TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies exécutoires
délivrées le :
■
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 23/04246
N° Portalis 352J-W-B7H-CZOVP
N° MINUTE :
Assignation du :
18 Juillet 2022
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 27 Juin 2024
DEMANDERESSES
Association UNION NATIONALE INTERPROFESSIONNELLE POUR L'EMPLOI DANS L'INDUSTRIE ET LE COMMERCE (UNEDIC)
[Adresse 1]
[Localité 2]
ASSOCIATION POUR LA GESTION DU RÉGIME D’ASSURANCE ET DES CRÉANCES DES SALARIÉS (AGS)
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentées par Maître Vincent TOLEDANO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0859
DEFENDEUR
Monsieur [I] [L]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Maître Yves-Marie LE CORFF, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0044
Décision du 27 Juin 2024
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 23/04246 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZOVP
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier Vice-président adjoint
assisté de Samir NESRI, Greffier lors des débats, et de Monsieur Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé.
DEBATS
A l’audience du 16 Mai 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 27 Juin 2024.
ORDONNANCE
- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcée publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
- Signée par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé.
EXPOSE DU LITIGE
Par jugement du 26 novembre 2013, le Tribunal de commerce de Pontoise a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société MORY-DUCROS et a désigné deux administrateurs judiciaires, Maître [S] [X] et Maître [W] [C], ainsi que Maître [I] [L] en qualité de mandataire judiciaire.
Le 6 février 2014, le Tribunal de commerce de Pontoise a prononcé la liquidation judiciaire de la société MORY-DUCROS avec poursuite d'activité pour une durée de 3 mois et a arrêté un plan de cession au profit de la société Newco MD. A cette occasion, les administrateurs judiciaires ont été maintenus dans leurs fonctions pour la mise en œuvre de la cession et la finalisation du volet social, et Maître [L] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire. En outre, le tribunal a autorisé le licenciement de 2 882 salariés occupant des postes non repris.
Le 28 février 2014, en l'absence d'accord collectif, les administrateurs judiciaires ont soumis à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (ci-après la " DIRECCTE ") un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi. Ce document prévoyait l'application des critères d'ordre de licenciement au niveau de chaque agence et non au niveau national. Par décision du 3 mars 2014, la DIRECCTE a homologué le document unilatéral, de sorte que le licenciement pour motif économique des salariés s'est réalisé dans l'ordre établi par ce document.
Plusieurs organisations syndicales ont alors saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise sollicitant l'annulation de la décision d'homologation de la DIRECCTE au motif que l'administration aurait commis une erreur de droit en ne vérifiant pas le périmètre d'application des critères relatifs à l'ordre des licenciements qui devaient s'apprécier selon eux au niveau de l'entreprise en l'absence d'accord collectif. Par jugement du 11 juillet 2014, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision de la DIRECCTE. Par arrêt du 22 octobre 2014, la Cour administrative d'appel de Versailles a confirmé le jugement entrepris au motif que le document unilatéral établi par les administrateurs judiciaires prévoyait de procéder, pour l'application des critères d'ordre des licenciements, au niveau de chaque agence appartenant à la société MORY-DUCROS sur le territoire national. Par décision du 7 décembre 2015, le Conseil d'Etat a rejeté les pourvois formés par la société MORY DUCROS et le Ministre du Travail, de l'Emploi et du Dialogue Social au motif qu'" en l'absence d'accord collectif d'entreprise ou d'accord conclu à un niveau plus élevé, un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi élaboré par l'employeur ne pouvait, à cette date, prévoir la mise en œuvre des critères déterminant l'ordre des licenciements à un niveau inférieur à celui de l'entreprise ".
L'homologation du document unilatéral a donc définitivement été annulée. Par conséquent, des salariés de la société MORY-DUCROS ont saisi les juridictions prud'homales afin d'obtenir des indemnités du fait de l'annulation de l'homologation du document unilatéral. Les juridictions prud'hommales ont sanctionné un certain nombre de licenciements. La Délégation UNEDIC-AGS (ci-après " DUA ") a donc dû payer la somme de 28 020 911,72 euros pour la période de janvier 2014 à mars 2021 à titre de dommages et intérêts concernant l'affaire MORY-DUCROS.
