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20/06/2024 | FRANCE | N°21/10719

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 5ème chambre 2ème section, 20 juin 2024, 21/10719


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions exécutoires
Me Michel-Paul ESCANDE
Me Christian BREMOND
+ 1 copie dossier
délivrées le:




5ème chambre 2ème section
N° RG 21/10719
N° Portalis 352J-W-B7F-CU5ZP

N° MINUTE :




Assignation du :
03 Août 2021









JUGEMENT
rendu le 20 Juin 2024
DEMANDERESSE

Madame [F] [Z] [N] [S] née [H], née le 21 novembre 1947 à [Localité 3] (Mali), de nationalité française, demeurant [Adresse 2]
PARIS, retraité

e

représentée par Maître Michel-Paul ESCANDE de la SELEURL CABINET M-P ESCANDE, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #R0266

DÉFENDEUR

Monsieur [R] [E], né le 2...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions exécutoires
Me Michel-Paul ESCANDE
Me Christian BREMOND
+ 1 copie dossier
délivrées le:

5ème chambre 2ème section
N° RG 21/10719
N° Portalis 352J-W-B7F-CU5ZP

N° MINUTE :

Assignation du :
03 Août 2021

JUGEMENT
rendu le 20 Juin 2024
DEMANDERESSE

Madame [F] [Z] [N] [S] née [H], née le 21 novembre 1947 à [Localité 3] (Mali), de nationalité française, demeurant [Adresse 2]
PARIS, retraitée

représentée par Maître Michel-Paul ESCANDE de la SELEURL CABINET M-P ESCANDE, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #R0266

DÉFENDEUR

Monsieur [R] [E], né le 2 janvier 1943 à [Localité 5], de nationalité française, retraité, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Christian BREMOND, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #R0038

Décision du 20 Juin 2024
5ème chambre 2ème section
N° RG 21/10719 - N° Portalis 352J-W-B7F-CU5ZP

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Antoine de MAUPEOU, Premier Vice-Président adjoint
Thierry CASTAGNET, Premier Vice-Président Adjoint
Antoinette LE GALL, Vice-Présidente

assistés de Catherine BOURGEOIS, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 12 Mars 2024 tenue en audience publique devant, Antoinette LE GALL, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux conseils des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024 et prorogée le 20 juin 2024.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

********

EXPOSE DU LITIGE

Madame [F] [S] née [H], est légataire universelle de l’artiste sculpteur [B] [L].

Le 29 avril 1987, Madame [S] a conclu avec Monsieur [R] [E], Commissaire-Priseur, un contrat d’édition portant autorisation de tirages en bronze, aux dimensions réelles, d’une sculpture attribuée à [B] [L], pseudonyme masculin d’une artiste hongroise née sous l’identité d’[P] [L].

Aux termes de ce contrat, Madame [S] a cédé à Monsieur [E] les droits d’édition, dans la limite de douze exemplaires dont quatre hors commerce, portant sur la sculpture intitulée “DEESSE 1953 - DEESSE ASSISE”.

Madame [S] s’engageait à prêter l’œuvre en bois, exemplaire unique, pour une durée de 3 ans, afin que Monsieur [E] puisse réaliser les tirages.

En contrepartie, Monsieur [E] s’engageait à payer, pour chaque tirage, une somme égale à la moitié de la différence entre le prix de vente et le prix de revient, sans que ce prix ne puisse être inférieur à 100.000 francs, et à remettre à Madame [S] deux desdits tirages hors commerce.

Soutenant que Monsieur [E] n’avait pas restitué l’oeuvre originale et n’avait pas davantage rempli ses obligations contractuelles, après mise en demeure du 17 mai 2019 et sommation du 2 octobre 2019, Madame [S], par acte d’huissier de justice du 3 août 2021, a fait assigner Monsieur [R] [E] devant le tribunal judiciaire de Paris afin que celui-ci :

A titre principal ;
- Condamne Monsieur [E] à lui restituer la sculpture “ DEESSE 1953 - DEESSE ASSISE” d’[B] [L] ;
A titre subsidiaire et en cas d'impossibilité de restituer la sculpture :
- Condamne Monsieur [E] à lui payer la somme de 50.000 (sic)au titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, augmentée d'intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2019 ;
En tout état de cause ;
- Condamne Monsieur [E] à lui payer la somme de 15.244,91 euros en exécution du contrat conclu le 29 avril 1987, augmentée d'intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2019 ;
- Condamne Monsieur [E] à lui payer la somme de 15.000 (sic) au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- Condamne Monsieur [E] à lui payer ACQ la somme de 10.000 (sic) au titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
- Condamne (sic) à lui payer la somme de 8.000 euros au titre des frais de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction à Maître Michel-Paul Escande au titre de l’article 699 du code de procédure civile.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 octobre 2022, Madame [S] a maintenu ses demandes exactement dans les mêmes termes.

