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02/07/2024 | FRANCE | N°21/10335

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 6ème chambre 1ère section, 02 juillet 2024, 21/10335


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




6ème chambre 1ère section

N° RG 21/10335 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CU67C

N° MINUTE :




Assignation du :
10 août 2021




JUGEMENT
rendu le 02 juillet 2024
DEMANDERESSE

Compagnie d’assurance AXA FRANCE IARD
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Maître Samia DIDI MOULAI de la SELAS CHETIVAUX-SIMON Société d’Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0675









DÉFENDERESSES

S.A.S. EIFFAGE CONSTRUCTION EQUIPEMENTS
[Adresse 3]
[Localité 9]

représentée par Maïtre Béatrice NICOLAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1541

Décision du...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

6ème chambre 1ère section

N° RG 21/10335 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CU67C

N° MINUTE :

Assignation du :
10 août 2021

JUGEMENT
rendu le 02 juillet 2024
DEMANDERESSE

Compagnie d’assurance AXA FRANCE IARD
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Maître Samia DIDI MOULAI de la SELAS CHETIVAUX-SIMON Société d’Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0675

DÉFENDERESSES

S.A.S. EIFFAGE CONSTRUCTION EQUIPEMENTS
[Adresse 3]
[Localité 9]

représentée par Maïtre Béatrice NICOLAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1541

Décision du 02 juillet 2024
6ème chambre 1ère section
N° RG 21/10335 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CU67C

Société SOLOTRAT
[Adresse 2]
[Localité 7]

représentée par Maïtre Florence CASANOVA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0232

S.A SMABTP
[Adresse 8]
[Localité 6]

représentée par Maître Jean-Pierre COTTE de la SELEURL Jean-Pierre Cotté Avocat, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0197

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Céline MECHIN, vice-président
Marie PAPART, vice-président
Clément DELSOL, juge

assistée de Catherine DEHIER, greffier,

DÉBATS

A l’audience du 29 mai 2024 tenue en audience publique devant Clément DELSOL, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Contradictoire
en premier ressort
Décision publique
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Céline MECHIN, président et par Catherine DEHIER greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******************

La société Nael Immobilière a procédé, en qualité de maître d'ouvrage, à des travaux de rénovation de l’immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 10].
La réception de ces travaux est intervenue le 18 juin 2019.

En parallèle, la société Auger Hoche a entrepris, en qualité de maître d'ouvrage, la destruction puis la réédification d'un immeuble sur la parcelle contiguë sise [Adresse 1] à [Localité 10].

Sont notamment intervenues à l'acte de construire:
la société Eiffage Construction Équipement (ci-après Eiffage), assurée auprès de la Smabtp, en charge du lot « démolition, terrassement, gros-oeuvre » ;
la société Solotrat, assurée auprès de la Smabtp, en qualité de sous-traitante de la société Eiffage pour la réalisation des travaux de terrassement et voiles par passe.

Préalablement au démarrage des travaux, par ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 20 novembre 2018 sur assignations délivrées par la société Auger Hoche, cette juridiction a désigné Monsieur [L] en qualité d'expert judiciaire avec une mission classique en matière de référé préventif.

Après constats in situ les 11 décembre 2018 et 7 mars 2019, Monsieur [L] a établi un pré-rapport en date du 19 mars 2019. Le 02 juillet 2019, l'expert judiciaire s'est déplacé dans les locaux de la société Nael Immobilière, qui avait signalé l'apparition de fissures consécutives aux travaux de sous-œuvre entrepris par la société Auger Hoche. Après plusieurs accédits au cours desquels il a été procédé au constat des désordres dénoncés par la société Nael Immobilière, Monsieur [L] a remis un pré-rapport le 04 mai 2020.

Par actes d'huissier délivrés le 04 et 05 août 2020, la société Nael Immobilière a fait citer les sociétés Auger Hoche, Smabtp, Eiffage Construction et Solotrat devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de versement d'une indemnité provisionnelle à valoir sur ses préjudices.

Par acte d'huissier délivrés du 08 septembre 2020, la société Nael Immobilière a fait citer la société Axa France Iard en qualité d'assureur de la société Auger Hoche devant le même juge.

Ces affaires ont été jointes par mentions aux dossiers le 21 octobre 2020.

L’expert judiciaire a notamment constaté des fissurations dans l’immeuble contigu et a déposé son rapport définitif le 27 juillet 2021.

