TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions exécutoires délivrées le:
Copies certifiées conformes délivrées le :
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2ème chambre
N° RG 20/05121
N° Portalis 352J-W-B7E-CSGFH
N° MINUTE :
Assignation du :
28 Mai 2020
JUGEMENT
rendu le 03 Juillet 2024
DEMANDERESSE
Madame [K] [G]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Maître Sabine LACASSAGNE de la SELARL SELARL CAPITAL CONSEIL AVOCATS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, avocat plaidant, vestiaire #PC392
DÉFENDERESSE
Madame [H] [R]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Maître Isabelle NARBONI, avocat plaidant, et par Maître Aurélia CORDEIRO, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #G415
Décision du 03 Juillet 2024
2ème chambre
N° RG 20/05121 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSGFH
* * *
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.
Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.
Madame Caroline ROSIO, Vice-Présidente, statuant en juge unique.
assistée de Adélie LERESTIF, greffière.
DÉBATS
A l’audience du 30 Avril 2024, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 27 Juin 2024.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire et en premier ressort
* * *
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [K] [G] et [W] [N] ont vécu en concubinage pendant de nombreuses années. Par acte du 31 mars 2008, elles ont conclu un PACS auquel [W] [N] a mis un terme par acte du 30 mars 2012.
Suivant testament du 19 avril 2011, [W] [N] a institué Mme [H] [R] légataire universelle.
Par jugement du 16 mars 2017, le tribunal de grande instance de Créteil a prononcé l'adoption simple par Mme [H] [R] de sa nièce, [W] [N]-[R].
Puis, Mme [G] et [W] [N]-[R] ont à nouveau conclu un PACS par acte du 27 août 2018 reçu par Me [D], notaire.
Par testament du même jour, [W] [N]-[R] a institué Mme [G] légataire universelle et Mme [H] [R] légataire particulier de la moitié des tableaux exposés dans son domicile.
Par testament du 4 décembre 2018, [W] [N]-[R] a révoqué tout testament antérieur et institué sa « mère adoptante » comme héritière.
Suivant acte du même jour, [W] [N]-[R] a résilié le PACS la liant à Mme [G]. La dissolution du PACS a été enregistrée le même jour par Me [D].
Décision du 03 Juillet 2024
2ème chambre
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[W] [N]-[R] est décédée le [Date décès 4] 2018. Selon l'acte de notoriété dressé le 28 janvier 2019 par Me [D], [W] [N]-[R] a laissé pour héritière Mme [H] [R].
Suivant exploit d'huissier du 28 mai 2020, Mme [G] a assigné Mme [R] en nullité de l'acte de rupture du PACS, en nullité du testament du 4 décembre 2018 et afin de se faire envoyer en possession de son legs universel.
Suivant exploit d'huissier du 19 janvier 2021, Mme [G] a assigné Mme [R] devant le tribunal judiciaire de Nantes en nullité de la mention relative à la dissolution par résolution unilatérale du 4 décembre 2018 du PACS contracté le 27 août 2018 sur les actes de naissance et décès de [W] [N]-[R].
Par jugement du 28 octobre 2021, le tribunal de céans a:
- ordonné une mesure d’expertise aux fins de fournir tous éléments utiles permettant au tribunal de dire si [W] [N]-[R] était atteinte ou non d’une altération de son état de santé la privant de ses facultés de discernement ou de la pleine capacité de ses facultés intellectuelles au sens des articles 414-1 et 901 du code civil, lors de l’établissement de son testament et de son courrier de dissolution de PACS le 4 décembre 2018, et commis pour y procéder le docteur [Z] [E]
- Sursis à statuer sur la demande de:
- nullité pour insanité d'esprit portant sur le testament et sur l'acte de dissolution du PACS établis le 4 décembre 2018
- envoi en possession dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,
- Rejeté la demande de nullité pour violence portant sur le testament et sur l'acte de dissolution du PACS établis le 4 décembre 2018,
- Annulé l'enregistrement de la dissolution du PACS conclu entre Mme [G] et [W] [N]-[R] effectué le 4 décembre 2018 par Me [D], notaire
- Rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [G],
- Rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [H] [R],
Par ordonnance du 23 novembre 2021, le juge de la mise en état a désigné le docteur [I] [U] exerçant à l’hôpital [7] en lieu et place en lieu et place du docteur [Z] [E].
