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28/06/2024 | FRANCE | N°23/05932

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 2ème section, 28 juin 2024, 23/05932


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS



3ème chambre
2ème section


N° RG 23/05932
N° Portalis 352J-W-B7H-CZODE

N° MINUTE :


Assignation du :
29 mars 2023















JUGEMENT
rendu le 28 juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. SUCRE SALE
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentées par Maître Jean-marie LEGER de la SELEURL LEGI-ART, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #D2159

DÉFENDERESSE

S.A.S. LE PETIT GOURMET TRAITEUR
[Adresse 1]
[Localité 3]>
représentées par Maître Christophe BORÉ de la SELARL A.K.P.R., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire #PC19












Copies délivrées le :
- Maître LEGER #D2159 (exécutoire)
- Maître BORÉ #PC1...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section


N° RG 23/05932
N° Portalis 352J-W-B7H-CZODE

N° MINUTE :

Assignation du :
29 mars 2023

JUGEMENT
rendu le 28 juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. SUCRE SALE
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentées par Maître Jean-marie LEGER de la SELEURL LEGI-ART, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #D2159

DÉFENDERESSE

S.A.S. LE PETIT GOURMET TRAITEUR
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentées par Maître Christophe BORÉ de la SELARL A.K.P.R., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire #PC19

Copies délivrées le :
- Maître LEGER #D2159 (exécutoire)
- Maître BORÉ #PC19 (ccc)

Décision du 28 Juin 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 23/05932 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZODE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Vera ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Quentin CURABET, greffier

DEBATS

A l’audience du 05 Avril 2024 tenue en audience publique, avis à été donné aux avocats que la décision serait rendue le 21 Juin 2024 puis prorogé au 28 juin 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

1. La société SUCRÉ SALÉ exploite une banque de photographies culinaires, proposées sur le site www.photocuisine.fr , pour lesquelles elle délivre des autorisations d'utilisation moyennant le règlement de redevances.

2. Ayant constaté que des photographies dont elle détient les droits d'exploitation étaient utilisées sans autorisation sur le site https://lepetitgourmet.fr dont l'éditeur est la société LE PETIT GOURMET TRAITEUR, elle a demandé à celle-ci par courriels, puis par courrier recommandé du 31 mai 2022, de cesser ses agissements.

3. En l'absence de réponse et par assignation signifiée le 29 mars 2023, la Société SUCRÉ SALÉ a saisi le tribunal judiciaire de Paris, principalement pour contrefaçon de ses droits d'auteur.

4. Au terme de ses conclusions en date du 29 septembre 2023, elle a sollicité :
- de condamner la société LE PETIT GOURMET TRAITEUR pour contrefaçon de ses droits d'auteur sur les photographies n° 60036517, 60185712, 60185711 et 60185709 ;
- subsidiairement pour comportement fautif engageant sa responsabilité civile, au paiement de la somme de 14800 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux et 4500 euros au titre de son préjudice moral ;
- de la condamner au paiement des sommes de 3000 euros pour résistance abusive et de 10 000 euros en application de l'article 700, ainsi qu'aux dépens.

5. La société SUCRÉ SALÉ soutient que chacune des photographies est le résultat d'un effort créatif, révélant la personnalité de son auteur. Sur la faute reprochée à la société LE PETIT GOURMET TRAITEUR, elle soutient que celle-ci a tiré profit de ses investissements et réalisé des économies injustifiées. La société SUCRÉ SALÉ fait valoir qu'il aurait également été porté atteinte à son droit de propriété, sur ces photographies, dès lors que la défenderesse se serait intégralement appropriée le fichier en procédant à une copie, à l'identique, du fichier numérique correspondant. Elle fait valoir qu'elle s'est abstenue de recourir à un constat d'huissier pour établir l'exploitation illicite des photographies, en raison du coût de la mesure et compte tenu du caractère à son sens probant des captures d'écran. Elle soutient que les pertes subies, le trouble commercial créé et le dommage résultant de la banalisation de ces photographies, doivent être indemnisés.

6. En réponse et par conclusions signifiées le 11 octobre 2023, la société LE PETIT GOURMET TRAITEUR a sollicité le débouté de l'intégralité des demandes adverses et la condamnation de la demanderesse au paiement de la somme de 3000 euros en application de l'article 700 et aux dépens.

7. Selon elle, la société SUCRÉ SALÉ ne justifie pas qu'elle ait exploité de manière illicite, ces photographies. Elle fait valoir que les captures d'écran produites par la demanderesse sont dénuées en l'espèce de force probante. En tout état de cause, les sommes demandées au titre de la réparation des préjudices allégués seraient disproportionnées.