Par ordonnance du 13 janvier 2021, le juge des référés a statué ainsi :
« DECLARONS RECEVABLE la pièce n°9 communiquée à l'audience par la SARL NAEL IMMOBILIERE ;
RECEVONS l'intervention volontaire de la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION EQUIPEMENTS ;
CONDAMNONS in solidum la SCI AUGER HOCHE, la SA AXA FRANCE, la SAS SOLOTRAT et la SMABTP à payer à la SARL NAEL IMMOBILIERE une provision d'un montant de 20.767,20 euros TTC à valoir sur son préjudice;
DECLARONS la SA AXA FRANCE et la SMABTP bien-fondées à opposer leurs limites de garantie et franchises ;
DISONS n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes principales de la SARL NAEL IMMOBILIERE ;
DISONS n'y avoir lieu à référé sur les appels en garantie ;
CONDAMNONS in solidum la SCI AUGER HOCHE, la SA AXA FRANCE, la SAS SOLOTRAT et la SMABTP à payer à la SARL NAEL IMMOBILIERE la somme totale de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNONS in solidum la SCI AUGER HOCHE, la SA AXA FRANCE, la SAS SOLOTRAT et la SMABTP aux dépens ;
REJETONS le surplus des demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DISONS n'y avoir lieu à référé sur toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;
RAPPELONS l'exécution provisoire de la présente décision. »

Par actes d’huissier de justice délivrés les 10 et 11 août 2021, la société Axa France Iard a fait citer les sociétés Eiffage Construction Équipements, Solotrat et Smabtp prise en qualité d’assureur des deux précédentes devant le tribunal judiciaire de Paris. Elle sollicitait leur condamnation in solidum à lui payer 25 956,25 € en exécution de l’ordonnance du 13 janvier 2021 et 5 000,00 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu’au paiement des dépens dont distraction à son conseil.

Par conclusions en réponse notifiées par voie électronique le 24 mars 2023, la société Axa France Iard forme les prétentions suivantes :
« Vu la théorie du trouble anormal de voisinage et à titre subsidiaire, les articles 1231-1 et 1240 du Code civil,
Vu les articles L.121-12 du Code des assurances et L.124-3 du Code des assurances,
Vu les articles 1231-7 et 1343 du Code civil,
Vu la note de synthèse et le rapport déposés par Monsieur [L],
CONDAMNER in solidum la société EIFFAGE CONSTRUCTION EQUIPEMENT, la société SOLOTRAT et leur assureur commun la SMABTP à rembourser à la compagnie AXA FRANCE IARD la somme 25.956, 25 € payée en exécution de l’ordonnance du 13 janvier 2021, tant en principal intérêts et frais, avec capitalisation de ces intérêts.
Vu les articles 699 et 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNER in solidum la société EIFFAGE CONSTRUCTION EQUIPEMENT, la société SOLOTRAT et leur assureur commun la SMABTP, à verser à la compagnie AXA FRANCE IARD la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens dont le montant pourra être recouvré par Maître Samia DIDI MOULAI de la SELAS CHETIVAUX SIMON. »

Par conclusions en défense n°2 notifiées par voie électronique le 12 septembre 2023, la Société Eiffage Construction Équipements forme les prétentions suivantes :
« Vu la théorie des troubles anormaux de voisinage,
Vu les articles 1193 et suivants du code civil,
Vu l'article 1231-1 du code civil,
Vu l’article 1231-7 du code civil,
Vu l'article 1310 du code civil,
Vu l’article L. 124-3 du code des assurances,
Vu les pièces produites au débat,
Il est demandé au Tribunal Judiciaire de PARIS, de :
A titre principal,
PRONONCER la mise hors de cause de la Société Eiffage Construction Équipements,
DEBOUTER en conséquence la compagnie AXA FRANCE IARD de l’intégralité de ses demandes formulées à l’encontre de Société Eiffage Construction Équipements,
CONDAMNER la compagnie AXA FRANCE IARD à une amende civile sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire,
Si par extraordinaire, le Tribunal retenait la responsabilité de la Société Eiffage Construction Équipements,
LIMITER le montant de la condamnation à l’encontre de la Société Eiffage Construction Équipements, à la somme de 5.159,45 € TTC,
En toute hypothèse, CONDAMNER solidairement et à défaut in solidum la Société SOLOTRAT et la SMABTP prise en qualité d'assureur de la Société SOLOTRAT, à relever et garantir intégralement la Société Eiffage Construction Équipements de toutes condamnations en principal, intérêts, capitalisation, frais et accessoires qui pourraient être prononcées à son encontre,
En toute hypothèse,
Sur le fondement des articles 695 à 700 du code de procédure civile,
CONDAMNER la compagnie AXA FRANCE IARD ou tout succombant à verser à la Société Eiffage Construction Équipements, la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens. »

