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18/06/2024 | FRANCE | N°22/05709

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 4ème chambre 1ère section, 18 juin 2024, 22/05709


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




4ème chambre 1ère section

N° RG 22/05709
N° Portalis 352J-W-B7G-CW6FE

N° MINUTE :




Assignation du :
04 Novembre 2019









JUGEMENT
rendu le 18 Juin 2024
DEMANDERESSE

Madame [Z] [B]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Jonathan SAADA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D488



DÉFENDERESSE

AG2R PREVOYANCE
[Adresse 1]
[Localité

4]
représentée par Me Muriel DELUMEAU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0967



COMPOSITION DU TRIBUNAL

Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge

assistés de ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

4ème chambre 1ère section

N° RG 22/05709
N° Portalis 352J-W-B7G-CW6FE

N° MINUTE :

Assignation du :
04 Novembre 2019

JUGEMENT
rendu le 18 Juin 2024
DEMANDERESSE

Madame [Z] [B]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Jonathan SAADA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D488

DÉFENDERESSE

AG2R PREVOYANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Muriel DELUMEAU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0967

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge

assistés de Nadia SHAKI, Greffier,
Décision du 18 Juin 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 22/05709 - N° Portalis 352J-W-B7G-CW6FE

DÉBATS

A l’audience du 20 Mars 2024 tenue en audience publique devant Madame MASMONTEIL, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Le 1er mars 2004, Mme [Z] [B], agent propreté à temps partiel au sein des sociétés ABILIS CENTRE OUEST, ISS KLINOS et CARRARD PROPRETE, a été placée en invalidité 2ème catégorie par la sécurité sociale.

A compter de cette date, et en complément de la pension versée par la sécurité sociale, Mme [B] a perçu des rentes d’invalidité au titre des contrats de prévoyance de groupe souscrits par ses employeurs auprès de l’institution de prévoyance AG2R Prévoyance (ci-après AG2R Prévoyance).

Le 29 novembre 2016, la Caisse d’assurance retraite Centre Val de Loire lui a adressé un courrier aux termes duquel il lui était indiqué qu’à compter du 1er août 2016, sa pension d’invalidité serait substituée par une pension de retraite personnelle au titre de l’inaptitude au travail.

AG2R prévoyance a cessé de servir les rentes d’invalidité précitées à compter du 1er août 2016.

Mme [B] a interrogé la direction d’AG2R Prévoyance par courrier recommandé du 19 décembre 2016, estimant avoir le droit de bénéficier des rentes invalidité jusqu’à l’âge légal de son départ à la retraite.

Le 23 décembre 2016, AG2R Prévoyance a informé Mme [B] que les prestations versées par elle étaient complémentaires aux prestations invalidité de la sécurité sociale et qu’en raison de l’arrêt du versement d’une pension invalidité, au profit d’une pension de retraite, depuis le 1er août 2016 par la sécurité sociale, elle ne pouvait donner une suite favorable à sa demande de paiement au-delà du 31 juillet 2016.

Les tentatives de résolutions amiables diligentées auprès du conciliateur du Groupe A2GR LA MONDIALE puis du médiateur de l’Assurance n’ont pas permis de mettre fin au litige.

Dans ce contexte, Mme [B] a attrait AG2R Prévoyance devant le tribunal de grande instance de Paris devenu tribunal judiciaire de Paris, par exploit d’huissier de justice du 4 novembre 2019.

L’affaire a fait l’objet d’une radiation du rôle le 29 mars 2022. Par conclusions signifiées le 3 mai 2022, Mme [B] en a sollicité le rétablissement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 juillet 2022, Mme [B] demande au tribunal de :
« Vu les dispositions des articles L. 112-4, L.141-4 et A.141-1 du code des assurances,
Vu les articles L.932-6 et 932-18 du code de la sécurité sociale
Vu l’article L 132-1 devenu L.212-1 alinéa 1er du code de la consommation,
Vu l’ensemble des pièces versées aux débats,

JUGER Madame [B] recevable et bien fondée, en son action ;

