TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/14997
N° Portalis 352J-W-B7F-CVGRK
N° MINUTE :
Assignations des :
28 Septembre 2021
07 Avril 2022
JUGEMENT
rendu le 02 Juillet 2024
DEMANDEURS
Monsieur [R] [C]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Florence AGOSTINI BEYER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1837, avocat postulant, et par Me Jean-François CANAKIS, avocat au barreau d’ORLÉANS, avocat plaidant
Madame [J] [Z] épouse [C]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Florence AGOSTINI BEYER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1837, avocat postulant, et par Me Jean-François CANAKIS, avocat au barreau d’ORLÉANS, avocat plaidant
DÉFENDERESSES
S.A.R.L. PARIS AUTO CLUB représentée par la S.E.L.A.F.A. MJA, prise en la personne de Me [B] [K], mandataire liquidateur
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Jean BARET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0458
S.A. AXERIA IARD
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Aurélie POULIGUEN-MANDRIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J026
Décision du 02 Juillet 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/14997 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVGRK
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge
assistés de Nadia SHAKI, Greffier,
DÉBATS
A l’audience du 20 Mars 2024 tenue en audience publique devant Madame MASMONTEIL, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition (délibéré initialement fixé 04 Juin 2024 prorogé au 2 Juillet 2024)
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSE DES FAITS
Suivant bon de commande du 13 novembre 2018, M. [R] [C] a acquis un véhicule d’occasion de marque Porsche, modèle 996 Carrera, auprès de la SARL Paris Auto Club, au prix de 35.000 euros, conformément à la facture du 28 novembre 2018.
A cette occasion, M. [C] s’est vu remettre le procès-verbal « favorable » du contrôle technique du 4 octobre 2018 réalisé par la société Auto Bilan [Localité 7], aucune défaillance majeure ou critique n’ayant été relevée.
Ayant constaté que leur véhicule virait à droite, M. [C] et Mme [J] [Z] épouse [C] ont sollicité l’intervention de leur garagiste, la SARL GARAGE des 4 ROUTES, laquelle a procédé au remplacement des amortisseurs. Ne constatant pas d’amélioration, les époux [C] ont confié le véhicule au concessionnaire Porsche d’[Localité 8], lequel a émis trois devis portant sur le contrôle et le réglage de géométrie (318 euros), le remplacement des disques et plaquettes de freins (2.143,18 euros) et le changement de la crémaillère de direction (3.772,37 euros).
Une expertise amiable, mise en œuvre par l’assureur de protection juridique de M. [C], a été réalisée par le cabinet d’expertises automobile [W]. La SARL Paris Auto Club ne s’est pas présentée le jour de l’expertise, estimant, aux termes de son courrier du 14 mai 2019 adressé à l’expert, qu’au regard de sa bonne foi et de la conformité du véhicule aux normes de sécurité en vigueur au moment de la vente, l’expertise n’avait pas lieu de se tenir. Le cabinet d’expertises automobile [W] a rendu son rapport le 3 juillet 2019.
Par ordonnance du 4 septembre 2020, le président du tribunal judiciaire d’Orléans, saisi par les époux [C], a désigné M. [T] [I], expert en automobile, pour procéder à l’expertise du véhicule. L’expert judiciaire a déposé son rapport le 26 mai 2021.
C’est dans ce contexte que par acte d’huissier de justice du 28 septembre 2021, les époux [C] ont fait citer devant le tribunal judiciaire de Paris la SARL Paris Auto Club, aux fins, initialement, d’obtenir la résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Par jugement du 25 janvier 2022, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL Paris Auto Club.
Les époux [C] ont fait assigner en intervention forcée les organes de liquidation de la SARL Paris Auto Club et la SA AXERIA IARD, assureur responsabilité civile du vendeur, par actes d’huissier du 7 avril 2022. Les instances ont été jointes à la présente affaire par deux ordonnances du juge de la mise en état du 14 juin 2022.
Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2022, les époux [C] demandent au tribunal, au visa de l’article 1231-1 du code civil, de :
« Juger que la SARL PARIS AUTO CLUB a commis des fautes engageant sa responsabilité contractuelle,
Condamner la SARL PARIS AUTO CLUB à régler à Monsieur et Madame [C] :
- La somme de 4904,72 euros au titre des réparations à faire sur le véhicule,
- la somme de 7.993,27 euros au titre du remboursement des factures réglées par eux,
- 10 euros par jour à compter du 20 mars 2019 au titre de l’immobilisation du véhicule jusqu’au jour de la décision à intervenir,
Condamner la SARL PARIS AUTO CLUB à verser à Monsieur et Madame [C] la somme de 5957,31 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile
Condamner la SARL PARIS AUTO CLUB aux dépens et notamment les frais d’expertise de 3.469,84 euros.
Condamner la société AXERIA IARD à garantir l’ensemble des condamnations prononcées à l’encontre de la SARL PARIS AUTO CLUB et la liquidation judiciaire,
Condamner la société AXERIA IARD à verser à Monsieur et Madame [C] la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Condamner la société AXERIA IARD aux dépens de son assignation en intervention forcée ».
Les époux [C] recherchent la responsabilité contractuelle de la SARL Paris Auto Club, reprochant à celle-ci de n’avoir procédé ni au contrôle de géométrie pourtant préconisé par le garage PORSCHE DISTRIBUTION à l’issue de ses vérifications techniques du 9 octobre 2018, ni au contrôle des disques et des plaquettes de frein avant la vente, l’expert ayant relevé une usure anormale.
Ils considèrent que ces manquements sont en lien causal direct avec leurs préjudices, ayant été contraints d’engager des frais pour remettre en état le véhicule, outre des frais annexes (gardiennage, remorquage, assurance) et ayant subi un préjudice du fait de l’immobilisation du véhicule, diagnostiqué comme dangereux en l’état.
Les demandeurs soutiennent que les fautes commises par la SARL Paris Auto Club sont couvertes par le contrat d’assurance responsabilité civile souscrit auprès de la SA AXERIA IARD. Ils font valoir à cet égard que contrairement à ce que l’assureur prétend, l’existence de la facture du garagiste PORSCHE DISTRIBUTION du 9 octobre 2018, en possession de la SARL Paris Auto Club, ne signifie pas que celle-ci connaissait l’existence du défaut mis en exergue par l’expert judiciaire, ladite facture indiquant simplement la nécessité de réaliser un contrôle de géométrie après changement des pneumatiques. Ils précisent qu’en tout état de cause, il appartient à l’assureur qui tente de soulever une cause d’exclusion de garantie, de rapporter la preuve de la connaissance du désordre par son assurée. En outre, ils expliquent que l’assureur n’apporte pas la preuve que son assurée a volontairement omis de procéder aux autres réparations avant la vente.
Enfin, les époux [C] considèrent qu’il serait inéquitable de leur laisser la charge des frais qu’ils ont été contraints d’engager pour la procédure, et fournissent les factures d’honoraires de leur avocat, justifiant que la SARL Paris Auto Club soit condamnée à leur payer la somme de 5.957,31 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Ils demandent également que cette même société soit condamnée aux dépens, comprenant les frais d’expertise judiciaire à hauteur de 3.469,84 euros. Ils sollicitent que ces sommes soient garanties par la SA AXERIA IARD. Ils réclament la condamnation de cette dernière à leur payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 novembre 2022, la SARL Paris Auto Club, représentée par son mandataire judiciaire, la SELAFA Mandataires Judiciaires associés (MJA), prise en la personne de Maître [K], demande au tribunal, au visa de l’article 1231-1 du code civil, de :
« Recevoir la société PAC en ses écritures et l’y dire bien fondée.
Déclarer Monsieur et Madame [C] irrecevables, et subsidiairement, mal fondés en leurs demandes.
Les déclarer irrecevables par suite de la connaissance avant la vente du défaut reproché au véhicule.
