TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :
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2ème chambre civile
N° RG 19/10141
N° Portalis 352J-W-B7D-CQS6D
N° MINUTE :
Assignation du :
17 Juillet 2019
JUGEMENT
rendu le 20 Juin 2024
DEMANDERESSE
Madame [D] [X] épouse [F]
[Adresse 5]
[Localité 8]
représentée par Maître Nicolas LAURENT-BONNE de la SELARL SELARL 2H AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #L0056
DÉFENDERESSES
Madame [N] [F] veuve [H]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Maître Michel BOHBOT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #B0213
S.A. [14]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Maître Stéphanie COUILBAULT-DI TOMMASO dela SELARL MESSAGER COUILBAULT, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D1590
Décision du 20 Juin 2024
2ème chambre civile
N° RG 19/10141 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQS6D
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Jérôme HAYEM, Vice-Président
Caroline ROSIO, Vice-Présidente
Robin VIRGILE, Juge
assistés de Adélie LERESTIF, greffière lors des débats et de Sylvie CAVALIE, greffière lors de la mise à disposition.
DEBATS
A l’audience collégiale du 25 Avril 2024 présidée par [V] [U] et tenue publiquement, rapport a été fait par [I] [C], en application de l’article 804 du code de procédure civile.
Après clôture des débats, avis a été donné aux conseils des parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024. .
JUGEMENT
Prononcé en audience publique
Contradictoire et en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
[A] [F], dont le dernier domicile était à [Localité 11], est décédé le [Date décès 4] 2019 laissant pour unique héritière [D] [X], son épouse commune en biens.
[A] [F] avait souscrit le 28 février 1989 un contrat d'assurance-vie Lion Retraite auprès de la société [9]. Le 9 mars 2011, il avait institué, en cas de décès, sa sœur [N] [F] épouse [H] comme bénéficiaire de ce contrat.
Le 22 mars 2017, [A] [F] a demandé « le transfert de [son] adhésion au contrat source Lion Retraite (...) vers une nouvelle adhésion au contrat Acuity », souscrit auprès de la société [15] (ci-après la société [13]), avec pour bénéficiaire en cas de décès ses héritiers.
Le 18 avril 2017, [A] [F] a modifié la clause bénéficiaire en cas de décès du contrat Acuity et a désigné [N] [F].
Par exploit d'huissier en date du 17 juillet 2019, [D] [X] a assigné [N] [F] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de :
- la déclarer bénéficiaire du contrat d’assurance-vie et inclure le capital de ce contrat dans « la masse à partager »,
- prononcer la nullité des dons manuels du défunt à [N] [F],
- la condamner à lui verser une somme de 614.300 euros,
- subsidiairement, la condamner à lui verser 155.825 euros et le quart de l’assurance-vie réintégrée à l’actif successoral.
La société [13] est volontairement intervenue à l’instance.
L’affaire a été renvoyée devant le juge de la mise en état.
Par ordonnance du 4 décembre 2020, le juge de la mise en état a commis, en qualité d’expert, le docteur [Y] [O] avec pour mission essentielle de déterminer si entre le 1er avril 2011 et son décès, l’état de santé de [A] [F] faisait que ses facultés mentales étaient altérées de telle façon qu’il ne pouvait exprimer une volonté saine, c’est-à-dire remettre en connaissance de cause des sommes d’argent à des proches ou souhaiter que le capital attaché à son contrat d’assurance-vie revienne à un proche après sa mort et comprendre la portée du souhait ainsi émis.
L'expert a déposé son rapport le 25 août 2021, aux termes duquel il conclut « Il n'est donc pas exclu que ces facteurs combinés : handicap lié à la surdi mutité apparue à la naissance et générant un déficit intellectuel, troubles cognitifs liés au vieillissement, et éléments dépressifs aient pu contribuer à une altération du jugement non pas dans le sens d'un syndrome démentiel, c'est à dire d'une altération profonde du jugement, mais simplement dans la non représentation des enjeux et des sommes engagées dans les transactions, transactions dont les modalités sont en fait des abstractions, ce qui est d'autant plus difficile à se représenter et donc à gérer. »
Dans ses dernières conclusions récapitulatives signifiées par voie électronique le 29 août 2022, [D] [X] demande au tribunal de :
« Vu les articles 414-1 ; 414-2 ; 901 ; 912 ; 914-1 ; 922 ; 931 ; 1129 ; 1401 ; 1402 ; 1422 et 1427 du Code civil ;
Vu l’article L.132-13 du Code des assurances ;
Vu les jurisprudences et pièces versées aux débats ;
Il est demandé au Tribunal de :
− HOMOLOGUER le rapport d’expertise du Docteur [O] en date du 25 août 2021 ;
Sur le contrat d’assurance vie ACUITY souscrit auprès de
[13] :
À titre principal,
- DEBOUTER Madame [H] de sa demande visant à écarter des débats les attestations en date des 17 et 23 avril 2019 du Docteur [X] ;
- PRONONCER la nullité, pour insanité d’esprit, de l’avenant du 18 avril 2017, portant modification de la clause bénéficiaire du contrat ACUITY n° 701-517791388E en faveur de Madame [H] ;
- ORDONNER le versement des sommes détenues par [13] au bénéfice de Madame [D] [F] ;
À titre subsidiaire,
- JUGER que les primes versées sur le contrat ACUITY sont manifestement excessives et, par conséquent, REQUALIFIER ledit contrat en libéralité ;
- ORDONNER la réduction de la libéralité consentie à Madame [N] [H] ;
- CONDAMNER Madame [N] [H] au paiement d’une indemnité de réduction s’élevant à la somme de 18.034,31 € ;
Sur les virements et chèques intervenus au profit de Madame [N] [H] :
- JUGER que les chèques et virements réalisés au profit de Madame [N] [H] sont des dons manuels, et par conséquent :
À titre principal,
- PRONONCER la nullité des dons manuels consentis à Madame [N] [H], du fait de l’insanité d’esprit de Monsieur [F] au moment de leur réalisation ;
- CONDAMNER Madame [N] [H] à restituer la somme de 617.800 € au profit de l’actif successoral ;
À titre subsidiaire,
- PRONONCER la nullité des dons manuels consentis à Madame [N] [H], prélevés sur des fonds communs, faute pour Madame [D] [F] d’y avoir consenti ;
- CONDAMNER Madame [N] [H] à restituer la somme de 617.800 € au profit de l’actif successoral ;
À titre très subsidiaire,
- JUGER que les libéralités consenties à Madame [N] [H] excèdent la quotité disponible ;
- ORDONNER la réduction des dons manuels consentis à Madame [N] [H],
- CONDAMNER Madame [H] au paiement d’une indemnité de réduction s’élevant à la somme de 120.871,54 € ;
- Si le Tribunal ordonnait la réduction concomitante des primes manifestement exagérées et des dons manuels consentis à Madame [H], CONDAMNER Madame [H] au paiement d’une indemnité de réduction s’élevant alors à la somme de 172.484,31 € ;
En tout état de cause
- DEBOUTER Madame [H] de l’ensemble de ses demandes ;
- CONDAMNER Madame [H] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction sera faite par Maître Christelle UNSALAN, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. »
Dans ses dernières conclusions récapitulatives signifiées par voie électronique le 22 décembre 2022, [N] [F] demande au tribunal de :
« Sur l’ensemble des demandes
Vu le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui,
Vu les articles 56 du CPC et 1383-2 du code civil,
Vu le rapport d’expertise,
Déclarer Mme [X] veuve [F] [D] irrecevable en toutes ses demandes en nullité en l’absence d’insanité d’esprit de M. [F] [A] et en tout état de cause en l’absence de preuve d’une telle insanité à la date de chacun des actes et versements effectués par celui-ci du 1er avril 2011 au 27 février 2019 sur son contrat ACUITY n° 701-517791388E et sur le compte bancaire joint LCL n° 55.747C.
Vu les articles 202 du code civil et R 4127-76 du code de la santé publique, écarter des débats les attestations du Dr [R] [X] en date des 17 avril 2019 et 23 avril 2019.
Sur le contrat d’assurance vie ACUITY n° 701-517791388E
Vu l’article 414-2 du code civil, déclarer Mme [X] veuve [F] [D] irrecevable et en tout cas mal fondée en sa demande en annulation de la désignation de bénéficiaire en date du 18 avril 2017 en l’absence de preuve intrinsèque de trouble mental et d’insanité d’esprit de M. [F] [A] et compte tenu de la reconnaissance de la validité de cette désignation.