DEBOUTER AG2R PREVOYANCE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

JUGER que la clause contenue dans la notice d’information prévoyance personnel non cadre, visant à cesser le versement de la rente complémentaire invalidité n’était applicable, au jour de la date de prise d’effet de la garantie invalidité ;

JUGER que la clause limitative contenues dans la notice d’information prévoyance personnel non cadre, visant à cesser le versement de la rente complémentaire invalidité, dont Madame [B], a été destinataire postérieurement à la réalisation du risque garanti, ne lui est pas opposable ;

JUGER que la clause litigieuse de cessation de la garantie invalidité qui n’est pas rédigée en termes très apparents de manière à attirer spécialement l'attention de Madame [B] sur la limitation de garantie qu'elle édicte, est illicite, au regard des dispositions de l’article L.112-4 du code des assurances ;

JUGER que la clause litigieuse de cessation de la garantie invalidité est ambigüe et imprécise, en ce qu’elle ne permet pas à Madame [B] de connaître exactement l’étendue de sa garantie invalidité ;

JUGER que la clause litigieuse de cessation de la garantie invalidité est abusive, dès lors qu’elle a pour effet de priver, Madame [B] en situation de retraite imposée, du bénéfice de la garantie, sans pour autant que son état d'invalidité de Madame [B] n'ait subi la moindre modification ;


En conséquence,

CONDAMNER la société AG2R PR2VOYANCE à verser à Madame [B] la somme de 25.490,16 € au titre de l’arrière dû pour la rente invalidité, sur la période qui court du 1er août 2016 au 31 janvier 2021 ;

CONDAMNER la société AG2R PR2VOYANCE au paiement mensuel et à terme échu, des rentes servies au titre des contrats ABILIS OUEST, CARRARD PROPRETE et ISS KLINOS, à compter du 1er février 2021 et cela jusqu’au 31 juillet 2021 ;

CONDAMNER la société AG2R PR2VOYANCE à verser la somme de 5.000 € à la requérante, sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance

ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir ».

En réponse à l’irrecevabilité soulevée par la partie défenderesse, Mme [B] soutient qu’elle dispose d’un intérêt à agir, personnel, légitime, né et actuel, puisque son action a pour objet de faire reconnaître son droit à bénéficier de la poursuite du versement de sa rente invalidité par AG2R Prévoyance jusqu’au 31 juillet 2021. Elle fait notamment valoir que contrairement à ce qu’affirme l’institution de prévoyance, elle n’a pas spontanément liquidé sa pension de vieillesse, s’étant vue imposer la substitution de sa pension invalidité en pension de retraite du fait de son inaptitude. Les termes de son assignation la conduisent selon elle, non pas à discuter l’obtention de ses trimestres de cotisation pour liquider une retraite à taux plein, mais, précisément, à voir reconnaître que la garantie invalidité prévue contractuellement couvre le risque d’inaptitude au travail. Compte tenu de ces éléments, elle estime disposer d’un intérêt à agir afin que le tribunal se prononce sur la validité de la clause du contrat litigieux de cessation de la garantie.

Au soutien de ses prétentions principales, Mme [B] fait valoir qu’elle n’a jamais été destinataire d’un document quelconque valant notice d’information au moment de son adhésion au contrat d’assurance de groupe, et que la clause restrictive de garantie contenue dans la notice d’information prévoyant l’interruption du versement de la rente ne lui est pas opposable. Elle soutient notamment qu’AG2R Prévoyance avait, conjointement avec ses employeurs souscripteurs, l’obligation de satisfaire un devoir d’information à son endroit, par la remise de la notice d’information. Elle relève également qu’aucune des versions de la notice d’information versées au débat, n’était en vigueur au jour de son adhésion au contrat, ni même au jour de son placement en état d’invalidité ou à la date de substitution de sa pension d’invalidité en pension de vieillesse. En tout état de cause, elle indique qu’AG2R Prévoyance n’est pas en mesure de rapporter la preuve que la clause litigieuse était applicable, au jour de la date de prise d’effet de la garantie invalidité.