Par courrier du 27 juillet 2021, le Centre de Gestion et d'Etude AGS (ci-après " CGEA ") a demandé à Maître [L] des informations relatives aux avances non remboursées dans le dossier MORY-DUCROS et de fournir les justificatifs concernant l'usage des fonds remis.
Le 31 août 2021, le régime de l'Association pour la Gestion du régime d'assurance des créances des Salaires (ci-après " l'AGS ") a mis en demeure Maître [L] de communiquer les justificatifs précédemment sollicités. Le 6 septembre 2021, Maître [L] a répondu mais n'a selon l'AGS pas apporté de réponses satisfaisantes aux demandes d'explication.
Reprochant à Maître [L] d'avoir commis des fautes dans l'exercice de son mandat, l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ci-après " l'UNEDIC ") et l'AGS l'ont fait assigner par acte du 18 juillet 2022, en responsabilité devant le tribunal judiciaire de Pontoise, afin de le voir condamner à leur verser la somme de 2 300 000 euros s'agissant des relevés n°12,13,14 et la somme de 5 000 000 euros s'agissant du relevé n°21.
Par ordonnance d'incident du 28 février 2023, le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Pontoise a déclaré le Tribunal judiciaire de Pontoise incompétent au profit du Tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement de l'article 47 du code de procédure civile.
Par conclusions d'incident du 17 janvier 2024, Maître [L] demande in limine litis au juge de la mise en état de déclarer nulle l'assignation délivrée par les demanderesses pour défaut de capacité à agir, de pouvoir de représentation, et donc de pouvoir d'agir. Il lui demande également de faire injonction aux demanderesses de communiquer leurs statuts et conventions passées entre elles. A titre subsidiaire, Maître [L] demande au juge de la mise en état de déclarer irrecevables les demandes de l'AGS et de l'UNEDIC formées à son encontre, pour défaut de qualité et d'intérêt à agir. Il lui demande également de faire injonction aux demanderesses de communiquer leurs statuts à jours, conventions conclues entre elles depuis le 1er janvier 2024 ainsi que les éléments de nature à déterminer quel est le nouveau statut de la Délégation UNEDIC AGS. A titre très subsidiaire, Maître [L] demande au juge de la mise en état de rejeter les demandes de l'UNEDIC et de l'AGS comme prescrites, irrecevables, et de les débouter de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions. Il sollicite la condamnation de la demanderesse (REMARQUE : il se trompe puisqu'il y a 2 demanderesses) aux dépens avec droit de recouvrement au profit de Maître [T] [R] [M] et au paiement de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Maître [L] fait valoir que l'assignation délivrée par les demanderesses est nulle pour vice de fond.
S'agissant de l'UNEDIC, Maître [L] affirme d'une part que l'UNEDIC ne peut agir en justice pour son compte conformément aux statuts qu'en ce qui concerne " la défense des intérêts du régime d'assurance chômage ". Or, il souligne que le fondement de son action est celui de la responsabilité délictuelle professionnelle. Ainsi, il conclut que l'UNEDIC ne dispose d'aucun droit propre dans le cadre de la présente action. Maître [L] affirme d'autre part que l'UNEDIC ne détient pas non plus de capacité ni de pouvoir pour assurer la représentation des intérêts de l'AGS en justice puisque l'UNEDIC ne se présente pas dans l'assignation comme agissant en qualité de mandataire de l'AGS.
S'agissant de l'AGS, Maître [L] considère que puisque cette dernière a donné mandat à l'UNEDIC, alors l'AGS a perdu le pouvoir et la capacité d'agir en justice en donnant à l'UNEDIC pouvoir de le faire. Il relève que la représentation en justice n'est pas une prérogative qu'a voulu se garder l'AGS puisque conformément aux statuts, elle conserve " la charge d'assurer la bonne fin des opérations tant administratives que financières résultant de l'application de la loi ". Ainsi, il en conclut que c'est l'UNEDIC qui représente en justice la défense des intérêts au titre du régime de garantie contre le risque de non-paiement des salaires dans le cadre de tous les domaines et plus largement au titre de tous les litiges quel qu'en soit l'objet affectant la délégation UNEDIC-AGS.
