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03/07/2024 | FRANCE | N°22/13969

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 2ème section, 03 juillet 2024, 22/13969


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le :


â– 

9ème chambre 2ème section


N° RG 22/13969 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CYNCX

N° MINUTE : 2


Assignation du :
11 Septembre 2020









JUGEMENT
rendu le 03 Juillet 2024
DEMANDEUR

Monsieur [Y] [B]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Représenté par Maître David KOUBBI de la SELARL 28 OCTOBRE SOCIETE D’AVOCATS A LA COUR DE PARIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0246

‰FENDERESSES

S.A. LA MONDIALE EUROPARTNER prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Adresse 6]

Représentée par Maître François-Genêt KIENER de l’AARPI PARRINELLO VILAIN & ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le :

â– 

9ème chambre 2ème section

N° RG 22/13969 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CYNCX

N° MINUTE : 2

Assignation du :
11 Septembre 2020

JUGEMENT
rendu le 03 Juillet 2024
DEMANDEUR

Monsieur [Y] [B]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Représenté par Maître David KOUBBI de la SELARL 28 OCTOBRE SOCIETE D’AVOCATS A LA COUR DE PARIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0246

DÉFENDERESSES

S.A. LA MONDIALE EUROPARTNER prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Adresse 6]

Représentée par Maître François-Genêt KIENER de l’AARPI PARRINELLO VILAIN & KIENER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R098

SAS KEREN FINANCE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]

Décision du 03 Juillet 2024
9ème chambre - 2ème section
N° RG 22/13969 - N° Portalis 352J-W-B7G-CYNCX

Représentée par Me Viviane TSE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0007

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur MALFRE, Vice-Président
Monsieur BOUJEKA, Vice-Président
Monsieur PARASTATIDIS, Juge

assistés de Pierre-Louis MICHALAK, Greffier, lors des débats et de Claudia CHRISTOPHE, Greffière, lors de la mise à disposition.

DÉBATS

A l’audience du 15 Mai 2024 tenue en audience publique devant Alexandre PARASTATIDIS, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

rendu publiquement par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

FAITS ET PROCEDURE

Le 7 juin 2016, M. [B] a souscrit auprès de la société de droit luxembourgeois La Mondiale Europartner (ci-après LME) quatre contrats d'assurance-vie sur supports libellés en unités de compte, à effet au 25 juillet 2016, sur lesquels il a versé en plusieurs fois, le dernier versement étant intervenu en juillet 2017, la somme totale de 1.810.000 euros.

Lors de la souscription, il a choisi une politique d'investissement dite "prudente" et a sollicité l'ouverture d'un fonds interne dédié (ci-après FID) pour gérer les fonds investis en unités de compte. La société LME a confié à la société Keren Finance la gestion financière du fonds interne dédié, suivant un mandat de gestion cadre en date du 15 mars 2010 et un avenant spécifique en date du 10 août 2016.

Estimant que son profil de risque et ses souhaits de politique d'investissement n'étaient pas respectés et déplorant une diminution de son capital investi, M. [B] a demandé un changement de gestionnaire le 27 mai 2019.

Par lettres de son conseil en date du 27 novembre 2019, M. [B] a vainement mis en demeure les sociétés LME et Keren Finance de lui verser la somme de 200.000 euros en réparation de son préjudice.

C'est dans ces conditions que par actes d'huissier de justice des 11 et 14 septembre 2020, M. [B] a fait assigner les sociétés LME et Keren Finance devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir condamnées ces dernières à l'indemniser du préjudice résultant, selon lui, du non-respect de son profil de risque et de la politique d'investissement prudente qu'il avait expressément choisie.

Sur incident initialement soulevé par la société LME, auquel s'est associée la société Keren Finance, le juge de la mise en état a, par décision du 5 janvier 2022, déclaré M. [B] prescrit dans ses demandes formées à l'encontre des deux sociétés défenderesses dérivant des contrats d'assurance-vie souscrits en juillet 2016, débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. [B] aux entiers dépens.

Par arrêt du 16 novembre 2022, la Cour d'appel de Paris a infirmé cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 28 novembre 2023, aux visas des articles 1382 et suivants anciens, 1231 et suivants, 1240 et suivants du code civil, et L.214-23 du code monétaire et financier, M. [B] demande au tribunal de :

" 1. A titre liminaire, sur la demande des sociétés LA MONDIALE EUROPARTNER et KEREN FINANCE tendant à voir écarter des débats la Pièce n°12.

REJETER la demande de la société LA MONDIALE EUROPARTNER et de la société KEREN FINANCE visant à écarter la Pièce n°12 des débats.

2. A titre principal, sur la condamnation des sociétés LA MONDIALE EUROPARTNER et KEREN FINANCE au paiement de dommages et intérêts

DIRE ET JUGER que la société LA MONDIALE EUROPARTNER a méconnu ses obligations de conseil et d'information précontractuelle à l'égard de Monsieur [B] ;

DIRE ET JUGER que la société LA MONDIALE EUROPARTNER et la société KEREN FINANCE ont méconnu le profil de risque et la politique d'investissement dite " Prudente " choisie par Monsieur [B].

En conséquence,

CONDAMNER solidairement les sociétés LA MONDIALE EUROPARTNER et KEREN FINANCE au paiement de la somme de 238.968,08 euros à Monsieur [B] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi.

3. En tout état de cause

REJETER l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société LA MONDIALE EUROPARTNER et de la société KEREN FINANCE ;

CONDAMNER solidairement la société LA MONDIALE EUROPARTNER et la société KEREN FINANCE au paiement de la somme de 20.000 euros à Monsieur [B] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. "

A l'appui de ses prétentions, M. [B] fait tout d'abord valoir que sa pièce n°12, consistant en des relevés d'un compte courant ouvert par la société LME dans les livres de la Banque de Luxembourg, dont il est sollicité le rejet des débats, n'est pas couverte par le secret bancaire et a été obtenue de manière loyale en ce qu'il en a été destinataire en sa qualité d'assuré, conformément à son droit d'information prévu par l'article L.132-22 du code des assurances qui dispose que l'assureur doit communiquer à son client périodiquement un certain nombre d'informations chiffrées pour rendre compte de la gestion des fonds investis, et les stipulations de l'article 8 de la proposition de contrat d'assurance valant notice d'information. Il ajoute qu'en tout état de cause, le secret bancaire n'est pas absolu et doit être concilié avec le droit de la preuve et qu'au cas particulier, ces documents rendent compte exclusivement de la gestion de ses actifs sans autre information notamment sur les fonds propres de la société LME et permettent de démontrer la gestion fautive qu'il reproche aux défenderesses. Il conclut en conséquence à la recevabilité des informations contenues dans cette pièce nonobstant l'atteinte justifiée et proportionnée portée au secret bancaire.