A titre subsidiaire, elle estime que la clause litigieuse n’est pas rédigée en des termes très apparents de manière à attirer l’attention de l’assurée sur la limitation de la garantie qu’elle édicte, et qu’elle doit être jugée illicite en application de l’article L. 112-4 du code des assurances. En outre, elle relève qu’elle est imprécise et ambiguë et qu’elle ne lui permet pas de connaître l’étendue exacte de la garantie.

Au visa des articles L. 132-1 du code de la consommation et 1171 du code civil, elle estime les dispositions conventionnelles litigieuses abusives, comme créant un déséquilibre significatif entre les parties, en ce sens qu’elles ont pour effet de décharger purement et simplement l’institution de prévoyance de ses obligations qui sont la contrepartie du versement des primes par le souscripteur, alors que de son côté, elle se trouve placée dans une situation de retraite imposée tout en continuant de remplir la condition d’éligibilité pour bénéficier de la garantie invalidité, étant dans l’impossibilité absolue d’exercer son activité professionnelle.

En conséquence, elle sollicite le versement de la rente invalidité à compter du 1er août 2016 et jusqu’à l’âge légal de liquidation de sa pension de retraite à taux plein, fixé à 66 ans et 7 mois.

Enfin, elle demande à ce qu’AG2R Prévoyance soit condamnée à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Aux termes de ses dernières écritures régularisées par la voie électronique le 15 septembre 2022, AG2R Prévoyance demande au tribunal de :
« Vu l’article 122 du Code de procédure civile,
(…)
- déclarer irrecevables, en raison du défaut d’intérêt à agir, les demandes de Madame [B] ;

A titre subsidiaire :
- si, par extraordinaire, le Tribunal devait rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir, de débouter Madame [B] de l’ensemble de ses prétentions, celles-ci se trouvant mal fondées ;

A titre infiniment subsidiaire :
- si, par extraordinaire, le Tribunal devait déclarer inopposable à Madame [B] la clause de cessation du versement des rentes complémentaires d’invalidité à la date de la liquidation de la pension de vieillesse, de débouter la requérante de ses prétentions, à défaut de justifier d’un préjudice indemnisable ;

En tout état de cause :
- rejeter l’exécution provisoire et, si elle devait être prononcée, l’assortir d’une consignation des sommes dues à Madame [B], en cas de condamnation de l’institution AG2R Prévoyance, auprès de la caisse des dépôts et consignation ;
- débouter Madame [B] de ses demandes formées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens de l’instance ;
- reconventionnellement, condamner Madame [B] à verser à AG2R Prévoyance la somme de 2 000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ».

AG2R Prévoyance soulève en premier lieu l’irrecevabilité des demandes de Mme [B], au motif que les prétentions de celle-ci sont dépourvues de tout objet. Elle fait valoir qu’au jour de la substitution de sa rente d’invalidité par une pension de retraite par la sécurité sociale, Mme [B] avait déjà atteint le nombre de trimestres légalement exigé pour liquider sa retraite à taux plein, et qu’en d’autres termes, elle a effectivement liquidé sa pension de vieillesse à taux plein, AG2R Prévoyance ayant de ce fait régulièrement versé les rentes complémentaires dues jusqu’à cette date, peu important qu’elle n’ait pas atteint à cette date l’âge de 66 ans et 7 mois, âge légal de liquidation de retraite des personnes de son âge. Elle en déduit que les prétentions de la demanderesse, visant à obtenir le règlement des rentes litigieuses jusqu’au 31 juillet 2021 à ses 66 ans et 7 mois, sont dépourvues de tout objet et donc irrecevables.

En second lieu, elle soutient que le contrat proposé par AG2R Prévoyance repose sur les termes du régime prévu à la Convention collective « Propreté » du 26 juillet 2011, qui mentionne à son article 8.1.8 que « cette rente [d’invalidité] est versée au plus tard jusqu’à la date de liquidation des prestations retraite du régime d’assurance vieillesse en cas d’invalidité » et que la clause litigieuse, issue des dispositions conventionnelles dont relevaient les trois employeurs de Mme [B], lui est pleinement opposable, puisqu’elle s’est intégrée au statut collectif applicable à la requérante à compter de la conclusion de ses contrats de travail. Elle rappelle qu’en tant qu’institution de prévoyance, elle a établi une notice d’information, dont la remise aux salariés incombe aux employeurs, de sorte que les griefs qu’elle lui reproche à cet égard sont inopérants, car dirigés contre une personne morale qui n’est pas débitrice d’une telle obligation.