Juger que la société PAC n’a commis aucune faute dans l’exécution de ses obligations contractuelles.
Débouter Monsieur et Madame [C] de l’intégralité de leurs demandes dirigées à l’encontre de la société PAC, et plus subsidiairement, les débouter de leurs divers postes de préjudices injustifiés.
Les condamner à verser la somme de 3.000 euros à la société PAC, représentée par son mandataire liquidateur en exercice au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Les condamner aux entiers dépens de l’instance ».
La SARL Paris Auto Club affirme que l’acheteur était parfaitement avisé du défaut affectant le véhicule au moment de la vente, ayant pris connaissance de la facture de révision du 9 octobre 2018 de PORSCHE DISTRIBUTION le mentionnant, cette circonstance ayant d’ailleurs convaincu M. [C] de venir récupérer la voiture sur un plateau.
La défenderesse émet des réserves sur l’appréciation faite par l’expert judiciaire de la dangerosité du véhicule au jour de la vente, dans la mesure où, au jour de l’expertise, celui-ci n’était plus dans l’état dans lequel il se trouvait initialement, ayant subi diverses interventions et ayant parcouru plus de 1.500 km. Elle relève néanmoins que l’expert a justement indiqué qu’une intervention mécanique simple et peu coûteuse permettrait de remettre le berceau du véhicule dans l’axe et de faire cesser le défaut reproché.
Elle prétend n’avoir commis ni faute, ni manquement, ni imprudence, les responsabilités du garagiste ayant réalisé le contrôle technique et de la société PORSCHE DISTRIBUTION pouvant être engagées. Elle explique que les interventions postérieures des garagistes sollicités par les époux [C], qu’elle juge inutiles, l’exonèrent de toute responsabilité.
Subsidiairement, la SARL Paris Auto Club soutient que les préjudices allégués par les demandeurs ne sont pas indemnisables, car ces derniers ont refusé de reconduire le véhicule dans ses locaux, se sont adressés à différents garagistes dont les interventions se sont révélées inefficaces voire ont aggravé la situation, et ont prolongé l’immobilisation du véhicule en refusant de procéder aux réparations préconisées par l’expert.
S’agissant des préjudices allégués, elle considère que seule la somme de 206,16 euros, correspondant au repositionnement du berceau et au réglage de la géométrie, doit être prise en compte au titre des réparations. Sur le remboursement des factures, elle les considère injustifiées, car n’étant pas en rapport avec le litige ou à défaut de lien causal caractérisé avec celui-ci.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 novembre 2022, la SA AXERIA IARD demande au tribunal de :
« Vu les articles 1103, 1104, 1999, 1200, 1231-1, 1615, 1644 du Code civil,
Vu les articles L.113-5et L.127-1 du Code des assurances,
Vu les faits et pièces versées,
JUGER que le contrat souscrit par la société PARIS AUTO CLUB auprès d’AXERIA IARD exclut toute garantie au titre de la restitution du prix de vente et des dommages-intérêts mis à la charge du vendeur ;
JUGER que le contrat souscrit par la société PARIS AUTO CLUB auprès d’AXERIA IARD ne garantit pas les désordres connus de l’assuré avant livraison ;
JUGER que le contrat souscrit par la société PARIS AUTO CLUB auprès d’AXERIA IARD ne garantit pas les dommages atteignant la chose vendue ;
JUGER que le contrat souscrit par la société PARIS AUTO CLUB auprès d’AXERIA IARD est opposable à Monsieur [C] et Madame [Z] ;
JUGER qu’aucun manquement contractuel imputable à la société PARIS AUTO CLUB n’est caractérisée dès lors que celle-ci n’était pas tenue de procéder à la vérification de la géométrie et au remplacement des disques et plaquettes de freins ;
JUGER qu’une telle activité de réparation et d’intervention n’est en tout état de cause par une activité garantie au titre du contrat souscrit auprès d’AXERIA IARD ;
JUGER que les préjudices revendiqués ne sont pas caractérisés et en lien de causalité directe avec le manquement invoqué par Monsieur [C] et Madame [Z] ;
En conséquence :
PRENDRE ACTE de ce qu’au terme de leurs dernières conclusions, la demande de restitution du prix de vente a été abandonnée par Monsieur [C] et Madame [Z] ;
REJETER l’intégralité des demandes de garantie formulées par Monsieur [C] et Madame [Z] et/ou qui pourraient être formulées par la société PARIS AUTO CLUB à l’encontre de la société AXERIA IARD ;
CONDAMNER Monsieur [C] et Madame [Z] au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens de l’instance ».