Ensuite, M. [B] soutient qu'en application de l'article L.132-27-1 I du code des assurances, dans sa version antérieure applicable en l'espèce, la société LME en sa qualité d'assureur et d'unique contractant, était soumise à une double obligation précontractuelle d'information et de conseil dont elle ne peut s'exonérer même en présence d'un intermédiaire au sens de l'article L.511-1 du code des assurances, qui au cas particulier n'existe pas, la société AG2R La Mondiale n'ayant pas participé à la relation litigieuse.

Il fait ainsi valoir que conformément à l'article L.132-27-1 I précité, avant la conclusion du contrat et indépendamment de la documentation fournie, l'assureur doit recueillir auprès du potentiel souscripteur l'ensemble des informations relatives à ses besoins et exigences, à sa situation financière et personnelle ainsi qu'à ses objectifs de souscription, et s'informer sur sa capacité à prendre des risques et à subir des pertes afin de pouvoir lui conseiller un contrat cohérent et en adéquation avec son profil, lui fournir des explications objectives, claires et non trompeuses, adaptées à la complexité de l'opération proposée, et lui expliquer les raisons justifiant son adéquation pour qu'il puisse se forger une opinion précise sur la pertinence du montage qui lui est soumis. Il ajoute que l'étendue de l'obligation d'information de l'assureur, sur qui pèse la charge de la preuve de sa bonne exécution, varie en fonction des connaissances et de l'expérience du souscripteur en matière financière. Il expose qu'en l'espèce, étant président d'une société de location de voitures, il était un investisseur profane dans le secteur financier, ce qu'atteste l'incohérence de ses réponses dans le formulaire, la constitution d'une " pension /retraite complémentaire " étant inconciliable avec l'objectif d'épargner en vue d'un projet à court terme, compte tenu de son âge qui était de 40 ans au moment de la souscription. Il soutient que la souscription de contrats d'assurance-vie en unités de compte, et donc de produits tributaires des fluctuations du marché financier, était inadaptée à son objectif de constitution d'une retraite complémentaire avec un risque réduit induisant son acceptation de la possibilité d'un rendement faible. Il fait grief dès lors à la société LME d'une absence totale de conseil, outre une information insuffisante sur les risques liés aux contrats souscrits en raison notamment de la répartition des fonds du portefeuille dans les proportions choisies par elle qui ne présentait nullement un caractère " prudent ", et ce encore plus particulièrement dans le contexte financier de la période de souscription. Il ajoute que l'appréciation du manquement doit s'apprécier au moment de la souscription, peu important l'évolution ultérieure de sa politique d'investissement et des choix plus risqués qu'il a faits en 2019 dans un contexte financier différent. Il estime en conséquence que la société LME a méconnu son obligation de conseil et d'information précontractuelle et a ainsi engagé sa responsabilité contractuelle.

Le demandeur fait également valoir que la faute d'un gestionnaire de portefeuille doit s'apprécier, d'une part, à l'échelle globale du portefeuille et, d'autre part, à l'échelle individuelle de chaque investissement réalisé. Il affirme qu'en l'espèce, la société Keren Finance avait nécessairement connaissance de son profil de risque " Prudent " puisque c'est en considération de critères résultant de ce profil, tels le projet destiné à être financé par l'investissement, l'horizon de celui-ci, le rendement espéré et le degré de risque accepté, qu'elle a déterminé les supports composant le FID, ajoutant que son nom apparaît sur chaque page du formulaire établi de manière conjointe avec la société LME.

Il soutient que l'objectif de la politique d'investissement prudente est très clairement indiqué dans le contrat puisqu'il s'agit d'assurer la " Préservation du capital " et que c'est à l'aune de cet objectif que doit être apprécié le respect de la politique d'investissement qu'il avait expressément choisie, le caractère indicatif des ratios des différents types d'investissements dans le formulaire venant confirmer cette analyse, précisant par ailleurs que ces ratios ne sont pas suffisamment précis pour que les supports d'investissements puissent être répartis entre les 70% et 30% annoncés, les OPCVM étant souvent mixtes puisque composés d'actifs eux-mêmes répartis sur des obligations et des actions au sein d'un même portefeuille. Il ajoute qu'il est nécessaire de déterminer pour chaque actif son niveau de risque pour apprécier si la politique d'investissement prudente a bien été respectée, se fondant en cela sur les recommandations de l'autorité des marchés financiers (AMF) dont il rappelle qu'elle préconise " de ne pas utiliser la dénomination " profil prudent " pour un portefeuille exposant plus de 30% de l'actif net à des actifs risqués de type actions, obligations spéculatives ou en tous types d'actifs qui constitueraient une source de risque potentiel pour le mandant ".