Elle fait également valoir, en réponse aux griefs soulevés en demande, que des notices d’information ont été établies au fur et à mesure des années et que la clause portant cessation de versement de la rente invalidité, qui ne s’analyse pas en une clause limitative ou exclusive de garantie, mais en une clause visant à expliciter les modalités de mise en œuvre de la garantie et notamment son terme, est claire et non ambiguë. Elle précise que cette stipulation n’a pas à être présentée en caractères « très apparents », formalisme réservé aux clauses édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ou limitations de garantie en application de l’article R. 932-1-4 du code de la sécurité sociale. Elle ajoute qu’en tout état de cause, le formalisme précité serait parfaitement respecté en l’espèce.

Par ailleurs, elle soutient que la clause du contrat de prévoyance litigieuse ne relève pas des dispositions du code de la consommation, lesquelles ne s’appliquent pas aux contrats collectifs de prévoyance complémentaire, ni les employeurs-souscripteurs, ni les adhérents ne répondant à la définition du consommateur ou du non-professionnel posée par le code de la consommation, outre que le salarié ne peut être qu’être qualifié de « tiers bénéficiaire » au moment de la conclusion du contrat.

AG2R Prévoyance estime enfin qu’à supposer applicables les dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives, d’une part, la conversion de la pension d’invalidité de la sécurité sociale en pension de vieillesse pour inaptitude résulte de la mise en œuvre de dispositions légales, sur lesquelles elle ne peut pas influer, et, d’autre part, contrairement à ce que soutient la partie demanderesse, l’organisme assureur n’est pas déchargé de ses obligations tout en continuant à percevoir des cotisations pour le compte de l’adhérente ayant atteint l’âge légal de la retraite à taux plein, puisque Mme [B] est sortie des effectifs des trois sociétés, au plus tard le 1er août 2016, au moment de la prise d’effet de sa pension vieillesse. Elle argue que depuis cette date, au minimum, plus aucune cotisation n’est précomptée sur son salaire, pas plus que sur sa pension de retraite.

S’agissant des demandes de versement des rentes par Mme [B], AG2R Prévoyance fait valoir qu’à la date de la conversion de sa pension, sa retraite a bien été liquidée à taux plein, et qu’elle ne peut justifier d’aucun préjudice qui lui ouvrirait droit à une indemnisation, aucune clause -de la notice ou du régime de prévoyance- ne lui permettant de bénéficier d’un mécanisme d’indemnisation plus avantageux, en l’absence, notamment, de stipulation contractuelle fixant le terme des garanties à un âge déterminé.

AG2R Prévoyance estime que le prononcé de l’exécution provisoire du jugement n’est pas nécessaire et formule une demande de consignation dans l’hypothèse où le tribunal viendrait à la condamner.

Elle sollicite enfin la condamnation de la partie demanderesse à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 6 juin 2023.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant à voir « juger » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes. Il ne sera donc pas statué sur ces « demandes » qui ne donneront pas lieu à mention au dispositif.

Sur la recevabilité des demandes de Mme [B]

Conformément à l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, tel que le défaut d’intérêt à agir invoqué par AG2R Assurance.

En l’espèce, comme le relève à juste titre Mme [B] dans ses écritures, les demandes qu’elle formule ont pour finalité d’obtenir le versement de rentes invalidité au titre du contrat de prévoyance de groupe auquel elle a adhéré, par l’effet de la souscription de ses employeurs audit contrat, et, ce, jusqu’à la date de l’âge légal de liquidation de retraite à taux plein, soit jusqu’au 31 juillet 2021. Mme [B], qui a vu le versement de ses rentes d’invalidité interrompu par AG2R Prévoyance à compter du 1er août 2016, soit plusieurs années avant la date à laquelle elle estime l’interruption justifiée, dispose donc d’un intérêt à agir personnel et légitime à l’encontre d’AG2R Prévoyance, le tribunal n’ayant pas à ce stade à se prononcer sur le bien-fondé de ses demandes.

