TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
Pôle famille
Etat des personnes
N° RG 23/32862
N° Portalis 352J-W-B7H-CZALF
SC
N° MINUTE :
[1]
[1]
JUGEMENT
rendu le 02 juillet 2024
DEMANDERESSE
MADAME LA PROCUREURE DE LA RÉPUBLIQUE
PARQUET 02 ETAT DES PERSONNES
[Adresse 14]
[Adresse 14]
en personne
DÉFENDEURS
Monsieur [U] [D]
en son nom personnel et en qualité de représentant légal de l’enfant mineur [B], [A] [D] née le [Date naissance 1]/2020 à [Localité 9]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
non représenté
Madame [Y] [C]
en son nom personnel et en qualité de représentante légale de l’enfant mineur [B], [A] [D] née le [Date naissance 1]/2020 à [Localité 9]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
non représentée
PARTIE INTERVENANTE
Madame [H] [V] en qualité d’administrateur ad hoc aux fins de représenter l’enfant mineur [B], [A] [D], née le [Date naissance 1]/2020 à [Localité 9]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
représentée par Me Carole SULLI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2619
(bénéficiaire d’une aide juridictionnelle totale n° 2023/016397 du 27 juin 2023 accordée par le bureau de l’aide juridictionnelle de Paris)
Décision du 02 juillet 2024
Pôle famille - Etat des personnes
N° RG 23/32862 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZALF
MINISTÈRE PUBLIC
Isabelle MULLER-HEYM, Substitut du Procureur de la République
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Nastasia DRAGIC, Vice-Présidente
Sabine CARRE, Vice-Présidente
Anne FREREJOUAN du SAINT, Juge
assistées de Founé GASSAMA, lors des débats, et Emeline LEJUSTE, lors de la mise à disposition, Greffières
DÉBATS
A l’audience du 18 juin 2024, tenue en chambre du conseil
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 02 juillet 2024.
JUGEMENT
Réputé contradictoire
En premier ressort
Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Nastasia DRAGIC, Présidente, et par Emeline LEJUSTE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 05 octobre 2020, l'enfant [B], [A] [D] a été inscrite sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 9] comme étant née le [Date naissance 1] 2020 de [U] [D], né le [Date naissance 4] 1995 à [Localité 10] (République Démocratique du Congo), et de [Y] [C], née le [Date naissance 7] 1992 à [Localité 11] (République Démocratique du Congo), qui ont tous les deux reconnu l'enfant le 02 septembre 2020 à la mairie de [Localité 13].
Par actes de commissaire de justice délivrés les 16 et 17 février 2023, le procureur de la République a fait assigner devant le tribunal, en leurs noms personnels et en qualité de représentants légaux de la mineure [B], Mme [C], de nationalité camerounaise (en réalité congolaise), et M. [D], de nationalité française, aux fins de contestation de la paternité de ce dernier et a demandé à la présente juridiction de :
- constater que les formalités de l’article 1040 du code de procédure civile ont été satisfaites ;
- annuler la reconnaissance souscrite par M. [D] le 02 septembre 2020 à la mairie de [Localité 13] en faveur de l’enfant à naître de Mme [C] ;
- dire que M. [D] n’est pas le père de [B] ;
- dire que l'enfant se nommera [B], [A] [C] ;
- ordonner la transcription du jugement en marge de l’acte de reconnaissance et de l'acte de naissance de l’enfant [B] ;
- dire et juger que l’enfant [B] n’est pas française par filiation paternelle ;
- ordonner la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
- statuer ce que de droit sur les dépens.