Or, il estime qu'au cas particulier, l'analyse des différents relevés périodiques du FID permet de constater que son profil de risque et la politique d'investissement souhaitée n'ont jamais été respectés. Il expose ainsi qu'en se référant aux documents d'information clé pour l'investisseur (DICI) des produits d'investissements ou les notations des obligations par des agences spécialisées, utilisés par tous les professionnels de la finance et reposant sur des calculs arithmétiques dont le caractère probant ne peut selon lui être remis en question, la majorité des supports d'investissements choisis présentent un niveau de risque égale ou supérieur à 3 sur l'échelle de 1 à 7 de la classification établie par l'AMF selon laquelle l'investissement est " peu risqué " si le niveau de risque et de rendement se situe entre 1 et 2, " risqué " si le niveau de risque et de rendement se situe entre 3 et 4, et " très risqué " si le niveau de risque se situe entre 5 et 7. Il soutient ainsi qu'entre le 31 mars 2018 et le 27 juin 2019, les actifs étaient alloués à des supports risqués ou très risqués dans des proportions variant entre 68,97 % (31 mars 2018) et 95,71% (11 octobre 2018). Il conclut en conséquence à la responsabilité délictuelle de la société Keren Finance qui, en sa qualité de gestionnaire financier, doit répondre des fautes qu'elle commet dans sa gestion, conformément à l'article 1992 du code civil Grand Ducal dont les dispositions sont reprises dans l'article 4.2 du mandat de gestion conclu entre les défenderesses. Il ajoute que la société Keren Finance est mal-fondée à lui imputer une part de responsabilité dans la perte de valeur de ses actifs au motif qu'il n'aurait pas respecté la durée de trois ans de gestion préconisée, alors que celle-ci qui ne figure pas dans les documents contractuels ne l'obligeait pas et qu'il était donc libre de procéder à un rachat partiel en décembre 2018 motivé d'ailleurs par la mauvaise gestion et les fautes des défenderesses.

Enfin, M. [B] fait valoir qu'en investissant ses fonds sur les supports " Keren Corporate ND 3DEC " et " Keren Essentiels N FCP 3 DEC " qui lui appartenaient, et ce sans l'informer préalablement du risque de conflit d'intérêts, la société Keren Finance a commis à son égard un manquement à ses obligations professionnelles en matière de prévention de conflit d'intérêts prévues à l'article L.533-10 3° du code monétaire et financier.

Il sollicite dès lors l'indemnisation de son préjudice financier pour un montant total de 238.968,08 euros se composant, d'une part, des pertes financières qu'il a subies du fait des arbitrages fautifs et opérations déficitaires réalisées par la société Keren Finance à hauteur de 177.695,07 euros ainsi que des différents frais de gestion facturés pour les années 2018 et 2019 pour une somme de 21.273,01 euros et, d'autre part, du manque à gagner qu'il a éprouvé à raison des seules fautes commises par les défenderesses et qu'il évalue à la somme de 40.000 euros sur la base d'un rendement positif estimé à au moins 3% par an.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 23 janvier 2024, la société LME demande au tribunal de :

" À titre principal,

- JUGER qu'il y a lieu d'écarter des débats la pièce n°12 communiquée par Monsieur [B],

- JUGER que LA MONDIALE EUROPARTNER n'a commis aucune faute à l'égard de Monsieur [B],

- JUGER que KEREN FINANCE n'a commis aucune faute dans la gestion du fonds interne dédié adossé aux contrats de Monsieur [B],

- JUGER que Monsieur [B] ne justifie pas d'un préjudice indemnisable,

- DEBOUTER Monsieur [B] de l'ensemble de ses prétentions,

À titre subsidiaire,

- CONDAMNER la société KEREN FINANCE à relever et garantir indemne LA MONDIALE EUROPARTNER de toute condamnation prononcée à son encontre.

En tout état de cause :

- CONDAMNER [B] ou à défaut KEREN FINANCE à payer à LA MONDIALE EUROPARTNER la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance. "

A l'appui de ses prétentions, invoquant le secret bancaire prévu en France par l'article L.511-33 du code monétaire et financier et au Luxembourg par l'article 41 de la loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier, la société LME demande au tribunal d'écarter des débats la pièce n° 12 de M. [B] consistant en des relevés d'un compte courant qu'elle a ouvert dans les livres de la Banque de Luxembourg pour la période du 23 juin 2017 au 23 juin 2019 pour qu'y soient déposés les fonds investis dans le FID conformément à la lettre circulaire 15/3 du commissariat aux assurances relatives aux règles d'investissements pour les produits d'assurance-vie liés à des fonds d'investissements. Elle fait valoir que dans le cadre d'un contrat d'assurance-vie ou d'un contrat de capitalisation, seul l'assureur est propriétaire des fonds versés par le souscripteur, ce dernier détenant seulement une créance sur l'assureur. Ainsi, étant titulaire du compte et propriétaire des fonds versés sur celui-ci, elle soutient qu'elle seule a vocation à être destinataire des relevés des opérations et qu'il s'en déduit que M. [B], qui doit se voir opposer le secret professionnel auquel elle n'entend pas renoncer, a nécessairement eu communication de ces documents par l'intermédiaire d'un procédé déloyal, le mandat de communication dépositaire évoqué par le demandeur dans ses écritures ayant uniquement pour objet d'autoriser l'assureur à communiquer à la banque dépositaire des données concernant l'identité du souscripteur et les informations renseignées dans le FID dédié.

Concernant le prétendu manquement à son obligation d'information et de conseil précontractuelle, la société LME fait valoir qu'elle n'a eu aucun contact avec le demandeur lors de la souscription des quatre contrats d'assurance-vie et de capitalisation qui est intervenue par l'intermédiaire de la société AG2R La Mondiale, personne morale distincte d'elle-même, et qu'ainsi, en présence d'un intermédiaire et en l'absence de tout contact précontractuel, il ne pèse sur elle aucune obligation de conseil, sa responsabilité se limitant aux seules clauses contractuelles. Elle ajoute que le demandeur, qui doit être considéré comme non profane en matière d'investissement en ce qu'il se déclarait dirigeant d'entreprise et déjà détenteur d'un contrat d'assurance, a apposé sa signature sur les quatre bulletins de souscription aux termes desquels il reconnaissait avoir pris connaissance de la proposition de contrat d'assurance valant note d'information et de l'annexe financière à la proposition de contrat présentant de manière exhaustive les informations relatives aux placements litigieux, et plus précisément sur le risque induit des investissements sur des supports libellés en unités de compte. Elle relève que le demandeur n'a alors pas fait le choix de la politique " obligataire discrétionnaire " qui était la plus sécurisante pour ses avoirs, et que son choix en 2019 d'opter pour une politique plus risquée avec la possibilité d'investir le portefeuille jusqu'à 60% en actions avec un objectif à au moins cinq ans contredit l'affirmation selon laquelle il entendait souscrire dans des supports à risque très réduit et faible rendement dans le cadre d'un investissement à court terme. Elle conclut au caractère parfaitement adapté de la politique d'investissement choisie par M. [B] qui correspondait alors à ses souhaits.