En premier lieu, la SA AXERIA IARD rappelle qu’elle ne garantit ses assurés que dans les seules conditions prévues par la police d’assurance et qu’en l’espèce, aux termes du contrat de responsabilité civile souscrit auprès d’elle par la SARL Paris Auto Club, il est expressément prévu une exclusion de garantie relative à « la restitution du prix reçu et tous dommages et intérêts dont le vendeur peut être tenu envers l’acheteur ». Elle explique que le périmètre de la garantie responsabilité civile après livraison indemnise uniquement les dommages causés aux tiers par le produit, excluant la prise en charge des obligations du vendeur découlant du contrat de vente. Elle ajoute qu’étant tiers au contrat de vente, elle ne saurait être tenue d’indemniser les manquements contractuels de la SARL Paris Auto Club. Elle indique en outre que les termes des conditions générales du contrat excluent toute prise en charge du vice caché dont le vendeur a connaissance. Elle relève à cet égard que la SARL Paris Auto Club avait nécessairement connaissance de la défectuosité du véhicule, ayant été destinataire de la facture du 9 octobre 2018 émanant de la société PORSCHE DISTRIBUTION. Elle prétend ensuite que le contrat ne garantit pas les dommages atteignant la chose vendue.
En deuxième lieu, elle considère que la SARL Paris Auto Club, en tant que venderesse, n’a commis aucune faute contractuelle, n’étant pas tenue d’effectuer des contrôles ou des réparations, mais uniquement de procéder à la vente du véhicule d’occasion.
En troisième lieu, sur les demandes indemnitaires, elle rappelle que les dommages atteignant le véhicule objet de la vente ne sont pas garantis, de sorte qu’elle ne saurait être tenue de prendre en charge le paiement des frais de remise en état du véhicule et les frais annexes. Elle estime également qu’en faisant le choix délibéré de ne pas réaliser les travaux de remise en état, les époux [C] ont eux-mêmes largement contribué au préjudice d’immobilisation dont ils réclament l’indemnisation.
Elle s’oppose au paiement des factures d’honoraires d’avocat et d’expertise, réclamé par les demandeurs, rien ne permettant de confirmer selon elle que ces frais n’ont pas déjà été pris en charge par leur assureur au terme du contrat de protection juridique.
Elle considère qu’il serait inéquitable de lui laisser la charge des frais qu’elle a dû exposer pour sa défense et sollicite donc, outre la condamnation des époux [C] aux entiers dépens, que ces derniers soient condamnés à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée le 6 juin 2023.
Au cours du délibéré, le tribunal a sollicité des parties qu’elles fassent valoir leurs observations sur l’application de la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, et notamment de son arrêt du 18 janvier 2023 n°21.22-543 et sur ses conséquences quant au mérite des prétentions et moyens des demandeurs.
