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03/07/2024 | FRANCE | N°23/06169

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 2ème section, 03 juillet 2024, 23/06169


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le :




9ème chambre 2ème section


N° RG 23/06169 -
N° Portalis 352J-W-B7H-CZOHU

N° MINUTE : 4


Assignation du :
03 Avril 2023









JUGEMENT
rendu le 03 Juillet 2024
DEMANDEURS

Monsieur [WC] [D]
[Adresse 13]
[Localité 5]

Monsieur [YK] [T]
[Adresse 40]
[Localité 17]

Monsieur [S] [E]
[Adresse 27]
[Localité 6]

Monsieur [WP] [F]
[Adresse 4]
[Lo

calité 30]

Monsieur [VO] [Z]
[Adresse 11]
[Localité 28]

Monsieur [BU] [G]
[Adresse 7]
[Localité 22]



Monsieur [A] [W]
[Adresse 8]
[Localité 42]

Monsieur [C] [H]
[Adresse 23]
[Localité 26]

Monsieur [V] [H]...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le :

9ème chambre 2ème section

N° RG 23/06169 -
N° Portalis 352J-W-B7H-CZOHU

N° MINUTE : 4

Assignation du :
03 Avril 2023

JUGEMENT
rendu le 03 Juillet 2024
DEMANDEURS

Monsieur [WC] [D]
[Adresse 13]
[Localité 5]

Monsieur [YK] [T]
[Adresse 40]
[Localité 17]

Monsieur [S] [E]
[Adresse 27]
[Localité 6]

Monsieur [WP] [F]
[Adresse 4]
[Localité 30]

Monsieur [VO] [Z]
[Adresse 11]
[Localité 28]

Monsieur [BU] [G]
[Adresse 7]
[Localité 22]

Monsieur [A] [W]
[Adresse 8]
[Localité 42]

Monsieur [C] [H]
[Adresse 23]
[Localité 26]

Monsieur [V] [H]
[Adresse 23]
[Localité 26]

Monsieur [X] [I]
[Adresse 25]
[Localité 38]

Monsieur [X] [BS]
[Adresse 9]
[Localité 24]

Monsieur [BU] [Y]
[Adresse 39]
[Localité 41]

Monsieur [BY] [J]
[Adresse 20]
[Localité 32]

Monsieur [M] [U]
[Adresse 44]
[Localité 37]

Monsieur [VB] [L]
[Adresse 14]
[Localité 35]

Monsieur [O] [UV]
[Adresse 21]
[Localité 16]

Monsieur [ZS] [AP]
[Adresse 12]
[Localité 36]

Monsieur [XJ] [WW]
[Adresse 15]
[Localité 34]

Madame [B] [XX]
[Adresse 43],
[Adresse 43]
[Localité 18]

Monsieur [P] [YY]
[Adresse 1]
[Localité 31]

Monsieur [X] [R]
[Adresse 10]
[Localité 3]
Décision du 03 Juillet 2024
9ème chambre - 2ème section
N° RG 23/06169 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZOHU

Monsieur [K] [N]
[Adresse 19]
[Localité 29]

Représentés par Maître Julia KALFON de l’AARPI SQUAIR, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0010

DÉFENDERESSE

S.A. MA FRENCH BANK prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 33]

Représentée par Maître Jean-Philippe GOSSET de la SELEURL CABINET GOSSET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0812

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur MALFRE, Vice-président
Monsieur BOUJEKA, Vice-Président
Monsieur PARASTATIDIS, Juge

assistés de Pierre-Louis MICHALAK, Greffier, lors des débats, et de Claudia CHRISTOPHE, Greffière, lors de la mise à disposition,

DÉBATS

A l’audience du 22 Mai 2024 tenue en audience publique devant Alexandre PARASTATIDIS, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

rendu publiquement par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

FAITS ET PROCEDURE

Courant 2021 à 2023, les demandeurs ont effectué chacun des virements de montants différents vers des comptes ouverts dans les livres de la société Ma French Bank aux fins de réserver ou acheter auprès de particuliers contactés sur des Marketplaces un bien qui ne leur a jamais été livré.

S’estimant victimes de faits frauduleux, certains ont déposé plainte pour escroquerie.