Elle soutient ne pas être responsable de la gestion des actifs qui, conformément aux dispositions de la lettre circulaire 15/3 du Commissariat aux Assurances relative aux règles d'investissements pour les produits d'assurance-vie liés à des fonds d'investissement, a été confiée selon un mandat de gestion cadre à la société Keren Finance qui a dès lors sélectionné seule les lignes de produits financiers composant le FID qu'elle a géré de façon discrétionnaire en sa qualité de gestionnaire désigné par M. [B], et cela en étant informée de la politique d'investissement choisie par ce dernier qui était précisée dans l'avenant au mandat de gestion cadre émis le 10 août 2016.

Elle ajoute que cette gestion a été conforme à la politique d'investissement " prudente ", seul élément connu de la gestionnaire, dès lors que les proportions convenues en catégories d'instruments financiers ont été respectées, ce qui ressort des relevés communiqués qui font apparaître que le FID était investi sur la période litigieuse à plus de 80% soit en titres obligataires, soit en OPCVM investis en obligations, et à moins de 16% en OPCVM composés d'actions, précisant que la notation des titres est indifférente. Elle conclut dès lors à l'absence de dépassement du mandat qui, contrairement à ce que soutient le demandeur, ne prévoyait pas d'échelle de risque à respecter, précisant qu'en toute hypothèse le risque de moins-value ne peut être exclu comme le démontre le comportement d'actifs tels que le produit obligataire " Keren Corporate ND 3DEC " ou le fonds obligataire " Lazard Crédit Fi IVD 3DEC " dont le niveau de risque selon le demandeur était limité à 3 sur une échelle de 7 et qui ont cependant connu des performances négatives.

Ensuite, elle soutient que selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie ou de capitalisation qui prétend avoir subi des pertes à raison d'un manquement d'un professionnel à l'une de ses obligations, ne justifie d'un préjudice certain et donc indemnisable tant qu'il n'a pas été mis un terme à son contrat ou que celui-ci n'a pas été racheté et qu'au cas particulier, les quatre contrats litigieux sont toujours en cours.

Elle ajoute que pour justifier d'un préjudice évalué arbitrairement à la somme de 238.968,08 euros, M. [B] établit une comparaison entre le prix d'acquisition et de cession de seulement certains produits du portefeuille du FID sans tenir compte de la globalité de celui-ci alors qu'une analyse de ce dernier révèle une performance positive de 8,96% au 31 mars 2019, soit deux mois avant la fin de la gestion par la société Keren Finance, et ce dans un contexte de crise financière marqué notamment par un repli de 10,95% de l'indice du CAC 40. Elle conteste par ailleurs le taux de rendement annuel de 3% avancé par le demandeur sans aucun élément et qui ne correspond nullement au marché des taux pendant la période litigieuse, rappelant que le taux d'intérêt des prêts étatiques à 10 ans était inférieur à 1%. Enfin, s'agissant des frais de gestion sur encours, elle fait valoir que M. [B] a bénéficié de conditions financières particulièrement avantageuses excluant tout possibilité de remboursement.

Elle soutient qu'en toute hypothèse, le préjudice allégué doit s'analyser en une perte de chance d'avoir pu bénéficier d'un investissement plus judicieux dont la réparation ne peut être qu'une fraction de la perte alléguée, évaluée en fonction de l'évolution des marchés financiers sur la période considérée, du profil et du comportement de l'investisseur, précisant qu'en l'espèce, les investissements en actions et obligations sont soumis à l'aléa lié à la solvabilité de l'émetteur et à l'évolution des marchés boursiers. Elle ajoute que dans le cas de M. [B], le préjudice devra être minoré au regard de sa volonté clairement affichée de rechercher désormais un fort rendement avec un niveau de risque important.

A titre subsidiaire, elle fait valoir qu'en cas de condamnation, la société Keren Finance, en sa qualité de mandataire de gestion ayant manqué à ses obligations découlant du mandat de gestion cadre régularisé le 15 mars 2010, soumis à la législation luxembourgeoise similaire au droit français en la matière, et de son avenant aux termes duquel il lui incombe en tant que gestionnaire de respecter la politique d'investissement choisie par le souscripteur du contrat d'assurance-vie, doit la garantir faute d'avoir rempli son obligation de résultat quant au respect des termes du mandat qu'elle lui a confié.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 15 décembre 2023, au visa de l'article 1240 du code civil, la société Keren Finance demande au tribunal de :

" A titre liminaire,

- ECARTER la Pièce Demandeur n° 12 des débats ;

A titre principal,

- JUGER que la société Keren Finance a respecté la politique d'investissement choisie pour la gestion du portefeuille de Monsieur [B] ;

- JUGER que la société Keren Finance n'a commis aucune faute dans la gestion du portefeuille de Monsieur [B] ;

En toute hypothèse,

- CONSTATER qu'aucun préjudice réparable de Monsieur [B] n'est établi ;

En conséquence,

- DEBOUTER Monsieur [B] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Keren Finance ;

En toute hypothèse,

- DEBOUTER la société La Mondiale Europartner S.A. de sa demande de garantie à l'encontre de la société Keren Finance ;

En tout état de cause,

- CONDAMNER Monsieur [B] à payer à la société Keren Finance la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER Monsieur [B] aux entiers dépens. "

A l'appui de ses prétentions, la société Keren Finance entend à titre liminaire constater, bien que se disant étrangère au débat, que la production de la pièce n°12 du demandeur est susceptible de caractériser une violation du secret bancaire réprimée par la loi pénale.