Par conclusions en réponse notifiées par voie électronique le 17 septembre 2023, la société Solotrat forme les prétentions suivantes :
« Vu l’article 1240 du code Civil
Vu l'article 1231-1 du code Civil,
Vu l’article 488 du code de Procédure Civile,
Il est demandé au Tribunal Judiciaire de Paris de :
Recevoir la société SOLOTRAT en ses conclusions,
Débouter la société AXA FRANCE IARD ou tout appelant en garantie de ses demandes formées à l’encontre de la société SOLOTRAT,
A titre subsidiaire,
Condamner la société EIFFAGE CONSTRUCTION EQUIPEMENTS à relever et garantir la société SOLOTRAT de toutes condamnations en principal, frais, intérêts et accessoires susceptibles d’être prononcées à son encontre,
En tout état de cause,
Condamner la demanderesse à verser à la société SOLOTRAT, es qualité, la somme de 1.500€ au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, outre les dépens de l’instance,
Condamner la demanderesse à verser au paiement des entiers dépens de l’instance.»

Par conclusions en défense notifiées par voie électronique le 09 septembre 2023, la Smabtp forme les prétentions suivantes :
« Vu les pièces,
Vu la jurisprudence constante en la matière,
Il est demandé au Tribunal judiciaire de Paris de :
JUGER opposable aux tiers les clauses, franchises et plafonds de garantie de la police d’EIFFAGE CONSTRUCTION EQUIPEMENTS n°404563H1209.0001/330627 ;
JUGER opposable aux tiers les clauses, franchises et plafonds de garantie de la police de SOLOTRAT, n°4908003
Par conséquent,
DEBOUTER la Compagnie AXA FRANCE IARD, ou tout autre appelant en garantie de leurs demandes portées à l’encontre de la SMABTP, ès qualités d’assureur de la Société EIFFAGE CONSTRUCTION EQUIPEMENTS, dès lors que la franchise opposable est d’un montant de 80.000 euros, soit une somme supérieure aux montants sollicités par la demanderesse ;
DEBOUTER la Compagnie AXA FRANCE IARD, de sa demande portée à hauteur de 25.956,25 € TTC, ce montant n’étant pas justifié au regard du caractère disproportionné du devis validé par l’Expert judiciaire ;
EXCLURE toute condamnation in solidum de la SMABTP, ès qualités d’assureur de la Société EIFFAGE CONSTRUCTION EQUIPEMENTS et de la Société SOLOTRAT avec la Société SOLOTRAT et la Société EIFFAGE CONSTRUCTION EQUIPEMENTS ;
LIMITER la demande de la Compagnie AXA FRANCE IARD à hauteur de 4.008,08 € HT, en application du seul devis de SO DE TER permettant de raisonnablement mettre fin aux désordres sans créer d’amélioration de l’ouvrage ;
LIMITER la condamnation de la SMABTP, ès qualités d’assureur de la Société SOLOTRAT, à la part d’imputabilité retenue à l’encontre de la Société SOLOTRAT, après déduction du montant de franchise de 764 €.
CONDAMNER la Compagnie AXA FRANCE IARD à payer à la SMABTP la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, dont distraction au profit de Me Jean-Pierre COTTE, Avocat aux offres de droit. »

Pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à la lecture de leurs écritures en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture date du 22 janvier 2024.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de préciser que les demandes des parties tendant à voire « dire et juger » ou « constater » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions des articles 4 et 30 du code de procédure civile dès lors qu'elles ne confèrent pas de droit spécifique à la partie qui en fait la demande. Elles ne feront alors pas l'objet d'une mention au dispositif.

I. La demande de mise hors de cause de la société Eiffage

L’article 5 du code de procédure civile dispose que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

En l’espèce, la société Axa France Iard et la société Solotrat ont respectivement maintenu des prétentions contre la société Eiffage dans leurs dernières écritures, ceci de telle sorte que celle-ci ne peut pas valablement être mise hors de cause.