En conséquence, AG2R Prévoyance sera déboutée de sa demande tendant à voir déclarer irrecevables pour défaut d’intérêt à agir, les demandes formulées par Mme [B].

Sur l’opposabilité de la clause de cessation de rente d’invalidité

Conformément à l’article 1315 du code civil, dans sa version applicable au 1er août 2016, « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».

Selon les trois notices d’information prévoyance pour le personnel non cadre produites aux débats, dans leurs versions applicables respectivement au 1er décembre 2013, au 1er juillet 2014 et au 1er janvier 2016, il est stipulé, dans les mêmes termes et à la même page 10, sous l’intitulé « Quand le versement de la rente cesse-t-il ? » que : « La rente d’invalidité est servie tant que le salarié perçoit à ce titre des prestations de Sécurité sociale. Son versement cesse également :
à la date de liquidation des prestations retraite du régime d’assurance vieillesse ou de la pension pour inaptitude au travail de la Sécurité sociale ;au décès du salarié ».
En l’espèce, la clause fixant le terme de la garantie ne constitue pas une clause limitative ou exclusive de garantie, mais a pour but d’informer le salarié sur les modalités de mise en œuvre de la garantie invalidité en précisant son terme.

Mme [B] réclame la poursuite du versement de la rente invalidité par AG2R Prévoyance, laquelle a cessé le paiement de ladite pension non pas en vertu d’une exclusion de garantie, mais bien d’un épuisement du périmètre de celle-ci. Dès lors, et conformément à l’article 1315 du code civil susvisé, il appartient à la demanderesse de rapporter la preuve du contenu des garanties souscrites auprès d’AG2R Prévoyance et d’établir alors que les conditions de la garantie qu’elle invoque sont remplies.

A défaut pour la demanderesse de verser aux débats tout document justifiant de l’étendue des garanties dont elle prétend pouvoir bénéficier, elle ne peut pas conclure à l’inapplication des notices communiquées par la défenderesse, sauf à rendre immédiatement sans objet ou à tout le moins mal fondée sa prétention principale, en l’absence de toute obligation contractuelle précisément établie.

Dans ces conditions, le tribunal ne peut que se référer aux notices d’information versées aux débats pour déterminer les conditions et l’étendue des garanties dont Mme [B] peut bénéficier.

Par conséquent, les moyens soulevés par la demanderesse visant à voir déclarer inopposable la clause portant sur la garantie invalidité ne pourront pas prospérer.

Sur le caractère abusif et illicite de la clause relative à la garantie invalidité

Sur le caractère non apparent de la clause

Contrairement à ce qu’invoque Mme [B], les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 112-2 du code des assurances, qui prévoient que « les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractère très apparents », ne sont pas applicables en l’espèce, l’institution de prévoyance AG2R Prévoyance relevant des dispositions du code de la sécurité sociale et non de celles du code des assurances.

Conformément à l’article R. 932-1-1 du code de la sécurité sociale, « Les règlements et les bulletins d'adhésion des institutions de prévoyance ou de leurs unions ainsi que leurs contrats sont rédigés par écrit, en français et en caractères apparents. Ces documents décrivent, de manière claire et précise, les droits et obligations de l'adhérent, du participant et de l'institution de prévoyance ou de l'union et comportent notamment :
(…)
d) la nature ou le contenu des engagements pris ou des risques couverts ».

Il ressort de la lecture de la notice d’information que la clause prévoyant la cessation du paiement de la rente d’invalidité est écrite de manière tout à fait apparente, aucune difficulté ne pouvant être relevée en termes de lisibilité, d’emplacement ou de taille de police. Elle satisfait pleinement les exigences prévues à l’article R. 932-1-1 du code de la sécurité sociale, applicable à l’espèce.

Le moyen soutenu par Mme [B] sur le caractère non apparent de la clause ne peut donc pas être accueilli, tant sur le fondement du code des assurances que sur celui du code de la sécurité sociale.