Vu les articles L 132-12 et L 132-13 du code des assurances, rejeter la demande subsidiaire de réintégration des primes à la succession en l’absence de caractère manifestement exagéré des versements effectués par M. [F] [A].
Subsidiairement, dire et juger que la réserve héréditaire n’est pas atteinte et débouter Mme [X] veuve [F] [D] de sa demande en paiement d’une indemnité de réduction à hauteur de 18.034,31 €.
Très subsidiairement, vu la fraude commise par Mme [X] veuve [F] [D] à l’occasion de la rédaction de l’avenant du 12 avril 2019 et le principe selon lequel « La fraude corrompt tout », la déchoir de tous droits au titre du contrat d’assurance.
En tout état de cause, enjoindre à [13] de verser à Mme [F] [N] veuve [H] [N] le capital contractuel de 253.083,72 € outre les intérêts postérieurs et au besoin de l’y condamner avec intérêts légaux dans les conditions de l’article L 132-23-1 du code des assurances et capitalisation annuelle conformément à l’article 1343-2 du code civil.
Sur les prétendus dons manuels
Vu les articles 32 et 9 du CPC,
Déclarer Mme [X] veuve [F] [D] irrecevable et mal fondée en sa demande en annulation des versements effectués par M. [F] [A] par chèques tirés sur le compte joint LCL n° 55.747C pour un total de 46.000 € (chèques n° 3563931 de 1.000 €, n° 3563935 de 1.000 €, n° 1171457 de 5.000 €, n° 2494719 de 9.000 €, n° 2494702 de 3.000 €, n° 2494708 de 3.000 €, n° 2494710 de 3.000 €, n° 2494716 de 3.000 €, n° 2494718 de 5.000 €, n° 5970993 de 8.000 €, n° 2494727 de 5.000 €) et l’en débouter.
Déclarer Mme [X] veuve [F] [D] mal fondée en sa demande en annulation des versements effectués par M. [F] [A] par chèques tirés sur le compte joint n° 55.747C pour un total de 16.000 € (chèques n° 3563939 de 2.500 €, n° 3563940 de 2.500 €, n° 3563942 de 2.500 €, n° 3563951 de 2.500 €, n° 0740843 de 3.000 €, n° 0740851 de 3.500 €) et l’en débouter.
Vu les articles 414-1, 414-2, 1129, 901, 2224 du code civil, déclarer Mme [X] veuve [F] [D] irrecevable comme prescrite en son action en nullité pour insanité d’esprit au titre des versements effectués par M. [F] [A] par chèques tirés sur le compte joint n° 55.747C, n° 3563931 de 1.000 €, n° 3563935 de 1.000 €, n° 3563939 de 2.500 €, n° 3563940 de 2.500 €, n° 3563942 de 2.500 €, n° 3563944 de 3.000 €, n° 3563950 de 2.500 €, n° 3563951 de 2.500 €, n° 0740843 de 3.000 €, n° 0740844 de 3.800 €, n° 0740850 de 3.500 €, n° 0740851 de 3.500 €, et par virement du 1 er novembre 2012 de 550.000 €, pour un total de 583.800 €.
Vu les articles 414-1 et 414-2 du code civil, déclarer Mme [X] veuve [F] [D] mal fondée en ses demandes en qualification de dons manuels et en annulation des versements effectués par M. [F] [A] sur la période du 1 er avril 2011 au 27 février 2019 à hauteur de 617.800 € en l’absence d’insanité d’esprit de M. [F] [A] et de preuve intrinsèque de trouble mental.
Vu les articles 1402 et 1405 du code civil, débouter Mme [X] veuve [F] [D] de ses demandes en annulation des versements précités à hauteur de 617.800 € compte tenu de l’origine propre des fonds.
Subsidiairement, vu l’article 1427 du code civil, déclarer Mme [X] veuve [F] [D] irrecevable comme prescrite en son action en nullité pour dépassement de pouvoir au titre des versements effectués par M. [F] [A] par chèques tirés sur le compte joint n° 55.747C, n° 3563931 de 1.000 €, n° 3563935 de 1.000 €, n° 3563939 de 2.500 €, n° 3563940 de 2.500 €, n° 3563942 de 2.500 €, n° 3563944 de 3.000 €, n° 3563950 de 2.500 €, n° 3563951 de 2.500 €, n° 0740843 de 3.000 €, n° 0740844 de 3.800 €, n° 0740850 de 3.500 €, n° 0740851 de 3.500 €, et par virement du 1er novembre 2012 de 550.000 €, pour un total de 583.800 €.
Très subsidiairement, vu les articles 1421 à 1425, 221 et 224 du code civil, débouter Mme [X] veuve [F] [D] de ses demandes en annulation des versements précités à hauteur de 617.800 € en l’absence de dépassement de pouvoir.
En tout état de cause, dire et juger que la réserve héréditaire n’est pas atteinte et débouter Mme [X] veuve [F] [D] de sa demande en paiement d’une indemnité de réduction à hauteur de 120.871,54 € et subsidiairement de 172.484,31 €.
Débouter Mme [X] veuve [F] [D] de l’intégralité de ses autres demandes.
La condamner à payer à Mme [F] [N] veuve [H] [N] une indemnité de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC.
La condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître [L] BOHBOT, conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC. »
Dans ses dernières conclusions récapitulatives signifiées par voie électronique le 6 juillet 2022, la société [13] demande au tribunal de :
« In limine litis,
- Recevoir l’intervention volontaire de la Société [13], assureur des contrats d’assurance vie de Monsieur [A] [F], dont sa veuve, demanderesse à l’instance, demande le paiement ;
Sur le fond,
Sur la demande principale et l’attribution bénéficiaire du contrat «ACUITY», n° 701-517791388E, de Monsieur [A] [F],
- Juger que la Société [13], qui détient le capital décès assuré (253.083,72 € brut de fiscalité), s’en rapporte à la décision du Tribunal quant à la validité de l’acte de changement de bénéficiaire du 18.04.2017 ;
- Ordonner le règlement du capital décès, dans les conditions prévues au Code général des Impôts (art. 990 I), après remise de l’attestation sur l’honneur à l’assureur par la bénéficiaire :
• à Mme [N] [H], sœur de l’assuré en cas de validité de la modification bénéficiaire du 18.04.2017 ; 9
• à Mme [D] [F], veuve de l’assuré en cas de nullité de la modification bénéficiaire du 18.04.2017.
- Rejeter la demande d’intérêts de retard ;
Sur la demande subsidiaire de réduction des primes manifestement exagérées,
- Juger que la Société [13] s’en remet à la décision à intervenir sur le caractère éventuellement exagéré des primes versées par M. [A] [F] sur son contrat d’assurance vie «ACUITY», n° 701- 517791388E, et sur la demande de sa veuve de réduction pour atteinte à sa réserve héréditaire des primes versées afin de réintégration de l’excès à la succession ;
Et en conséquence, juger que :
• l’éventuel excès retenu par le Tribunal sera réglé par la Société [13] entre les mains du Notaire chargé de la succession ;
• et le solde du capital décès assuré sera réglé à Mme [H], dans les conditions prévues au Code général des impôts (art. 990 I).
En toute hypothèse,
- Rejeter toute demande complémentaire dirigée contre la Société [13] ;
- Ecarter l’exécution provisoire ;
- Condamner toute partie perdante à verser à la Société [13] la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner toute partie perdante aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl MESSAGER COUILBAULT, représentée par Maître Stéphanie COUILBAULT-DI TOMMASO, Avocat au Barreau de Paris, en application des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile. »
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 avril 2023. L'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 22 février 2024. Elle a ensuite été renvoyée à l'audience du 25 avril 2024.
A l'audience du 25 avril 2024, le tribunal a mis au débat la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir concernant la demande subsidiaire d'[N] [F] tendant à déchoir [D] [X] de ses droits au contrat d'assurance-vie, et a autorisé [N] [F] à adresser une note en délibéré à ce sujet avant le 10 mai 2024, et [D] [X] à y répliquer avant le 17 mai 2024.
