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21/06/2024 | FRANCE | N°22/02547

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 8ème chambre 3ème section, 21 juin 2024, 22/02547


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le:
à Me DUQUESNE CLERC
Copies certifiées
conformes délivrées le:
à Me BUSSON, Me ROSANO
et Me MONTERET AMAR




8ème chambre
3ème section

N° RG 22/02547
N° Portalis 352J-W-B7G-CWBSF

N° MINUTE :

Assignation du :
22 février 2022








JUGEMENT

rendu le 21 juin 2024
DEMANDERESSE

Madame [X] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Isabelle DUQUESNE CLERC, avoca

t au barreau de PARIS, vestiaire #A0895


DÉFENDEURS

Syndicat des copropriétaires du [Adresse 1], représenté par son syndic la S.A.S.U. CABINET JOURNÉ
[Adresse 6]
[Localité 5]

représenté par ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le:
à Me DUQUESNE CLERC
Copies certifiées
conformes délivrées le:
à Me BUSSON, Me ROSANO
et Me MONTERET AMAR

8ème chambre
3ème section

N° RG 22/02547
N° Portalis 352J-W-B7G-CWBSF

N° MINUTE :

Assignation du :
22 février 2022

JUGEMENT

rendu le 21 juin 2024
DEMANDERESSE

Madame [X] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Isabelle DUQUESNE CLERC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0895

DÉFENDEURS

Syndicat des copropriétaires du [Adresse 1], représenté par son syndic la S.A.S.U. CABINET JOURNÉ
[Adresse 6]
[Localité 5]

représenté par Maître Lionel BUSSON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0466

S.A.S.U. CABINET JOURNÉ
[Adresse 6]
[Localité 5]

représentée par Maître Valérie ROSANO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0727

Décision du 21 juin 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 22/02547 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWBSF

S.A. SWISS LIFE
[Adresse 3]
[Localité 7]

représentée par Maître Florence MONTERET AMAR de la SCP MACL SCP d’Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0184

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Frédérique MAREC, première vice-présidente adjointe
Madame Lucile VERMEILLE, vice-présidente
Monsieur Cyril JEANNINGROS, juge

assistés de Madame Léa GALLIEN, greffier,

DÉBATS

A l’audience du 30 avril 2024 tenue en audience publique devant Monsieur Cyril JEANNINGROS, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
Premier ressort

_____________________________

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [X] [P] est propriétaire d'un appartement au cinquième étage d'un immeuble sis [Adresse 1].), administré par son syndic le cabinet Journé et assuré auprès de la société Swisslife.

Par acte sous signature privée du 12 janvier 2017, Mme [X] [P] a confié la gestion de son appartement à la société Cabinet Journé. Ce bien était loué pour un loyer mensuel de 1 645,01 euros hors charges jusqu'au mois d'août 2019.

Le 24 février 2020, le syndic a indiqué à Mme [X] [P] qu'un bloc de pierre issu de la façade de l'immeuble avait chuté sur le balcon de son appartement, et qu'il avait mandaté une société afin d'effectuer des travaux conservatoires. Il a également déclaré avoir constaté un « descellement significatif des garde-corps des balcons de l'appartement » de Mme [X] [P], précisant dans un courriel ultérieur que la « quasi-totalité des balcons serait concernée ».

Après l'intervention d'un cabinet d'architectes en novembre 2020, Mme [X] [P] a fait procéder à des travaux de remise en état des garde-corps de son balcon à la fin décembre 2020. Ces travaux ont été ratifiés par l'assemblée générale des copropriétaires le 26 janvier 2021, à la majorité des copropriétaires présents, représentés ou votant par correspondance.

Par courrier daté du 17 février 2021, l'assureur de Mme [X] [P] a mis en demeure le syndic Cabinet Journé de lui payer une somme totale de 18 435,45 euros, en indemnisation d'une perte de loyer qu'elle dit avoir subie.