Sur le caractère imprécis et ambiguë de la clause

L’article 1134 du code civil, dans sa version applicable au 1er août 2016, prévoit que « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

Pour rappel, la clause litigieuse est rédigée dans les termes suivants : « La rente d’invalidité est servie tant que le salarié perçoit à ce titre des prestations de Sécurité sociale. Son versement cesse également :
à la date de liquidation des prestations retraite du régime d’assurance vieillesse ou de la pension pour inaptitude au travail de la Sécurité sociale ; au décès du salarié ».
Si les juges du fond jouissent du pouvoir d’interpréter les conventions c’est à la condition que celles-ci soient obscures ou ambiguës.

En l’espèce, Mme [B], fait valoir qu’en s’abstenant de toute référence à l’article L. 341-15 du code de la sécurité sociale alinéa 1er prévoyant que « La pension d'invalidité prend fin à l'âge prévu à l'article L. 351-1-5. Elle est remplacée à partir de cet âge par la pension de vieillesse allouée en cas d'inaptitude au travail », et en omettant de définir la notion de « liquidation des prestations retraite du régime d’assurance vieillesse », la clause litigieuse ne viserait pas sa situation personnelle, ayant subi une conversion automatique de sa pension d’invalidité en pension de vieillesse. Elle ajoute en outre qu’aucune autre mention des causes de cessation de la garantie invalidité n’apparaît dans la notice, notamment dans la rubrique « Exclusions ». Elle en déduit que la clause litigieuse n’est ni claire ni précise, et ne lui permet pas de connaître l’étendue exacte de la garantie.

Toutefois, il ressort de la lecture de la clause que la rente d’invalidité est perçue par le salarié, tant qu’il reçoit également des prestations de la sécurité sociale à ce titre. Le caractère dépendant du versement de la rente complémentaire était clairement explicité.

La clause prévoit ensuite que le versement peut être interrompu dans deux situations à savoir le décès du salarié, ou la liquidation de la pension de vieillesse, le cas de Mme [B] étant ensuite spécialement envisagé par les termes suivants « ou de la pension pour inaptitude au travail de la Sécurité sociale », correspondant aux termes du courrier lui ayant été adressé par la Caisse d’assurance retraite Centre Val de Loire : « nous vous attribuons une retraite personnelle au titre de l’inaptitude au travail ».

L’argument par lequel Mme [B] fait valoir qu’elle n’a pas activement sollicité la liquidation de sa pension revient en réalité à contester l’applicabilité des modalités fixées par la notice à sa situation particulière, et non à en critiquer la formulation.

Le fait que la clause ne renvoie pas expressément à l’article L. 341-15 du code de la sécurité sociale, qui évoque l’hypothèse d’une substitution automatique d’une pension de vieillesse à une pension d’invalidité, n’est pas de nature à la priver de sa clarté ou à en empêcher sa compréhension.

S’agissant enfin d’une clause visant à expliciter les modalités de mise en œuvre de la garantie, et non à en définir les exclusions, le fait que la notice n’évoque pas cette information ailleurs que dans ledit chapitre dédié à la garantie invalidité ne préjuge pas du caractère ambigu allégué par la demanderesse.

Le moyen tiré de l’ambiguïté de la clause précitée ne saurait donc prospérer.

Sur le caractère abusif de la clause

L’article 1171 du code civil, invoqué en demande, n’était pas en vigueur au 1er août 2016. Mme [B] ne saurait donc invoquer utilement cet article au soutien de ses prétentions.

L’article L. 212-1 du code de la consommation, dans sa version en vigueur au 1er août 2016, prévoit que, « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

Son alinéa 3 précise que : « L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ».

L’adhésion à un contrat de prévoyance de groupe, bien que conséquence d’une stipulation pour autrui, n’en crée pas moins, entre le salarié et l’assureur, qui l’agrée, un lien contractuel direct, de nature synallagmatique, dont les stipulations relèvent, comme telles, des dispositions de l’article L.212-1 du code de la consommation. C’est donc à tort que l’institution de prévoyance soutient que les dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives ne sont pas applicables dans ses rapports avec Mme [B].