A titre principal, elle fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute dans le cadre de la gestion du FID de M. [B]. Elle expose tout d'abord que le non-respect du profil de risque du demandeur ne saurait lui être reproché dès lors qu'elle n'en avait pas connaissance, la seule information dont elle disposait étant la politique d'investissement choisie par l'investisseur figurant à l'avenant du 10 août 2016, précisant qu'elle n'a pas eu communication des documents contractuels et échanges entre l'assureur et le souscripteur ni du troisième exemplaire du formulaire signé par ce dernier, ce document étant destiné au conseiller AG2R La Mondiale qui a conseillé cet investissement. Elle ajoute que la mention de son nom sur le formulaire signé par le souscripteur a pour seul objet d'informer ce dernier de l'identité du gestionnaire du FID et qu'il ne peut s'en déduite qu'elle a participé à la rédaction de ce document. Elle conclut à l'appréciation de sa gestion uniquement à l'aune de la politique d'investissement " Prudente " choisie en toute connaissance de cause par le demandeur, comme le démontre les documents contractuels tels les conditions particulières de ses contrats d'assurance-vie, la proposition de contrat d'assurance et le formulaire de création du FID qui soulignent le caractère risqué de l'investissement dans un tel produit, et telle que définie dans l'avenant au mandat de gestion cadre.

Ensuite, elle entend préciser qu'il n'existe pas de définition universelle d'une politique d'investissement, celle-ci pouvant varier selon les acteurs économiques et présenter des niveaux de risque qui ne ressortent pas nécessairement à la lecture de leurs divers intitulés (" sécuritaire ", " prudente ", " équilibrée ", " dynamique "...) et du libellé de leurs objectifs (" préservation ", " valorisation " du capital...) qui sont sujets à une interprétation nécessairement subjective. Elle estime dès lors que les méthodes d'appréciation du caractère risqué d'un support d'investissement développées par le demandeur, notamment par l'examen du niveau de risque de chaque support composant le portefeuille, ne sont pas pertinentes, relevant par ailleurs, d'une part, l'incohérence entre l'affirmation qu'il recherchait une politique d'investissement la moins risquée et son choix de continuer d'investir en 2019 en optant pour une politique plus dynamique et donc plus risquée et, d'autre part, qu'il n'a pas fait à l'époque le choix d'une politique " sécuritaire " encore moins risquée que celle qu'il a choisie. Elle soutient qu'elle avait dès lors pour seule mission d'appliquer la politique d'investissement " prudente " telle que définie de manière claire et objective dans l'avenant au mandat de gestion cadre signé par la société LME et fondée sur une répartition du portefeuille en fonction de la nature de l'actif sous-jacent dans les proportions d'un minimum de 70 % investi en actifs monétaires, obligations ou OPCVM de même nature, et/ou liquidités, et un maximum de 30 % investi en actions, bons de souscriptions d'actions ou OPCVM de classe " actions ", sans aucune référence quant à leur notation. Ainsi, au cas particulier, elle estime qu'il n'y a pas lieu de déterminer le risque spécifique à chaque obligation, action ou OPCVM détenu dans le portefeuille pour déterminer si la politique d'investissement a été respectée, expliquant que le niveau de risque de chaque actif étant susceptible d'être déterminé de manière subjective selon les agences de notation, selon différentes méthodes, de manière incomplète (de nombreux risques n'étant pas pris en compte), et d'évoluer dans le temps, un portefeuille pourrait être conforme à la politique d'investissement à un instant donné pour ne plus l'être le jour suivant. Elle ajoute qu'une politique d'investissement prudente ne signifie pas une absence de risque, ce dont le demandeur, qui entretient une confusion entre le risque le plus faible possible et l'absence de risque, a été informé aux termes du formulaire qu'il a signé. Elle ajoute que le niveau de risque doit s'évaluer sur la durée recommandée du produit, soit en l'espèce trois ans minimum, voire cinq ans et plus pour les OPCVM, et non deux ans, période à l'issue de laquelle M. [B] a décidé de retirer près de la moitié de la somme investie dans le FID.

La société Keren Finance fait ainsi valoir qu'elle a respecté scrupuleusement la politique d'investissement " prudente " choisie par le demandeur tant dans le choix des supports financiers que dans leur répartition, ce qui ressort de l'étude de la liste des supports d'investissements du FID présentée par le demandeur et des pièces communiquées dont les DICI qui démontre qu'elle a respecté le seuil maximum de 30% investi en actions, bons de souscriptions d'actions ou OPCVM de classe " actions ", tout au long de sa gestion, ce seuil contractuel, apprécié au regard de la seule nature de l'actif et non de son caractère spéculatif ou risqué comme le soutient le demandeur, constituant le seul critère à évaluer pour déterminer la conformité ou non de la gestion.

Elle estime qu'en revanche, M. [B] n'a pas respecté la durée minimum de trois ans de gestion préconisée pour la politique d'investissement " prudente " en retirant la moitié de la somme investie après deux ans de gestion seulement et en changeant de gestionnaire financier avant l'expiration des trois années et qu'elle ne saurait dès lors être tenue pour responsable de la baisse de valeur de son portefeuille sur une période de gestion si courte, affirmant qu'une partie des pertes a été engendrée par la demande de rachat partiel au mois de décembre 2018 alors que la valorisation du FID était de 1.795.785 euros et présentait une baisse de seulement 0,79% malgré la crise financière, rappelant qu'elle n'est tenue qu'à une obligation de moyens et que le demandeur a été informé du risque de perte en cas de non-respect de la durée minimum de gestion.

S'agissant du manquement aux règles professionnelles relatives à un éventuel conflit d'intérêts, la société Keren Finance fait valoir qu'en l'absence de lien contractuel avec le demandeur, elle n'était tenue à l'égard de ce dernier à aucun devoir d'information. Elle souligne par ailleurs la licéité des fonds dits " maison " qui en l'espèce étaient conformes à la politique d'investissement choisie par M. [B] s'agissant d'un OPCVM obligataire pour l'un et d'un OPCVM en actions pour le second qui ont été intégrés dans le portefeuille du FID sans méconnaître les ratios, et qui ont généré des plus-values, à savoir 37.100,50 euros pour le produit " Keren Corporate ND 3DEC " et 1.428,90 euros pour le produit " Keren Essentiels N FCP 3DEC ".

Par ailleurs, elle fait valoir que le préjudice allégué n'est établi ni en son principe ni en son quantum et qu'en l'absence de relations contractuelles avec M. [B], il ne peut lui imputé la responsabilité d'une éventuelle inadéquation entre les souhaits de ce dernier et l'investissement proposé par la société LME et/ou son conseiller AG2R La Mondiale, relevant comme sa codéfenderesse la contradiction entre l'affirmation du demandeur selon laquelle il ne voulait prendre aucun risque et son choix d'une politique d'investissement plus agressive, et donc plus risquée, postérieurement à la période litigieuse.

A l'instar de la société LME, elle soutient également le caractère incertain du préjudice en l'absence de rachat des contrats d'assurance-vie et impute une éventuelle dévalorisation du portefeuille à, d'une part, l'aléa des marchés financiers auquel M. [B] a nécessairement accepté de s'exposer en optant pour un investissement incluant partiellement des actions et, d'autre part, l'immixtion du demandeur par sa demande de rachat partiel en pleine crise financière.

Elle conclut en conséquence au caractère disproportionné de la demande d'indemnisation de M. [B] qui prétend avoir subi une perte à hauteur de 177.695,07 euros, sur la base d'une l'analyse non pertinente et nécessairement trompeuse car ne retenant que les moins-values de certains supports d'investissement sans prendre en considération les compensations résultant des plus-values générées par les autres supports, et ce sur la base, rappelle-t-elle, de documents obtenus en violation du secret bancaire. Elle expose qu'en toute hypothèse, la performance de la gestion du FID doit être appréciée dans sa globalité et que la diminution de valeur qui ressort, qui n'est qu'une moins-value latente, est de seulement 14.306 euros, soit -0,79%, ce qui constitue une perte très limitée et cohérente avec les conditions du marché sur la même période par comparaison au taux de l'OAT (obligation assimilable du Trésor) 2 ans, qui peut être considéré comme le taux sans risque en France et qui s'établit sur la même période à -0,50%, relevant que la performance générée par le FID a été entièrement absorbée par les frais de gestion qui s'élèvent à la somme de 64.95,55 euros. Elle conclut ainsi à une moins-value latente de 14.306 euros qui ne saurait être indemnisée que partiellement au titre de la perte de chance de limiter les pertes.

Elle conclut également au débouté de la demande d'indemnisation au titre de la perte de rendement tant dans son principe, dès lors que M. [B] a fait le choix d'investir dans un produit sans aucune garantie du capital investi, que dans son quantum, l'estimation d'une perte à hauteur de 3% reposant uniquement sur le taux d'intérêt retenu dans un cas d'espèce jugé par le tribunal de grande instance de Paris et portant sur des faits remontant à quinze ans ne reflétant pas le marché financier contemporain au cas particulier qui présentait un taux sans risque en France de -0,50% en moyenne.

Enfin, s'agissant de la demande de garantie formée par la société LME, elle relève tout d'abord son caractère contradictoire avec les déclarations de sa codéfenderesse qui, dans une correspondance du 10 février 2020 adressée au conseil du demandeur et dans ses écritures, reconnaît la conformité de sa gestion. Ensuite, elle relève que la société LME ne démontre ni même n'allègue une faute précise caractérisant un manquement de sa part aux termes de son mandat de gestion.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l'exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 avril 2024. L'affaire a été évoquée à l'audience de plaidoirie tenue en juge rapporteur du 15 mai 2024 et mise en délibéré au 3 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 .Sur la demande tendant à voir écarter des débats la pièce n°12 du demandeur

En droit français, le secret bancaire est institué par l'article L.511-33 du code monétaire et financier. Sauf exceptions prévues par la loi, il peut être opposé à tout tiers, notamment lors d'une demande de communication de pièces.

Un tel secret est fondé sur la protection de la vie privée du client et non sur un motif d'intérêt général.

L'empêchement légitime résultant du secret bancaire ne cesse pas du seul fait que l'établissement financier est partie à un procès, dès lors que son contradicteur n'est pas le bénéficiaire du secret auquel le client n'a pas lui-même renoncé.

Cependant, aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Il résulte de cet article, ensemble avec l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, relatif au droit à un procès équitable, que la preuve doit être apportée loyalement.

En l'espèce, il n'est pas contesté que les relevés produits sont relatifs au compte dont seule la société LME est titulaire, même si ce dernier était affecté au FID des actifs de M. [B] et donc aux opérations le concernant en dehors de tout autre client de la société défenderesse.

Dès lors, seule la société LME peut renoncer à ce secret, ce qui en l'espèce n'est pas le cas dès lors qu'elle s'oppose à la production de la pièce litigieuse.

Par ailleurs, si M. [B] soutient que ces documents lui ont été légitimement communiqués au regard de son droit à être informé de la gestion de ses fonds, il reste évasif sur les conditions et l'auteur de cette transmission et donc sur la manière dont il est entré en possession de ces éléments, étant relevé que le mandat de communication dépositaire figurant en annexe 1 du formulaire FID ne constitue nullement une autorisation donnée à la banque dépositaire, la Banque du Luxembourg au cas particulier, à communiquer les relevés de compte au souscripteur du FID et le détail chiffré des opérations effectuées dessus.

Il résulte de ces éléments que l'appropriation par M. [B] des relevés de la société LME qui sont protégés par le secret bancaire auquel cette dernière n'entend pas renoncer, constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production en justice à titre de preuve dès lors qu'il n'est pas démontré que celle-ci constitue le seul moyen pour M. [B] de défense de ses intérêts. En effet, la performance individuelle de chaque produit décrite dans ces documents n'est pas discutée par les défenderesses qui concluent seulement à une prise en compte de la performance globale de ces supports d'investissement pour l'appréciation du respect de la politique d'investissement choisie par le demandeur.

En conséquence, le tribunal ordonne que soit écartée des débats la pièce n°12 du demandeur désignée dans le bordereau de pièces annexées à ses écritures sous l'intitulé " Relevé des opérations relatives à la gestion du contrat " LIFE MOBILITY EVOLUTION 1933 " sur le compte n° [XXXXXXXXXX07] ouvert auprès de la BANQUE DE Luxembourg par LA MONDIALE EUROPARTNER sur la période du 23 juin 2017 au 23 juin 2019 ".

2. Sur les manquements des sociétés LME et Keren Finance

2.1 - Sur le devoir de conseil et d'information, et le respect de la politique d'investissement

En application des articles 1134 et 1247 du code civil, dans leur version antérieure, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et qui doivent les exécuter de bonne foi sous peine d'engager leur responsabilité et se voir condamner au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant de leurs manquements.

L'article L.132-27-1 I du code des assurances, dans sa version applicable au moment des faits dispose que " Avant la conclusion d'un contrat d'assurance individuel comportant des valeurs de rachat, d'un contrat de capitalisation, ou avant l'adhésion à un contrat mentionné à l'article L. 132-5-3 ou à l'article L. 441-1, l'entreprise d'assurance ou de capitalisation précise les exigences et les besoins exprimés par le souscripteur ou l'adhérent ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un contrat déterminé. Ces précisions, qui reposent en particulier sur les éléments d'information communiqués par le souscripteur ou l'adhérent concernant sa situation financière et ses objectifs de souscription, sont adaptées à la complexité du contrat d'assurance ou de capitalisation proposé. Pour l'application du premier alinéa, l'entreprise d'assurance ou de capitalisation s'enquiert auprès du souscripteur ou de l'adhérent de ses connaissances et de son expérience en matière financière".

De plus, en matière de mandat, le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné.

a) Sur le devoir de conseil et d'information

En l'espèce, il est constant que M. [B] et la société LME étaient liés contractuellement au titre des contrats d'assurance-vie litigieux et que dans le cadre de la souscription de ces contrats, a été créé un FID dont la gestion a été confiée à la société Keren Finance.

Dès lors, en sa qualité d'assureur, nonobstant l'intervention d'un intermédiaire, au cas particulier la société AG2R La Mondiale, la société LME était tenue à un devoir d'information et de conseil à l'égard du souscripteur.

Il ressort du formulaire FID signé par M. [B] le 7 juin 2016 que la société LME a défini le profil de ce dernier selon les critères suivants :

" (…)

Horizon d'investissement
Durée d'investissement prévue pour les versements réalisés au sein du fonds interne dédié
Moyen terme (2 à 5 ans)

Niveau de risque accepté
Faible
Maximum 30% en action et/ou titres assimilés.

Connaissance des marchés financiers
Etendue des connaissance dans le domaine des placements financiers
Faible
Connaissance et expérience sur des produits privilégiant la sécurité du capital investi, ou produits intégralement garantis en capital de façon permanente ou à certaines échéances.

Objectif du contrat
Pension / retraite complémentaire

Objectif de l'investissement
Epargner en vue d'un projet à court terme

Volatilité de l'investissement
Evolution régulière - performance faible acceptée "

M. [B] a ainsi obtenu un total de 17 points correspondant à la catégorie 1 du profil de risque assureur du souscripteur auquel est associé un investissement plafonné à 30% en actions.

En page 4 du même document figure la description de la politique d'investissement " prudente " à laquelle correspondait le profil de M. [B], qui est définie en ces termes :

" PRUDENTE (correspond aux profils assureur 1,2,3 et 4)
Préservation du capital avec une recherche de rendement. Investissement du portefeuille dans les proportions indicatives suivantes :
o Entre 70 et 100% en actifs monétaires, obligataires ou OPCVM de même nature, et/ou liquidités,
o Le solde, s'il y a lieu, en actions et/ou bons de souscripteur d'actions (" BSA ") et/ou OPCVM de classe " actions " ;

Il est rappelé que le délai minimum recommandé pour ce type de gestion est de 3 ans. "

M. [B] ne conteste pas avoir paraphé et signé ce document et donc, conformément à la mention précédant sa signature, accepté le risque issu de l'analyse de son profil et choisi en conséquence une politique d'investissement correspondant à ses besoins et ses objectifs de placement.

Or, le simple constat de pertes sur un portefeuille n'est pas suffisant pour engager la responsabilité du prestataire et exiger le remboursement des pertes dès lors que l'investisseur a accepté le principe d'un risque de perte, même si celui-ci est désigné comme " faible ", en ne souscrivant pas un investissement garantissant le capital.

S'il est constant qu'il existe une contradiction entre l'objectif du contrat retenu, à savoir " pension / retraite complémentaire " qui induit un investissement sur le long terme au regard de l'âge du demandeur qui au moment de la souscription était 40 ans, il résulte des autres réponses, et plus particulièrement de l'horizon d'investissement fixé " entre 2 et 5 ans " et son objectif, " Epargner en vue d'un projet à court terme " que M. [B] recherchait un investissement plus sur le court terme qui supposait donc l'acceptation d'un risque minimum pour espérer en retirer un avantage.

Or, la politique d'investissement " prudente " déterminée par l'assureur répond aux critères de préservation de capital associée à une recherche de rendement recherchées par le demandeur.

Par ailleurs, est annexée au formulaire une fiche intitulée " INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES ", signée par M. [B], comprenant notamment les mentions suivantes :

" (…)
INFORMATION SUR L'INVESTISSEMENT
Avant tout investissement dans des fonds internes le souscripteur a vérifié avec l'intermédiaire la bonne adéquation entre l'analyse de ses besoins et la répartition, la durée et le niveau de risque de son investissement. L'assureur attire l'attention du souscripteur sur le fait qu'un rachat anticipé (avant la durée recommandée de l'investissement) pourrait avoir comme conséquence éventuelle la sous-performance des actifs sous-jacents investis. L'assureur rappelle de plus que les fonds internes sont des supports d'investissement exprimés en unité de compte dont les fluctuations à la hausse comme à la baisse sont au bénéfice ou à la charge du souscripteur.
(…) ".

La dernière phrase de ce paragraphe informe de manière claire et non équivoque le souscripteur de l'existence d'un risque de perte qu'il devra alors supporter et donc de ce que le capital n'est pas garanti.

Il ressort de ces éléments que la société LME n'a manqué ni à son devoir de conseil dans le choix de l'investissement proposé à M. [B], ni à son devoir d'information notamment sur le risque de perte potentiel du capital.

b) Sur le respect de la politique d'investissement

L'appréciation de la qualité de la gestion d'un portefeuille doit se faire sur sa globalité et sur la durée recommandée, en l'espèce trois ans, et à cet égard l'insatisfaction de M. [B] s'est manifestée avant l'expiration de ce délai, et ce alors que le profil de risque de son mandat était cohérent avec les critères retenus qu'il avait validés en signant le questionnaire, étant relevé au surplus qu'une baisse de valeur inférieure à 1% comme démontrée par la société Keren Finance, et ce dans un contexte économique défavorable, ne saurait induire à elle seule une perte disproportionnée par rapport au niveau de risque accepté par le demandeur.

Au cas particulier, le demandeur n'apparaît pas fondé à invoquer un manquement à des critères tels que le niveau de risque des produits financiers composant le FID, dès lors que ces derniers ne figurent pas dans la politique d'investissement arrêtée entre les parties qui est définie de manière explicite et claire comme étant fondée uniquement sur une répartition du portefeuille en fonction de la nature de l'actif sous-jacent, et dont il n'est pas contesté qu'elle a été respectée et que la proportion d'actions souscrites a toujours été inférieure à 30% du portefeuille.

A cet égard, les décisions de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2016 (n°14/07263) et de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 6 décembre 2017 (n°16-23.991) citées par le demandeur et portant sur un même litige sont inopérantes dès lors que dans ce cas d'espèce l'offre de gestion faisait mention d'une sélection des produits financiers s'appuyant sur les analyses d'agences de notation et de banques d'investissement contrairement à l'offre acceptée par M. [B] qui ne fait nullement référence à une sélection des instruments financiers selon les niveaux de risque retenus par des agences de notation ou par les DICI.

En conséquence le moyen tiré du non-respect de la politique d'investissement est rejeté.

2.2 - Sur le manquement aux obligations professionnelles en matière de prévention de conflit d'intérêts reproché à la société Keren Finance.

L'article L.533-10 I 3° du code monétaire et financier, dans ses versions successives sur la période litigieuse, dispose que les sociétés de gestion de portefeuille doivent prendre toutes les mesures raisonnables pour empêcher les conflits d'intérêts de porter atteinte aux intérêts de leurs clients. Ces conflits d'intérêts sont ceux qui se posent entre, d'une part, les sociétés de gestion de portefeuille elles-mêmes, les personnes placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte ou toute autre personne directement ou indirectement liée à elles par une relation de contrôle et, d'autre part, leurs clients, ou bien entre deux clients, lors de la fourniture de tout service d'investissement ou de tout service connexe ou d'une combinaison de ces services. Lorsque ces mesures ne suffisent pas à garantir, avec une certitude raisonnable, que le risque de porter atteinte aux intérêts des clients sera évité, les sociétés de gestion de portefeuille informent clairement ceux-ci, avant d'agir en leur nom, de la nature générale ou de la source de ces conflits d'intérêts.

L'absence de gestion des conflits d'intérêts est caractérisée lorsqu'il est établi qu'il existait objectivement un risque de conflit d'intérêts dans des opérations de cession et d'acquisition entre plusieurs fonds sous gestion, et que le prestataire de services d'investissement ne justifie d'aucune mesure organisationnelle spécifique et n'a mis en place aucune procédure visant à remédier à cette situation et à prévenir toute atteinte aux droits des porteurs.

Le défaut de prévention des conflits d'intérêts de même que leur non-révélation exposent le prestataire de services d'investissement à des sanctions disciplinaires. Si une atteinte effective a été portée aux intérêts des investisseurs, ces derniers peuvent réclamer devant les juridictions civiles l'indemnisation du préjudice subi.

En l'espèce, la société Keren Finance ne conteste pas que dans le cadre de la gestion du portefeuille de M. [B], elle a procédé à des investissements sur les supports " Keren Corporate ND 3DEC " et " Keren Essentiels N FCP 3DEC " qu'elle gérait.

Cependant, l'article L.533-10 I 3° précité impose une obligation de gestion des conflits d'intérêts afin de préserver les intérêts des clients envers lesquels le prestataire de services d'investissement est redevable de cette même obligation. Or, au cas particulier, doit être considérée comme cliente de la société Keren Finance la seule société LME en application du mandat cadre et de son avenant liant ces deux parties, étant rappelé le mécanisme de l'assurance-vie, à savoir que l'assureur est l'unique propriétaire des fonds investis, le souscripteur n'ayant qu'un droit de créance à son encontre. Il s'en déduit que la société Keren Finance n'était pas débitrice à l'égard de M. [B] de l'obligation d'information édictée par l'article L.533-10 I 3° du code monétaire et financier et qu'il ne lui revenait donc pas de l'informer d'un potentiel conflit d'intérêts.

Par ailleurs, M. [B] ne démontre pas avoir subi un préjudice financier résultant des placements effectués sur les produits" Keren Corporate ND 3DEC " et " Keren Essentiels N FCP 3DEC " dès lors qu'il n'est pas contesté que ceux-ci ont finalement généré des plus-values.

En conséquence, le moyen est rejeté.

Il résulte de ces éléments que la gestion du FID a été menée dans le respect du profil de risque de M. [B] et de son choix exprès de politique d'investissement et qu'il n'est démontré aucune faute de nature contractuelle s'agissant de la société LME, ou de nature délictuelle s'agissant de la société Keren Finance.

En conséquence, M. [B] est débouté de ses demandes dirigées contre ces deux sociétés et il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de garantie formée par la société Keren Finance.

3 - Sur les demandes accessoires

3.1 - Sur les frais du procès

M. [B] qui succombe supportera les dépens et sera condamné au paiement à chacune des défenderesses d'une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

3.2 - Sur l'exécution provisoire

La présente décision est revêtue de droit de l'exécution provisoire conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable en l'espèce, l'instance ayant été introduite postérieurement au 31 décembre 2019.

La nature de la décision rendue nécessite d'écarter l'exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

ECARTE des débats la pièce n°12 produite par M. [Y] [B] ;

DEBOUTE M. [Y] [B] de ses demandes ;

DEBOUTE La Mondiale Europartner S.A. de sa demande de garantie ;

CONDAMNE M. [Y] [B] aux dépens ;

CONDAMNE M. [Y] [B] à payer à la Mondiale Europartner S.A. et à la SAS Keren Finance la somme de 3.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

ECARTE l'exécution provisoire de droit.

Fait et jugé à Paris le 03 Juillet 2024

La GreffièreLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 22/13969
Date de la décision : 03/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-03;22.13969 ?
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