TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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1/2/1 nationalité A
N° RG 24/05235
N° Portalis 352J-W-B7I-C4VWS
N° PARQUET : 21/046
N° MINUTE :
Assignation du :
19 Avril 2024
V.B.
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 20 Juin 2024
DEMANDERESSE
Madame [P] [Y] [V]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Maître Gwenola VAUBOIS de la SELARL INTER BARREAUX DE NANTES ANGERS ATLANTIQUE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES, avocats plaidant, et par Maître Mazen FAKIH, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire J071
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 5]
[Adresse 1]
Monsieur Arnaud FENEYROU, Vice-Procureur
Décision du 20/06/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
N°RG 24/05235
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs
assistées de Madame Christine Kermorvant, Greffière
DEBATS
A l’audience du 02 Mai 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Contradictoire,
en premier ressort,
Prononcé en audience publique, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Maryam Mehrabi, vice-présidente et par Madame Christine Kermorvant, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 23 février 2020 par Mme [P] [V] au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes,
Vu l'ordonnance rendue le 6 mai 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes, ayant déclaré ledit tribunal incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 12 septembre 2022,
Vu les dernières conclusions de Mme [P] [V] notifiées par la voie électronique le 1er décembre 2022,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 20 avril 2023,
Vu le jugement de radiation rendu le 24 mai 2023,
Décision du 20/06/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
N°RG 24/05235
Vu la demande de remise au rôle et les conclusions de Mme [P] [V], notifiées par la voie électronique le 16 mars 2024,
Vu la fixation de l'affaire à l'audience de plaidoiries du 2 mai 2024,
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la procédure
Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 13 janvier 2021. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur les conclusions
Aux termes de l'article 802 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office. Sont toutefois recevables les conclusions qui tendent à la reprise de l'instance en l'état où celle-ci se trouvait au moment de son interruption.
En l'espèce, lors de sa demande de remise au rôle le 16 mars 2024, la demanderesse a notifié des conclusions au fond.
Étant rappelé que l'ordonnance de clôture, rendue le 20 avril 2023, n'a fait l'objet d'aucune révocation, une telle révocation n'ayant d'ailleurs pas même été sollicitée par les parties, les conclusions au fond notifiées par la voie électronique le 16 mars 2024 seront jugées irrecevables en application des dispositions des articles 16 et 802 du code de procédure civile.
Le tribunal examinera ainsi les demandes formulées par Mme [P] [V] aux termes de ses conclusions notifiées par la voie électronique le 1er décembre 2022.
Sur l'action en contestation de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française
Le 25 octobre 2019, le ministère de l'intérieur a refusé l'enregistrement de la déclaration de nationalité française 2019DX019048 souscrite le 14 novembre 2018 devant le préfet de l’Essonne au titre de l'article 21-2 du code civil, par Mme [P] [V], et dont récépissé lui avait été remis le 18 mars 2019, au motif que la communauté de vie tant affective que matérielle entre l'intéressée et son conjoint ne pouvait être considérée comme stable et convaincante eu égard à leurs comportements violents réciproques (pièce n°1 de la demanderesse).
Mme [P] [V], se disant née le 20 décembre 1986 à [Localité 4] (Côte d'Ivoire), a assigné le ministère public devant ce tribunal aux fins de contester ce refus d'enregistrement.
Aux termes de ses dernières conclusions, elle sollicite du tribunal de :
-la recevoir en sa demande et l'y déclarer fondée,
-lui accorder la nationalité française.
Elle expose qu'elle est arrivée sur le sol français en 2014 suite à son mariage le 5 septembre 2013 ; qu'elle vit avec son époux à [Localité 3] depuis dix ans ; que la communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; que de leur union sont nés deux enfants, âgés de 5 et 8 ans ; que s'agissant du refus qui lui a été opposé par le ministère de l'intérieur, elle s'étonne qu'on lui refuse la nationalité française en soulignant qu'elle est victime de violences conjugales, et ce depuis 2015, pendant ses deux grossesses ; qu'elle a été victime de viol par son époux ; qu'elle a été dès lors délaissée par sa famille ; qu'elle ne peut se voir reprocher d'avoir tenté de se défendre face à son époux ; qu'enfin, elle est bien insérée dans la société française, culturellement et socialement.
