans avoir eu d’élément de possession d’état pour venir faire exception, sur cette période, à la désuétude encourue du fait de leur fixation à l’étranger, a déjà perdu la nationalité française, comme il résulte de l’application de l’article 23-6 du code civil, sans qu’aucune régularisation postérieure ne puisse intervenir.

En l’espèce, Mme [I] [B] revendique la nationalité française par filiation maternelle.

L'ascendant dont la demanderesse revendique tenir la nationalité française, [E] [L], ayant souscrit une déclaration recognitive de la nationalité française le 15 septembre 1964, le point de départ du délai cinquantenaire visé à l'article 30-3 du code civil se situe à cette date.

La saisine datant du 21 mars 2022 pour un délai de 50 ans acquis le 15 septembre 2014 , seule la démonstration d’une résidence habituelle en France de Mme [I] [B] ou d’un de ses ascendants maternels, ou la démonstration d’une possession d’état de française d'elle-même ou de sa mère avant le 15 septembre 2014 permet d’écarter la désuétude.

Dans ses écritures, le ministère public fait valoir que :
-la demanderesse n'a pas sa résidence fixée en France en ce qu'il est né à l'étranger en Algérie, y réside habituellement, et ne verse aucun élément en faveur d'une possession d'état français,
-la mère de la demanderesse est demeurée fixée à l'étranger pendant plus de 50ans et qu'elle n'a pas d'éléments de possession d'état antérieurs au 4 juillet 2012.

Il n'est ni démontré, ni même soutenu, que Mme [I] [B] ou l'un de ses ascendants maternels auraient fixé leur résidence en France pendant le délai cinquantenaire précité.

Pour s'opposer à la désuétude soulevée par le ministère public, Mme [I] [B] indique que sa mère, Mme [Z] [L] a été jugée française par jugement du 1er juillet 2016 rendu par le tribunal de grande instance de Paris ; que ce jugement a un effet déclaratif ; que par conséquent elle est française car sa mère est française, que l'article 18 du code civil ne prévoit pas d'exception ; que l'effet recognitif qui s'attache au jugement déclaratif de nationalité empêche l'acquisition de la prescription prévue à l'article 30-3 du code civil ; que la désuétude n'a pas été soulevée dans le cadre de l'action déclaratoire de nationalité française de sa mère.

Or, contrairement à ce qu'indique la demanderesse, la circonstance que Mme [Z] [L] ait été déclarée française par jugement est sans incidence sur l'acquisition de la désuétude. Un tel jugement, qui constitue un titre de nationalité, ne suffit pas à caractériser une possession d'état de Français durant la période antérieure au 15 septembre 2014, et ce quand bien même le jugement ait un effet déclaratif.

Par ailleurs, Mme [I] [B] était majeure au 1er juillet 2016, elle ne suivait donc pas la condition de sa mère de sorte que le moyen soulevé du fait qu'il ne peut lui être opposée la désuétude puisqu'elle n'a pas été opposée à sa mère, doit être rejeté.

En outre, il n’est pas rapporté en l’espèce d’élément d’une possession d’état de françaises de l'intéressée ou de sa mère avant le 15 septembre 2014.

Enfin, comme précédemment indiqué, aucune régularisation ne saurait intervenir pour permettre à l'intéressée d'échapper à l'obstacle que met l'article 30-3 du code civil à l'établissement de sa nationalité française.

Il apparaît ainsi que Mme [I] [B] a agi après le 15 septembre 2014 alors qu'elle, ni sa mère, n'ont d’élément de possession d’état de la nationalité française avant cette date, et aucun d'elle ou de ses ascendants maternels n’ont eu une résidence habituelle sur le territoire français au cours du délai cinquantenaire fixé par l'article 30-3 du code civil.

Par suite, il convient de faire droit à la demande du ministère public en ce qui concerne la désuétude soulevée.

Il sera donc jugé que Mme [I] [B] n'est pas admise à faire la preuve qu'elle a, par filiation, la nationalité française.

En application du dernier alinéa de l’article 23-6 du code civil, le jugement détermine la date à laquelle la nationalité française a été perdue.

En l'espèce, au regard des éléments précédemment relevés, il y a lieu de juger que Mme [I] [B] est réputée avoir perdu la nationalité française le 15 septembre 2014.

Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil

Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, la mention de la présente décision sera ordonnée en application de cet article.

Sur les dépens

En application de l’article 696 du code de procédure civile, Mme [I] [B] qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;

Juge que Mme [I] [F] [B] n'est pas admise à faire la preuve qu'elle a, par filiation, la nationalité française ;

Juge que Mme [I] [F] [B], née le 2 septembre 1989 à [Localité 3] (Algérie), est réputée avoir perdu la nationalité française le 15 septembre 2014 ;

Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;

Condamne Mme [I] [F] [B] aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 04 Juillet 2024

La Greffière La Présidente
Hanane Jaafar Antoanela Florescu-Patoz


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 1/2/2 nationalité b
Numéro d'arrêt : 22/03787
Date de la décision : 04/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-04;22.03787 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award