Les mises en demeure adressées par leur conseil à la banque les 29 avril, 25 juin et 21 décembre 2021 sont demeurées infructueuses.
C'est dans ces conditions que par exploit de commissaire de justice du 3 avril 2023, MM. [VB] [L], [M] [U], [BY] [J], [BU] [Y], [X] [I], [V] [H], [C] [H], [A] [W], [BU] [G], [VO] [Z], [WP] [F], [S] [E], [YK] [T], [WC] [D], [K] [N], [X] [R], [P] [YY], [XJ] [WW], [ZS] [AP], [O] [UV], [X] [BS] et Mme [B] [XX] ont fait assigner la société Ma French Bank devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir condamner cette dernière à les indemniser.

Aux termes de leurs dernières écritures signifiées électroniquement le 31 janvier 2024, aux visas des articles 31 du code de procédure civile, 1240 du code civil, et L.133-21, L.561-5, L.561-5-1, L.561-2-1 et R.312-2 du code monétaire et financier, il est demandé au tribunal de :

« RECEVOIR les Plaignants comme étant bien fondés en leurs demandes,

ET :

JUGER que la société MA FRENCH BANK a manqué aux obligations qui lui incombent en qualité d'établissement bancaire à l'égard de chacun des Plaignants ;

JUGER que la société MA FRENCH BANK a commis une faute délictuelle engageant sa responsabilité à l'égard de chacun des Plaignants ;

JUGER qu'il en résulte un préjudice matériel et moral pour chacun des Plaignants ;

EN CONSEQUENCE

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [L] [VB], la somme de 1.358,50 €, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [U] [M], la somme de 4.300 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [J] [BY], la somme de 2.000 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [Y] [BU], la somme de 1.500 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [I] [X], la somme de 1.190,00€, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [H] [V], la somme de 3.200 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [H] [C], la somme de 3.200 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [W] [A], la somme de 15.999 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [G] [BU], la somme de 2.436,93 €, en raison du préjudice matériel et moral qu'elle a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [Z] [VO], la somme de 2.480 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [F] [WP], la somme de 1.550 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [E] [S], la somme de 1.300 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [T] [YK], la somme de 2.200 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [D] [WC], la somme de 4.500 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [N] [K], la somme de 1.410 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [R] [X], la somme de 799 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [YY] [P], la somme de 1.127,99 €, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Madame [XX] [B], la somme de 25.775 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [WW] [XJ], la somme de 2.000 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [AP] [ZS], la somme de 880 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [UV] [O], la somme de 11.1 10,62 €, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à Monsieur [BS] [X], la somme de 1.350 euros, en raison du préjudice matériel et moral qu'il a souffert ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK à verser à chacun des Plaignants la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société MA FRENCH BANK aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'exécution de la décision. »

A l'appui de leurs prétentions, les demandeurs font tout d’abord valoir la recevabilité de leur action collective sur le fondement de l’article 31 du code de procédure civile soutenant qu’ils opposent tous à la banque les mêmes manquements sur la base des mêmes fondements juridiques dans le cadre d’une même escroquerie.

Ensuite, ils exposent qu’en application des dispositions des articles 1240 du code civil et L.561-5, L.561-5-1, L.561-2-1 et R.561-5-1 et R.561-5-2 du code monétaire et financier, la société Ma French Bank, en sa qualité d’établissement bancaire, est tenue à une obligation générale de vérification de l'identité et de l’adresse de toute personne demandant l’ouverture d’un compte bancaire et de diligence dans la vérification de l'exactitude des informations fournies, notamment au moyen des procédés de vérification énoncés aux deux derniers articles précités et que sa responsabilité délictuelle peut être engagée dès lors qu’elle a manqué à ces obligations dans le cadre de l’ouverture d’un compte ayant servi à la réalisation d’une fraude. Ils ajoutent que la banque ne peut leur opposer le défaut de fondement juridique à leur action en ce que la jurisprudence citée par la défenderesse excluant toute indemnisation d’un particulier qui invoque un manquement aux articles L.561-5 et suivants du code précité ne porte que sur l’obligation de vigilance des établissements bancaires relative à la surveillance des opérations qui sont passées par leur client et non sur celle de vérification de l’identité et de l’adresse du postulant à l’ouverture d’un compte, celle-ci désormais énoncée à l’article R.561-5-2 reprenant l’obligation générale initialement prévue par l’article R.312-2 abrogé en 2020. A titre subsidiaire, ils font valoir que les jurisprudences citées par la banque posent en toute état de cause un principe général d’obligation de diligence des établissements bancaires dans la vérification de l’identité des postulants à l’ouverture d’un compte bancaire.

