TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
■
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 22/08346
N° Portalis 352J-W-B7G-CXHN3
N° MINUTE :
Assignation du :
30 Juin 2022
JUGEMENT
rendu le 03 Juillet 2024
DEMANDERESSES
S.A. [12]
[Adresse 1]
[Localité 11]
Compagnie d’assurance XL INSURANCE COMPANY SE
[Adresse 6]
[Localité 9]
représentées par Maître Katia BONEVA-DESMICHT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0445
DÉFENDERESSES
S.A. MMA IARD
[Adresse 4]
[Localité 7]
représentée par Me Yves-marie LE CORFF, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #R0044
Société MMA IARD Assurances Mutuelles
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentées par Maître Yves-marie LE CORFF, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #R0044
Décision du 03 Juillet 2024
[Adresse 2]
N° RG 22/08346 - N° Portalis 352J-W-B7G-CXHN3
CAISSE DE GARANTIE DES ADMINISTRATEURS JUDICIAIRES ET DES MANDATAIRES JUDICIAIRES
[Adresse 5]
[Localité 8]
représentée par Maître Florence REBUT DELANOE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #J00060
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint,
Président de formation
Monsieur Éric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,
assistés de Samir NESRI, Greffier lors des débats et de Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé.
DEBATS
A l’audience du 29 Mai 2024 , tenue en audience publique
JUGEMENT
- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
- Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé, à qui la minute du jugement a été remise par le magistrat signataire
EXPOSE DU LITIGE
La société Air Méditerranée était une compagnie aérienne qui exploitait un service de transport aérien de passagers. Le 8 février 2009, l'un de ses avions a effectué une sortie de piste, dans des conditions météorologiques difficiles, à [12].
La société Air Méditerranée a saisi le tribunal administratif de Montreuil afin de voir condamner la société Aéroport de Paris ("ADP") et l'Etat à indemniser le préjudice résultant de la sortie de piste.
En cours de procédure et par jugement du 14 janvier 2015, le tribunal de commerce de Tarbes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à son encontre et désigné Maître [N] [B] en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 19 mars 2015, le tribunal administratif de Montreuil a décidé d'un partage de responsabilité et condamné :
- la société ADP au paiement de 1 809 951,50€, et
- l'Etat à 775 693,50€
à la société Air Méditerranée.
Le 15 février 2016, le tribunal de commerce a converti le redressement judiciaire de la société Air Méditerranée en liquidation judiciaire et désigné Maître [B] en qualité de liquidateur.
Sur appel de la société Air Méditerranée et d'ADP, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement du 19 mars 2015 du tribunal administratif de Montreuil et condamné la société ADP au paiement de l'entière condamnation précédente, concurremment avec l'Etat, outre les intérêts, frais d'expertise (95 161,71€) et 3 000€ sur le fondement de l'article L761-1 du code de justice administrative, par arrêt du 25 avril 2017.
Suite à cet arrêt, un accord de compensation a été conclu entre la société Air Méditerranée, représentée par son liquidateur, la société ADP et la société AXA, assureur de cette dernière. Cette compensation portait sur :
- les sommes dues au titre des créances de la société ADP postérieures au jugement d'ouverture, à hauteur de 2 393 857,93€, constituées notamment de redevances aéroportuaires ;
- le montant total des condamnations prononcées contre la société ADP aux termes de l'arrêt du 25 avril 2017, soit 2 752 974,96€.
La différence entre ces deux sommes, soit 359 117,03€, a été versée à la liquidation judiciaire par la société AXA.
L'article 1er de l'accord était ainsi rédigé :
"Dans l'hypothèse où le Conseil d'Etat ou la cour administrative d'appel de renvoi réduirait le montant des condamnations prononcées à l'encontre d'ADP par la cour administrative d'appel de Versailles le 25 avril 2017, Air Méditerranée remboursera à Axa la différence entre le montant de la condamnation en appel et celui de la condamnation prononcée par le Conseil d'Etat ou la cour administrative d'appel de renvoi".