Le 26 avril 2024, le conseil d'[N] [F] a adressé une note en délibéré. Le 14 mai 2024, le conseil de [D] [X] a indiqué par voie électronique qu'il n'estimait pas nécessaire d'y répliquer.
L'affaire a été mise en délibéré au 20 juin 2024.
MOTIFS
Il sera rappelé que les demandes des parties de « juger que » tendant à constater tel ou tel fait ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert. Elles ne donneront en conséquence pas lieu à mention au dispositif.
Sur la demande d'[N] [F] d'écarter des débats les attestations du Docteur [R] [X] en date des 17 avril 2019 et 23 avril 2019
[N] [F] sollicite au visa des articles 202 du code civil et R 4127-76 du code de la santé publique d’écarter des débats les attestations du Dr [R] [X] en date des 17 avril 2019 et 23 avril 2019. Elle fait valoir que :
- les attestations ne respectent pas les prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile en ce qu'elles ne sont pas manuscrites, ne mentionnent pas le lien de parenté entre la demanderesse et le rédacteur ni le domicile de ce dernier, ne comprennent pas sa pièce d'identité et portent des signatures différentes et hésitantes,
- deux attestations sont établies les 17 et 23 avril 2019 en des villes différentes, et l'une est attribuée au « Docteur [R] [X] » et l'autre au « Docteur [X] [R] »,
- l'attestation du 7 avril 2021 ne fait pas référence au contenu des attestations précédentes des 17 et 23 avril 2019, ce qui confirment qu'elle n'émanent pas du Dr [R] [X],
- les deux attestations des 17 et 23 avril 2019 ne sont pas concordantes entre elles, ni avec l'attestation du 7 avril 2021 ou le dossier médical.
[D] [X] s'oppose à l'écart des débats des attestations querellées, et soutient au visa de l’article 76 alinéa 2 du code de déontologie médicale que les attestations permettent l'identification de leur auteur, lequel les a rédigées lisiblement en langue française de sorte qu'elles ne présentent pas d'irrégularité, et qu'aucun élément ne justifie d'une quelconque contradiction entre ces attestations et le dossier médical du défunt.
Sur ce,
Aux termes de l'article R 4127-76 du code de la santé publique :
« L'exercice de la médecine comporte normalement l'établissement par le médecin, conformément aux constatations médicales qu'il est en mesure de faire, des certificats, attestations et documents dont la production est prescrite par les textes législatifs et réglementaires.
Tout certificat, ordonnance, attestation ou document délivré par un médecin doit être rédigé lisiblement en langue française et daté, permettre l'identification du praticien dont il émane et être signé par lui. Le médecin peut en remettre une traduction au patient dans la langue de celui-ci. »
L’article 76 alinéa 2 du code de déontologie médicale dispose que «Tout certificat, ordonnance, attestation ou document délivré par un médecin doit être rédigé lisiblement en langue française et daté, permettre l’identification du praticien dont il émane et être signé par lui».
L'article 202 du code de procédure civile énonce :
«L'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés.
Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s'il y a lieu, son lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles.
Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales.
L'attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature. »
Il est constant que les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité, et que le tribunal ne peut rejeter une attestation comme non conforme aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile sans préciser en quoi l'irrégularité constatée constituait l'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public faisant grief à la partie qui l'attaque.
En l'espèce, la demande formée par [N] [F] d'écart des attestations du Docteur [R] [X] en date des 17 et 23 avril 2019 ne peut s'analyser qu'en une demande de nullité desdites attestations. Or, il apparaît d'une part que ces attestations respectent les prescriptions des articles 76 alinéa 2 du code de déontologie médicale et R 4127-76 du code de la santé publique, puisqu'elles sont datées et signées par le Docteur [R] [X] et rédigées lisiblement en langue française. Il apparaît d'autre part que, sans préjuger de la force probante desdites attestations, les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité, et ne constituent pas des formalités substantielles. Par conséquent, il n'y a pas lieu de les déclarer nulles.
Sur les demandes de nullité de la modification du bénéficiaire du contrat d'assurance et quant à l'attribution des fonds
Sur la recevabilité de la demande de [D] [X] de nullité de la modification du bénéficiaire du contrat d'assurance-vie en date du 18 avril 2017 au regard du principe de l'estoppel
[N] [F] fonde sa fin de non-recevoir sur le principe de l'estoppel, selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui. Elle expose que dans l'assignation, [D] [X] ne formait pas une demande en nullité de la clause attributaire du contrat d'assurance-vie, mais d'attribution à son profit du capital contractuel, s'appuyant alors sur la modification qu'aurait faite son époux sur son lit d'hôpital le 12 avril 2019. Elle soutient que cette demande était un aveu judiciaire de la validité des désignations antérieures. Selon elle, [D] [X] ne soutenait pas non plus l'existence d'une insanité d'esprit au moment de l'assignation, indiquant qu'elle laissait son époux se chargeait des finances du couple.
[D] [X] soutient n'avoir formé aucun aveu judiciaire, ayant uniquement indiqué que le défunt gérait de son vivant les finances du ménage, sans jamais préciser qu'il en avait la pleine capacité. Elle rappelle que c'est à sa demande qu'une expertise relative à l'insanité d'esprit a été ordonnée, ce qui démontre qu'elle émettait déjà des réserves sur la capacité de son époux à gérer leurs finances, mais ne disposait alors pas des éléments permettant de demander la nullité de l'avenant du contrat d'assurance-vie. Elle en conclut qu'elle ne s'est donc pas contredite dans ses prétentions.
Sur ce,
L'article 122 du code de procédure civile énonce que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La seule circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui n'emporte pas nécessairement fin de non-recevoir, l'estoppel conduisant à l'irrecevabilité des demandes d'une partie se définissant comme l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles, et à nuire ainsi à la défense de son adversaire.
En l'espèce, il n'existe aucune contradiction entre le fait pour [D] [X] de soutenir d'abord dans l'assignation que le défunt gérait les finances du ménage et le fait pour celle-ci de soutenir ensuite qu'il n'avait pas la capacité à le faire correctement. En effet, [D] [X] se limite à faire état dans l'assignation de la gestion par le défunt des finances du ménage, ce qui n'exclut pas que cette gestion puisse être mauvaise compte tenu de l'insanité d'esprit qu'elle prête ensuite au défunt dans ses conclusions ultérieures. En outre, le fait de ne demander que dans un second temps la nullité de l'avenant modifiant la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie et des prétendus dons manuels sur le fondement de l'insanité d'esprit n'est pas davantage porteur d'une contradiction, laquelle ne peut être équivoque et se déduire de l'abstention initiale d'une partie à former un moyen de droit.
Par conséquent, la fin de non-recevoir formée par [N] [F] tirée du principe de l'estoppel sera rejetée.
Sur la demande de [D] [X] en nullité de l'avenant modificatif du bénéficiaire du contrat d'assurance-vie en date du 18 avril 2017 pour insanité
[N] [F] s'oppose à la demande de [D] [X] de nullité de l'avenant modificatif du bénéficiaire du contrat Acuity en date du 18 avril 2017, et fait valoir que :
- il n'y a pas de preuve intrinsèque à l'acte d'un trouble mental, et [D] [X] qui fonde son action sur l'article 414-2 du code civil ne peut se prévaloir d'éléments extrinsèques tel que cela ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation,
- le fait qu'elle aurait rempli de sa main le formulaire est une circonstance extrinsèque à l'acte, et elle n'a en tout cas pas rempli l'intégralité du document mais seulement une partie pour éviter toute erreur de transcription,
- l'écriture hésitante ne peut suffire à apporter la preuve intrinsèque exigée par l'article 414-2 du code civil, et l'examen de la signature ne montre pas d'anomalie et est comparable à celle du contrat initial du 8 février 1989,
- elle était désignée dès le 16 février 2011 comme bénéficiaire du contrat Lion Retraite, qu’à l’occasion de la transformation de ce contrat en contrat Acuity en mars 2017, le souscripteur a omis de la désigner comme bénéficiaire, la clause type proposée par l’assureur ayant été adoptée, que la modification de bénéficiaire intervenue le 18 avril 2017 ne constituait que la reconduction des dispositions gouvernant le contrat initial,
Au soutien de sa demande de nullité de l'avenant portant modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie au profit d'[N] [F] formée au visa des articles 1129, 414-1 et 414-2, [D] [X] expose que s'agissant, sauf requalification, d'actes non constitutifs de libéralités, elle démontre conformément à l'article 414-2, 1° du code civil que l'avenant porte en lui-même la preuve d'un trouble mental, corroborée en outre par des éléments extrinsèques.