Par notes en délibéré des 17 et 20 juin 2024, les époux [C] ont indiqué que la jurisprudence visée n’était pas applicable à l’espèce, dans la mesure où elle ne concernait que le non-cumul de l’action en garantie des vices cachés et de l’action en manquement à l’obligation de délivrance ou à l’obligation d’information du vendeur, cette règle ayant du sens en cas de constatation de l’existence d’un vice caché, dont il n’est pas démontré la connaissance par le vendeur. Ils expliquent qu’il ne s’agit pas d’un non-cumul des actions mais de la non-réunion des conditions pour agir en défaut de délivrance ou défaut d’information, laissant au demandeur la possibilité exclusive d’une action en garantie des vices cachés. Ils font valoir que la Cour de cassation n’a pas exclu toute action sur un autre fondement lorsqu’existe un vice caché puisqu’elle a notamment admis une action pour dol. Ils relèvent que l’utilisation du terme de non-cumul des actions ne provient que des commentateurs des arrêts concernés qui en trouvent le fondement dans la règle speciala generalibus dérogant, laquelle n’a, selon eux, jamais été évoquée par la Cour. En réponse à la note en délibéré de la société AXERIA IARD, ils font valoir que l’application stricte d’un principe de non-cumul reviendrait à favoriser les vendeurs qui connaissent le vice de la chose et s’empressent de demander l’ouverture d’une procédure collective pour échapper à leurs obligations, laissant les consommateurs sans recours, aucune assurance ne couvrant les vices cachés. Ils demandent donc au tribunal de déclarer leur action recevable, les conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle du vendeur étant réunies.
Aux termes de sa note en délibéré communiquée le 18 juin 2024, la SARL Paris Auto Club, représentée par son mandataire judiciaire, soutient que la jurisprudence de la Cour de cassation ne permet pas, au cours d’une même instance, de changer de fondement juridique et d’abandonner l’action pour vice caché au profit de la faute contractuelle. Elle en déduit que le refus de concours d’action, consacré par l’arrêt de la troisième chambre civile du 18 janvier 2023 doit s’appliquer en l’espèce, s’agissant désormais d’un principe prétorien.
La SA AXERIA IARD fait valoir dans sa note communiquée le 19 juin 2024 que l’interprétation de la jurisprudence résultant de l’arrêt du 18 janvier 2023 par les demandeurs est erronée dans la mesure où la Cour de cassation a déjà affirmé à de nombreuses reprises que la caractérisation d’un vice caché ne pouvait donner lieu à une action en responsabilité contractuelle (Cass. Civ., 5 mai 1993, n°90-18331 ; Cass. Com., 19 mars 2013, n°11-26.566). Elle explique que cette solution permet d’éviter que le demandeur soit tenté de contourner les conditions et les règles de prescription applicables en matière de garantie légale des vices cachés. Elle indique qu’en l’espèce, en dépit du changement de leur fondement juridique, c’est le vice en question, à savoir le défaut de tenue de route, qui motive les demandes formulées par les époux [C] sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Elle en déduit qu’ils devront nécessairement être déboutés de leurs prétentions.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il convient de préciser que les demandes tendant à voir « juger », « prendre acte » et « déclarer » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Il ne sera donc pas statué sur ces « demandes », si elles ne constituent pas une prétention, et ne donneront pas lieu à mention au dispositif.
Sur les demandes concernant la SARL Paris Auto Club
En application de l’article 1103 du code civil, « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
L’article 1104 du même code prévoit ensuite que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d'ordre public ».
Conformément à l’article 1641 du code civil, « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ». Cependant, en application de l’article 1642 du même code, « le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même ».
L’article 1643 du code civil dispose que le vendeur « est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie ».
Il est constant sur ces fondements que la garantie des vices cachés constituant l’unique fondement possible de l’action exercée en raison d’un défaut de la chose vendue la rendant impropre à son usage, l’acquéreur ne peut pas prétendre à des dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle de la venderesse (voir Cass, 3e Civ., 18 janvier 2023, n° 21.22-543 ; Cass. Com., 19 mars 2013, n°11.26-566).
En l’espèce, les époux [C], qui avaient initialement fondé leur action sur la garantie des vices cachés, ont par la suite modifié le fondement de leurs prétentions, reprochant désormais à la SARL Paris Auto Club d’avoir manqué à ses obligations contractuelles.
Néanmoins, le tribunal observe qu’ils sollicitent toujours, à titre de réparations, différentes indemnités au titre de désordres affectant le véhicule objet du litige, contraignant à son immobilisation depuis la vente car le rendant, selon les expertises citées, impropre à la circulation car dangereux.