A titre subsidiaire, Maître [L] soutient que les demandes formées par l'UNEDIC et l'AGS sont irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt à agir.
Il soutient que ni l'UNEDIC, ni l'AGS n'ont vocation à représenter les intérêts du régime de garantie des salaires en justice, ayant confié ce rôle exclusivement à la DUA, établissement de l'UNEDIC. Cependant, il rappelle que la DUA n'a pas la personnalité morale et ne peut donc pas agir en justice. Ainsi, il affirme que l'UNEDIC ne peut pas se présenter comme agissant en son nom propre et l'AGS n'a pas non plus de qualité à agir puisqu'elle a délégué la représentation de ses intérêts en justice à un établissement de l'UNEDIC, à savoir la DUA par un mandat prévu par les dispositions de l'article L.3253-14 du Code du travail et par les conventions conclues entre l'AGS et l'UNEDIC. A titre subsidiaire, le défendeur soutient que les demandes formées par l'UNEDIC et l'AGS sont irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt à agir depuis le 1er janvier 2024. Il ajoute que faute de tout élément produit par les demanderesses depuis novembre 2023, la convention conclue entre elles n'a pas été renouvelée, leur rôle et responsabilité restant donc indéterminée à ce jour.
S'agissant de l'UNEDIC et de l'AGS, Maître [L] affirme que ces dernières ne disposent d'aucun intérêt à agir à son encore au motif qu'à titre personnel, il ne détient aucune somme susceptible d'être remboursée aux demanderesses. En outre, Maître [L] soutient qu'aucune somme n'ayant été versée par l'UNEDIC, elle ne dispose d'aucun intérêt à agir en remboursement des sommes avancées par l'AGS.
A titre très subsidiaire, Maître [L] considère que les demandes de l'UNEDIC et de l'AGS sont irrecevables du fait de la prescription de l'action en application de l'article 2224 code civil. Tout d'abord, il déclare que l'AGS commet une erreur de droit en liant sa garantie au délai de 21 jours, contrevenant aux dispositions de l'article L.3253-8 (5°) du Code du travail. Ensuite, il rappelle que l'AGS en tant que contrôleur ne pouvait ignorer la date de cession de l'entreprise puisqu'elle a participé activement à toutes les étapes de la procédure concernant la société MORY-DUCROS. Enfin, il ajoute qu'aux termes de l'article L.625-4 du Code de commerce, l'AGS peut refuser de régler les créances figurant sur les relevés " pour quelle que cause que ce soit". Il considère donc que l'AGS avait toute latitude pour procéder au rejet des relevés litigieux si les versements pouvaient prêter à confusion. Or, il souligne que les trois relevés n'ont pas fait l'objet d'un quelconque rejet par l'AGS à l'exception d'une somme de 26 576,55 euros portant sur 7 salariés. Il en conclut que l'absence de contestation de l'AGS à la date de réception des relevés démontre sans conteste qu'elle avait connaissance de la cause des avances. S'agissant des relevés n°12, 13 et 14 présentés le 24 février 2014, il estime que l'action des requérantes est prescrite depuis le 24 février 2019. S'agissant du relevé n°21 dont l'AGS a procédé au paiement le 26 mars 2014, il estime que l'action des requérantes est prescrite depuis le 26 mars 2019.
A titre subsidiaire, Maître [L] déclare être assuré, au titre de sa responsabilité civile professionnelle par les compagnies MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD.
Par conclusions en réponse à incident du 15 novembre 2023, l'UNEDIC et l'AGS demandent in limine litis au juge de la mise en état de débouter Maître [L] de sa demande en nullité de l'assignation en date du 18 juillet 2022, et par conséquent de déclarer cette dernière régulière et valide. A titre principal, elles lui demandent de rejeter les fins de non-recevoir soulevées par Maître [L], de débouter ce dernier de ses demandes d'irrecevabilité, et par conséquent de déclarer leur action et leurs demandes recevables. A titre reconventionnel, elles lui demandent d'enjoindre à Maître [L] de communiquer les coordonnées de son assureur de responsabilité civile professionnelle ainsi que les références de son contrat d'assurance à la date de la réclamation, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir. En toute hypothèse, elles sollicitent la condamnation de Maître [L] à leur régler chacune la somme de 3 000 euros conformément à l'article 700 du code de procédure civile, au titre de l'incident.