Ils exposent ainsi qu’au cas particulier la banque a nécessairement manqué à son obligation de vérification lors de l’ouverture des comptes frauduleux qui ont réceptionné les virements contestés au regard des mesures de vérification d’identité « très discutables », et donc insuffisantes, mises en place, à savoir la fourniture seulement d’une pièce d’identité, d’un justificatif ou d’un relevé d’identité bancaire et d’un document officiel dont seule la photo est transmise par le biais d’un smartphone. Ils ajoutent qu’en toute hypothèse, la banque ne rapporte pas la preuve d’avoir rempli ses obligations dès lors qu’elle refuse de produire le moindre justificatif de ses diligences.

Les demandeurs font également valoir un manquement de la banque à l’occasion de la réception des virements contestés, relevant que si celle-ci affirme que les comptes bancaires ouverts par les fraudeurs ne l’ont pas été sous une fausse identité et que les manœuvres frauduleuses ont consisté dans la falsification des noms rattachés aux numéros IBAN (International Bank Account Number) dont elle ne peut être tenue pour responsable, elle n’en rapporte pas la preuve ne fournissant aucun élément permettant de comparer le nom des titulaires des comptes avec ceux figurant sur les ordres de virement. Ils ajoutent qu’à suivre les explications de la défenderesse, il s’en déduit que celle-ci a engagé sa responsabilité en ne relevant pas l’absence de concordance entre le nom des bénéficiaires des virements et le nom des titulaires des comptes bénéficiaires, la banque réceptionnaire d’un virement ne pouvant s’abstenir de procéder à une telle vérification contrairement au prestataire de service de paiement de l’utilisateur ayant donné l’ordre de virement qui est seul visé par les dispositions de l’article L.133-21 du code monétaire et financier excluant la responsabilité de ce dernier en cas d’exécution conformément au numéro IBAN.

Enfin, ils font grief à la banque d’avoir manqué à l’obligation mise à la charge du prestataire de services de paiement du bénéficiaire d’un paiement de communiquer les informations relatives au titulaire du compte ayant reçu les fonds en fraude des droits du payeur aux fins de récupération de ces derniers telle qu’énoncée à l’article L.133-21 du code précité en s’opposant systématiquement aux demandes de « recall » ou en n’y répondant pas.

Enfin, réfutant l’argument lié à l’imprudence de leur comportement opposé par la société Ma French Bank, ils soutiennent l’existence d’un lien de causalité entre les manquements de la défenderesse et le préjudice qu’ils allèguent, affirmant que les escroqueries n’auraient pu

prospérer sans l’ouverture des comptes bancaires sous une fausse identité par les escrocs qui ne peuvent donc être retrouvés pour répondre financièrement de leurs agissements.

Ils font ainsi valoir chacun un préjudice matériel correspondant aux montants des virements réalisés, outre un préjudice moral évalué à la somme de 500 euros par demandeur correspondant aux désagréments résultant de leurs démarches demeurées vaines pour obtenir la restitution de leurs fonds dont ils sont privés depuis plusieurs mois, voire années.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées électroniquement le 27 février 2024, aux visas des articles1240 du code civil, et L.561-5 et suivants du code monétaire et financier, la société Ma French Bank demande au tribunal de :

« JUGER que les demandeurs ne démontrent l’existence d’aucune faute de MA FRENCH BANK tant à l’occasion de l’ouverture des comptes ouverts dans ses livres ayant réceptionné les virements litigieux qu’à l’occasion de leurs demandes d’informations bancaires s’agissant desdits comptes,

JUGER en outre que seule l’imprudence des demandeurs est à l’origine exclusive du préjudice des demandeurs,

DEBOUTER en conséquence les demandeurs de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions.