Sur les éléments intrinsèques à l'avenant, elle expose que :
- le défunt n'a fait qu'apposer une signature tremblotante sur ce document rédigé par sa sœur à [Localité 10], et la Cour de cassation considère que cela n'établit pas sa connaissance des contenu et portée du document, ni l'expression de sa volonté certaine et non équivoque de modifier le bénéficiaire du contrat d'assurance-vie,
- [N] [F] ne prouve pas qu'un conseiller bancaire aurait assisté le défunt,
- le changement de clause bénéficiaire est intervenu alors que le défunt s'était déjà dépouillé au profit de sa sœur de plusieurs centaines de milliers d'euros, de sorte que l'exhérédation de son épouse par le changement de clause bénéficiaire révèle en lui-même un trouble mental et une incapacité à mesurer les conséquences de l'avenant,
Sur les éléments extrinsèques à l'avenant, elle expose que :
- le défunt était sourd et muet depuis sa naissance, et avait de gros problèmes de vision,
- l'attestation du Docteur [R] [X] du 7 avril 2021 rappelle qu'une « phrase complète » du défunt « n'était pas compréhensible »,
- les conséquences de la surdité et mutité entraînent « un déficit intellectuel variable mais constant surtout si ce handicap n’a pas donné lieu à une rééducation volontariste et durable », le défunt n'ayant jamais suivi de rééducation .
La société [13] indique s’en remettre à la décision du tribunal sur le règlement du capital décès, lequel doit intervenir dans les conditions de l’article 990 I du code général des impôts, c’est-à-dire après remise de l’attestation sur l’honneur à l’assureur par le bénéficiaire qui découlera de la décision du tribunal.
Sur ce,
Aux termes de l’article 1129 du code civil, «Conformément à l’article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat».
Par ailleurs, l’article 414-1 du code civil énonce que « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ».
L’article 414-2 du code civil dispose que :
« Les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d’esprit, que dans les cas suivants :
1° Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental
2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future ».
Il est constant que les dispositions de l'article 414-2 du code civil forment des conditions de recevabilité de l'action en nullité pour insanité d'esprit d'un acte autre que le testament ou la donation entre vifs.
Ainsi, en l'absence d'une mesure de sauvegarde de justice ou d'introduction avant le décès de l'intéressé d'une action tendant à une mesure de tutelle ou de curatelle, l'action en nullité d'un acte autre que le testament ou la donation entre vifs ne peut être introduite que si l'acte porte en lui-même la preuve du trouble mental.
Il appartient donc à [D] [X] de rapporter la preuve que la modification de la clause bénéficiaire en date du 18 avril 2017 du contrat Acuity porte en elle-même la preuve d'un trouble mental de [A] [F].
Décision du 20 Juin 2024
2ème chambre civile
N° RG 19/10141 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQS6D
En l'espèce, en l'absence de toute mesure de protection de [A] [F] ou d'action introduite avant son décès à cet effet, seuls les éléments intrinsèques à l'acte du 18 avril 2017 peuvent venir au soutien de la recevabilité de l'action aux fins de sa nullité. En réalité, [D] [X] se prévaut uniquement d'une signature tremblotante au titre des éléments intrinsèques à l'acte, ses autres moyens relatifs aux conditions de réalisation de l'acte étant des éléments extrinsèques à celui-ci. L'examen de cet acte, rédigé de façon intelligible et signé par le défunt ne montre pas qu'il porte en lui-même la preuve d'un trouble mental, peu important à cet égard que la signature soit tremblotante. Par conséquent, la demande de [D] [X] de déclarer nul l'avenant du 18 avril 2017 modifiant le bénéficiaire du contrat d'assurance-vie Acuity souscrit auprès de la société [13] sera déclarée irrecevable.
L'avenant du 18 avril 2017 n'étant pas annulé, il n'y a donc pas lieu à examen de la demande subsidiaire d'[N] [F] de déchoir [D] [X] de ses droits sur le contrat d'assurance-vie Acuity souscrit auprès de la société [13].
Sur les demandes dirigées contre la société [13] au titre du capital contractuel et la demande de cette dernière sur les modalités de versement
[N] [F] sollicite d'ordonner à la société [13] de lui verser le capital contractuel de 253.083,72 euros outre les intérêts légaux postérieurs au visa de l'article L32-23-1 du code des assurances avec capitalisation annuelle prévue à l’article 1343-2 du code civil.
[D] [X] sollicite le versement à son profit des sommes détenues par la société [13] au titre du contrat d'assurance-vie Acuity en conséquence de l'annulation de l'avenant modificatif de la clause bénéficiaire du 18 avril 2017.
La société [13] expose qu'elle réglera le capital, suivant la décision du tribunal sur la validité de la modification de bénéficiaire, à [D] [X] ou à [N] [F]. Elle s'oppose à tout intérêt de retard dès lors que les conditions prévues à l’article L 132-23-1 du code des assurances ne sont pas réunies, puisqu'il existe une incertitude sur le bénéficiaire.
Elle sollicite enfin que le règlement du capital décès soit versé dans les conditions prévue à l'article 990 I du code général des impôts, après remise de l'attestation par l'assureur.
Sur ce,
Selon l’article 990 I du code général des impôts,
« Lorsqu'elles n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 757 B, les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un ou plusieurs organismes d'assurance et assimilés, à raison du décès de l'assuré, sont assujetties à un prélèvement à concurrence de la part revenant à chaque bénéficiaire de ces sommes, rentes ou valeurs correspondant à la fraction rachetable des contrats et des primes versées au titre de la fraction non rachetable des contrats autres que ceux mentionnés au 1° du I de l'article 199 septies, que ceux mentionnés à l'article 154 bis et au 1° de l'article 998, à l'exception des contrats relevant des articles L. 224-1 et suivants du code monétaire et financier des contrats relevant de l'article L. 225-1 du même code, ainsi que ceux mentionnés à l'article L. 7342-2 du code du travail et souscrits dans le cadre d'une activité professionnelle, diminuée d'un abattement proportionnel de 20 % pour les seules sommes, valeurs ou rentes issues des contrats mentionnés au 1 du I bis et répondant aux conditions prévues au 2 du même I bis, puis d'un abattement fixe de 152 500 €. Le prélèvement s'élève à 20 % pour la fraction de la part taxable de chaque bénéficiaire inférieure ou égale à 700 000 €, et à 31,25 % pour la fraction de la part taxable de chaque bénéficiaire excédant cette limite.
Pour l'application du prélèvement prévu au premier alinéa du présent I, ne sont pas assujetties les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues à raison des rentes viagères constituées dans le cadre d'une activité professionnelle, d'un plan d'épargne retraite populaire prévu à l'article L. 144-2 du code des assurances, d'un plan d'épargne retraite prévu à l'article L. 224-28 du code monétaire et financier ou d'un sous-compte français du produit paneuropéen d'épargne-retraite individuelle mentionné à l'article L. 225-1 du même code, moyennant le versement de primes régulièrement échelonnées dans leur montant et leur périodicité pendant une durée d'au moins quinze ans et dont l'entrée en jouissance intervient, au plus tôt, à compter de la date de la liquidation de la pension du redevable dans un régime obligatoire d'assurance vieillesse ou à l'âge fixé en application de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale.
Le bénéficiaire doit produire auprès des organismes d'assurance et assimilés une attestation sur l'honneur indiquant le montant des abattements déjà appliqués aux sommes, rentes ou valeurs quelconques reçues d'un ou plusieurs organismes d'assurance et assimilés à raison du décès du même assuré.
Le bénéficiaire n'est pas assujetti au prélèvement visé au premier alinéa lorsqu'il est exonéré de droits de mutation à titre gratuit en application des dispositions des articles 795,795-0 A, 796-0 bis et 796-0 ter.
Le bénéficiaire est assujetti au prélèvement prévu au premier alinéa dès lors qu'il a, au moment du décès, son domicile fiscal en France au sens de l'article 4 B et qu'il l'a eu pendant au moins six années au cours des dix années précédant le décès ou dès lors que l'assuré a, au moment du décès, son domicile fiscal en France au sens du même article 4 B.