Par un courrier du 29 septembre 2021, l'assureur de la copropriété Swisslife a notifié son refus de garantir la copropriété.

Par exploit d'huissier signifié le 22 février 2022, Mme [X] [P] a fait assigner le syndicat des copropriétaires de l'immeuble, le syndic Cabinet Journé et la société Swiss Life devant le tribunal judiciaire de Paris.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 3 janvier 2023, et au visa des articles 1240 et suivants et 1991 et suivants du code civil, de la théorie des troubles anormaux du voisinage et des dispositions de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965, Mme [X] [P] demande au tribunal de :

- condamner in solidum, le Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 1], son assureur SWISSLIFE et le cabinet JOURNÉ à payer à Madame [X] [P] la somme de 18.435,45 euros en remboursement des pertes de loyer à compter de la découverte de la fragilité de la façade ;
- condamner in solidum, le Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 1], son assureur SWISSLIFE et le cabinet JOURNÉ pour les pertes de loyers consécutives au dégât des eaux d’août 2019 à février 2020 de 9.870 euros ;
- débouter le syndicat des copropriétaires de sa demande de garantie dirigée à l’encontre de Madame [P] ;

A titre subsidiaire,
- condamner le cabinet JOURNE à relever et garantir indemne Madame [P] de toute condamnation mise à sa charge.

En tout état de cause,
- débouter les défendeurs de toutes leurs demandes fins et conclusions contraires ;
- condamner in solidum les défendeurs à payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
- dispenser Madame [X] [P] de toute participation à la dépense des frais de procédure et condamnations mis à la charge du syndicat des copropriétaires du [Adresse 1].

*

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 mars 2023 par voie électronique, et au visa des articles 2, 14 et 18 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965, le syndicat des copropriétaires demande au tribunal de :

A titre principal,
- débouter Madame [P] de l’ensemble de ses demandes.

A titre subsidiaire,
- condamner Madame [P] à garantir le Syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 1]), pris en la personne de son Syndic, la SASU CABINET JOURNÉ, de toutes les condamnations qui seraient prononcées à son encontre.

En tout état de cause,
- condamner Madame [P] à payer au Syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 1]), pris en la personne de son Syndic, la SASU CABINET JOURNÉ, la somme de 5.000 Euros conformément aux dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
- la condamner aux entiers dépens de l’instance, lesquels pourront être recouvrés par Maître Lionel BUSSON, Avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

*

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 mars 2023 par voie électronique, la société Cabinet Journé demande au tribunal de :

- débouter purement et simplement Madame [P] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions ;
- condamner Madame [P] à payer au Cabinet JOURNE, tant en sa qualité de syndic que de gestionnaire de biens, la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Valérie ROSANO, Avocat à la Cour, conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.

*

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 octobre 2022 par voie électronique, la société Swisslife demande au tribunal de :

- débouter Madame [P] de l’intégralité de ses demandes en ce qu’elles sont dirigées à l’encontre de SWISSLIFE ASSURANCES DE BIENS.

Subsidiairement,
- ramener les demandes de Madame [P] à de plus justes proportions qui ne sauraient dépasser la somme de 4 935,03 euros (1 645,01 euros x 3 mois de loyers) ;
- débouter Madame [P] du surplus de ses demandes,
- condamner Madame [P] à payer à SWISSLIFE ASSURANCES DE BIENS la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Décision du 21 juin 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 22/02547 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWBSF

- condamner sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile Madame [P] aux entiers dépens de la présente instance qui pourront être recouvrés par la SCP MACL .

* * *

Le juge de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction le 10 mai 2023, et l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries (juge rapporteur à la collégialité) du 30 avril 2024. A l'issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 21 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur les demandes indemnitaires

A – Sur les désordres

Au soutien de ses demandes, Mme [X] [P] fait valoir que des désordres affectant les parties communes de l'immeuble lui ont causé une perte de revenus locatifs.

A l'examen des pièces produites aux débats, il est établi et non contesté qu'un bloc de pierre issu de la façade de l'immeuble a chuté sur le balcon de Mme [X] [P] à la fin du mois de février 2020. Des photographies démontrent en effet qu'un morceau de roche d'une cinquantaine de centimètres de longueur environ s'est détaché de la sous-face du balcon du sixième étage et repose désormais à l'étage inférieur.

Par ailleurs, les diagnostics techniques réalisés à la suite de la chute du bloc de pierre ont révélé un descellement de plusieurs garde-corps de balcons en façade de l'immeuble, qui a rendu nécessaire la réalisation de travaux de remise en état ratifiés par l'assemblée générale des copropriétaires le 26 janvier 2021.

Le cabinet d'architectes intervenu le 2 novembre 2020 a notamment relevé que les garde-corps sont en ferronnerie et scellés en pied, et qu'ils sont affectés par plusieurs types de désordres :  « faïençage en surface, mise à nu des scellements de pied : oxydation ; fissurations profondes en particulier au droit du nez de balcon et des pieds de garde-corps ; décollements d'anciennes réparations ». Des photographies jointes au rapport corroborent ces constatations et révèlent que plusieurs garde-corps ne sont plus adhérents en raison d'une fissuration de la pierre dans laquelle ils sont implantés.

B – Sur les responsabilités

Mme [X] [P] recherche la responsabilité solidaire de la copropriété et du syndic, sur le fondement des articles 14 et 18 de loi n°65-557 du 10 juillet 1965 ainsi que des articles 1991 et suivants du code civil. Elle exerce en outre l'action directe ouverte au tiers victime de dommages par l'article L. 124-3 du code des assurances.

- Sur la responsabilité de la copropriété

L'article 14 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965, dans sa rédaction applicable au litige, dispose notamment que le syndicat des copropriétaires « est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d'entretien des parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires ».

Il résulte de ces dispositions un régime de responsabilité objective, propre au syndicat des copropriétaires, qui rend ce dernier responsable de tout dommage causé par un défaut d'entretien d'une partie commune, sans qu'une faute de sa part ne doive être caractérisée. S'il incombe au copropriétaire agissant à l'encontre du syndicat des copropriétaires de démontrer un lien de causalité entre le défaut d'entretien et les préjudices subis, la copropriété ne peut s'exonérer de sa responsabilité qu'en rapportant la preuve d'une faute de celui-ci ou d'un tiers.

En l'espèce, Mme [X] [P] reproche au syndicat des copropriétaires d'être à l'origine des chefs de préjudice dont elle se prévaut, en raison d'un défaut d'entretien de la façade de l'immeuble.

Il est manifeste que le décrochement et la chute d'un élément de maçonnerie de la façade de l'immeuble traduisent un défaut d'entretien de cette partie commune, engageant la responsabilité du syndicat des copropriétaires à l'égard de la victime de dommages en lien avec ces désordres. Toutefois, il n'est pas rapporté la preuve ni même soutenu par la demanderesse que la chute de cette pierre sur son balcon, dont les conséquences ont été rapidement traitées par une entreprise mandatée par le syndic, serait en elle-même à l'origine d'une perte de revenus locatifs.

Par ailleurs, alors qu'il est établi et non contesté que le garde-corps du balcon de l'appartement de Mme [X] [P] était « descellé » et présentait un risque de chute, les parties s'opposent quant à l'imputabilité de ce fait à un défaut d'entretien de la façade de l'immeuble ou à un défaut d'entretien privatif.

A l'examen du règlement de copropriété établi le 6 février 1959, sont qualifiées de parties privatives « les fenêtres sur rue et sur cour, avec leurs volets, persiennes et leurs garde-corps, les balconnets et barres d'appui, les portes palières », et de parties communes « les ornements extérieurs des façades, y compris les balustrades, balustres et appuis de fenêtres », ainsi que « les fondations, tous les gros murs de façade ; de pignon, de refend, la toiture, en un mot tous les murs et éléments constituant l'ossature du bâtiment ». Une modification apportée le 8 avril 1959 est venue préciser que les « socles des balcons » constituent également des parties communes.