Toutefois, la stipulation délimitant l’étendue temporelle du risque invalidité couvert par AG2R Prévoyance ne peut pas être qualifiée d’abusive, dans la mesure où elle définit « l’objet du contrat », dès lors qu’ainsi qu’il vient d’être rappelé, elle n’est ni imprécise ni équivoque. La clause fixant le terme de la garantie étant dépourvue d’ambiguïté, Mme [B] ne peut utilement invoquer les dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives.

En tout état de cause, Mme [B] ne conteste pas que ses contrats de travail ont pris fin au 1er août 2016, à compter de la substitution de sa pension par la sécurité sociale, et qu’à ce titre, aucune cotisation n’est prélevée sur sa pension vieillesse afin de financer le contrat de prévoyance conclu par ses anciens employeurs, de sorte qu’aucun déséquilibre contractuel n’apparaît à la cessation du versement des rentes complémentaires. Le tribunal rappelle en outre que le déséquilibre doit être apprécié entre les parties au contrat, c’est-à-dire entre AG2R Prévoyance et Mme [B], et non vis-à-vis de la situation des autres assurés, de sorte que cette dernière ne peut être suivie lorsqu’elle affirme qu’elle dispose d’un traitement nettement moins favorable que celui d’un salarié, placé en invalidité, et qui, parvenu à l’âge légal de la retraite, poursuit son activité et continue à percevoir sa pension d’invalidité jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge légal de la retraite à taux plein.

Sur les demandes de Mme [B] en poursuite du versement de la rente

Compte tenu de la formulation de la clause et de la situation de Mme [B], qui s’est vue attribuée une retraite au titre de l’inaptitude au travail par la Caisse d’assurance retraite Centre Val de Loire à compter du 1er août 2016, AG2R Prévoyance était fondée à cesser tout versement de la rente complémentaire prévue au contrat à partir de cette date.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, Mme [B] sera déboutée de ses demandes tendant à voir condamner AG2R Prévoyance à lui verser la somme de 25.490,16 euros au titre de l’arriéré dû pour la rente invalidité, sur la période du 1er août 2016 au 31 janvier 2021, et à la voir condamner au paiement mensuel et à terme échu, des rentes servies au titre des contrats ABILIS OUEST, CARRARD PROPRETE et ISS KLINOS, à compter du 1er février 2021 et jusqu’au 31 juillet 2021.

Sur les demandes accessoires

Succombant à l’instance, Mme [B] sera condamnée aux dépens. Elle sera condamnée à verser à AG2R Prévoyance la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l'article 515 du code de procédure civile dans sa version applicable au présent litige « hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation ». En l’espèce, l’exécution provisoire, compatible avec la nature de l’affaire, sera ordonnée eu égard à l’ancienneté du litige.

Au vu du sens de la présente décision, la demande de consignation émise par AG2R Prévoyance, devenue sans objet, sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

DEBOUTE l’institution de prévoyance AG2R Prévoyance de sa demande tendant à voir déclarer irrecevables, pour défaut d’intérêt à agir, les demandes de Mme [Z] [B] ;

DEBOUTE Mme [Z] [B] de sa demande tendant à voir condamner l’institution de prévoyance AG2R Prévoyance à lui verser la somme de 25.490,16 euros au titre de l’arriéré dû pour la rente invalidité, sur la période du 1er août 2016 au 31 janvier 2021 ;

DEBOUTE Mme [Z] [B] de sa demande tendant à voir condamner l’institution de prévoyance AG2R Prévoyance au paiement mensuel et à terme échu, des rentes servies au titre des contrats ABILIS OUEST, CARRARD PROPRETE et ISS KLINOS, à compter du 1er février 2021 et jusqu’au 31 juillet 2021 ;

CONDAMNE Mme [Z] [B] à verser à l’institution de prévoyance AG2R Prévoyance la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [Z] [B] aux dépens ;

ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement ;

DEBOUTE l’institution de prévoyance AG2R Prévoyance de sa demande de consignation, devenue sans objet ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires qui ont été reprises dans l’exposé du litige
Fait et jugé à Paris le 18 Juin 2024.
Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 4ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 22/05709
Date de la décision : 18/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-18;22.05709 ?
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