En cas de démembrement de la clause bénéficiaire, le nu-propriétaire et l'usufruitier sont considérés, pour l'application du présent article, comme bénéficiaires au prorata de la part leur revenant dans les sommes, rentes ou valeurs versées par l'organisme d'assurance, déterminée selon le barème prévu à l'article 669. Les abattements prévus au premier alinéa du présent I sont répartis entre les personnes concernées dans les mêmes proportions. »
En l'espèce, [D] [X] ne se prévalant pas d'une clause bénéficiaire postérieure à celle du 18 avril 2017, laquelle n'a pas été annulée, les fonds détenus par la société [13] doivent donc en application de cette clause être attribués à [N] [F].
Le contrat d'assurance-vie étant soumis aux dispositions de nature fiscale précitées, il sera fait droit à la demande de la société [13] tendant à dire que le règlement du capital décès interviendra dans les conditions de l'article 990 I du code général des impôts, après remise par [N] [F] de l'attestation prévue à cet article.
Selon l'article 4 alinéa 1 du code de procédure civile, « l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. »
Si [N] [F] sollicite la condamnation de l’assureur à lui verser des intérêts, elle ne définit nullement leur départ de sorte qu’elle ne saisit le tribunal d'aucune demande au sens de l'article 4 du code de procédure civile.
Par conséquent, la société [13] sera condamnée à verser à [N] [F] la somme de 253.083,72 euros dans les conditions de l'article 990 I du code général des impôts, après remise par [N] [F] de l'attestation prévue à cet article.
Sur l'action de [D] [X] en nullité des dons manuels et en restitution fondée à titre principal sur l'insanité d'esprit de [A] [F]
Sur les fins de non-recevoir formées par [N] [F]
*Sur l'absence de qualité à agir et l'absence de preuve
[N] [F] fait valoir au visa des articles 32 et 9 du code de procédure civile que parmi les versements allégués par la demanderesse, 46.000 euros ne sont pas à son bénéfice, de sorte que la demande de nullité de [D] [X] relative à ces versements de 46.000 euros doit être déclarée irrecevable pour défaut de qualité à agir.
[N] [F] soutient en outre que concernant différents versements d'un total de 16.000 euros, soit aucune pièce n’est produite, soit les copies sont illisibles, soit les talons de chèques sont annotés sans preuve de l’auteur et de la date de l’annotation, de sorte que la demande de nullité de [D] [X] relative à ces versements de 16.000 euros doit être déclarée irrecevable pour absence de preuve.
[D] [X] n'a pas répondu à ces fins de non-recevoir.
Sur ce, contrairement à ce que soutient [N] [F], [D] [X] n’a pas saisi le tribunal de nullité afférente à des fonds versés par le défunt à d’autres personne qu’[N] [F]. Ainsi, la fin de non recevoir soulevée par [N] [F] n’a pas pour objet une demande dont le tribunal est saisi et doit donc être rejetée.
Par ailleurs, aucune fin de non-recevoir ne vient sanctionner la prétendue « absence de preuve », laquelle relève manifestement d'une défense au fond, de sorte que la fin de non-recevoir formée à ce titre par [N] [F] sera elle aussi rejetée.
* la prescription
[N] [F] sollicite au visa des articles 414-2 et 2224 du code civil de déclarer prescrite l'action de [D] [X] en nullité pour insanité d'esprit des donations alléguées entre le 1er avril 2011 et le 25 février 2019. Elle expose qu'alors que l'assignation est en date du 17 juillet 2019, de nombreux versement sont antérieurs au 17 juillet 2014, et que [D] [X] ne pouvait ignorer l’insanité d’esprit qu’elle allègue, n’ayant jamais été séparée de son époux qu'elle a toujours accompagné dans son parcours médical.
[D] [X] expose qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation que l'action en nullité d'un acte à titre gratuit pour insanité d'esprit ne peut être introduite par les héritiers qu'à compter du décès du disposant, de sorte que la prescription ne peut courir avant cette date. [A] [F] étant décédé le [Date décès 4] 2019, sa demande de nullité pour insanité d'esprit n'est pas prescrite.
Sur ce,
Il résulte des articles 414-2 et 901 du code civil que, pour les héritiers, le point de départ de la prescription de la nullité d'un acte ou d'une libéralité pour insanité d'esprit est le décès.
En l'espèce, [A] [F] est décédé [Date décès 4] 2019 et les premières conclusions au fond de son héritier [D] [X] sollicitant la nullité des dons manuels pour insanité d'esprit sont intervenues le 9 novembre 2021, et ainsi moins de cinq ans après le décès. Par conséquent, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir formée par [N] [F] tirée de la prescription de l'action en nullité des dons manuels fondée insanité d'esprit.
Sur le fond de l'action de [D] [X] en nullité des dons manuels pour insanité d’esprit
[D] [X] expose au soutien de sa demande de nullité des dons manuels consentis à [N] [F] et de restitution par celle-ci de la somme de 617.800 euros que :
- le défunt souffrait de handicaps (surdité, mutité, problèmes de vue) et d'une altération de ses facultés cognitives et avait un lourd syndrome dépressif,
- son placement sous tutelle était préconisé peu avant sa mort par le Docteur [K] [S], et le Docteur [X] avait aussi relevé son manque de discernement,
- l'expert désigné évoque une altération profonde du jugement dans la non représentation des enjeux et des sommes engagées dans les transactions.
[N] [F] expose que la preuve de l'insanité d'esprit n'est pas rapportée, aux motifs que :
- les moyens initiaux de [D] [X] soutenant que son époux gérait de manière autonome son patrimoine et avait pu modifier la clause bénéficiaire de son contrat d'assurance sont un aveu de la reconnaissance formelle de la pleine capacité juridique de son époux, de sorte qu'elle avait uniquement fondé son action sur le caractère commun des fonds et le dépassement de pouvoirs,
- les pièces médicales ne portent pas trace d'une altération des facultés intellectuelles empêchant l'expression de la volonté,
- l'expertise médicale écarte toute altération profonde du jugement,
- le défunt a pu conclure sans assistance des ventes immobilières, notamment le 14 septembre 2012,
- les virements récurrents de 2011 à 2019 avaient pour objet l'exécution d'une obligation naturelle et d'assistance à sa sœur, et n'ont pas été effectués dans une intention libérale, Sur ce,
L'article 901 du code civil énonce que « Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit ».
Conformément à l'article 1353 du code civil, il appartient à [D] [X] de rapporter la preuve que [A] [F] était, à la date de chacun des dons manuels allégués, nécessairement insane d'esprit.
Aux termes de son rapport, le Docteur [Y] [O], expert judiciaire désigné par le juge de la mise en état indique que :
- « nous n'avons pas de document décrivant précisément l'état cognitif entre 2011 jusqu'en 2019 si ce n'est l'attestation du Dr [X] son médecin traitant jusqu'en 2016. »,
- « On peut retenir des certificats que nous avons mentionnés, qu'il a pu exister chez M. [F] un déficit cognitif même si nous n'en avons pas le détail portant notamment sur les fonctions mnésiques, les praxies, les fonctions opératoires et le jugement »,
- « Il n'est donc pas exclu que ces facteurs combinés : handicap lié à la surdi mutité apparue à la naissance et générant un déficit intellectuel, troubles cognitifs lés au vieillissement, et éléments dépressifs aient pu contribuer à une altération du jugement non pas dans le sens d'un syndrome démentiel, c'est à dire d'une altération profonde du jugement, mais simplement dans la non représentation des enjeux et des sommes engagées dans les transactions, transactions dont les modalités sont en fait des abstractions, ce qui est d'autant plus difficile à se représenter et donc à gérer.
Situation aggravante, les troubles visuels majeures, décrits avec la difficulté à lire une phrase complète, majorent le handicap lié à la surdi mutité et les difficultés cognitives et doivent être pris en compte car ils aggravent l'isolement sensoriel et partant, l'intelligibilité des situations complexes, dans le cas précis de M. [F]. »
Il s'ensuit que si le Docteur [Y] [O] estime qu'il a pu exister un déficit cognitif chez [A] [F] et qu'il n'est pas exclu que les handicaps et troubles cognitifs de celui-ci aient pu contribuer à une altération de son jugement, cet expert ne fait qu’émettre une hypothèse, et ne conclut pas que le défunt était nécessairement insane d'esprit à la date des différents dons manuels allégués.