Au soutien de ses prétentions, elle expose pour l’essentiel que l’obligation de restitution de l’oeuvre qui lui a été confiée pour les besoins des tirages prévus par le contrat incombe à Monsieur [E] mais que celui-ci ne s’est jamais exécuté.
Elle conteste lui avoir vendu ladite sculpture et fait observer qu’il ne rapporte pas la preuve de l’achat dont il se prévaut.
Sur ce point, elle rappelle que l’article 1341 du code civil, dans sa version en vigueur du 13 juillet 1980 au 1er octobre 2016 imposait la rédaction d’un acte notarié ou d’un acte sous seing privé pour toute chose excédant une valeur fixée par décret, et que cette valeur était fixée à l’origine à 150 francs, puis à 800 euros en 2001, pour atteindre 1.500 euros aujourd’hui.
Elle fait valoir que c’est au prix d’un renversement de la charge de la preuve telle que prévue par l’article 1353 du code civil que Monsieur [E] soutient que ce serait à elle de rapporter la preuve des sommes qui lui auraient été payées au titre des contrats conclus entre eux.
Elle insiste sur le caractère imprescriptible de l’action en revendication attachée au droit de propriété.
Selon elle, le contrat de 1987 établit que Monsieur [E] était simple détenteur de l’oeuvre et qu’il devait la restituer après l’exécution des tirages prévus au contrat.

Elle évalue son préjudice en cas de non-restitution de l’oeuvre à 50.000 euros puisqu’un tirage en bronze a été vendu au prix de 37.500 euros et que l’original a nécessairement une valeur supérieure.

Elle reproche enfin à Monsieur [E] de n’avoir pas respecté ses engagements contractuels quant au reversement de la part lui revenant sur la vente des tirages alors qu’il est établi que l’un d’eux a été vendu aux enchères chez SOTHEBY’S le 17 mai 2017 au prix de 37.500 euros.
Elle s’estime fondée à réclamer à ce titre la somme de 15.244,91 euros, outre 15.000 euros en réparation de son préjudice moral et 10.000 euros pour résistance abusive.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 mars 2023, Monsieur [R] [E] demande au tribunal de :

- Juger qu’il justifie d’un titre par sa possession revêtant toutes les qualités de l’article 2261 depuis 2006, sur l’œuvre revendiquée ;
- Débouter en conséquence Madame [S] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner Madame [S] à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Madame [S] aux dépens lesquels pourront être recouvrés directement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile par Maître Christian Brémond, avocat.

A l’appui, Monsieur [E] fait essentiellement valoir que compte tenu de sa possession depuis 1987, il remplit les conditions prévues par l’article 2261du code civil.
A cet égard, il se prévaut du catalogue d’une exposition de 2006 qui mentionne au sujet de la sculpture litigieuse “Collection de Maître [E]” ce qui, selon lui, démontre sa possession à titre de propriétaire et ce depuis l’expiration du contrat d’édition.

Pour autant , il indique ne pas revendiquer une acquisition de propriété par usucapion, mais une acquisition par le contrat de vente, translatif de propriété dont “il démontre l’existence par sa possession revêtant toutes les qualités de l’article 2262 du code civile plus que trentenaire”.

S’agissant de la vente d’un exemplaire des tirages évoqués par Madame [S], il explique n’avoir fait procéder qu’à deux tirages qui n’étaient pas destinés à la vente se trouvant dans des maisons de villégiature lui appartenant, et qu’à la vente de l’une d’elles, il a vendu le tirage chez SOTHEBY’S en 2021.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, le tribunal renvoie aux conclusions des parties pour un exposé plus complet de leurs prétentions et moyens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023,et les plaidoiries ont été fixées au 12 mars 2023.

A l’issue des débats les parties ont été informées de ce que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024, et prorogé le 20 juin 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la propriété de la sculpture et la demande de restitution

Il n’est pas contesté que la sculpture originale “ DEESSE 1953 - DEESSE ASSISE” d’[B] [L] était la propriété de Madame [F] [S] en sa qualité de légataire universelle de l’artiste.

Il est également constant qu’aux termes du contrat d’édition du 29 avril 1987, cette sculpture a été prêtée à Monsieur [R] [E] afin qu’il puisse faire réaliser les tirages prévus par le contrat.

Aux termes de l’article 1875 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, le prêt à usage ou commodat est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi.

L’article 1877 dispose par ailleurs que le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée.

En outre, l’article 1134 ancien du code civil impose aux cocontractants une exécution de bonne foi des conventions qui les lient.

Il s’ensuit que Monsieur [E] ne peut en aucun cas se méprendre sur la nature du contrat du 29 avril 1987 par lequel l’oeuvre originale lui a été prêtée.
Conformément à l’article 1877 rappelé ci-dessus, l’expiration du contrat de prêt n’a pas pour effet d’opérer un transfert de propriété du prêteur vers l’emprunteur.

Par ailleurs, la possession prévue par l’article 2261 est un moyen d’acquisition de la propriété par prescription mais n’emporte pas la preuve, comme le prétend le défendeur, de l’existence d’un contrat de vente translatif de propriété qui suppose la rencontre des volontés sur la chose et sur son prix.