En effet, la SARL Paris Auto Club a fait appel à la société PORSCHE DISTRIBUTION pour effectuer une révision du véhicule en prévision de sa vente. Le garagiste a préconisé, aux termes de sa facture du 9 octobre 2018, de : « Prévoir un contrôle / réglage de la géométrie après le remplacement des pneus avant (véhicule tire à droite) ».
Aux termes de son rapport, le cabinet d’expertise [W] conclut que « l’essai routier nous a permis de mettre en évidence un phénomène douteux au lacher de volant en ligne droite, le véhicule se déportant fortement à droite (…). Par ailleurs, l’état des freins avant et arrière nous permet d’émettre des doutes sur le sérieux de la préparation à la vente réalisée par l’établissement vendeur sur ce véhicule, les disques de freins étant hors cotes à l’avant et les plaquettes arrière au témoin, alors que M. [C] n’a parcouru que 1000 km depuis l’achat (…).
En conséquence, nous pensons nous trouver en présence d’une situation qui nous autorise à confirmer que tous ces défauts sont antérieurs à la vente (problème de tenue de route signalé sur la facture n° 42/1810/100041 – PORSCHE [Localité 7] du 09/10/2018 à 103345 km) et qui rendent ce véhicule impropre à l’usage auquel il était destiné, engageant ainsi la responsabilité du vendeur professionnel ».
L’expert judiciaire désigné par le président du tribunal judiciaire d’Orléans relève dans son rapport que « le véhicule comporte un défaut existant au jour de la vente relatif à sa tenue de route et signalé au préalable par le garage PORSCHE DISTRIBUTION à la SARL PARIS AUTO CLUB qui n’a pas donné suite et a vendu le véhicule tel quel. Il convenait d’investiguer avant la vente et de résoudre ce symptôme par des contrôles et des mesures indispensables ». Il précise ensuite que le défaut était « non perceptible par un acheteur profane en la matière tel que Mr [C] » et rendait le véhicule « impropre à sa destination compte-tenu de la nécessité de procéder à une intervention immédiate et qu’il s’agit d’un organe de sécurité ».
Quant aux freins, l’expert judiciaire relève que « l’usure hors côte des disques de freins avant aurait dû faire l’objet d’un défaut notifié sur le procès-verbal de contrôle technique du 04 octobre 2018 » et que « le défaut prévisible est le suivant : (…) Usure prononcée/détérioration (AVD, AVG) ». Il précise que « le procès-verbal du 04 octobre 2018 ne met pas en évidence une usure importante des disques, ce qui démontre que Mr [C] n’a pas été informé de cette usure avancée ». Le tribunal relève que l’expert n’a pas décelé d’usure sur les plaquettes de freins avant et arrière, leurs conditions étant « bonnes ».
Il résulte de ces éléments qu’au jour de la vente, le véhicule PORSCHE litigieux présentait des défauts affectant sa tenue de route et ses disques de frein, qui constituaient des vices cachés au sens de l’article 1641 précité dans la mesure où ils mettaient en cause sa sécurité, et partant, le rendaient impropre à sa destination. Ces vices n’étaient pas décelables par M. [C], acheteur profane. A cet égard, le fait que celui-ci ait récupéré le véhicule sur un plateau le jour de sa livraison ne permet pas de déduire, comme le fait la SARL Paris Auto Club, qu’il avait connaissance du défaut affectant la tenue de cap du véhicule. De même, à supposer que l’acheteur ait été destinataire de la facture du 9 octobre 2018, ce qui n’est pas démontré par la SARL Paris Auto Club, la mention du garagiste est à elle seule, insuffisante, pour considérer que ce défaut était apparent et lui était connu. S’agissant de l’usure prononcée des disques de freins avant, il n’est pas démontré que M. [C] en ait eu connaissance, ce défaut n’ayant pas été relevé par le contrôle technique obligatoire.