CONDAMNER solidairement les demandeurs à verser à MA FRENCH BANK la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

Les CONDAMNER solidairement dans aux entiers dépens. »

Pour sa défense, la société Ma French Bank expose à titre liminaire qu’il ne saurait être déduit de la transmission par les fraudeurs aux demandeurs d’IBAN faussement libellés au nom de prétendus vendeurs et ne correspondant pas aux réels titulaires des comptes, que ces derniers ont nécessairement été ouverts après usurpation d’identités.

Ensuite, elle relève le défaut de base légale soutenant le grief consistant en un défaut de vérification de l’identité et de l’adresse des postulants à l’ouverture des comptes frauduleux, rappelant que les dispositions de l’article R.312-1 du code monétaire et financier invoquées par les demandeurs ont été abrogées le 14 février 2020. Elle soutient en tout état de cause l’absence de textes légaux ou réglementaires imposant à un établissement bancaire de solliciter plus d’un document d’identité. Elle conclut également à l’inapplicabilité des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier au présent cas d’espèce, s’appuyant en cela notamment sur la décision rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 22 septembre 2022 (n°21-12.335).

Elle invoque par ailleurs le secret bancaire énoncé par les articles L.511-33 du code monétaire et financier et 226-13 du code pénal qui est opposable aux juges civils et consulaires pour justifier son refus de communiquer les informations relatives aux titulaires desdits comptes, renvoyant les demandeurs à obtenir de tels renseignements par le biais des autorités judiciaires dans le cadre d’une procédure pénale. Elle ajoute que sa responsabilité ne peut pas non plus être mise en cause pour un défaut de communication d’information sur le fondement de l’article L.133-21 du code monétaire et financier en ce que les virements litigieux n’ont pas été exécutés suite à une erreur dans la communication des numéros IBAN, seuls les noms figurant sur ceux-ci ayant été falsifiés, et en ce que ce texte fait peser une obligation de communication d’informations par la banque du bénéficiaire à la banque du payeur et non directement à ce dernier.

Elle conclut en conséquence à l’exclusion de toute responsabilité de sa part, ajoutant qu’en tout état de cause, la prétendue faute reprochée lors de l’ouverture des comptes ne présente pas de lien de causalité avec les préjudices allégués qui sont la conséquence d’une escroquerie à laquelle elle est étrangère et qui n’a été rendue possible que par la négligence grave des demandeurs qui ont procédé à des versements sans contrepartie concrète aux bénéfices de personnes inconnues et souvent domiciliées à des distances importantes de leur domicile, et ce alors que pour certains ils émettaient des doutes quant à la sécurité de la transaction.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 3 avril 2024. L’affaire a été évoquée à l’audience de plaidoirie tenue en juge rapporteur du 22 mai 2024 et mise en délibéré au 3 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 - Sur la recevabilité de l’action en commun

En application de l’article 768 du code de procédure civile, le tribunal n’est tenu de statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Au cas particulier, la société Ma French Bank ne soulève pas aux termes de ses écritures un moyen tiré de l’irrecevabilité de l’action en commun des demandeurs. Par suite, le tribunal n’est pas saisi d’une telle question et il n’y a pas lieu de statuer sur cette fin de non-recevoir qui, en toute hypothèse, relèverait de la compétence du juge de la mise en état conformément aux dispositions de l’article 789 du code précité.

2 - Sur la responsabilité de la société Ma French Bank lors de l’ouverture des comptes

Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L.561-5 à L.561-22 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. La victime d’agissements frauduleux ne peut donc se prévaloir de l’inobservation de ces obligations pour rechercher la responsabilité d’un établissement bancaire et lui réclamer des dommages et intérêts. Ces règles prudentielles invoquées par les demandeurs ne peuvent dès lors constituer un fondement valable à leurs demandes indemnitaires à l’encontre de la défenderesse.

Cependant, nonobstant l’abrogation des dispositions de l’article R.312-2 du code monétaire et financier, étant relevé qu’aucune précision n’est apportée sur la date d’ouverture des comptes pour permettre au tribunal d’apprécier si ce texte trouve à s’appliquer au cas d’espèce, il incombe au banquier de procéder à un contrôle de la personnalité du postulant avant de lui ouvrir un compte dont l’inobservation engage sa responsabilité à l’égard des personnes victimes d’agissements qu’a permis l’utilisation du compte. Il lui revient ainsi de vérifier l’identité et le domicile du postulant en se faisant remettre un document officiel comportant sa photographie dont il doit enregistrer et conserver les références. Si les vérifications sont insuffisantes, la banque supporte une partie au moins du préjudice qui découle de son manquement.