Le rapport d’xpertise a été déposé au tribunal par courrier enregistré le 6 octobre 2022. L’expert a conclu que « la grave altération de son état de santé et les troubles cognitifs et de la vigilance qu’elle présentait ne lui ont pas permis de prendre librement des décisions et, en particulier, celle de dissoudre son PACS ou de revoir son testament“.
Décision du 03 Juillet 2024
2ème chambre
N° RG 20/05121 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSGFH
En l’état de ses conclusions en ouverture de rapport notifiées par voie électronique le 08 février 2023, Mme [G] demande au tribunal, au visa des articles 45 et 1378-2 du code de procédure civile et des articles 414-1, 414-2, 515-1 et suivants, 763, 901, 1007, 1040, 1042 du code civil, de:
«- DIRE ET JUGER Madame [K] [G] recevable et fondée en son action
-DIRE ET JUGER que Madame [W] [N] ne disposait pas le 4 décembre 2018 des facultés mentales lui permettant de rédiger valablement un courrier de rupture du PACS les liant et un nouveau testament
Partant,
-PRONONCER la nullité de l’acte de rupture du PACS par Madame [N] du 4 décembre 2018
-PRONONCER la nullité du testament du 4 décembre 2018
-DIRE ET JUGER que le PACS a pris fin par décès de Madame [N] le [Date décès 4] 2018
En conséquence,
-ENVOYER Madame [G] en possession des biens composant le legs universel pour en jouir et en disposer comme de chose lui appartenant depuis le jour du décès du testateur
- CONDAMNER la défenderesse au paiement de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance en ce compris les frais d’expertise.»
Par conclusions après rapport d’expertise n°1 notifiées par voie électronique le 24 mai 2023, Mme [R] sollicite du tribunal de céans de:
« - DÉBOUTER purement et simplement Madame [K] [G] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- CONDAMNER Madame [K] [G] à verser à Madame [H] [R] la somme de 12.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. »
Il sera renvoyé aux conclusions des parties précitées pour un exposé exhaustif des demandes des parties et moyens à leur soutien, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 juin 2023 et l’audience de plaidoiries fixée au 30 avril 2024.
A l’issue des débats, les parties ont été informées que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 27 juin 2024, prorogée au 03 Juillet 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de donner acte ou de constat
Il est rappelé, au visa des articles 12 et 22 du code de procédure civile, que ne doivent pas faire l'objet d'une mention au dispositif les demandes des parties tendant à voir «dire et juger» qui ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert.
Décision du 03 Juillet 2024
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Sur la demande de nullité du testament du 4 décembre 2018
Mme [G] demande la nullité pour insanité d’esprit du testament du 4 décembre 2018, rédigé au profit de sa mère adoptive par [W] [N]-[R] cinq jours avant son décès, alors qu’elle était hospitalisée en soins palliatifs. Elle soutient qu’elle était soumise à un traitement de douleur à la morphine qui a un effet sur les capacités cognitives lorsqu’il est prescrit à haute dose, qu’elle était dans un état de confusion provoqué par l’encéphalopatie hépatique qui altérait ses facultés de jugement, et dans un état de faiblesse générale majeur tant sur le plan physique que psychologique. Elle ajoute que le document est raturé et que l’expertise exclut la possibilité pour [W] [N]-[R] d’avoir été en mesure de faire preuve de discernement.
Madame [R] oppose que l’expert n’a pu avoir d’autres éléments médicaux que ceux figurant dans la procédure, qu’il n’est pas démontré l’existence de métastases cérébrales chez [W] [N]-[R], que l’expert ne prend pas en considération que l’angoisse de mort est un facteur de lucidité et non de confusion, que [W] [N]-[R] a pu bénéficier de nombreux moments de lucidité et que les mentions de son dossier médical permettent de constater qu’elle était capable de se lever et de se déplacer, de discuter avec d’anciens collègues et amis et de jouer aux cartes lors de la rédaction du testament.
Sur ce:
En application des dispositions de l’article 901 du code civil, «Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.”
Il revient à celui qui allègue une insanité d’esprit d’en rapporter la preuve, laquelle s’apprécie souverainement par les juges du fond et ne peut se déduire ipso facto de l’existence d’une maladie ou de la prise d'un traitement sans démonstration de l’impact réel sur le défunt.
Par application combinée des articles 1002 et 1188 du code civil, un testament s’interprète en recherchant la volonté du testateur et pour lui donner un sens.