En conséquence, la société Eiffage est déboutée de sa demande de mise hors de cause.

II. La demande en paiement de la société Axa France Iard

La société Axa France Iard se fonde sur les dispositions des articles L121-12 du code des assurances et 1346 du code civil.

L'article L 121-12 du code des assurances prévoit que l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.

En l’espèce, la société Axa France Iard verse aux débats les conditions particulières du « contrat d’assurance responsabilité civile maître de l’ouvrage » n°10466586404 par lequel elle assure l’opération immobilière ayant pour objet la réhabilitation de la halle C du [Adresse 1] à [Localité 10] pour un coût prévisionnel de 7 464 672,00 € Ht.

a. La matérialité du désordre

En l’espèce, aucune partie ne conteste la matérialité du désordre survenu en cours de chantier tel que constaté par l’expert en pages 16 à 36 du rapport d’expertise judiciaire et notamment ceux relevés dans sa note de synthèse:
Dans le lot 4, bâtiment B : Au sous-sol : Fissure en cueillie du plafond Fissure dans le refend Fissure dans le deuxième joint de carrelage en partant du mur Décollement de la plinthe sur mur contre chantier Au rez-de-chaussée : Fissures en cueillies de la cage d'escalier Fissure entre mur en moellon tête de mur du sous-sol 7 Décollement de plinthe sur 2 mètres de long Dans le lot 5, bâtiment B : Au sous-sol : Fissure verticale en cueillie Fissure du joint de carrelage à 90 cm du mur côté chantier Décollement de plinthe Fissure en cueillie côté B6 Dans la buanderie du sous-sol : Fissures en cueillies de la cage d'escalier Fissure du carrelage le long du mur côté chantier Plinthe cassée en pied de mur côté B6 Fissure horizontale en tête de mur sous escalier Dans le lot 6, bâtiment B : Au sous-sol, côté B5 : Fissure entre carrelage et mur moellons Fissure en cueillie Au sous-sol, côté opposé (p. 14) : Fissure entre carrelage et mur en moellons Décollement de la cloison contre le poteau en briques.Ainsi, la matérialité du désordre survenu en cours de chantier est établie.

b. Les responsabilités

En l’espèce, en page 41 du rapport d’expertise judiciaire, l’expert indique que les désordres sont la conséquence d'une décompression ponctuelle des sols sous-jacents au sein desquels Eiffage a découvert une anomalie, à l'occasion de ses terrassements ; qu’il s'agit d'un vide à l'aplomb de la propriété de Nael Immobilier, affleurant le long de la limite de propriété ; que dans le bref intervalle entre la découverte de cette anomalie et son comblement, « les ouvrages porteurs de l'immeuble existant se sont légèrement affaissés, créant les fissures et décollement de carrelage constatés principalement au sous-sol des appartements 4 et 5 » ; et qu’ensuite « des tassements complémentaires se sont produits suivant un phénomène connu sous le terme de « prise d'assiette», engendrant alors une microfissuration dans quelques ouvrages périphériques à l'épicentre de l'incident ».

Il conclut que le désordre constitue un incident de chantier, sans faute, dont la responsabilité incombe aux constructeurs, principalement Eiffage et son sous-traitant Solotrat qui a effectué les terrassements au cours desquels une cavité a été éventrée.

Les sociétés Eiffage et Solotrat ne contestent pas plus leur intervention dans le cadre des opérations de construction du [Adresse 1] à [Localité 10] respectivement en qualité de titulaire du lot « démolition, terrassement, gros œuvre » et de sous-traitante pour la réalisation des travaux de terrassement et voiles par passe.

Par ailleurs, le moyen de défense opposé par la société Eiffage et correspondant à l’absence d’intervention au titre des travaux de terrassement à l’origine du désordre, ceux-ci ayant été intégralement sous-traités à la société Solotrat est pertinent en ce qu’il exclut toute contribution du titulaire du marché dans la survenance du désordre.

S’agissant de la société Solotrat, elle n’oppose aucun moyen de défense sur le principe de sa responsabilité, la prétention aux fins de rejet qu’elle forme ayant pour objet l’évaluation du préjudice.