L'accord a été homologué par le tribunal de commerce.
Saisi par la société ADP, le Conseil d'Etat a partiellement annulé l'arrêt du 25 avril 2017 de la cour administrative d'appel de Versailles par arrêt le 25 avril 2017.
La cour administrative d'appel de Versailles, autrement composée et statuant comme cour administrative d'appel de renvoi, est revenue à la répartition des responsabilités retenue par le tribunal administratif de Montreuil, par arrêt du 17 septembre 2020. La société ADP a été ainsi définitivement condamnée au paiement de 1 809 951,50€, soit une somme inférieure de 804 242€ à celle du premier arrêt d'appel.
Par courrier du 5 novembre 2020, les sociétés ADP et AXA ont invité Maître [B] à procéder au paiement de 775 693,50€ avec les intérêts de retard et 30% des frais d'expertise. Maître [B] a refusé par courrier du 19 novembre 2020, proposant de rembourser à la société AXA la somme de 359 117,03€ correspondant au solde de la compensation, et de faire inscrire les sommes restantes (445 124, 98€) sur la liste des créances postérieures à l'ouverture de la procédure.
Maître [B] est décédé le [Date décès 10] 2021.
Par ordonnance du 24 mars 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes a condamné sous astreinte l'administrateur de la structure d'exercice de Maître [B] à communiquer une attestation d'assurance de ce dernier. Ce jugement a été confirmé par la cour d'appel de Rennes le 18 avril 2023.
Par acte des 30 juin, 1er et 4 juillet 2022, la société ADP et la société XL Insurance Company SE ("XL"), qui vient aux droits de la société AXA, ont fait assigner la société MMA Iard, la société MMA Iard Assurances Mutuelles ("les MMA", assureurs de Maître [B]) et la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires ("la Caisse de garantie") devant ce tribunal.
Le 27 mai 2023, le juge de la mise en état a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par les défenderesses.
Par dernières conclusions du 25 août 2023, la société ADP et la société XL demandent au tribunal de condamner in solidum les MMA et la Caisse de garantie à payer 804 242€ à la société XL, avec intérêts à compter du 5 novembre 2020.
A titre subsidiaire, elles sollicitent la condamnation de la Caisse de garantie au paiement à la société XL de 359 117,03€, avec intérêts de retard.
En tout état de cause, elles concluent au rejet des demandes adverses et demandent la condamnation in solidum des MMA et de la Caisse de garantie à leur payer la somme de 20 000€ chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La société ADP et la société XL exposent fonder leur action :
- sur l'article L124-3 du code des assurances, relatif à l'action directe, à l'encontre des MMA pour une faute commise par leur assuré, Maître [B] ;
- sur l'article L814-3 du code de commerce à l'encontre de la Caisse de garantie, en l'absence de représentation des fonds.
Elles soutiennent que Maître [B] a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle. Elles exposent que le liquidateur a pris l'engagement exprès, dans l'accord de compensation, de reverser à la société AXA la différence entre le montant de la condamnation en appel et celui de la condamnation retenue par la cour d'appel de renvoi, mais n'a pas exécuté l'accord, à défaut de règlement des sommes dues. Elles précisent qu'il s'agissait d'un engagement direct et qu'il lui appartenait de prendre toutes les dispositions nécessaires afin d'être en mesure d'exécution l'engagement qu'il avait souscrit. Elle estime qu'au vu de la lettre de l'accord, il n'était pas nécessaire de déclarer la créance de restitution, qui venait augmenter la créance postérieure non compensée de la société ADP, qui avait déjà été déclarée au passif.
Elles ajoutent que la société ADP a porté à la connaissance du liquidateur par courrier du 5 novembre 2020 l'existence de la créance de 775 693,50€ avec intérêts, outre 30% des frais d'expertise. Elles soutiennent que ce courrier vaut déclaration de créance, en l'absence de formalisme particulier pour ces déclarations.
La société ADP et la société XL font valoir que la garantie de la Caisse de garantie nécessite la réunion de deux conditions :
- l'exigibilité de la créance ;
- la non-représentation des fonds par le mandataire judiciaire.
Elles relèvent qu'il n'est pas contesté que la société Air Méditerranée est devenue débitrice suite à l'arrêt de la cour administrative d'appel de renvoi. Elles estiment que la conservation indue des fonds par la liquidation judiciaire constituent une non-représentation de ces fonds.
Par dernières conclusions du 24 juillet 2023, les MMA demandent au tribunal de débouter les sociétés ADP et XL de leurs demandes, de les condamner in solidum aux dépens et au paiement de 5 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les MMA contestent l'existence d'une faute de Maître [B]. Elles exposent que l'arrêt de la cour administrative d'appel de renvoi ne remet pas en cause le principe de la compensation opéré par l'accord conclu. Or la compensation a entraîné l'extinction de la créance postérieure méritante de la société ADP, qui est devenue titulaire d'une créance nouvelle de restitution. Or ce type de créance n'est pas éligible au traitement préférentiel réservé à certaines créances postérieures.
En effet, le traitement préférentiel est réservé, en application de l'article L641-13 du code de commerce, aux créances nées au cours de la liquidation judiciaire :
- pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l'activité, ou
- en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant le maintien de l'activité ou en exécution d'un contrat en cours, ou
- pour les besoins de la vie courant du débiteur, personne physique,
ce qui n'est pas le cas. Elles estiment que la clause de l'accord de compensation prévoyant que la société Air Méditerranée devient débitrice des sommes dues en cas de réduction de la condamnation n'emporte pas d'incidence sur la qualification de la créance au regard de la procédure collective.
Les MMA ajoutent qu'en application de l'article L622-24 du code de commerce, la société ADP aurait dû déclarer sa créance dans un délai de deux mois à compter de son exigibilité, correspondant à la date de notification de l'arrêt de la cour administrative d'appel de renvoi. Elles contestent que le courrier du 5 novembre 2020 puisse valoir déclaration de créance, à défaut de demander l'inscription de la créance au passif de la liquidation judiciaire. Elles ajoutent que l'accord n'aurait pu mettre en échec les règles d'ordre public de la procédure collective. Elles estiment en conséquence que cette créance est inopposable à la liquidation et que Maître [B] n'était pas tenu de la payer.
A titre subsidiaire, les MMA estiment que seule la somme effectivement versée à la liquidation judiciaire (359 117,03€) peut être restituée. Elles ajoutent que si la créance était estimée admise, elle ne viendrait pas en rang utile pour les répartitions. Elles contestent ainsi l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice et la faute. Elles estiment que les intérêts de retard ne sont pas dus et ne doivent courir qu'à compter de la décision allouant la réparation, en application de l'article 1231-7 du code civil.
Par dernières conclusions du 27 avril 2023, la Caisse de garantie demande au tribunal de débouter la société ADP et la société XL de leurs demandes, de la condamner in solidum aux dépens, ainsi qu'au paiement de 20 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La Caisse de garantie expose qu'en application des articles L814-3 et L814-4 du code de commerce, sa garantie est due lorsqu'un mandataire n'est pas en mesure de représenter des fonds en raison d'un agissement volontaire de sa part ou en cas de détournement. En revanche, la responsabilité professionnelle d'un mandataire est couverte par l'assurance de groupe souscrite en son nom, confiée aux MMA.
A titre principal, la Caisse de garantie conteste l'existence d'une faute imputable à Maître [B]. Elle expose que la créance de restitution est née de l'arrêt du 17 septembre 2020 et aurait dû faire l'objet d'une déclaration dans les deux mois de son exigibilité, conformément à l'article L622-24 du code de commerce, ce qui n'a pas été réalisé. Elle précise que les créances de restitution ne relèvent pas de l'article L622-17 du même code. Elle estime ainsi la créance inopposable à la liquidation judiciaire. Il était donc interdit à Maître [B] de la payer. Elle ajoute que Maître [B] n'a pas pris d'engagement personnel en signant l'accord de compensation, puisqu'il a agi ès qualités de représentant de la société Air Méditerranée.