Alors que les défendeurs soutiennent que les éléments en métal forgé ceignant le balcon de Mme [X] [P] seraient des garde-corps et donc des parties privatives, il apparaît cependant que le règlement de copropriété évoque uniquement la notion de garde-corps à propos des fenêtres (« les fenêtres (...) et leurs garde-corps »), c'est-à-dire les rambardes de protection placées juste derrière la vitre d'une fenêtre. A l'évidence, dès lors que le règlement de copropriété le classe parmi les « ornements extérieurs des façades », le terme de « balustrade » désigne ici les garde-corps, barrières ou rambardes – ces quatre termes étant synonymes – entourant les balcons afin de protéger les occupants de l'appartement du risque de chute.

Les garde-corps ou balustrades des balcons sont ainsi qualifiés par le règlement de copropriété de parties communes de l'immeuble, dont l'entretien incombe ainsi à la copropriété.

Au surplus, il doit être relevé qu'en toute hypothèse, le descellement des balustrades des balcons apparaît résulter d'un défaut d'entretien de la façade de l'immeuble.

Les pièces produites démontrent en effet que le descellement de la balustrade du balcon de Mme [X] [P] est dû à l'effritement des supports de fixation ou « socles » permettant l’implantation de l'élément en métal. L'entreprise de maçonnerie intervenue le 13 mars 2020 et le cabinet d'architectes intervenu le 2 novembre 2020 ont relevé tous deux que les supports en béton des balustrades étaient dégradés, en raison de la nature même du matériau ainsi que d'un manque d'entretien (« les désordres cités plus haut ont pour origine principale l'absence de protection de la pierre. La pierre est de qualité modeste, elle est très calcaire et friable. On note d'ailleurs plusieurs réparations qui ont été faites avec des mortiers inadaptés qui se délitent. L'eau qui pénètre provoque donc feuilletage, fissuration et rupture de la pierre »).

Outre que le caractère friable et fragile de la façade de l'immeuble est attesté par la chute d'un élément de maçonnerie sur le balcon de Mme [X] [P], les photographies produites par cette dernière (pièce n°4) révèlent que les points d'ancrage des balustrades, creusés dans la façade même de l'immeuble et constituant donc des parties communes, ont été élargis en raison d'un effritement de la pierre ou de fissures, si bien que les balustrades n'adhèrent plus qu'imparfaitement à la façade.

Les défendeurs soutiennent que le défaut d'entretien des garde-corps ou balustrades des balcons aurait provoqué une dilatation du métal et ainsi fait éclater l'ancrage en béton, causant leur descellement. Ce moyen est toutefois inopérant dans la mesure où les balustrades des balcons constituent des parties communes de l'immeuble, et où un défaut d'entretien privatif ou encore un défaut d'information ne peuvent ainsi être reprochés aux copropriétaires pris individuellement.

Pour les motifs qui précèdent, la responsabilité de la copropriété sera ainsi engagée à l'égard de Mme [X] [P], et le syndicat des copropriétaires sera débouté de son appel en garantie à l'encontre de cette dernière.

- Sur la responsabilité du cabinet Journé

L'article 18 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 dispose que le syndic est notamment chargé « d'administrer l'immeuble, de pourvoir à sa conservation, à sa garde et à son entretien et, en cas d'urgence, de faire procéder de sa propre initiative à l'exécution de tous travaux nécessaires à la sauvegarde de celui-ci ».

Par ailleurs, aux termes des articles 1991 et 1992 du code civil, le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution. Le mandataire répond non seulement du dol, mais des fautes ou négligences qu'il commet dans sa gestion.