Par ailleurs, en application de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En application de l’article 9 du code de procédure civile, il appartient à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l‘espèce, les demandeurs démontrent avoir été victimes d’une escroquerie puisqu’ils ont versé une somme d’argent pour l’acquisition ou la réservation de biens qu’ils n’ont jamais obtenus.

Il n’est pas contesté par la banque que lesdites sommes ont été versées sur des comptes ouverts dans ses livres. Par ailleurs, aux termes de ses écritures, la société Ma French Bank reconnaît que l’identité des titulaires des comptes litigieux ne correspondait pas à celle figurant sur les ordres des virements dont il se déduit que lesdits comptes ont été ouverts en vue de la commission d’une escroquerie.

Dès lors, c’est sans renverser la charge de la preuve qu’il convient de considérer qu’il appartient à la banque de démontrer qu’elle a procédé aux vérifications nécessaires lors de l’ouverture des comptes qui ont servi à la commission des faits frauduleux.

A cet égard, l’établissement bancaire peut lever le secret bancaire institué par l’article L.511-33 du code monétaire et financier lorsqu’il est partie à un procès intenté contre lui dès lors que la production est indispensable à l’exercice de son droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la production des pièces permettant de vérifier les diligences effectuées pour vérifier l’identité et le domicile des titulaires des comptes répondant au cas particulier à cette double exigence.

En refusant de communiquer les pièces ayant permis l’ouverture du compte bancaire, la banque est défaillante dans la démonstration des diligences qu’elle a effectuées et ne rapporte donc pas la preuve d’avoir rempli son obligation de vérification lors de l’ouverture des comptes litigieux.

En conséquence, sans qu’il n’y ait besoin d’examiner les autres moyens, il convient de retenir que la société Ma French Bank a engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard des demandeurs qui démontrent avoir subi un préjudice consistant dans le versement de sommes d’argent sans contrepartie et découlant directement de son manquement à l’obligation de vérification lors de l’ouverture des comptes qui ont permis la réalisation de l’escroquerie.

La société Ma French Bank est donc condamnée à indemniser intégralement le préjudice subi par les demandeurs énumérés ci-après pour lesquels il n’est pas rapporté la preuve qu’ils auraient procédé au paiement alors qu’ils pouvaient légitimement s’interroger sur la sécurité de la transaction. En effet, ceux-ci justifient avoir sollicité et obtenu de leur interlocuteur la copie d’une pièce d’identité et il n’est fait état les concernant d’aucun autre élément pouvant éveiller leurs soupçons.

En conséquence, la défenderesse est condamnée à payer les sommes suivantes :

- M. [VB] [L] : 858,50 euros,
- M. [M] [U] : 3.800 euros,
- M. [BY] [J] : 1.500 euros,
- M. [BU] [Y] : 1.000 euros,
- M. [X] [I] : 690 euros,
- M. [V] [H] : 2.700 euros,
- M. [C] [H] : 2.700 euros,
- M. [A] [W] : 15.499 euros
- M. [BU] [G] : 1.936,93 euros,
- M. [VO] [Z] : 1.980 euros,
- M. [WP] [F] : 1.050 euros,
- M. [S] [E] : 800 euros,
- M [YK] [T] : 1.700 euros,
- M. [WC] [D] : 4.000 euros,
- M. [K] [N] : 910 euros,
- M. [X] [R] : 299 euros,
- M. [P] [YY] : 627,99 euros,
- M. [XJ] [WW] : 1.500 euros,
- M. [ZS] [AP] : 380 euros,
- M. [X] [BS] : 850 euros.