Contrairement à ce que les demandeurs indiquent aux termes de leur note en délibéré, le vendeur doit répondre du vice, même si celui-ci était indécelable, étant précisé que le vendeur professionnel est réputé, de par cette qualité même, connaître les vices de la chose.
Dans ce contexte, les désordres affectant la tenue de route et les disques de frein, pour lesquels les époux [C] sollicitent indemnisation, constituent effectivement des vices cachés ouvrant droit à une garantie légale, exclusive de toute action en responsabilité contractuelle. Les demandes formées au titre de ces désordres par les époux [C] ne sauraient donc être accueillies.
Enfin, les demandeurs ne peuvent pas faire grief au vendeur de ne pas avoir vérifié les plaquettes de freins dès lors que l’expert ne décèle aucune usure sur ces pièces.
Dans ces conditions, les époux [C] seront déboutés de leur demande tendant à voir condamner la SARL Paris Auto Club à leur payer :
- la somme de 4.904,72 euros au titre des réparations à faire sur le véhicule ;
- la somme de 7.993,27 euros au titre du remboursement des factures réglées par eux ;
- la somme de 10 euros par jour à compter du 20 mars 2019 au titre de l’immobilisation du véhicule jusqu’au jour de la décision à intervenir.
Sur la garantie de la SA AXERIA IARD
Au vu du sens de la présente décision, la demande de garantie formée à l’encontre la SA AXERIA IARD et portant sur l’ensemble des condamnation prononcées à l’encontre de la SARL Paris Auto Club, y compris s’agissant des frais irrépétibles et des dépens, sera rejetée, étant devenue sans objet.
Sur les demandes accessoires
Sur les dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie. En l’espèce, les époux [C], parties perdantes, seront condamnés aux dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire.
Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation. En l’espèce, il n’est pas inéquitable au regard de la situation respective des parties de laisser à chacune d’elles la charge de ses frais irrépétibles.
Sur l’exécution provisoire
Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable aux instances engagées à compter du 1er janvier 2020, « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement ». En l’espèce, il n’y a pas lieu de l’écarter.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe :
DEBOUTE M. [R] [C] et Mme [J] [Z] de leur demande tendant à voir condamner la SARL Paris Auto Club, représentée par la société d’exercice libéral à forme anonyme Mandataires Judiciaires associés, prise en la personne de Maître [K], à leur payer les sommes suivantes :
- 4.904,72 euros au titre des réparations à faire sur le véhicule ;
- 7.993,27 euros au titre du remboursement des factures réglées par eux ;
- 10 euros par jour à compter du 20 mars 2019 au titre de l’immobilisation du véhicule jusqu’au jour de la décision à intervenir ;
DEBOUTE M. [R] [C] et Mme [J] [Z] de leur demande tendant à voir condamner la SA AXERIA IARD à garantir l’ensemble des condamnations prononcées à l’encontre de la SARL Paris Auto Club représentée par la société d’exercice libéral à forme anonyme Mandataires Judiciaires associés, prise en la personne de Maître [K] ;
DEBOUTE M. [R] [C] et Mme [J] [Z] de leur demande tendant à voir condamner la SARL Paris Auto Club représentée par la société d’exercice libéral à forme anonyme Mandataires Judiciaires associés, prise en la personne de Maître [K] à leur payer la somme de 5.971,31 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE M. [R] [C] et Mme [J] [Z] de leur demande tendant à voir condamner la SA AXERIA IARD à leur payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SARL Paris Auto Club représentée par la société d’exercice libéral à forme anonyme Mandataires Judiciaires associés, prise en la personne de Maître [K] de sa demande tendant à voir condamner M. [R] [C] et Mme [J] [Z] à lui payer la somme de 3.000 au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SA AXERIA IARD de sa demande tendant à voir condamner M. [R] [C] et Mme [J] [Z] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [R] [C] et Mme [J] [Z] aux entiers dépens de l’instance, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires qui ont été reprises dans l’exposé du litige.
Fait et jugé à Paris le 02 Juillet 2024.
Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE