TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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1/2/1 nationalité A
N° RG 24/04369
N° Portalis 352J-W-B7I-C4QUS
N° PARQUET : 23/11425
N° MINUTE :
Assignation du :
11 Septembre 2023
M.M.
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 20 Juin 2024
DEMANDEUR
Monsieur [J] [A]
[Adresse 1]
[Localité 3] (ALGERIE)
représenté par Me Nadir HACENE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0298
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 5]
[Localité 2]
Monsieur Arnaud FENEYROU, Vice-Procureur
Décision du 20 juin 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 24/04369
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs
assistées de Christine Kermorvant, Greffière
DEBATS
A l’audience du 02 Mai 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Contradictoire
en premier ressort
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente et par Madame Christine Kermorvant, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
Vu les articles 56, 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions de Mme [G] [K], en son nom personnel, et de Mme [G] [K] et M. [C] [A], en qualité de représentants légaux des enfants [J] [A] et [S] [A], constituées par l'assignation délivrée le 17 novembre 2020 au procureur de la République, et le bordereau de communication de pièces notifié par la voie électronique le 6 mai 2021,
Vu les conclusions en reprise d'instance de M. [J] [A], notifiées par la voie électronique le 20 décembre 2022,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 16 août 2023,
Vu l'ordonnance de disjonction rendue le 7 septembre 2023,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 14 septembre 2023 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 12 octobre 2023,
Vu le jugement de radiation rendu le 2 novembre 2023,
Vu la demande de remise au rôle du demandeur notifiée par la voie électronique le 22 mars 2024,
Vu la fixation de l'affaire à l'audience de plaidoiries du 2 mai 2024,
MOTIFS
Sur la reprise d'instance
Par application des dispositions des articles 373 et suivants du code de procédure civile, il y a lieu de recevoir M. [J] [A], devenu majeur en cours de procédure, en sa reprise d'instance.
Sur la procédure
Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 11 mai 2021. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action déclaratoire de nationalité française
M. [J] [A], se disant né le 16 septembre 2004 à [Localité 4] (Algérie), revendique la nationalité française par filiation maternelle, sur le fondement de l'article 18 du code civil. Il expose que sa mère, Mme [G] [K], née le 15 février 1975 à [Localité 3] (Algérie), est descendante de [E] [O], français de statut civil de droit commun.
Sur la demande de constat
La demande de constat formée par M. [J] [A] ne constitue pas une prétention au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile mais un moyen. Elle ne donnera donc pas lieu à mention au dispositif.
Sur le fond
En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.
Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée par le demandeur, l'action relève des dispositions de l’article 18 du code civil aux termes duquel est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français.
Il est en outre rappelé que les effets sur la nationalité française de l’accession à l’indépendance des départements d’Algérie, fixés au 1er janvier 1963, sont régis par l’ordonnance n°62-825 du 21 juillet 1962 et par la loi n°66-945 du 20 décembre 1966 ; ils font actuellement l’objet des dispositions des articles 32-1 et 32-2 du code civil ; il résulte en substance de ces textes que les Français originaires d’Algérie ont conservé la nationalité française:
- de plein droit, s’il étaient de statut civil de droit commun ce qui ne pouvait résulter que de leur admission ou de celle de l’un de leur ascendant, ce statut étant transmissible à la descendance, à la citoyenneté française en vertu exclusivement, soit d’un décret pris en application du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, soit d’un jugement rendu sur le fondement de la loi du 4 février 1919 ou, pour les femmes, de la loi du 18 août 1929, ou encore de leur renonciation à leur statut personnel suite à une procédure judiciaire sur requête, étant précisé que relevaient en outre du statut civil de droit commun les personnes d’ascendance métropolitaine, celles nées de parents dont l’un relevait du statut civil de droit commun et l’autre du statut civil de droit local, celles d’origine européenne qui avaient acquis la nationalité française en Algérie et les israélites originaires d’Algérie qu’ils aient ou non bénéficié du décret “Crémieux” du 24 octobre 1870 ;
- s’ils étaient de statut civil de droit local, par l’effet de la souscription d’une déclaration de reconnaissance au plus tard le 21 mars 1967 (les mineurs de 18 ans suivant la condition parentale dans les conditions prévues à l’article 153 du code de la nationalité française), ce, sauf si la nationalité algérienne ne leur a pas été conférée postérieurement au 3 juillet 1962, faute de quoi ils perdaient la nationalité française au 1er janvier 1963.
Il appartient donc à M. [J] [A], non titulaire d'un certificat de nationalité française, de démontrer, d'une part, une chaîne de filiation légalement établie à l'égard de son ascendant revendiqué et, d'autre part, d'établir que celui-ci relevait du statut civil de droit commun, par des actes d’état civil fiables et probants au sens de l’article 47 du code civil, étant rappelé qu'aux termes de l’article 20-1 du code civil, la filiation de l'enfant n'a d'effet sur la nationalité de celui-ci que si elle est établie durant sa minorité.
Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et l'Algérie, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 36 du protocole judiciaire signé le 28 août 1962 et publié par décret du 29 août 1962 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer.
Enfin, nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s’il ne dispose d’un état civil fiable et certain.
Décision du 20 juin 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 24/04369
En l'espèce, l'acte de naissance de M. [J] [A] indique qu'il est né le 16 septembre 2004 à [Localité 4] (Algérie), de [C] et de [G] [K] (pièce n°17 du demandeur).
L'acte de naissance de celle-ci indique qu'elle est née le 15 février 1975 à [Localité 3] (Algérie), de [L] et de [V] [W] (pièce n°13 du demandeur).
L'acte mentionne en outre que la naissance a été déclarée par le père de sorte que le lien de filiation entre Mme [G] [K] et [L] [K] est établi.
L'acte de naissance de [L] [K] mentionne qu'il est né le 20 juin 1933 à [Localité 4] (Algérie), de [Y] et de [G] [O] (pièce n°9 du demandeur). Le mariage de ces derniers a été célébré à [Localité 4] (Algérie) le 30 juin 1920, soit avant la naissance de [L] [K] (pièce n°9 du demandeur).
Il ressort de l'acte de naissance de [G] [O] qu'est née le 27 février 1895 à [Localité 3], de [E] et de [F] [H], la naissance ayant été déclarée par le père (pièce n°5 du demandeur).
L'acte de naissance de [E] [O] indique qu'il est présumé né en 1856 à [Localité 3] (pièce n°2 du demandeur).
Il est ainsi justifié d'une chaîne de filiation légalement établie entre Mme [G] [K] et [E] [O].
Il est en outre établi que ce dernier a été admis à la qualité de citoyen français par décret du 17 septembre 1903 pris en application du Sénatus-consulte du 14 juillet 1865.
Descendant d'un admis, [L] [K] a conservé la nationalité française lors de l’accession à l’indépendance de l’Algérie.
Ainsi, née d'un père français, Mme [G] [K] est elle-même de nationalité française en application de l'article l'article 17 du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de la loi du 9 janvier 1973 aux termes duquel est français l’enfant, légitime ou naturel, dont l’un des parents au moins est français.
Par ailleurs, le lien de filiation de M. [J] [A] à l'égard de Mme [G] [K] est établie par la désignation de celle-ci dans son acte de naissance conformément à l'article 311-25 du code civil (pièce n°17 du demandeur).
Le ministère public soulève la désuétude tirée de l'article 30-3 du code civil et sollicite du tribunal de dire que M. [J] [A] n'est pas admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française et qu'il est présumé avoir perdu la nationalité française le 4 juillet 2012.
Aux termes de l’article 30-3 du code civil, lorsqu’un individu réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français.
M. [J] [A] n'a pas cru devoir formuler une quelconque observation sur ce point.
Le tribunal rappelle donc qu'il est constant que les enfants mineurs suivent nécessairement la condition de leur parent et ne peuvent se voir opposer, pendant leur minorité, la désuétude de l'article 30-3 du code civil qui n'est pas opposée par le ministère public à leur auteur.
En l'espèce, l'instance a été engagée du temps de la minorité de M. [J] [A], représenté par Mme [G] [K] et M. [C] [A]. Or, aux termes de ses écritures concernant Mme [G] [K], le ministère public n'a pas opposé la désuétude à celle-ci, dont la nationalité française est établie. Dès lors, la désuétude ne peut être opposée à M. [J] [A].
Les demandes du ministère public tirées des dispositions de l'article 30-3 du code civil seront donc rejetées.
La filiation de M. [J] [A] à l'égard de Mme [G] [K], de nationalité française, étant établie, il y a lieu de juger qu'il est de nationalité française en application des dispositions de l'article 18 du code civil, précité.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, cette mention sera en l’espèce ordonnée.
Sur les dépens
L'instance ayant été nécessaire pour l'établissement des droits de M. [J] [A], chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
Par voie de conséquence, la demande de recouvrement des dépens au profit de Maître Nadir Hacène sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
Reçoit M. [J] [A] en sa reprise d'instance ;
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
Rejette les demandes du ministère public tirées de l'article 30-3 du code civil en ce qui concerne l'enfant [S] [A] ;
Juge que M. [J] [A], né le 16 septembre 2004 à [Localité 4] (Algérie), est de nationalité française ;
Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Rejette la demande de recouvrement des dépens au profit de Maître Nadir Hacène.
Fait et jugé à Paris le 20 Juin 2024
La GreffièreLa Présidente
Christine KermorvantMaryam Mehrabi