Il est de jurisprudence constante que le syndic peut être tenu pour responsable, à l'égard de la copropriété mais également de chaque copropriétaire, des fautes commises dans l'accomplissement de sa mission.

En l'espèce, Mme [X] [P] reproche au cabinet Journé d'avoir manqué à ses obligations en tant que syndic de copropriété, chargé de pourvoir à la conservation et à l'entretien de l'immeuble, mais également à ses obligations contractuelles en tant que gestionnaire de son bien.

* En sa qualité de syndic de copropriété, le syndic est notamment tenu d'une obligation de faire procéder de sa propre initiative, en cas d'urgence, à l'exécution de tous travaux nécessaires à la sauvegarde de l'immeuble.

Les pièces versées aux débats démontrent à cet égard que dès qu'il a eu connaissance de la chute d'un élément de maçonnerie sur le balcon de Mme [X] [P] en février 2020, le syndic a mandaté une société de diagnostic technique ainsi que des techniciens chargés d'effectuer des mesures conservatoires (pose d'un filet de protection, notamment). Il a par la suite obtenu un devis de travaux réparatoires en juin 2020, puis fait intervenir un cabinet d'architectes en novembre 2020 et enfin la société [C] en décembre 2020 afin de procéder au rescellement des garde-corps des balcons.

Au regard de la temporalité des mesures prises par le syndic, et compte tenu des circonstances liées à la crise sanitaire engendrée par l'épidémie de covid-19, il ne peut être considéré que le syndic a manqué à son obligation de procéder en urgence aux travaux nécessaires à la sauvegarde de l'immeuble.

En revanche, il doit être relevé qu'il entre dans la mission d'administration générale de l'immeuble incombant au syndic de s'assurer que les parties communes demeurent en bon état d'entretien, et d'alerter au besoin l'assemblée générale des copropriétaires afin d'effectuer les éventuels travaux excédant son pouvoir d'initiative.

Les balustrades des balcons tout comme leurs socles de fixation constituant des parties communes de l'immeuble, il appartenait au syndic d'en assurer l'entretien courant et d'informer le syndicat des copropriétaires sur l'état de dégradation avancé de certains d'entre eux afin que des travaux réparatoires puissent être votés à temps en assemblée générale.

Ayant manqué à son obligation de pourvoir à l'entretien et à la conservation de l'immeuble, le cabinet Journé engage ainsi sa responsabilité à ce titre envers Mme [X] [P].

* La demanderesse reproche également au cabinet Journé d'avoir manqué à ses obligations contractuelles en qualité de gestionnaire de bien, les parties étant liées par un contrat de gestion locative conclu le 12 janvier 2017 pour une durée d'un an tacitement reconductible.

Il découle de ce mandat de gestion une obligation de résultat pour le mandataire de maintenir le bien en état d'être loué, ainsi qu'une obligation de mettre l'appartement sur le marché locatif et effectuer toutes diligences afin de trouver des locataires.

Décision du 21 juin 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 22/02547 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWBSF

Les rambardes défectueuses constituant certes des parties communes, mais étant accessibles et visibles depuis le balcon de Mme [P], il entrait dans la mission du cabinet Journé de s'assurer que celles-ci ne présentaient pas de risque pour la sécurité des occupants et n'entravaient pas la possibilité de mettre le bien en location. Le cabinet Journé engage ainsi sa responsabilité à l'égard de Mme [X] [P] à ce titre.

Par ailleurs, Mme [X] [P] reproche au cabinet Journé d'avoir effectué une lecture erronée du règlement de copropriété et ainsi fait accroître la durée d'inoccupation du bien.

Il est établi et non contesté que le descellement des garde-corps des balcons a été constaté pour la première fois le 24 février 2020, et que le cabinet Journé a indiqué pouvoir remettre le bien sur le marché locatif le 1er février 2021, après avoir diligenté des travaux de réfection.