Monsieur [E] expose expressément qu’il ne revendique pas la propriété de l’oeuvre par prescription acquisitive mais par contrat et c’est donc sur lui que pèse la charge de la preuve de l’existence de celui-ci. Outre la volonté commune des parties, c’est également sur lui que pèse la charge de la preuve non seulement des paiements qu’il prétend avoir fait à Madame [S], mais également de leur cause.

Monsieur [E] qui ne produit absolument rien est totalement défaillant dans l’administration de la preuve qui lui incombe concernant le transfert de propriété de l’oeuvre litigieuse.

Il ne peut pas d’avantage, sans se départir de la bonne foi exigée dans l’exécution des conventions, se prévaloir des dispositions de l’article 2276 du code précité alors qu’il sait parfaitement détenir l’objet en qualité d’emprunteur.

Madame [S] est donc propriétaire de l’oeuvre qui doit lui être restituée, étant observé que Monsieur [E] ne conteste pas en être le détenteur et qu’aucune impossibilité de restituer n’est avancée.

Dès lors, Monsieur [E] sera condamné à restituer l’oeuvre à Madame [S].

Sur le préjudice financier

A l’appui de sa demande, Madame [S] se prévaut d’une vente aux enchères intervenue par l’intermédiaire de SOTHEBY’S, d’un tirage en bronze numéroté 1/8 de l’œuvre “DEESSE 1953 – DEESSE ASSISE” d’[B] [L], le 17 mai 2017 à [Localité 4].

Elle produit à l’appui la fiche du lot 117 de cette vente ainsi qu’un courrier de confirmation de SOTHEBY’S du 8 juin 2021 qui confirme la vente au prix de 37.500 euros.

Si la fiche et le courrier de SOTHEBY’S font mention d’une oeuvre intitulée “LA FEMME GRAND SIEGE”, l’examen comparé de ces documents et de ceux produits par Monsieur [E] et notamment l’ouvrage de 1985 consacré à [B] [L] permet de constater que la sculpture vendue le 17 mai sous le nom “ LA FEMME GRAND SIEGE” est bien la sculpture intitulée dans l’ouvrage “1953 - DESSE ASSISE” et qu’il s’agit bien de l’oeuvre objet du contrat d’édition de 1987.

Le contrat prévoyait 8 tirages numérotés de 1 à 8 et 4 tirages énoncés A, B, C et D dont deux étaient destinés à Madame [S], et deux à Monsieur [E].

Le tirage vendu le 17 mai 2017 est numéroté 1/8 et Monsieur [E] ne rapporte donc nullement la preuve qu’il s’agisse, comme il le prétend, d’un de ses tirages hors du commerce.

Le prix devant revenir à Madame [S] en cas de vente était stipulé ainsi :

“ Prix de vente moins prix de revient divisé par deux avec un minimum de 100.000 francs”

Madame [S] est donc fondée à réclamer le minimum prévu soit la contrevaleur en euros de 100 000 frs déterminée ainsi : 100.000 frs / 6,55957 = 15.244,91 euros. Monsieur [E] sera condamné au paiement de cette somme.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral

Le nombre d’années que Madame [S] a laissé s’écouler avant de réclamer la restitution de la sculpture démontre que celle ci-ne lui a pas fait défaut.

Elle ne rapporte donc pas la preuve d’un préjudice particulier et sera déboutée de cette demande.

Sur les dommages et intérêts pour résistance abusive

Madame [S] ne démontre pas d’avantage un préjudice particulier de ce chef et elle sera également déboutée de sa demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Monsieur [R] [E] qui succombe sera tenu aux dépens.

Aucune considération tirée de l’équité n’impose de laisser à la charge de Madame [S] la totalité des frais non compris dans les dépens exposés à l’occasion de la présente instance.

Monsieur [R] [E] sera donc condamné à lui payer la somme de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

Selon l’article 514 du code de procédure civile les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

En l’espèce, aucune circonstance particulière ne justifie qu’elle soit écartée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, et en premier ressort ;

CONDAMNE Monsieur [R] [E] à restituer à Madame [F] [S] née [H] la sculpture de l’artiste [B] [L] intitulée “ ”DEESSE 1953 - DEESSE ASSISE” objet du contrat du 29 avril 1987 ;

CONDAMNE Monsieur [R] [E] à payer à Madame [F] [S] née [H] la somme de 15.244, 91 euros au titre de la vente du 17 mai 2017 ;

DEBOUTE Madame [F] [S] née [H] de ses demandes de dommages et intérêts;

CONDAMNE Monsieur [R] [E] à payer à Madame [F] [S] née [H] la somme de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit et DIT n’y avoir lieu de l’écarter ;

CONDAMNE Monsieur [R] [E] aux dépens qui pourront être recouvrés par Maître Michel-Paul Escande conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 20 Juin 2024

Le GreffierLe Président

Catherine BOURGEOISAntoine de MAUPEOU


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 5ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 21/10719
Date de la décision : 20/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-20;21.10719 ?
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