Les autres pièces produites par [D] [X] ne démontrent pas davantage que [A] [F] était nécessairement insane d'esprit à la date des différents dons manuels allégués. En effet, les attestations du Docteur [R] [X], par ailleurs frère de [D] [X], en date des 17 et 23 avril 2019 et du 7 avril 2021 font état de difficultés intellectuelles et cognitives en lien avec les handicaps de [A] [F], ce qui est insuffisant pour démontrer l'insanité d'esprit de celui-ci à la date de chacune des donations alléguées. Cette preuve n'est pas davantage rapportée par le certificat médical du Docteur [K] [S] du 18 avril 2019 intervenu deux jours avant le décès, lequel se limite à faire état du besoin d'une mesure de protection compte tenu d'une altération des fonctions cognitives.
Par conséquent, il n'y a pas lieu d'annuler sur le fondement de l'insanité d'esprit les dons manuels de [A] [F] allégués par [D] [X].
Sur l'action [D] [X] en nullité des dons manuels et en restitution fondée à titre subsidiaire sur le dépassement de pouvoir de [A] [F]
Sur les fins de non-recevoir formées par [N] [F]
* l'absence de qualité à agir et l'absence de preuve
Compte-tenu des motifs ayant conduit au rejet de ces fins de non-recevoir élevées contre la demande principale en nullité des dons manuels au titre de l'insanité d'esprit, ces fins de non-recevoir pareillement élevées contre la demande subsidiaire en nullité des dons manuels au titre du dépassement de pouvoir seront elles aussi rejetées.
* la prescription
[N] [F] estime prescrite l’action en nullité des prétendus dons manuels sur la période du 1er avril 2011 au 1er novembre 2012 à hauteur de 583.000 euros, ceci au visa de l’article 1427 du code civil, lequel prévoit un délai de prescription de deux ans. [N] [F] indique que [D] [X] ne pouvait ignorer les mouvements de fonds litigieux puisque faits à partir du compte-joint, auquel elle n'allègue pas avoir été privée d’accéder. Elle expose que la comparaison des pièces 43 et 44 et des mentions manuscrites y figurant montre que [D] [X] suivait l'évolution du compte joint.
[D] [X] considère que sa demande n'est pas prescrite compte tenu du fait que le délai de prescription n'a commencé à courir que lorsqu'elle a eu connaissance de ces dons manuels dans le courant de l'année 2019, alors que l'état de santé de son conjoint s'était aggravé et qu'elle avait dû se charger de la gestion du patrimoine commun.
Sur ce,
L’article 1427 du code civil dispose que « Si l'un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l'autre, à moins qu'il n'ait ratifié l'acte, peut en demander l'annulation. L'action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. ».
En l'espèce, [N] [F] sollicite de déclarer irrecevable la demande de [D] [X] de nullité au titre du dépassement de pouvoir des dons manuels prétendument consentis par [A] [F] à [N] [F] entre le 1er avril 2011 et le 1er novembre 2012. Il résulte des écritures de [D] [X] que les donations alléguées par celle-ci ont été exécutées par débit du compte-joint des époux [F]-[X]. Il s'ensuit qu'étant titulaire de ce compte, [D] [X] n'a pu ignorer toutes les donations litigieuses qu'elle allègue. Or, l'instance ayant été introduite le 17 juillet 2019, la demande en nullité au titre du dépassement de pouvoir a été formée plus de deux ans après les donations supposément intervenues entre le 1er avril 2011 et le 1er novembre 2012.
Par conséquent, la demande de [D] [X] de nullité au titre du dépassement de pouvoir des dons manuels prétendument consentis par [A] [F] à [N] [F] sera déclarée irrecevable pour la période du 1er avril 2011 au 1er novembre 2012.
Sur le fond de l'action de [D] [X] en nullité des dons manuels pour dépassement de pouvoir
[D] [X] expose au visa des articles 1402, 1422 et 1427 du code civil que [N] [F] n'apporte aucun élément de preuve du caractère propre des fonds donnés par le défunt, alors qu'il a transféré la somme de 617.800 euros depuis le compte-joint ouvert au nom des époux, laquelle est donc présumée être un bien commun. Elle expose que le dessaisissement irrévocable de [A] [F] est avéré, et que l'intention libérale s'évince des liens familiaux, de la réitération des versements et du silence gardé par celui-ci à leur sujet.
[N] [F] expose au visa des articles 1402 et 1405 du code civil que le défunt était à la date du mariage déjà propriétaire de 80% d'un appartement sis, [Adresse 6] ainsi que d’un appartement sis à [Localité 10], de sorte que les fonds crédités sur le compte joint provenaient directement de la vente de ces biens. Selon elle, le défunt pouvait librement disposer de ces fonds puisqu'ils étaient propres.
[N] [F] conteste en outre l'intention libérale prêtée à ces versements, dès lors que les chèques remis ont porté sur des montants modestes et étaient destinés à lui apporter une aide matérielle ainsi qu'à ses enfants, de sorte qu'aucun dépassement de pouvoir n'est intervenu. Elle rappelle que les explications de [D] [X] dans ses conclusions ne laissent aucun doute sur la nature de ces versements.
Sur ce,
Selon l’article 1402 du code civil,
« Tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l'on ne prouve qu'il est propre à l'un des époux par application d'une disposition de la loi.
Si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l'époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit. A défaut d'inventaire ou autre preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures. Il pourra même admettre la preuve par témoignage ou présomption, s'il constate qu'un époux a été dans l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ».
L’article 1422 du code civil alinéa 1 énonce que les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté.
Il ressort de l'article 1427 du code civil alinéa 1 que si l'un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l'autre, à moins qu'il n'ait ratifié l'acte, peut en demander l'annulation.
Selon l'article 894 du code civil, la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte.Il appartient à celui qui invoque l'existence d'une donation de rapporter la preuve :
- du dépouillement irrévocable du prétendu donateur,
- de son intention libérale,
- de l'acceptation du bénéficiaire lors du vivant du donateur.
* Sur le caractère propre ou commun des fonds
Il n'est pas contesté que les fonds objet d'un transfert se trouvaient sur le compte-joint des époux [F]-[X]. La demande de nullité des donations prétendument reçues par [N] [F] ayant été déclarée irrecevable comme prescrite pour la période du 1er avril 2011 au 1er novembre 2012, la demande de nullité concerne donc uniquement les donations alléguées pour la période postérieure. Or, toutes les donations prétendument reçues par [N] [F] seraient intervenues entre le 6 octobre 2016 et le 25 février 2019. Il s'ensuit que le fait que [A] [F] a vendu un bien immobilier situé [Adresse 6] le 24 septembre 2012 ne démontre pas que les fonds donnés plus de quatre ans plus tard étaient des biens propres de celui-ci. Le seul fait, qui n'est corroboré par aucun autre élément, que [A] [F] a vendu un appartement à [Localité 10] le 26 septembre 2016 pour 175.000 euros ne permet pas non plus de démontrer que les fonds se trouvant sur le compte-joint étaient propres, ceci d'autant que le défunt a abondé son contrat d'assurance-vie pour 130.000 euros le 23 mars 2017.
Il n'est donc pas démontré que les versements allégués ont été tirés sur des fonds propres. Il doivent donc être regardés comme communs par application de la présomption de communauté rappelé ci-dessus.
* Sur la qualification de dons manuels
Les donations prétendument reçues par [N] [F] pour lesquelles l'action en nullité de [D] [X] n'est pas prescrite sont, selon elle, les suivantes :
- le 6 octobre 2016, 8.000 euros ;
- le 27 mars 2017, 1.500 euros ;
- le 30 mars 2017, 1.5000 euros ;
- le 15 juin 2017, 2.000 euros ;
- le 22 septembre 2017, 3.000 euros ;
- le 6 décembre 2017, 3.000 euros ;
- le 19 janvier 2018, 3.000 euros ;
- le 25 mai 2018, 3.000 euros ;
- le 20 août 2018, 5.000 euros ;
- le 10 septembre 2018, 9.000 euros ;
- le 25 février 2019, 5.000 euros.