A titre subsidiaire, la Caisse de garantie soutient que ses conditions d'intervention ne sont pas réunies. Elle rappelle ne pas garantir les fautes professionnelles susceptibles d'être commises par ses membres mais uniquement les détournements de fonds. En l'espèce, Maître [B] avait offert de verser la somme de 359 117,08€, ce qui atteste qu'il était en mesure de la représenter. Il n'était pas en revanche en possession du complément de la somme, qu'il n'a pas perçu et ne pouvait être tenu de représenter.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 7 septembre 2023. A l'audience du 29 mai 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 26 juin 2024. Le délibéré a été prorogé au 3 Juillet 2024, date de ce jugement.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur l'action directe à l'encontre des MMA
La société ADP et la société XL fondent leur demande sur les dispositions de l'article 1240 du code civil. En application de cette disposition et de l'article L124-3 du code des assurances, il leur appartient de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ces deux éléments pour engager la responsabilité de l'assuré et obtenir ainsi l'indemnisation de l'assureur.
1.1 Sur la faute de Maître [B]
En l'espèce, la société ADP et la société XL soutiennent que Maître [B] a commis une faute en s'engageant à rembourser la différence entre les deux condamnations et en n'exécutant pas cet engagement.
L'article 1 de l'accord de compensation est ainsi rédigé :
"Dans l'hypothèse où le Conseil d'Etat ou la cour administrative d'appel de renvoi réduirait le montant des condamnations prononcées à l'encontre d'ADP par la cour administrative d'appel de Versailles le 25 avril 2017, Air Méditerranée remboursera à Axa la différence entre le montant de la condamnation en appel et celui de la condamnation prononcée par le Conseil d'Etat ou la cour administrative d'appel de renvoi (ci-après la "Différence").
ADP garantira AXA à première demande contre tout défaut de remboursement de la Différence par Air Méditerranée, dès lors qu'AXA lui aura notifié la défaillance d'Air Méditerranée, sans pouvoir se prévaloir d'aucune exception à l'encontre d'AXA. En contrepartie de la garantie ainsi donnée, ADP sera fondée à recouvrer la Différence contre Air Méditerranée, l'existence de cette Différence ayant pour effet d'augmenter la créance postérieure d'ADP bénéficiant du traitement préférentiel, dont ADP est par conséquent fondé à poursuivre le recouvrement en justice, ce que les parties reconnaissent".
Il convient tout d'abord de préciser qu'aux termes du premier alinéa de cette stipulation, la société Air Méditerranée, représentée par Maître [B], ne s'engage pas à rembourser prioritairement à la société AXA la différence entre les deux condamnations, à défaut de toute précision en ce sens.
Cet alinéa doit toutefois être lu à la lumière de la seconde phrase l'alinéa suivant, qui met en place une subrogation au bénéfice de la société ADP et précise que les sommes restituées augmenteront la créance postérieure privilégiée, impliquant nécessairement que les sommes remboursées le seraient à titre prioritaire. Il apparaît ainsi que dans l'esprit des parties à cet acte, la créance éventuelle de restitution serait privilégiée. En concluant un tel contrat, en sa qualité de représentant de la société Air Méditerranée, Maître [B] est susceptible d'avoir commis une faute :
- s'il était tenu de procéder à ce paiement et ne l'a pas exécuté ;
- s'il ne pouvait, en raison des règles de la procédure collective, procéder à ce paiement et s'y est engagé.
La qualification de la créance de restitution litigieuse est soumise à l'article L641-13 du code de commerce, dans sa version applicable au litige et tel qu'interprété par la jurisprudence. Il ne peut être dérogé par convention à cette disposition d'ordre public.