A l’appui de ses demandes, le procureur de la République expose que, le 18 septembre 2020, la mairie du [Localité 3] lui a fait part de sa suspicion au sujet de deux reconnaissances de paternité souscrites par M. [D] : l'une, le 2 septembre 2020 à l'égard de l'enfant à naître de Mme [C], de nationalité camerounaise (en réalité congolaise), et l'autre, le 7 septembre 2020, à l'égard de l'enfant à naître de Mme [W] [S], de nationalité zaïroise ; que l'attention de l'officier de l'état civil avait été attirée par la situation administrative irrégulière et la vulnérabilité de ces deux femmes ; que, lors de son audition par l'officier de l'état civil, M. [D] avait déclaré avoir rencontré Mme [S] le 28 février 2020 alors qu'il venait de rompre avec Mme [C], sans savoir que cette dernière était enceinte de lui ; qu'il avait précisé que Mme [S] était tombée enceinte le 18 mars 2020 et que son accouchement était prévu au mois de novembre ; qu'il avait appris la grossesse de Mme [C] au début du mois de mars 2020 ; qu'il avait ajouté qu'il n'avait pas été présent pour le suivi de grossesse ni pour les échographies et qu'il ne savait pas dans quels hôpitaux devaient naître les enfants ; que, auditionné le 16 décembre 2020 par les services de police, M. [D] a affirmé être le père biologique des enfants qu'il avait reconnus ; qu'il a indiqué n'entretenir de relation qu'avec une seule femme, "[W]", dont il ne se souvenait plus spontanément du nom de famille ; qu'il a expliqué avoir rencontré cette femme au mois de février 2020, n'avoir jamais vécu avec elle, ne pas savoir où elle vivait et n'avoir aucune photographie d'elle ; que, selon lui, elle était tombée enceinte au mois d'avril 2020 avant de rectifier pour le mois de mars après qu'il lui ait été indiqué que la date qu'il avait donnée n'était pas cohérente avec celle de la naissance de l'enfant ; qu'il a dit lui avoir versé 600 euros en trois fois sans toutefois pouvoir en justifier ; que, s'agissant de Mme [C], dont il ne se souvenait pas non plus spontanément du nom de famille, il a exposé que leur relation avait duré du mois de janvier jusqu'à la mi-février 2020, qu'il ne se souvenait pas des circonstances de leur rencontre ni du moment où elle lui avait annoncé sa grossesse, qu'il savait qu'elle avait accouché "dans le 92", qu'il lui versait de l'argent mais ne pouvait en justifier ni montrer de photographies de leur couple ou d'échanges de messages entre eux.
Le procureur de la République ajoute que Mme [C], auditionnée le 5 mai 2022 par les services de police, a quant à elle déclaré qu'elle avait rencontré M. [D] dans la rue, à [Localité 12] à la fin de l'année 2019 ou au début de l’année 2020 et qu'elle avait été en couple avec lui, sans pour autant qu'ils vivent ensemble, avant de rompre vers le mois de février ; que, contrairement à ce qu’a soutenu M. [D], elle a indiqué qu'il était venu la voir à la maternité ; qu'elle a confirmé que ce dernier contribuait à l'entretien de son enfant par l'achat de vêtements ainsi que par des versements en espèce, entre cent et deux-cents euros ; qu'elle n'a cependant pu produire ni de justificatifs de ces paiements, ni de photographies du couple ; qu'entendue par les services de police le 9 mai 2022, Mme [S] a déclaré être atteinte de troubles psychiatriques et bénéficier d'un suivi médical ; qu’elle a ajouté être hébergée "par le 115" et n'exercer aucune activité professionnelle, précisant que personne ne l'aidait financièrement ; qu'elle a indiqué être mère de trois enfants dont deux se trouvaient au Congo avec sa mère, et un avec elle, [Z], né le [Date naissance 2] 2020 à [Localité 12] ; qu'elle a déclaré que le père biologique de son fils était M. [X] [T], qu'elle avait rencontré M. [D] lors d'un concert, alors qu’elle se trouvait dans une "très mauvaise situation", que leur relation avait duré deux mois ; qu'elle a précisé que M. [D] était venu la voir au bout de quelques mois en lui disant qu'il ne pouvait "laisser un enfant africain sans papa", mais qu'au moment de la reconnaissance de son enfant, informée de ce que M. [D] avait déjà reconnu un autre enfant cinq jours auparavant, elle avait finalement refusé qu’il reconnaisse son enfant ; qu'elle a précisé qu'il n'avait jamais contribué ni à son entretien ni à son éducation mais qu'il était venu la voir le jour de son accouchement, contredisant sur ce point M. [D] qui avait déclaré être absent ce jour-là ; qu'elle a affirmé que seul M. [T] entretenait des relations avec [Z].
Le procureur de la République fait, par ailleurs, valoir que Mme [S] et Mme [C], avec lesquelles M. [D] ne justifie d'aucune communauté de vie, étaient toutes les deux demandeuses d'asile au moment des deux reconnaissances de paternité souscrites à cinq jours d'intervalle ; qu'en outre, M. [D] ne justifie pas d'un exercice effectif de l'autorité parentale ni d'une quelconque relation avec les enfants de ces dernières ; qu'il est manifeste que la reconnaissance de paternité de [B] présente un caractère frauduleux en ce qu’elle n'a été réalisée que dans le seul but d'obtenir ou de faire obtenir un avantage particulier, en l'espèce, de permettre la régularisation de la situation administrative de Mme [C] ; que l'action du ministère public, qui s'inscrit dans le souci de la préservation de l'ordre public et du respect de la loi et a pour objectif de sanctionner le contournement par les défendeurs des règles posées par le législateur en matière d'immigration, est recevable conformément à l'article 336 du code civil ; que les éléments énoncés ci-dessus, à savoir, l'absence totale de communauté de vie entre les mis en cause, la situation de particulière vulnérabilité des deux mères, les propos contradictoires tenus au cours des auditions ainsi que la chronologie des faits établissent clairement que M. [D] n’est pas le père de [B] ; qu'il convient donc de sanctionner l'établissement délibérément frauduleux de l'acte de reconnaissance de [B] par son annulation et de constater que l'enfant n'est pas française par sa filiation paternelle, tandis que sa mère est de nationalité camerounaise (en réalité congolaise).