S'il a été précédemment jugé que le syndic a en effet effectué une interprétation erronée du règlement de copropriété quant à la nature commune des balustrades des balcons, retardant quelque peu la réalisation des travaux réparatoires, il apparaît néanmoins que celui-ci n'a pas agi en faute dans la mesure où il convient de prendre en considération les circonstances liées à la crise sanitaire et aux périodes dites de « confinement », qui ont accru les délais d'intervention de l'entreprise et fortement amoindri les possibilités de remise en location du bien.

Le syndic n'engage donc pas sa responsabilité à ce titre.

- Sur le recours contre la société Swisslife

Suivant l'article L.124-3 du code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. L'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré.

En l'espèce, il est établi et non contesté que la société Swisslife était l'assureur de responsabilité de la copropriété à la date de la survenance des désordres, suivant police n°011285511 « multirisques immeuble » souscrite à compter du 24 mars 2012 et résiliée au 1er mars 2020.

La société Swisslife dénie sa garantie en se prévalant d'une clause d'exclusion, faisant principalement valoir qu'elle n'est pas tenue de garantir les dommages résultant d'un défaut d'entretien de la part de son assuré.

A l'article 15-2 des conditions générales du contrat, il est notamment stipulé que l'assureur ne garantit pas « les dommages résultant d'un défaut d'entretien régulier de votre part, d'un manque de réparations indispensables, ainsi que de la vétusté ou de l'usure signalée au preneur d'assurance et à laquelle il n'aurait pas été remédié dans le délai strictement nécessaire à l'intervention du professionnel chargé de la réparation (sauf cas de force majeure) ».

Toutefois, le simple fait qu'un rapport d'architecte établisse l'existence d'un défaut d'entretien de la façade ne révèle aucunement que celui-ci était connu du syndicat des copropriétaires « depuis de nombreuses années », comme le soutient la société Swisslife. L'assureur ne démontre par ailleurs pas que la vétusté ou l'usure des supports de fixation des balustrades aurait été signalée à son assuré.
Décision du 21 juin 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 22/02547 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWBSF

En toute hypothèse, la demanderesse fait justement valoir qu'en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code des assurances, la clause invoquée ne peut trouver application dans la mesure où l'exclusion prévue n'est ni formelle ni limitée. En effet, celle-ci se réfère à la notion générale de défaut d'entretien ou à un manque de « réparations indispensables », et non à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées, ce qui rend nécessaire son interprétation. L'assuré est par conséquent privé de la possibilité de savoir, à la seule lecture de la police d'assurance, quels sont les événements susceptibles de justifier une exclusion de garantie.

La société Swisslife soutient également que la police d'assurance aurait été privée d'aléa. Il incombe à l’assureur qui se prévaut d’un défaut d’aléa de démontrer sinon la volonté de l’assuré de causer le dommage, à tout le moins la conscience que l’assuré avait du caractère inéluctable de la réalisation du risque.

Si les désordres constatés résultent d'un défaut d'entretien des parties communes, la preuve d'une faute intentionnelle de la part du syndicat des copropriétaires n'est aucunement rapportée en l'espèce, celui-ci n'ayant manifestement pas souhaité le descellement des garde-corps des balcons de l'immeuble.

La société Swisslife sera ainsi condamnée à indemnisation solidairement avec son assuré.

C – Sur les préjudices

Mme [X] [P] sollicite l'indemnisation du préjudice financier qu'elle dit avoir subi en raison d'une impossibilité de mettre son appartement en location et percevoir des loyers, et ce en raison de dégâts des eaux d'août 2019 à février 2020, puis du descellement des garde-corps du balcon de mars 2020 au 1er février 2021.

Elle justifie par la production d'un contrat de bail d'habitation que son bien était loué depuis le 27 septembre 2017 et jusqu'au mois d'août 2019, pour un loyer mensuel de 1 645,01 euros.

* Sur la perte de revenus locatifs en raison de dégâts des eaux, il est établi par les pièces produites aux débats que des infiltrations d'eau sont en effet survenues dans l'appartement de Mme [X] [P] en août 2019. La teneur d'échanges par courriel avec le syndic entre février 2019 et octobre 2019, ainsi qu'un rapport de détection de fuite réalisé le 9 octobre 2019, démontrent que l'appartement de la demanderesse a subi des infiltrations d'eau en provenance de l'appartement situé à l'étage supérieur, affectant notamment le plafond à proximité de la colonne d'eaux usées.

Toutefois, il n'est pas rapporté la preuve d'une impossibilité de louer le bien entre le mois d'août 2019 et février 2020. Le courrier par lequel les locataires ont notifié congé à leur bailleur ne fait pas mention de dégâts des eaux, et aucune autre pièce ne permet d'établir un lien de causalité entre le départ des locataires et l'existence d'infiltrations d'eau, dont l'ampleur et les conséquences ne sont en outre pas documentées.

En toute hypothèse, il n'est aucunement démontré par les pièces versées aux débats qu'une partie commune serait à l'origine des dégâts des eaux constatées, ce qui rend Mme [X] [P] mal fondée à rechercher la responsabilité de la copropriété à ce titre.
Décision du 21 juin 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 22/02547 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWBSF

Mme [X] [P] sera ainsi déboutée de sa demande au titre d'une perte de revenus locatifs entre les mois d'août 2019 et février 2020.

* Sur la perte de revenus locatifs à compter de la découverte de la fragilité de la façade et jusqu'à la réalisation des travaux réparatoires, il est constant que la nécessité de procéder à des travaux de rescellement des garde-corps a été connue à la fin du mois de février 2020, après l'intervention d'une société de diagnostic technique, et que Mme [X] [P] a été informé de l'achèvement des travaux et de la remise sur le marché de son bien par courriel du 1er février 2021.

Mme [X] [P] réclame une indemnisation correspondant à l'intégralité des loyers qui auraient été perçus si le bien avait été loué sans discontinuer entre le 1er mars 2020 et le 1er février 2021.

Toutefois, dans la mesure où le bien n'était pas loué au 1er mars 2020 et où un éventuel locataire aurait pu résilier son bail prématurément, la demanderesse ne peut démontrer qu'elle aurait perçu de manière certaine les loyers escomptés jusqu'au 1er février 2021. Le chef de préjudice allégué ne peut donc s'analyser que comme une perte de chance réelle et sérieuse de trouver un locataire et de percevoir des loyers en conséquence – étant rappelé que l'indemnisation octroyée par le juge, qui apprécie souverainement le pourcentage de chance perdu, ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré la chance si elle s'était réalisée.

Il n'est pas contesté que le descellement du garde-corps du balcon de l'appartement de Mme [X] [P], au regard du danger qu'il fait encourir aux occupants ainsi qu'aux passants, privait celle-ci de mettre son bien en location avant la réalisation des travaux réparatoires nécessaires. Le syndic Cabinet Journé l'a d'ailleurs expressément admis dans un courriel du 15 juin 2020 ainsi qu'un courrier du 3 février 2021 (« le descellement des gardes-corps des balcons a été constaté en date du 24/02/2020 (…) empêchant la remise en location de l'appartement pour des raisons de sécurité des occupants »).

Les manquements respectifs de la copropriété et du syndic ont certes engendré une impossibilité de louer le bien à compter du 25 février 2020, mais il est cependant établi qu'en toute hypothèse, l'appartement ne pouvait être mis sur le marché locatif car il faisait l'objet d'un réaménagement. Il est en effet constant que Mme [X] [P] y a effectué des travaux et un ajout d'ameublement afin de le louer en tant que meublé, et que ceux-ci n'ont pas été achevés avant le mois de juin 2020, ce que révèle un échange tenu avec le syndic les 15 et 16 juin 2020.