Il apparaît que [D] [X] se limite à produire des extraits de compte-joint et copies de chèque, sans autre élément de preuve au soutien de l'intention libérale de [A] [F]. Or, au regard de l'échelonnement dans le temps des donations alléguées, du fait qu'il est soutenu par [N] [F] que ces versements étaient en exécution d'une obligation naturelle d'assistance, du fait que [D] [X] a pu indiquer dans ses écritures « La concluante interrogeait son époux sur la cause de ces paiements, Monsieur [F] répondant simplement que sa sœur et ses enfants avaient besoin d'argent et qu'il leur en donnait régulièrement », la seule existence d'un flux financier et de liens familiaux ne peut suffire à démontrer la preuve d'une intention libérale. Il s'ensuit que les mouvements de fonds précités ne peuvent être qualifiés de donation. L'article 1422 du code civil ne concernant que les actes de disposition à titre gratuit, le défunt n'a donc pas outrepassé ses pouvoirs et la nullité prévue à l'article 1427 du même code n'est donc pas encourue, de sorte que la demande formée à ce titre par [D] [X] sera rejetée. En l'absence d'annulation des actes, la demande de restitution sera elle aussi rejetée comme étant sans objet.
Sur les demandes subsidiaires de [D] [X] au titre de l'action en réduction
Selon [D] [X], l'actif brut au décès de [A] [F] était de 58.104,62 euros, auquel il est nécessaire de réunir fictivement :
- 617.800 euros au titre des dons manuels
- 246.451, 09 euros au titre des primes manifestement exagérées,
Elle en conclut que la masse de calcul est de 922.355,71 euros, la réserve héréditaire de 230.588,93 euros et la quotité disponible de 691.766,78 euros, de sorte que l'indemnité de réduction doit être de 172.484,31 euros.
Dans l'hypothèse où les primes ne seraient pas considérées comme manifestement exagérées, [D] [X] considère que la masse de calcul est de 676.904,62 €, la réserve héréditaire de 168.976,15 € et la quotité disponible de 506.928,46 €, de sorte que l'indemnité de réduction doit être de 120.871,54 euros.
[N] [F] considère que les primes d'assurance, à les supposer exagérées ce qu'elle conteste, n'ont pu porter atteinte à la réserve étant inférieures à la quotité disponible puisque le défunt n'a effectué aucun versement le 22 mars 2017, mais uniquement un transfert. Elle estime que l'actif commun comportait d'autres liquidités importantes, de telles sorte qu'il n'a pas été porté atteinte à la réserve héréditaire.
Sur ce,
En application de l'article 914-1 du code civil, les libéralités, par actes entre vifs ou par testament, ne pourront excéder les trois quarts des biens si, en l’absence de descendant, le défunt laisse un conjoint survivant, non divorcé.
Aux termes de l'article 922 du code civil, la réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du défunt à laquelle il est ajouté les donations consenties par lui et retranché le passif successoral au jour du décès.
Il résulte de l’article 922 du code civil que les biens entrant dans la masse de calcul de la réserve doivent être évalués au jour du décès du défunt.
Selon l'article 923 du code civil, il n'y aura jamais lieu à réduire les donations entre vifs, qu'après avoir épuisé la valeur de tous les biens compris dans les dispositions testamentaires ; et lorsqu'il y aura lieu à cette réduction, elle se fera en commençant par la dernière donation, et ainsi de suite en remontant des dernières aux plus anciennes.
Selon l'article 894 du code civil, la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte.
En l'espèce, il y a donc d'abord lieu de déterminer la composition de la masse de calcul, en déterminant l'actif net de la succession de de [A] [F] et en procédant ensuite à la réunion fictive de l'ensemble des libéralités consenties par le défunt.
Il convient dans un premier temps de déterminer la masse de calcul, puis d’imputer les libéralités consenties sur la quotité disponible afin, le cas échéant, de déterminer le montant de l’indemnité de réduction.
Sur l'actif net de la succession de [A] [F]
Selon [D] [X], la communauté étant composée des comptes ouverts à la date du décès au nom du défunt, de [D] [X] et des comptes joints, l'actif brut de communauté est de 116.209,23 euros, de sorte que les droits de chacun des époux dans la communauté sont de 58.104, 62 euros, composant l'actif de la succession de [A] [F].
Ce montant au titre de l'actif brut n'étant pas contesté par [N] [F], et dès lors qu'il n'est fait état d'aucun passif, la somme de 58.104,62 euros sera retenue au titre de l'actif net de la succession de [A] [F].
Sur la réunion fictive des libéralités
* Sur le caractère manifestement exagéré des primes du contrat d'assurance-vie et leur soumission à la règle de la réduction
[D] [X] soutient que le défunt a effectué trois versements :
- 86.451,09 euros le 22 mars 2017,
- 130.000 euros le 23 mars 2017,
- 30.000 euros le 11 octobre 2018.
Ces primes sont selon elle manifestement exagérées, en ce que les revenus du couple n'ont jamais excédé 20.000 euros annuels de 2016 à 2019, de sorte que les versements de 2017 sont treize fois supérieurs aux revenus annuels du couple et ceux de 2018 sont deux fois supérieurs aux revenus annuels. Elle précise qu'alors que leur patrimoine ne comportait aucun bien immobilier, et pouvait être évalué au moment de la souscription du contrat d'assurance-vie litigieux à 286.451,09 euros les versements intervenus en 2017 et 2018 sur le contrat d'assurance-vie pour un total de 246.451,09 euros représentent 86% du patrimoine commun du couple. Elle soutient en outre que le défunt, âgé de soixante-seize ans et déjà très malade en 2017, ne pouvait tirer aucune utilité de ces opérations.
[N] [F] s'oppose à la réintégration des primes au visa des article L 132-12 et 13 du code des assurances, et expose que le 22 mars 2017, il n'y pas eu de nouveau versement mais uniquement transfert de la valeur du contrat Lion Retraite. S'agissant des versements des 23 mars 2017 et 11 octobre 2018, elle observe que le défunt n'était pas à un âge particulièrement avancé, et était autonome, comme le corrobore son dossier médical lequel montre même une amélioration de son état à la fin de l'année 2018 avant que son état ne se dégrade subitement à la mi-mars 2019. Selon elle, l'opération projetée présentait une utilité incontestable de placement et de prévoyance, et le défunt avait vendu son appartement de [Localité 10] pour 175.000 euros en septembre 2016.
Sur ce,
Il résulte de l'article L. 132-13 du code des assurances que les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s’appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.
Un tel caractère s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge, ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur.
Par ailleurs, l'utilité de la souscription est l'un des critères devant être pris en compte pour évaluer le caractère exagéré ou non des primes versées, ce caractère s'appréciant au moment du versement des primes.
En l’espèce, il apparaît que le versement par [A] [F] de 86.451,09 euros le 22 mars 2017 sur le contrat Acuity souscrit auprès de la société [13] correspond au transfert de la valeur d'un précédent contrat, le contrat Lion Retraite, de sorte que ce versement ne peut être considéré comme excessif.
S'agissant des deux autres versements sur le contrat Acuity des 23 mars 2017 pour 130.000 euros et 11 octobre 2018 pour 100.000 euros, il apparaît d'une part que [A] [F] avait vendu un bien immobilier situé à [Localité 10] le 26 septembre 2016 pour 175.000 euros, et d'autre part que la décompensation cardiaque globale dont il a souffert n'est intervenue qu'en janvier 2019, c'est à dire plus de deux mois après le dernier des versements.
Par conséquent, ces versements présentaient une utilité pour le souscripteur à la date à laquelle ils ont été effectués puisqu’il pouvait procéder à des rachats à tout moment et disposer ainsi librement de son épargne. N’étant pas manifestement exagérées, les primes ne doivent pas être réunies fictivement à la masse de calcul de l’indemnité de réduction.
* Sur les dons manuels
[D] [X] expose que le défunt a tiré de nombreux chèques au profit d'[N] [F] et de ses enfants. Elle soutient que [N] [F] a bénéficié de la somme de 617.800 euros.
Elle expose que [L] [H] a perçu 5.000 euros, [B] [H] 1.000 euros et [G] [H] 9.000 euros. Elle considère que les sommes remises à [N] [F] et ses enfants par chèque et virement sont des dons manuels.
Ainsi que déjà indiqué au stade de la demande de nullité des dons manuels, elle soutient que l'intention libérale se déduit des liens familiaux comme de la régularité des versements et du silence gardé par [A] [F] à ce sujet.