In limine litis, l'UNEDIC et l'AGS contestent l'exception de nullité de l'assignation pour vice de fond soulevée par Maître [L].
S'agissant de la capacité d'ester en justice de l'UNEDIC, elles rappellent que conformément à l'article 6 de la Loi de 1901 " toute association régulièrement déclarée peut, sans aucune autorisation spéciale, ester en justice ". Dès lors, elles considèrent que l'UNEDIC a la personnalité juridique et la capacité d'ester en justice. Par ailleurs, elles exposent que l'UNEDIC n'a pas vocation à " assurer la représentation en justice " de l'AGS, puisque les missions opérationnelles de l'AGS sont assurées par le réseau de la DUA organisé en centres de gestion de proximité, que ces centres qui sont des établissements de l'UNEDIC sont en relation avec les différents interlocuteurs de la procédure collective et assurent le suivi des contentieux prud'hommaux. Ainsi, elles estiment que le défaut de capacité ou de pouvoir de l'UNEDIC à représenter l'AGS en justice est sans objet.
S'agissant de la capacité d'ester en justice de l'AGS, les demanderesses rappellent que l'existence d'un mandat ne fait pas perdre tous droits ou capacité d'agir au mandant. Elles relèvent que l'article 2 des statuts de l'AGS prévoit que malgré le mandat de gestion confié à l'UNEDIC via la délégation UNEDIC AGS, l'AGS conserve " la charge d'assurer la bonne fin des opérations tant administratives que financières résultant de l'application de la loi ". Ainsi, elles estiment que l'AGS n'est donc pas dépourvue de tout droit au titre du régime de garantie des salaires qu'elle met en œuvre et administre.
A titre principal, l'UNEDIC et l'AGS soutiennent avoir qualité et intérêt à agir.
S'agissant de la qualité et de l'intérêt à agir de l'AGS, elles déclarent verser aux débats les avenants de prorogation de la convention de gestion du 18 décembre 1993 jusqu'au 30 juin 2023 puis jusqu'au 31 décembre 2023. Elles indiquent également produire aux débats les statuts de l'AGS et rappellent que l'AGS étant une association déclarée, toute personne peut solliciter une copie de ses statuts soit par internet, soit sur place, soit par courrier auprès du greffe des associations à la préfecture. Elles relèvent que l'article 12 des statuts prévoit que " l'AGS administre le régime d'assurance des créances des salariés institués par la loi n°73-11994 du 27 décembre 1973 ", signifiant que l'AGS gère les biens, droits et actions du régime. Elles soutiennent que l'intérêt et la qualité à agir de l'AGS ne peut donc faire l'objet d'aucun débat dès lors que l'action intentée a pour objet de mettre cause la responsabilité du liquidateur à qui il est reproché de ne pas avoir justifié de l'usage des avances réglées par l'AGS. Par ailleurs, elles rappellent que le mandat de gestion confié à l'UNEDIC ne retire aucun droit ni compétence à l'AGS qui demeure l'association assurant le régime de garantie des salaires. Elles soulignent qu'il est très commun que, dans le cadre d'une action intéressant le régime de la garantie des salaires, l'AGS (qui l'assure) et l'UNEDIC (qui le gère à travers ses établissements) agissent de concert. Ainsi, elles affirment que le régime de garantie des salaires étant mis en œuvre par l'AGS, cette dernière a qualité et intérêt à agir à l'encontre de toute personne causant un préjudice au régime.
S'agissant de la qualité et de l'intérêt à agir de l'UNEDIC, elles rappellent que l'action en responsabilité exercée contre le liquidateur judiciaire ne peut pas être assurée par un centre de gestion de proximité de la DUA puisqu'il s'agit d'un contentieux à l'échelle nationale visant la défense des intérêts du régime de garantie. Ainsi, elles considèrent que l'UNEDIC en sa qualité de mandataire chargé de la gestion opérationnelle du régime de garantie des salaires au titre d'un mandat issu de la loi a qualité et intérêt à agir dans le cadre de la présente instance.