En outre, alors que Mme [X] [P] réclame indemnisation au titre d'une perte de loyers pour le mois de janvier 2021, il est établi que les travaux de réfection du garde-corps ont été achevés le 22 décembre 2020. Le courriel du 1er février 2021 dont se prévaut la demanderesse n'indique aucunement que le gestionnaire de biens n'aurait remis le bien sur le marché qu'à cette date, et il convient ainsi de considérer, faute de preuve contraire, qu'il y a procédé dès la « confirmation de la complète exécution des travaux par l'entreprise [C] ».

Mme [X] [P] ne peut donc réclamer indemnisation qu'au titre d'une perte de chance de percevoir des loyers du 1er juin 2020 au 22 décembre 2020.
Décision du 21 juin 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 22/02547 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWBSF

Sur le pourcentage de chance perdue, il convient de prendre en considération les caractéristiques du bien et sa situation, l'état du marché locatif de l'immobilier d'habitation à cette période, ainsi que les difficultés engendrées par la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19 et la période estivale. Le pourcentage de chance réelle et sérieuse de donner son appartement à bail et de percevoir les loyers afférents sera ainsi évalué à 50%.

Sur la base d'une valeur locative fixée au montant du dernier loyer dont il est justifié (1 645,01 euros), le préjudice financier subi par Mme [X] [P] sera ainsi fixé à la somme de 5 518,74 euros [(6 x 822,505) + (822,505 / 31 x 22)], que le syndicat des copropriétaires, le cabinet Journé et la société Swisslife seront condamnés in solidum à lui payer.

2 - Sur les demandes accessoires

- Sur les frais communs de procédure

L'article 10-1 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis dispose notamment que « le copropriétaire qui, à l'issue d'une instance judiciaire l'opposant au syndicat, voit sa prétention déclarée fondée par le juge, est dispensé, même en l'absence de demande de sa part, de toute participation à la dépense commune des frais de procédure, dont la charge est répartie entre les autres copropriétaires. Le juge peut toutefois en décider autrement en considération de l'équité ou de la situation économique des parties au litige ».

Au regard de l'issue du litige, Mme [X] [P] sera dispensée de toute participation à la dépense commune des frais de procédure.

- Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Le syndicat des copropriétaires, le cabinet Journé et la société Swisslife, parties perdant le procès, seront condamnés in solidum au paiement des entiers dépens de l'instance.

- Sur les frais non compris dans les dépens

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

Tenus aux dépens, le syndicat des copropriétaires, le cabinet Journé et la société Swisslife seront condamnés à payer à Mme [X] [P] la somme de 3 000,00 euros au titre des frais irrépétibles. Ils seront en conséquence déboutés de leur demande à ce titre.

Décision du 21 juin 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 22/02547 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWBSF

- Sur l’exécution provisoire

Aux termes des articles 514 et suivants du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 et applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.

En l'espèce, au regard de la nature des condamnations prononcées et de la particulière ancienneté du litige, il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant par un jugement contradictoire, en premier ressort, après débats en audience publique et par mise à disposition au greffe,

CONDAMNE in solidum le syndicat des copropriétaires, le cabinet Journé et la société Swisslife à payer à Mme [X] [P] la somme de 5 518,74 euros ;

DISPENSE Mme [X] [P] de toute participation à la dépense commune des frais de procédure ;

CONDAMNE in solidum le syndicat des copropriétaires, le cabinet Journé et la société Swisslife au paiement des entiers dépens de l'instance ;

CONDAMNE in solidum le syndicat des copropriétaires, le cabinet Journé et la société Swisslife à payer à Mme [X] [P] la somme de 3 000,00 euros au titre des frais irrépétibles, et les DÉBOUTE en conséquence de leurs demandes à ce titre ;

DIT n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit.

Fait et jugé à Paris, le 21 juin 2024.

Le greffierLa présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 8ème chambre 3ème section
Numéro d'arrêt : 22/02547
Date de la décision : 21/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-21;22.02547 ?
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