Une ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

I. Sur les droits d'auteur

8. L'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu'elle est originale, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. L'originalité de l'œuvre, qu'il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu'elle soit issue d'un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur, lesquels peuvent résider dans les couleurs, dessins, formes, matières ou ornements, mais également dans la combinaison originale d'éléments connus.

9. Selon son article L112-2, (…) 9° " sont considérées comme œuvres de l'esprit au sens du présent code, les œuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie ; (…) ".

10. La protection des photographies est subordonnée à la condition d'originalité, laquelle doit être " appréciée dans son ensemble au regard des différents éléments qui la composent, pris en leur combinaison " (cf Ccas, 1ère ch. civ., 12 septembre 2018, pourvoi n°17-18.390).

11. Il appartient au demandeur à l'action en contrefaçon d'une photographie de définir de façon précise ce qui caractérise l'originalité de sa photographie et de dire où se trouve l'empreinte de sa personnalité.

12. Cette originalité peut résulter tant du sujet et de sa mise en scène, du cadrage, de la lumière et de la prise de la vue, que des conditions de tirage de la photographie.

13. En l'espèce, la photographie 600636517 est ainsi décrite par la société SUCRÉ SALÉ :

" Au stade préparatoire, cette photographie révèle un travail de mise en scène : sur un arrière-plan en dégradé de violet, posé sur deux assiettes d'une belle couleur orange, on découvre dans son écrin rouge un somptueux tajine de poulet. L'abondance, les couleurs, cet écrin, tout est ici raffiné à l'exemple de la nappe, que l'on distingue en bas à gauche, à carreaux rouge et violet, écho aux autres couleurs du décor. Au stade de la prise de vue, le photographe a choisi un cadrage permettant de distinguer le couvercle conique en terre cuite rouge recouvrant la moitié du tajine. La lumière vient de la gauche et du fond. Elle met en valeur les pilons de poulet et la belle couleur brillante des pruneaux ainsi que l'accumulation des plats qui ajoute à l'abondance du plat ".

14. Toutefois cette photographie représente un tajine de poulet, plat traditionnel d'Afrique du Nord, présenté dans un plat en terre cuite du même nom à couvercle conique, (soit dans le plat qui lui est habituellement dédié) dans un coloris d'ensemble brun orangé, évoquant là aussi de manière classique, la cuisine méditerranéenne. L'arrière-plan et la nappe sont à peine visibles, et ne peuvent contribuer à la mise en scène du plat. La photographie se borne à présenter les composants de ce plat dont le poulet et les pruneaux, qui sont mis en évidence par l'éclairage. La présentation du couvercle du plat entr'ouvert, de manière à montrer partiellement les aliments, à susciter la curiosité et à suggérer que le plat est appétissant, constitue un procédé banal de la photographie culinaire. On ne peut conclure, au regard de ces éléments, à une mise en scène créative du plat traduisant la personnalité de son auteur. L'originalité de la photographie n°600636517 n'est donc pas établie.

15. En ce qui concerne les autres photographies :

601857116018571260185709

Selon la demanderesse, leur originalité " découle de choix identiques. Au stade préparatoire, le photographe a fait le choix d'un décor dépouillé et raffiné. Les petits fours sont présentés dans une assiette rectangulaire, stylisée, d'un noir brillant, l'assiette étant posée sur une nappe de couleur brune, légèrement marbrée, sobre et élégante. Les petits fours sont positionnés de manière régulière et en alternance. Il ne s'agit pas là de les présenter en vrac ou sur un plateau classique. Ce décor vise à mettre en exergue la fraicheur, le brillant et la finesse de ces " gourmandises " afin de susciter les papilles de l'observateur. Au stade de la prise de vue, le photographe a fait le choix d'une lumière pas trop vive, suffisante toutefois pour provoquer cette brillance sur chaque petit four et, là encore, susciter l'envie. Le cadrage, en laissant un large espace à la nappe, donne à penser que les convives ne sont pas loin et que chaque plateau passera bientôt de l'autre, suscitant le désir et la perplexité : lequel choisir ? ".

16. Toutefois, il s'agit de présenter des petits fours, identiques sur deux de ces photographies, variés sur la troisième, disposés en rangées, dans une assiette rectangulaire noire, laquelle est posée sur une table recouverte d'une nappe, c'est-à-dire de façon banale pour une assiette de petits fours, dont les couleurs sont mises en évidence par contraste avec l'assiette et la nappe. L'assiette choisie pour ces petits fours, qui correspond à un plateau de présentation des desserts, tel que ceux qui sont fréquemment utilisés, n'est pas non plus originale.
Ni le cadrage, qui relève du savoir-faire technique du photographe culinaire, ni la mise en valeur des gâteaux - qui est le propre de la photo culinaire -, ici par leur brillance, ne peuvent être regardés comme étant originaux.