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 2 avril 2024 et signifiées les 8 et 18 avril 2024 aux défendeurs non constitués, Mme [H] [V], désignée en qualité d’administrateur ad hoc de l’enfant par ordonnance du juge de la mise en état du 9 mai 2023, intervenant volontairement à la procédure, demande au tribunal de :
- déclarer recevable l’action en contestation de paternité formée par le procureur de la République ;
- la déclarer, ès qualités d’administrateur ad hoc de [B], recevable et bien fondée en ses écritures ;
- statuer ce que de droit sur les demandes du procureur de la République ;
- laisser les dépens à la charge du trésor public.
Au soutien de ses demandes, elle expose que le procureur de la République fait valoir que la reconnaissance paternelle de la mineure serait frauduleuse en raison des divergences entre les propos tenus par M. [D] et ceux de la mère de l’enfant, et de deux reconnaissances rapprochées souscrites par le défendeur ; que Mme [C], entendue devant les services de police, a précisé que M. [D] était bien le père de son enfant, sans pouvoir justifier d’une quelconque contribution. Elle précise que l'enjeu ici est majeur puisque, outre l’anéantissement de la filiation paternelle, la nationalité française de la mineure est discutée ; que la difficulté réside dans le fait qu’aucun des défendeurs n’est constitué, rendant probablement vaine toute expertise ordonnée, à moins que les défendeurs ne se constituent ; que dans ces conditions, elle ne peut se positionner et s’en rapporte, ne formant aucune demande. Elle rappelle qu'il conviendra de produire le justificatif de l'article 1040 du code de procédure civile.
Elle précise que l’enfant ne dispose pas de la capacité de discernement et n’a pas été informée de son droit à être entendue prévu à l’article 388-1 du code civil.
Assignés respectivement à l’étude et par acte de commissaire de justice donnant lieu à l’établissement d’un procès-verbal de recherches infructueuses, ni M. [D], ni Mme [C] n’ont constitué avocat.
La clôture a été prononcée le 23 avril 2024 et l’affaire a été appelée à l’audience du 14 mai 2024, puis renvoyée à l'audience du 18 juin 2024, en chambre du conseil conformément aux dispositions de l’article 435 du code de procédure civile, puis mise en délibéré au 2 juillet 2024.
[DÉBATS NON PUBLICS – Motivation de la décision occultée]
PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
DIT la procédure régulière au regard des dispositions de l’article 1040 du code de procédure civile ;
DIT l'action du ministère public recevable sur le fondement de l'article 336 du code civil ;
DIT que [U] [D], né le [Date naissance 4] 1995 à [Localité 10] (République Démocratique du Congo), n'est pas le père de l’enfant [B], [A] [D], née le [Date naissance 1] 2020 à [Localité 9] de Mme [Y] [C], née le [Date naissance 7] 1992 à [Localité 11] (République Démocratique du Congo) ;
ANNULE en conséquence la reconnaissance souscrite par [U] [D], né le [Date naissance 4] 1995 à [Localité 10] (République Démocratique du Congo), le 02 septembre 2020 devant l’officier de l’état civil de la mairie de [Localité 13] sous le numéro 2564 à l’égard de l’enfant [B], [A] [D] ;
ORDONNE la mention de ces dispositions en marge de l'acte de naissance de l’enfant [B], [A] [D], née le [Date naissance 1] 2020, dressé le 05 octobre 2020 sous le numéro 1087 sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 9], et de l’acte de reconnaissance de l’enfant dressé le 02 septembre 2020 par l’officier de l’état civil de la mairie de [Localité 13] sous le numéro 2564 ;
DIT que l'enfant [B], [A] se nommera [C] ;
ORDONNE la mention de ces dispositions en marge de l'acte de naissance de l’enfant [B], [A] [D], née le [Date naissance 1] 2020, dressé le 05 octobre 2020 sous le numéro 1087 sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 9] ;
DIT que l’enfant [B], [A] [D] n’est pas de nationalité française ;
ORDONNE la mention prévue à l’article 28 du code civil ;
CONDAMNE M. [U] [D] et Mme [Y] [C] in solidum aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 02 juillet 2024.
La GreffièreLa Présidente
Emeline LEJUSTENastasia DRAGIC