Il convient de déduire de l’intégralité de ces éléments qu’en l’absence d’intervention de la société Solotrat dans le cadre de ce chantier, aucun désordre ne serait survenu ; que celle-ci n’a pas utilisé tous les moyens à sa disposition pour détecter une quelconque anomalie de la structure et qu’elle a ainsi accepté le support d’intervention, que le sous-traitant était tenu d’exécuter les travaux dans les règles de l’art et dans le respect de l’intégrité de la structure et du support.

En conséquence, la responsabilité de la société Solotrat est engagée. En revanche, la société Axa France Iard est déboutée des prétentions formées contre la société Eiffage et la Smabtp prise uniquement en qualité d’assureur de celle-ci.

c. Le montant du préjudice

En l’espèce, par ordonnance du 13 janvier 2021, le juge des référés a notamment statué ainsi :

« CONDAMNONS in solidum la SCI AUGER HOCHE, la SA AXA FRANCE, la SAS SOLOTRAT et la SMABTP à payer à la SARL NAEL IMMOBILIERE une provision d'un montant de 20.767,20 euros TTC à valoir sur son préjudice ;
CONDAMNONS in solidum la SCI AUGER HOCHE, la SA AXA FRANCE, la SAS SOLOTRAT et la SMABTP à payer à la SARL NAEL IMMOBILIERE la somme totale de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. »

En page n°37 du rapport d’expertise judiciaire, l’expert judiciaire estime le préjudice correspondant au coût des travaux de reprise à 17 306,00 € Ht soit 20 767,20 € Ttc.

A ce titre, si la nature des travaux réparatoires n’est pas contestée, les sociétés Solotrat et Smabtp contestent le montant du préjudice en ce que l’expert judiciaire aurait réalisé ses travaux en émettant des réserves quant à sa capacité d'appréciation des quantités du fait de l'absence de communication des plans de l'immeuble de la société Nael Immobilière d’une part et en écartant certains devis qu’il qualifie de partiaux.

Or, le moyen tiré de l’absence de prise en considération du devis qu’aurait soumis la société Solotrat n’est pas pertinent en ce que ce devis n’est pas produit aux débats et que l’expert a expressément indiqué dans ses travaux que la société Solotrat a proposé de réparer « à bon compte » sans que cela ne corresponde à des prestations précises.

De plus, le moyen de défense tiré de l’absence de communication des plans de l’immeuble de la société Nael Immobilière n’est pas plus pertinent en ce que l’expert a toutefois procédé à une évaluation du coût des travaux sur la base de divers devis produits et qu’aucun locateur ou assureur n’a soulevé de difficulté en cours d’expertise ou devant le juge des référés pour obtenir la communication de cette pièce.

Enfin, le moyen tiré de l’exclusion par l’expert de certains devis ne peut pas plus prospérer dans la mesure où celui-ci a expressément respecté le principe du contradictoire et motivé ses choix en procédant à une évaluation du coût des travaux sur la base de divers devis produits, dont il a relevé un caractère partisan et qu'il a ajusté en conséquence au regard de ses propres informations et estimations, en sorte que le montant de réparations retenu (17 306€ HT, soit 20 767,20€ TTC) fruit de cette analyse, n'apparaît pas aussi contestable que le présentent les défendeurs, qui n'apportent au demeurant aucun élément technique à même de contredire ces conclusions. Plus précisément, celui-ci précise que les devis de la société Eiffage n’ont pas été réalisés dans des conditions optimales dans la mesure où elle ne s’est pas déplacée sur les lieux ; que le devis de la société Prodeco est une reproduction matérielle fidèle du devis de la société Sam y compris s’agissant des fautes d’orthographe ceci démontrant une absence d’appréciation des données factuelles relatives aux besoins du chantier ; que le devis de la société So De ter n’est pas pertinent en ce qu’il prévoit une durée d’intervention manifestement inadéquate avec les objectifs à atteindre et que le devis de la société Sam de 530H de main d’œuvre sur la base d’un prix unitaire de 35 € après déduction des fournitures est adapté.
Si les devis ne sont pas produits en procédure, l’expert les a intégralement reproduits en pages n°38 et 39 du rapport d’expertise judiciaire.

Ainsi le préjudice correspondant au coût des travaux de reprise est fixé à 20 767,20 € Ttc.