17. Ces quatre photographies, de facture classique, ne sauraient traduire l'empreinte de la personnalité de leurs auteurs.

18. Dès lors, la société SALÉ SUCRÉ ne peut être regardée comme étant titulaire de droits d'auteur sur ces photographies. En conséquence, elle sera déboutée de ses demandes formées au titre de la contrefaçon de droits d'auteur sur les photographies litigieuses et de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et des préjudices patrimoniaux allégués.

II. Sur le comportement fautif de la défenderesse

19. Selon l'article 1240 du code civil, " tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ".

20. Le parasitisme consiste dans le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire ( cf Ccas, 10 juillet 2018, pourvoi n°16-23.694).

21. En l'espèce, la société SUCRÉ SALÉ justifie de la cession de leurs droits patrimoniaux par les auteurs des photographies (pièces 15 et 16).

22.Elle produit deux séries de captures d'écran du site https://lepetitgourmet.fr; (pièces 6.1 et s., 17 et s.) sur lesquelles figurent les photographies litigieuses : la première datée du 17 novembre 2021 à laquelle elle a elle-même procédé et la seconde qui émane d'une base de données d'archives, Wayback Machine, les captures visées étant datées entre le 25 février 2021 et le 29 mai 2023.

23. En réponse, la société LE PETIT GOURMET TRAITEUR se borne à en contester la fiabilité, sans produire aucun élément de nature à établir que ces captures d'écran ne proviennent pas de son site internet ou que d'autres illustrations de son activité y figuraient à l'époque des captures d'écran. Il convient d'en déduire que la défenderesse a utilisé sans autorisation ni paiement les photographies litigieuses au moins 25 février 2021 et le 29 mai 2023.

24. Ces photographies représentent une valeur économique, dans la mesure où elles résultent du travail d'un professionnel, qui détient un matériel et une technique dont la mise en œuvre a un coût. Leur mise à disposition nécessite en outre l'établissement d'une base de données, ce qui justifie de la part des utilisateurs, le paiement d'une licence.

25.Dès lors, en utilisant sans autorisation ces photographies, en vue de la promotion de son activité de traiteur, la société LE PETIT GOURMET TRAITEUR s'est placée dans le sillage de la société SUCRÉ SALÉ afin de profiter de ses investissements commerciaux, humains et financiers nécessaires à son activité économique de commercialisation de licences d'utilisation de ses photographies.

26.S'agissant de l'évaluation du préjudice de la demanderesse, sur la base des tarifs des licences qu'elle propose et des frais de détection des photographies non utilisées qu'elle a dû engager, les autres frais allégués n'étant ni explicités, ni justifiés (dont les " pénalités pour défaut de crédit photo " et les " frais recouvrement sur utilisation non autorisée " pièce 8 de la demanderesse), il convient de fixer le préjudice patrimonial de la société Sucré Salé à la somme de 2000 euros.
L'atteinte à sa propriété et à son modèle économique est à l'origine d'un préjudice moral, qui sera fixé à la somme de 800 euros.

III. Sur la résistance abusive

27. La seule absence de réponse de la société LE PETIT GOURMET TRAITEUR aux courriers ou à sa proposition de règlement amiable (à 6708 euros) avant l'assignation en justice apparaissant manifestement excessive ne caractérise pas de sa part une résistance abusive.

28.La société SUCRÉ SALÉ sera en conséquence déboutée de sa demande.

IV. Sur les demandes annexes

29. La société LE PETIT GOURMET TRAITEUR, partie perdante en l'espèce, sera condamnée au paiement à la société SUCRÉ SALÉ, de la somme de 3500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal

CONDAMNE la société LE PETIT GOURMET TRAITEUR au paiement à la société SUCRÉ SALÉ, de la somme de 2 800 à titre de dommages et intérêts ;

DEBOUTE la société SUCRÉ SALÉ de ses demandes en contrefaçon de droits d'auteur et de de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

CONDAMNE la société LE PETIT GOURMET TRAITEUR au paiement à la société SUCRÉ SALÉ, de la somme de 3500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 28 Juin 2024

Le greffierLa Présidente
Quentin CURABETIrène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 23/05932
Date de la décision : 28/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-28;23.05932 ?
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