Le ministère public demande au tribunal de dire que Mme [P] [V] n'est pas française et de la débouter de sa demande d'enregistrement.
Il fait valoir que la demanderesse reconnaît l'existence de violences entre elle et son époux depuis 2015 ; qu'il ressort des auditions que son époux la trompe depuis 2014, qu'elle veut se séparer de celui-ci et qu'elle fait chambre à part ; qu'en 2018, son époux a eu un enfant avec une autre femme ; qu'ainsi, il n'y a plus de vie affective depuis 2014 ; qu'en tout état de cause, pour l'examen des conditions de l'article 21-2 du code civil, il n'y a pas à tenir compte des torts respectifs des époux, si l'absence de communauté de vie est constatée, il ne peut être fait droit à la nationalité française ; qu'ainsi en signant la déclaration de vie commune de vie, les époux ont menti et la demande d’enregistrement de la déclaration de nationalité française doit être rejetée.
Le ministère public indique également que la demanderesse a produit deux copies de son acte de naissance ayant des mentions divergentes quant à la date de naissance de son père, de sorte qu'elle ne justifie pas d'un état civil fiable et certain.
Sur le fond
Aux termes de l’article 21-2 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n°2006-911 du 24 juillet 2006 modifiée par la loi n°2011-672 du 16 juin 2011, ici applicable, l’étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu’à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n’ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.
Décision du 20/06/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
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Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque l’étranger, au moment de la déclaration, soit ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage, soit n’est pas en mesure d’apporter la preuve que son conjoint français a été inscrit pendant la durée de leur communauté de vie à l’étranger au registre des Français établis hors de France.
En outre, le mariage célébré à l’étranger doit avoir fait l’objet d’une transcription préalable sur les registres de l’état civil français. Le conjoint étranger doit également justifier d’une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d'Etat.
En vertu de l’article 26-3 alinéas 3 et 4 du code civil, la décision de refus d’enregistrement de la déclaration de nationalité française fondée sur l’article 21-2 du même code doit intervenir un an au plus après la date à laquelle a été délivré au déclarant le récépissé constatant la remise de toutes les pièces nécessaires à la preuve de recevabilité de la déclaration. L'article 26-4 du code civil poursuit qu'à défaut de refus d'enregistrement dans les délais légaux, copie de la déclaration est remise au déclarant revêtue de la mention de l'enregistrement.
En l'espèce, le récépissé de la déclaration a été remis à Mme [P] [V] le 18 mars 2019. La décision de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française est en date du 25 octobre 2019, soit moins d'un an après la remise du récépissé. Aucune pièce ne permet d'établir la date à laquelle la décision de refus d'enregistrement a été notifiée à Mme [P] [V]. Toutefois, celle-ci ne soutient pas que cette notification serait intervenue plus d'un an après la remise du récépissé.
Dès lors, il appartient à Mme [P] [V] de rapporter la preuve, d'une part, d'un état civil fiable et certain, et, d'autre part, de ce que les conditions de la déclaration de nationalité française posées par l'article 21-2 du code civil sont remplies.
Il est en effet rappelé que nul ne peut se voir attribuer la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas de façon certaine de son état civil, par la production de copies intégrales d'actes d’état civil en original, étant précisé que le premier bulletin de la procédure rappelle la nécessité de produire de tels actes.
Il est également rappelé qu'aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et la Côte d'Ivoire, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 21 de l'accord de coopération en matière de justice signé le 24 avril 1961 et publié le 10 février 1982 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer et, s'il s'agit d'expéditions, certifiés conformes à l'original par ladite autorité.