Par ailleurs, la société Axa France Iard produit en pièce n°5 un décompte des sommes versées en exécution de l’ordonnance de référé susvisée faisant apparaître un montant total de 25 956,25 € intégrant ainsi la condamnation à payer 3 500,00 € au titre des frais irrépétibles et 1 689,05 € au titre des dépens comprenant les frais d’assignation, de signification, les intérêts, droits de recouvrements et frais annexes qui ne sont pas contestés par les défendeurs.

En conséquence, le montant total du préjudice est de 25 956,25 €, aucune partie à l’instance ne contestant le versement effectif de cette somme en exécution de l’ordonnance de référé.

d. La garantie de la Smabtp en qualité d’assureur de Solotrat

En l’espèce, la Smabtp produit en pièce n°2 les conditions particulières Amatec 81 du contrat souscrit par la société Solotrat prenant effet le 19 mars 1997 lequel stipule en première page une franchise correspondant à « 4 statutaires ».

D’une part, la Smabtp indique que le montant de la franchise statutaire unitaire est de 191 €, soit un total applicable dans le cas présent de 764 €.

D’autre part, la société Axa France Iard ne conclut pas pour contester l’opposabilité, le principe ou le montant de cette franchise, s’agissant d’une garantie non obligatoire.

En conséquence, la société Axa France Iard est fondée à agir directement contre la Smabtp prise en qualité d’assureur de Solotrat, celle-ci pouvant opposer sa franchise de 764 €.

***
Il convient donc de condamner la société Solotrat à payer à la société Axa France Iard 25 956,25 € in solidum avec la Smabtp à hauteur de 25 194,25 € (25 956,25 – 762) après déduction de la franchise opposable.

La société Solotrat est déboutée de l’appel en garantie formé contre Eiffage dans la mesure où la responsabilité de celle-ci dans la survenance du désordre a été préalablement écartée.

III. La demande formée au titre du recours abusif

L’exercice d’un droit peut dégénérer en abus ouvrant droit à la réparation du préjudice réparable dont il est la cause s’il est notamment démontré l’intention de nuire ou son absence d’utilité.

En l’espèce, la société Eiffage affirme de manière péremptoire que l’action formée contre elle par l’assureur Axa France Iard est abusive.

Or, force est de constater que la société Eiffage a bel et bien participé aux opérations de construction et était titulaire du lot dont les travaux d’exécution sont à l’origine du désordre, ceci de telle sorte qu’elle a exercé une action en justice sans faire preuve de témérité, quand bien même celle-ci échoue dans son recours.

De manière surabondante, la société Eiffage ne forme aucune demande déterminée.

En conséquence, la société Eiffage est déboutée de sa demande.

IV. Les décisions de fin de jugement

a. Les intérêts et la capitalisation des intérêts

Les intérêts sur les sommes dues, ne courent qu’à compter du présent jugement, qui seul détermine le principe et le montant de la créance, l’article 1231-6 du code civil n’étant applicable que dans l’hypothèse où le principe et le montant de la créance résultent de la loi ou du contrat.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément à l’article 1343-2 du code civil.

b. Les dépens

L’article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Les sociétés Solotrat et Smabtp succombent et sont condamnées in solidum aux dépens.

Le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile est accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.

c. Les frais irrépétibles

L’article 700 1° du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Les sociétés Solotrat et Smabtp succombent et sont condamnées in solidum aux dépens.

L’équité commande donc de les condamner in solidum à payer 3 000,00 € à la société Axa France Iard et 3 000,00 € à la société Eiffage au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

d. L’exécution provisoire

En application des dispositions de l’article 514 du code de procédure civile. l’exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal judiciaire statuant après débat en audience publique par jugement contradictoire en premier ressort et mis à disposition au greffe,

CONDAMNE la société Solotrat à payer à la société Axa France Iard 25 956,25 € in solidum avec la Smabtp à hauteur de 25 194,25 € après déduction de la franchise opposable ;

DÉBOUTE les sociétés Axa France Iard et Solotrat des prétentions formées contre la société Eiffage ;

DÉBOUTE la société Eiffage de l’intégralité de ses prétentions ;

DIT que les intérêts sur les sommes dues courent à compter du présent jugement ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Solotrat et Smabtp aux dépens ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Solotrat et Smabtp à payer 3 000,00 € à la société Axa France Iard et 3 000,00 € à la société Eiffage au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

ADMET les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit ;

Fait et jugé à Paris le 02 juillet 2024

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 6ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/10335
Date de la décision : 02/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-02;21.10335 ?
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