Cet article dispose que des créances postérieures à l'ouverture de la procédure collective sont privilégiées :
- si elles sont nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l'activité autorisé en application de l'article L641-10 ;
-si elles sont nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant le maintien de l'activité ou en exécution d'un contrat en cours régulièrement décidée après le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, s'il y a lieu, et après le jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ;
-ou si elles sont nées des besoins de la vie courante du débiteur, personne physique.
S'agissant d'une créance de restitution suite à l'infirmation d'une décision de justice, cette créance est née au jour de l'arrêt de la cour administrative d'appel de renvoi le 17 septembre 2020 (ex. : Civ. 1 , 27 sept. 2005, n° 02-21.255), et non au jour du paiement effectué en exécution de la décision infirmée.
Cette créance n'est pas née en contrepartie d'une prestation fournie à la société Air Méditerranée, ni pour les besoins du déroulement de la procédure du maintien provisoire de son activité, s'agissant d'une simple créance de restitution.
Il ne s'agit donc pas d'une créance postérieure privilégiée. Maître [B] ne pouvait donc procéder à son règlement que si cette créance avait été déclarée, dans les conditions de l'article L622-24 du code de commerce, et en présence d'un actif suffisant.
Les sociétés demanderesses soutiennent que le courrier adressé le 5 novembre 2020 par le conseil de la société ADP à Maître [B] vaut déclaration de créance.
Les articles L622-25 et R622-23 du code de commerce ne soumettent la déclaration de créance à aucun formalisme particulier, si ce n'est l'existence d'un écrit, condition réunie en l'espèce.
Il suffit qu'il résulte de cet écrit la volonté non équivoque de réclamer dans la procédure collective le montant des sommes évoquées.
En l'espèce, le courrier du 5 novembre 2020 rappelle le contenu des arrêts des 25 avril 2017 et 17 septembre 2020 de la cour administrative d'appel de Versailles. Il indique qu'il en "résulte qu'ADP est en droit d'obtenir de votre part la répétition d'une partie des sommes versées à la suite de l'arrêt rendu le 25 avril 2017, à hauteur de 30% du montant précité - soit 775 693,50€ avec les intérêts - et de 30% des frais d'expertise. / Je vous remercie donc de bien vouloir procéder, dans les meilleurs délais, au versement de la somme précitée à ma cliente, la société ADP".
Ces termes manifestent clairement la volonté de la société ADP d'obtenir le paiement de ces sommes dans le cadre de la procédure collective - étant notamment rappelé qu'analysant cette créance postérieure comme privilégiée, il était cohérent qu'elle en demande le paiement immédiat. Le courrier du 5 novembre 2020 emporte donc déclaration de créance.
Reste enfin à déterminer si les fonds de la liquidation permettaient à Maître [B] de procéder à ce paiement. Les MMA produisent des relevés des créances privilégiées et chirographaires de la liquidation judiciaire en date du 13 juillet 2023, atteignant des montants respectifs de 26 782 496,89€ et 46 821 888,85€, face à un solde de 3 438 321,34€. Les sociétés demanderesses ne rapportent donc pas la preuve que la situation de la liquidation judiciaire aurait permis un paiement.
Elles ne justifient donc pas que Maître [B] aurait été en mesure de procéder à ce paiement et qu'il a commis une faute en ne l'effectuant pas.
En s'engageant toutefois à procéder au remboursement des créances éventuelles de restitution en tant que créances privilégiées, en contravention avec les règles de la procédure collective, Maître [B] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
1.2 Sur le préjudice et le lien de causalité
Le préjudice résultant de la faute commise par Maître [B] résulte dans une perte de chance de ne pas conclure l'accord de compensation, si les sociétés ADP et AXA n'avaient pas été induites en erreur par l'engagement fautif du liquidateur.