En l'espèce, il est constant que l’actes litigieux a été rédigé le 4 décembre 2018 par [W] [N]-[R] alors qu'elle avait été admise en soins palliatifs depuis le 30 novembre 2018 et qu'elle y est décédée des suites de son cancer le [Date décès 4] 2018.
L’expert conclut que «la grave altération de son état de santé et les troubles cognitifs et de la vigilance qu’elle présentait ne lui ont pas permis de prendre librement des décisions et en particulier celle de dissoudre son PACS ou de revoir son testament», précisant que «les deux premiers jours de son hospitalisation en soins intensifs, en l’absence de traitement de la cause de la confusion, et en l’occurrence, le tableau d’insuffisance hépatique, les douleurs, le traitement à haut risque de confusion, comme les traitements morphiniques, mais également le désordre hydro-électrique qu’est l’hypercalcémie qualifiée de réfractaire, c’est-à-dire comme ne répondant pas aux traitements adaptés, son état s’aggrave progressivement jusqu’au coma puis au décès». L’expert précise en page 18 de son rapport qu’il est noté que «dès le 4/12/2018, l’état de Mme [N] est considéré comme somnolent ce qui ne permet pas de juger de pleine capacités intellectuelles» et il ajoute que le 5 décembre 2018 les signes d’encéphalopathie sont objective clairement.
L’état d’insanité relève du trouble mental et la simple confusion ou l’état de somnolence ne suffit pas à le caractériser.
Il ressort du dossier médical de l’hôpital [6] où était hospitalisée [W] [N]-[R] que, le 4 décembre 2024, l’échelle RMD pour Richmond Agitation Sédation Scale, utilisée en soins palliatifs, est évaluée par une infirmière de 0 à -1, -1 étant considéré comme somnolent et -2 comme diminution légère de la vigilance.
Le 5 décembre son RMD est évalué à 0 puis -1 et ce n’est que le 7 décembre 2018, soit deux jours après la rédaction de l’acte litigieux que son RMD est évalué à -2.
Il est également noté que le 4 décembre 2018, jour de rédaction des actes litigieux, [W] [N]-[R] est en capacité:
- d’accepter la pause d’une sonde gastrique par l’infirmière
- de s’entretenir avec l’assistante sociale le matin même à sa demande afin d’envisager un retour à domicile, cette dernière notant «lui demande si elle a d’autres raisons de vouloir rentrer chez elle, lui parle de son entourage mais dit “je crois que je suis en train de m’endormir. Et s’endort” »
- de descendre avec une ancienne collègue de l’hopital pour fumer une cigarette à 13h15.
En outre elle a reçu de nombreuses visites y compris le 5 décembre 2018 et a eu la capacité de jouer aux cartes la veille avec la demanderesse.
Au vu de ces éléments, il n’est pas établi que le 4 décembre 2018, jour de la rédaction du testament litigieux, [W] [N]-[R] était insane.
La demande de nullité du testament sera rejetée ainsi que la demande subséquente d’envoi en possession.
Sur la demande de nullité de la rupture du PACS
Selon l’article 414-1 du code civil, « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ».
L’article 414-2 du code civil dispose que «De son vivant, l’action en nullité n’appartient qu’à l’intéressé. Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs, et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d’esprit, que dans les cas suivants:
1° Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental
2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.»
La demande de nullité du testament étant rejetée en l’absence d’insanité d’esprit de [W] [N]-[R], la demande d’annulation du PACS le sera également, sans qu’il soit besoin de rechercher si les conditions de l’article 414-2 du code civil permettant de prononcer sa nullité sont réunies.
Sur les frais irrépétibles
En l'espèce, Mme [G] qui succombe sera condamnée aux dépens en ce compris les frais d’expertise judiciaire.
Compte tenu de l’équité et du caractère familial du litige, il y a lieu de débouter l’ensemble des parties de leurs demandes formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera constaté que l'exécution provisoire de la décision est de droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort:
REJETTE la demande formée par Madame [K] [G] tendant à prononcer la nullité du testament du 4 décembre 2018 ;
REJETTE la demande formée par Madame [K] [G] tendant à prononcer la nullité de l’acte de rupture du PACS par [W] [N]-[R] du 4 décembre 2018;
REJETTE la demande d’envoi en possession formée par Madame [K] [G] ;
CONDAMNE Madame [K] [G] aux dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire;
REJETTE les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
CONSTATE l’exécution provisoire de la présente décision.
Fait et jugé à Paris le 03 Juillet 2024
La GreffièreLa Présidente
Adélie LERESTIF Caroline ROSIO