Les demanderesses contestent leur prétendu défaut d'intérêt à agir contre le liquidateur en remboursement de sommes. Elles déclarent qu'il s'agit d'un argument de fond visant à contester le bien-fondé de leurs demandes, de sorte qu'il n'appartient pas au juge de la mise en état de statuer sur ce moyen de défense.
A titre principal, l'UNEDIC et l'AGS font valoir l'absence d'acquisition de la prescription. Elles exposent reprocher à Maître [L] de ne pas s'être assuré du bon usage des fonds qui lui ont été remis et sollicitent des sommes indument versées en exécution des demandes d'avances. Elles estiment que leur dommage s'est manifesté le 6 septembre 2021, lorsque la réponse apportée par Maître [L] n'a pas permis au DUA d'obtenir satisfaction quant à l'usage des fonds. Dès lors, elles considèrent que leur assignation délivrée le 18 juillet 2022 n'est pas intervenue après l'expiration du délai de prescription.
A titre reconventionnel, l'UNEDIC et l'AGS demande au juge de la mise en état de délivrer injonction à Maître [L] de communiquer l'identité de son assureur responsabilité civile ainsi que les références de son contrat d'assurance à la date à laquelle elles ont formé réclamation. Elles lui demandent également d'assortir cette injonction d'une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l'article 455 du code de procédure civile.
A l'audience d'incident du 16 mai 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 27 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la demande d'annulation de l'assignation
Les nullités de fond sont régies par l'article 117 du code de procédure civile, qui prévoit la liste suivante d'irrégularités de fond :
- le défaut de capacité d'ester en justice ;
- le défaut de pouvoir d'une partie ;
- le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice.
Maître [L] soutient que l'assignation introductive d'instance est affectée d'un vice de fond en invoquant deux griefs concernant l'UNEDIC.
Le premier grief, tiré de l'absence de droit propre de l'UNEDIC à agir, s'analyse en une fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir, insusceptible de constituer une irrégularité de fond.
Le second grief, tiré de l'absence de pouvoir de l'UNEDIC de représenter l'AGS en justice, manque en fait. Aucune mention de l'assignation n'indique que l'UNEDIC agit ès qualités de représentant de l'AGS. L'UNEDIC agit ainsi à titre personnel dans la présente instance.
La demande d'annulation sera rejetée concernant l'UNEDIC
Concernant l'AGS, Maître [L] soutient que le mandat qu'elle a confié à l'UNEDIC la prive de sa capacité à agir.
L'article L3253-14 du code du travail prévoit notamment que l'AGS conclut une convention de gestion avec l'organisation gestionnaire du régime d'assurance chômage. Cette disposition a donné lieu à la conclusion d'une convention entre les deux demanderesses, signée le 18 décembre 1993 et prorogée par des avenants.
Même si l'AGS avait donné mandat à l'UNEDIC de la représenter en justice aux termes de cette convention, non produite en l'espèce, ce mandat ne peut avoir pour effet de faire perdre à l'AGS sa capacité à agir en justice elle-même, conformément au principe de l'effet relatif des contrats et aux dispositions de l'article 1984 du code civil.
La demande d'annulation de l'assignation sera rejetée.
2. Sur l'intérêt à agir de l'UNEDIC
L'article 31 du code de procédure civile ouvre l'action en justice à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.
Aux termes de leur assignation, l'UNEDIC et l'AGS sollicitent la condamnation la condamnation de "Maître [I] [L] à rembourser à l'UNEDIC et à l'AGS avec intérêts au taux légal à compter du 1er septembre 2021 et capitalisation à compter du 1er septembre 2022 :
- 2 300 000€ au titre des relevés n°12, 13 et 14 ;
- 5 000 000€ au titre du relevé n°21"
outre des sommes accessoires au titre des dépens et des frais irrépétibles.
Il est constant que les sommes litigieuses ont été versées par l'AGS, sans contribution financière de l'UNEDIC. L'absence de restitution ou un usage inapproprié des fonds par Maître [L] ne peut donc avoir occasionné de préjudice financier à l'UNEDIC, même dans le cadre de sa mission de gestionnaire délégué, à défaut de toute conséquence sur son patrimoine.
Par ailleurs, l'UNEDIC ne forme aucune demande de réparation de préjudice moral ou symbolique, pour lequel elle disposerait d'un intérêt à agir conformément à sa mission statutaire " d'assurer, vis-à-vis de toute personne n'ayant pas la qualité de membre, la défense des intérêts du régime d'assurance chômage, devant toute juridiction".
L'UNEDIC, qui intervient en tant que partie et non en tant qu'intervenante volontaire, ne justifie pas d'un intérêt à agir. Ses demandes seront déclarées irrecevables.
3. Sur la prescription des demandes de l'AGS
En vertu de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En matière délictuelle, le point de départ de l'action en responsabilité est la manifestation du dommage.
L'AGS reproche à Maître [L] d'avoir fait preuve de négligence en réglant des fonds qui ne pouvaient être pris en charge dans le cadre de la garantie des salaires, s'agissant des relevés 12, 13 et 14, occasionnant un indu de 2 300 000€.
Il est toutefois constant que l'AGS avait été désignée contrôleur de la procédure collective antérieurement aux versements litigieux. En cette qualité, elle disposait d'un accès à l'ensemble des documents transmis à l'administrateur et au mandataire judiciaire, en application de l'article L621-11 du code de commerce. Compte tenu de cet accès, l'AGS aurait dû connaître les manquements allégués et leurs conséquences dès leur réalisation.
Il ressort des pièces produites que l'AGS a confirmé la validation des paiements correspondant aux relevés 12 à 14 par courriel du 24 février 2014, après avoir rejeté la prise en charge de sept salariés. Elle aurait dû connaître dès cette date que des salariés ne pouvaient être pris en charge dans le cadre de la garantie des salaires comme elle le soutient et, au vu de l'actif et du passif de la société en liquidation, quelles seraient les conséquences de ces manquements allégués. La prescription quinquennale a couru concernant ces trois relevés à compter du 24 février 2014.
Concernant le relevé n°21, l'AGS sollicite également le paiement d'un indu, reprochant à Maître [L] de n'avoir fourni aucun justificatif d'utilisation des fonds dans un délai de 12 mois et de ne pas s'être assuré de leur bon usage.
Il ressort d'un document d'information du comité d'entreprise de la société Mory Ducros en date du 28 février 2014 que le plan de sauvegarde de l'emploi bénéficie d'un financement de l'AGS à hauteur de 3 millions d'euros. Compte tenu de son accès étendu aux documents de la procédure collective, l'AGS aurait dû connaître cette utilisation et ses conséquences à venir sur la restitution éventuelle des fonds.
L'absence par ailleurs de justification de l'usage de fonds par Maître [L] dans le délai d'un an du versement était nécessairement connue de l'AGS à la date prévue pour la transmission d'un tel document le 14 avril 2015.
La prescription a donc couru, concernant le relevé n°21, au plus tard à compter de cette date.
L'assignation ayant été délivrée le 18 juillet 2022, la prescription était acquise lors de l'introduction de l'instance.
Les demandes de l'AGS seront déclarées irrecevables.
4. Sur les autres demandes
Compte tenu de l'irrecevabilité des demandes de fond, les demandes de communication de pièces deviennent sans objet et seront rejetées.
L'UNEDIC et l'AGS, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Yves Marie Le Corff, ainsi qu'au paiement de 3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Nous, juge de la mise en état, statuant publiquement, contradictoirement et par décision susceptible de recours dans les conditions de l'article 795 du code de procédure civile,
Rejetons la demande d'annulation de l'assignation,
Déclarons irrecevables les demandes de l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce et de l'Association pour la gestion du régime d'assurance et des créances des salariés,
Condamnons in solidum l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce et l'Association pour la gestion du régime d'assurance et des créances des salariés aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Yves Marie Le Corff,
Condamnons in solidum l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce et l'Association pour la gestion du régime d'assurance et des créances des salariés à payer 3 000€ à Maître [I] [L] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboutons les parties de leurs autres ou plus amples demandes.
Faite et rendue à Paris le 27 Juin 2024
Le GreffierLe Juge de la mise en état
G. ARCASB. CHAMOUARD