En l'espèce, le ministère public conteste notamment le caractère fiable et certain de l'état civil de Mme [P] [V], faisant valoir qu'elle a produit lors de la souscription de la déclaration de nationalité française deux copies de son acte de naissance comportant des mentions divergentes concernant l'année de naissance de son père.
Le ministère public verse ainsi aux débats :
-une copie intégrale, délivrée le 25 mars 2019, de l'acte de naissance n°774 de la demanderesse, indiquant qu'elle est née à [Localité 4] le 20 décembre 1986 de [M] [V], né le 20 juin 1960 (pièce n°1 du ministère public),
-une copie, délivrée le 30 août 2017, de l'acte de naissance n°774 de la demanderesse, indiquant qu'elle est née à [Localité 4] le 20 décembre 1986 de [M] [V], né en 1959 (pièce n°2 du ministère public).
Comme indiqué à juste titre par le ministère public, la mention concernant la date de naissance du père diffère dans les deux copies produites, le 20 juin 1960 ou 1959.
La demanderesse n'a pas formulé d'observation sur ces divergences et n'a produit aucun acte de naissance.
Il convient donc de rappeler qu'en principe l'acte de naissance est un acte unique, conservé dans le registre des actes de naissance, de sorte que les copies d’un même acte d’état civil doivent nécessairement comporter des mentions identiques, dès lors qu’elles se bornent à retranscrire les mentions de l’acte d’origine. Les divergences entre les différentes copies remettant ainsi en cause le caractère probant des dits actes, sans qu'aucune ne puisse dès lors faire foi au sens de l'article 47 du code civil.
Dès lors, au regard des divergences précitées sur les différentes copies de l'acte de naissance de Mme [P] [V], cet acte est dépourvu de toute force probante au sens de l'article 47 du code civil.
Partant, Mme [P] [V] ne justifie pas d'un état civil fiable et certain, de sorte qu'elle ne peut revendiquer la nationalité française à aucun titre.
En conséquence, Mme [P] [V] sera déboutée de sa demande d'enregistrement de la déclaration de nationalité française qu'elle a souscrite sur le fondement de l'article 21-2 du code civil et, dès lors qu'elle ne peut revendiquer la nationalité française à quelque titre que ce soit, il sera jugé, conformément à la demande reconventionnelle du ministère public, qu'elle n'est pas de nationalité française.
Décision du 20/06/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
N°RG 24/05235
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, la mention de la présente décision sera ordonnée en application de cet article.
Sur les demandes accessoires
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, Mme [P] [V], qui succombe, sera condamnée aux dépens.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Mme [P] [V] ayant été condamnée aux dépens, sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
Sur l'exécution provisoire
Mme [P] [V] sollicite du tribunal de dire n'avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Au regard du sens de la présente décision, étant en outre rappelé que l'exécution provisoire est exclue en matière de nationalité par les dispositions de l'article 1045 du code de procédure civile, cette demande sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par jugement en premier ressort et contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe :
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
Déclare irrecevables les conclusions au fond de Mme [P] [Y] [V], notifiées par la voie électronique le 16 mars 2024 ;
Déboute Mme [P] [Y] [V] de sa demande d’enregistrement de sa déclaration de nationalité française souscrite le 14 novembre 2018, devant le préfet de l'Essonne, sous la référence 2019DX019048 ;
Juge que Mme [P] [Y] [V], se disant née le 20 décembre 1986 à [Localité 4] (Côte d'Ivoire), n’est pas de nationalité française ;
Ordonne la mention prévue à l’article 28 du code civil en marge des actes concernés ;
Rejette la demande de Mme [P] [Y] [V] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [P] [Y] [V] aux dépens ;
Rejette la demande formée par Mme [P] [Y] [V] relative à l'exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 20 Juin 2024
La GreffièreLa Présidente
Christine KermorvantMaryam Mehrabi