La société ADP et la société XL rappellent dans leurs écritures le contexte dans lequel l'accord de compensation a été conclu. Elles précisent notamment, sans être contestées, que la société ADP avait fait procéder à des saisies des biens de la société Air Méditerranée à hauteur de 1 908 718,03€.
Il ressort de ces éléments qu'en l'absence d'accord de compensation :
- la société ADP aurait été tenue de payer la somme de 2 752 974,96€ à la société Air Méditerranée, en exécution du premier arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles;
- elle aurait conservé la somme de 1 908 718,03€, correspondant au montant de saisies, laissant un solde entre ses deux sommes de 844 256,93€, constituant une créance privilégiée ;
- le solde de sa créance (soit 485 139,90€) aurait constitué une créance postérieure privilégiée.
Ainsi, la société ADP aurait ainsi conservé une créance privilégiée d'un montant de 1 329 396,83€.
Rien n'indique toutefois que cette créance aurait pu être effectivement réglée dans le cadre de la liquidation judiciaire, s'agissant d'une créance susceptible d'être primée par les créances de nature salariale notamment, à défaut de tout élément en ce sens.
Aussi la société ADP aurait conservé une perte potentielle de 1 329 396,83€, contre un préjudice allégué à titre principal de 804 242€ en l'absence de faute.
Les sociétés demanderesses ne rapportent donc pas la preuve d'un préjudice en lien avec la faute retenue. Elles seront déboutées de l'action directe engagée à l'encontre des MMA.
2. Sur l'obligation de garantie de la Caisse de garantie
L'article L814-3 du code de commerce dispose qu'une caisse dotée de la personnalité civile a pour objet de garantir le remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus ou gérés par chaque administrateur judiciaire et chaque mandataire judiciaire inscrits sur les listes, à l'occasion des opérations dont ils sont chargés à raison de leurs fonctions.
La garantie de la caisse joue sans que puisse être opposé aux créanciers le bénéfice de discussion prévu à l'article 2305 du code civil et sur la seule justification de l'exigibilité de la créance et de la non-représentation des fonds par l'administrateur judiciaire ou le mandataire judiciaire.
Le code de commerce distingue explicitement cette garantie de celle couvrant les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les administrateurs judiciaires et les mandataires, du fait de leurs négligences ou de leurs fautes ou de celles de leurs préposés, commises dans l'exercice de leurs mandats. Cette garantie résulte en effet de l'obligation pour ces professionnels du droit de souscrire une assurance, en application de l'article L814-4 du même code.
En l'espèce, les sociétés demanderesses soutiennent que la somme de 359 117,03€ était immédiatement exigible et aurait dû être payée, puisque Maître [B] en avait fait la proposition.
Compte tenu des développements précédents, il n'est toutefois pas établi que cette somme était exigible. Les sociétés demanderesses ne rapportent en effet pas la preuve que la liquidation judiciaire disposait des fonds nécessaires pour procéder à un paiement immédiatement, s'agissant en particulier d'une créance chirographaire, ni qu'une clôture de la liquidation est intervenue et a laissé un solde permettant un tel paiement aux côtés des autres créanciers.
La demande de garantie sera rejetée.
3. Sur les autres demandes
Les sociétés ADP et XL, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu'au paiement de 3 000€ aux MMA et 3 000€ à la caisse de garantie.
L'exécution provisoire de ce jugement est de droit en application de l'article 514 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et par jugement susceptible d'appel,
Déboute la société [12] et la société XL Insurance Company SE de leurs demandes,
Condamne in solidum la société [12] et la société XL Insurance Company SE aux dépens,
Condamne in solidum la société [12] et la société XL Insurance Company SE à payer la somme totale de 3 000€ à la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles,
Condamne in solidum la société [12] et la société XL Insurance Company SE à payer 3 000€ à la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires,
Déboute les parties de leurs autres ou plus amples demandes,
Rappelle que l'exécution provisoire de ce jugement est de droit.
Fait et jugé à Paris le 03 Juillet 2024
Le GreffierLe Président
G. ARCASB. CHAMOUARD