S’agissant de Mme [B] [XX], il ressort des pièces produites que cette dernière a procédé à un virement de 21.525 euros le 27 août 2021 correspondant au solde de la transaction, un premier versement pour un montant de 3.750 euros ayant été effectué le 11 août 2021, et ce alors qu’elle produit des échanges avec le prétendu vendeur sur la plateforme du site Leboncoin en date du 26 août 2021 faisant apparaître des encarts avec le message suivant « Le profil de votre interlocuteur a été bloqué sur notre site par mesure de sécurité… Celui-ci ne pourra plus accéder à la messagerie. Votre temps est précieux, passez à autre chose en discutant avec d’autres membres du boncoin ! » et qu’elle ne pouvait dès lors ignorer le risque d’escroquerie auquel elle s’exposait. Il convient ainsi de considérer que la demanderesse a contribué au moins en partie par sa négligence à la réalisation de son préjudice qui doit en conséquence être indemnisé à hauteur seulement de 50% s’agissant du dernier versement. En conséquence, la société Ma French Bank est condamnée à lui payer la somme de (3.750 + (21.525 x 50%)) 14.512,50 euros.

De même, il résulte de la plainte déposée le 28 septembre 2021 par M. [O] [UV] qu’à réception de la facture du véhicule qu’il pensait acheter via une annonce sur le site Leboncoin, il a contacté la société Ma French Banque qui, tout en lui confirmant l’existence dans ses livres du compte à créditer, lui a manifesté son étonnement quant au caractère professionnel du compte. De plus, il ressort des pièces produites que le demandeur a reçu un second RIB le lendemain au prétexte que le service comptabilité de la prétendue société vendeuse avait commis une erreur. Dès lors, il apparaît que M. [UV] a manifestement poursuivi la transaction nonobstant des éléments qui étaient de nature à susciter une suspicion quant au risque de fraude à son détriment. Il convient en conséquence de condamner la société Ma French Bank à l’indemniser à hauteur de 50% seulement de son préjudice, soit (10.610,62 x 50%) 5.305,31 euros.

En revanche, les demandeurs ne rapportent par la preuve d’un préjudice moral distinct du préjudice matériel indemnisé. En conséquence, leur demande à ce titre est rejetée.

2 - Sur les autres demandes

La société Ma French Bank qui succombe est condamnée aux dépens.

Elle est également condamnée à payer la somme de 300 euros à chaque demandeur afin de compenser les frais de justice non compris dans les dépens qu’ils ont dû exposer afin d’assurer la défense judiciaire de leurs intérêts, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La présente décision est revêtue de droit de l'exécution provisoire conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable en l’espèce, l’instance ayant été introduite postérieurement au 31 décembre 2019.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par mise à disposition de la décision au greffe de la juridiction, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

CONDAMNE la SA Ma French Bank à payer à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi les sommes suivantes :

- à M. [VB] [L] : 858,50 euros,
- à M. [M] [U] : 3.800 euros,
- à M. [BY] [J] : 1.500 euros,
- à M. [BU] [Y] : 1.000 euros,
- à M. [X] [I] : 690 euros,
- à M. [V] [H] : 2.700 euros,
- à M. [C] [H] : 2.700 euros,
- à M. [A] [W] : 15.499 euros
- à M. [BU] [G] : 1.936,93 euros,
- à M. [VO] [Z] : 1.980 euros,
- à M. [WP] [F] : 1.050 euros,
- à M. [S] [E] : 800 euros,
- à M [YK] [T] : 1.700 euros,
- à M. [WC] [D] : 4.000 euros,
- à M. [K] [N] : 910 euros,
- à M. [X] [R] : 299 euros,
- à M. [P] [YY] : 627,99 euros,
- à Mme [B] [XX] : 14.512,50 euros,
- à M. [XJ] [WW] : 1.500 euros,
- à M. [ZS] [AP] : 380 euros,
- à M. [O] [UV] : 5.305,31euros,
- à M. [X] [BS] : 850 euros.

CONDAMNE la SA Ma French Bank aux dépens ;

CONDAMNE la SA Ma French Bank à payer à [VB] [L], [M] [U], [BY] [J], [BU] [Y], [X] [I], [V] [H], [C] [H], [A] [W], [BU] [G], [VO] [Z], [WP] [F], [S] [E], [YK] [T], [WC] [D], [K] [N], [X] [R], [P] [YY], [XJ] [WW], [ZS] [AP], [O] [UV], [X] [BS] et Mme [B] [XX] la somme de 300 euros chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 03 Juillet 2024

La GreffièreLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 23/06169
Date de la décision : 03/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-03;23.06169 ?
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