Ainsi qu'indiqué au stade de la demande de nullité, [N] [F] conteste toute intention libérale, faisant valoir que les chèques remis ont porté sur des montants modestes et étaient destinés à lui apporter une aide matérielle ainsi qu'à ses enfants, les conclusions de [D] [X] ne laissant aucun doute sur la nature des versements. S'agissant du virement de 550.000 euros qui lui a été consenti par le défunt le 1er novembre 2012, [N] [F] soutient qu'il s'explique par l'exécution d'un partage successoral à son profit puisque [A] [F] avait reçu de ses parents l'appartement de [Localité 10], donation qui ne figure pas dans leur déclaration de succession.
En l'espèce, selon [D] [X], les dons manuels consentis par le défunt sont les suivants :
Date du chèque ou du débit
Montant
Bénéficiaire
selon [D] [X].
01/04/11
1 000,00 €
[B] [H]
28/04/11
1 000,00 €
[N] [F]
30/05/11
2 500,00 €
[N] [F]
08/06/11
2 500,00 €
[N] [F]
30/06/11
2 500,00 €
[N] [F]
05/07/11
2 500,00 €
[N] [F]
20/07/11
3 000,00 €
[N] [F]
27/10/11
2 500,00 €
[N] [F]
03/11/11
2 500,00 €
[N] [F]
24/03/12
3 000,00 €
[N] [F]
09/05/12
3 800,00 €
[N] [F]
06/08/12
3 500,00 €
[N] [F]
06/08/12
3 500,00 €
[N] [F]
01/11/12
550 000,00 €
[N] [F]
05/09/14
5 000,00 €
[L] [H]
06/10/16
8.000 €
[N] [F]
27/03/17
1.500 €
[N] [F]
30/03/17
1.500 €
[N] [F]
15/06/17
2.000 €
[N] [F]
22/09/17
3.000 €
[N] [F]
06/12/17
3.000 €
[N] [F]
19/01/18
3.000 €
[N] [F]
25/05/18
3.000 €
[N] [F]
20/08/18
5.000 €
[N] [F]
10/09/18
9.000 €
[G] [H]
25/02/19
5.000 €
[N] [F]
S'agissant d'abord du virement de 550.000 euros en date du 1er novembre 2012 consenti par [A] [F] à [N] [F], elle ne conteste pas avoir reçu ces fonds, de sorte que la preuve d'un dépouillement irrévocable de celui-ci et d'une acceptation de celle-ci est rapportée. Concernant l'intention libérale, il se déduit des écritures d'[N] [F] que ce virement correspond selon elle à une indemnité de rapport de la donation d'un appartement à [Localité 10] le 5 mai 1967 due par [A] [F]. [N] [F] produit une déclaration de succession ne faisant pas mention de la donation de cet appartement. [D] [X] produit un fax en date du 15 octobre 2012 signé par [A] [F] et indiquant « Je soussigné [A] [F] (...) fait don de ma part à ma sœur [N] [H] née [F], dont le montant est 550.000 euros sur le chèque personnel que j'ai fait à ma sœur. Cette somme provient de la vente de l'appartement de mes parents ». Le défunt évoquant lui-même une donation consentie à [N] [F] de la part qu'il a obtenue de la vente de ce bien à [Localité 12], il n'est possible à défaut de tout autre élément le corroborant de considérer que ce mouvement de fonds correspondait en réalité au versement d'une indemnité de rapport. Compte-tenu en outre de l'importance de ce mouvement de fonds d'un montant de 550.000 euros, la preuve de l'intention libérale de [A] [F] est donc rapportée, de sorte qu'il s'agit d'une donation devant être fictivement réunie à la masse de calcul.
S'agissant des autres dons manuels allégués, les mêmes motifs que ceux ayant conduit à rejeter la qualification de donation pour la période postérieure au 1er novembre 2012 conduisent aussi à rejeter la qualification de donation pour l'ensemble des autres mouvements de fonds, en l'absence de preuve de l 'intention libérale de [A] [F].
Par conséquent, il n'y a pas lieu de les intégrer à la masse de calcul.
Récapitulatif de la masse de calcul, imputation de la libéralité et calcul de l'indemnité de réduction
La masse de calcul est donc égale à l'actif net de 58.104, 62 euros, auquel est réuni la donation de 550.000 euros, soit à un total de 608.104,62 euros
En l'absence d'enfant de [A] [F], la réserve de son conjoint survivant est d'un quart, soit de 152.026,15 euros arrondis (608.104,62/3), et la quotité disponible est de trois quart, soit de 456.078,47 euros arrondis (608.104,62 x 0,75).
La donation de 550.000 euros à [N] [F] excède donc la quotité disponible de 93.921,53 euros.
Dès lors qu'il n'est pas soutenu que la valeur de cette libéralité serait différente à la date du décès de [A] [F], il n'est pas nécessaire de calculer un taux de réduction, de sorte que l'indemnité de réduction due par [N] [F] à [D] [X] est de 93.921,53 euros.
Sur la demande de la société [13] de dire que l'éventuel excès au titre des primes manifestement exagérées sera réglé par elle entre les mains du notaire chargé de la succession
Les primes n'ayant pas été qualifiées d'exagérées, cette demande de la société [13] sera rejetée comme étant sans objet.
Sur les mesures accessoires
[D] [X], laquelle succombe en l'essentiel de ses demandes sera condamnée aux dépens, dont la distraction sera ordonnée.
L'équité et la nature familiale de l'instance justifient de rejeter toutes les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'y a pas lieu de spécifiquement statuer sur la demande de la société [13] d'écarter l'exécution provisoire, qui n'est pas de droit puisque l'instance a été introduite avant le 1er janvier 2020.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
Rejette la demande d'[N] [F] d'écarter des débats les attestations du Dr [R] [X] en date des 17 avril 2019 et 23 avril 2019 ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée du principe de l'estoppel formée par [N] [F] contre à la demande de nullité de l'avenant du contrat d'assurance-vie du 18 avril 2017 ;
Rejette la demande de [D] [X] de nullité de la modification en date du 18 avril 2017 du bénéficiaire du contrat d'assurance-vie Acuity n° 701 517791388E souscrit auprès de la société [13] par [A] [F] ;
Rejette la demande de [D] [X] de condamner la société [13] à lui verser les sommes détenues au titre du contrat d'assurance-vie Acuity n° 701 517791388E souscrit auprès de la société [13] par [A] [F] ;
Condamne la société [13] à verser à [N] [F] la somme de 253.083,72 euros au titre des sommes qu'elle détient relatives au contrat d'assurance-vie Acuity n° 701 517791388E souscrit par [A] [F], dans les conditions de l'article 990 I du code général des impôts, après remise par [N] [F] de l'attestation prévue à cet article ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité à agir et de l'absence de preuve formées par [N] [F] contre la demande de [D] [X] de nullité des dons manuels de [A] [F] à [N] [F] pour insanité d'esprit ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription formée par [N] [F] contre la demande de [D] [X] de nullité des dons manuels de [A] [F] à [N] [F] pour insanité d'esprit ;
Rejette la demande de [D] [X] de nullité des dons manuels de [A] [F] à [N] [F] pour insanité d'esprit ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité à agir et de l'absence de preuve formées par [N] [F] contre la demande de [D] [X] de nullité des dons manuels de [A] [F] à [N] [F] pour dépassement de pouvoir ;
Déclare irrecevable comme prescrite du 1er avril 2011 au 1er novembre 2012 la demande de [D] [X] de nullité des dons manuels de [A] [F] à [N] [F] pour dépassement de pouvoir ;
Rejette le surplus de la demande de [D] [X] de nullité des dons manuels de [A] [F] à [N] [F] pour dépassement de pouvoir ;
Rejette la demande de [D] [X] dirigée contre [N] [F] de restitution des dons manuels ;
Condamne [N] [F] à payer à [D] [X] la somme de 93.921,53 euros au titre de l'indemnité de réduction de la donation de 550.000 euros en date du 1er novembre 2012 de [A] [F] à [N] [F] ;
Rejette la demande de la société [13] de dire que l'éventuel excès au titre des primes manifestement exagérées sera réglé par elle entre les mains du notaire chargé de la succession ;
Condamne [D] [X] aux dépens ;
Ordonne la distraction des dépens ;
Rejette toutes les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.
Fait et jugé à Paris le 20 Juin 2024
La GreffièreLe Président
Sylvie CAVALIEJérôme HAYEM