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14/06/2024 | FRANCE | N°22/08178

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 2ème section, 14 juin 2024, 22/08178


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS



3ème chambre
2ème section


N° RG 22/08178 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CXLP5

N° MINUTE :


Assignation du :
06 Juillet 2022

















JUGEMENT
rendu le 14 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. LA COQUE DE NACRE
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Pierre GREFFE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0617


DÉFENDERESSE

S.A.R.L. SATINE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par

Maître Michael HADDAD de la SELAS HADDAD & LAGACHE, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #C2092








Copies délivrées le :
- Maître GREFFE #E617 (ccc)
- Maître HADDAD #C2092 (exécutoire)

Décision du 14 Juin 2024
...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section


N° RG 22/08178 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CXLP5

N° MINUTE :

Assignation du :
06 Juillet 2022

JUGEMENT
rendu le 14 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. LA COQUE DE NACRE
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Pierre GREFFE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0617

DÉFENDERESSE

S.A.R.L. SATINE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Michael HADDAD de la SELAS HADDAD & LAGACHE, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #C2092

Copies délivrées le :
- Maître GREFFE #E617 (ccc)
- Maître HADDAD #C2092 (exécutoire)

Décision du 14 Juin 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 22/08178 - N° Portalis 352J-W-B7G-CXLP5

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Véra ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Monsieur Quentin CURABET, greffier

DEBATS

A l’audience du 15 Mars 2024 tenue en audience publique, avis à été donné aux avocats que la décision serait rendue le 17 Mai 2024 puis prorogé au 14 juin 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

1.La société LA COQUE DE NACRE est spécialisée dans la création, la fabrication et la distribution de bijoux en argent et plaqué or qu'elle commercialise, sous sa marque, Bijoux CN, à des professionnels de la bijouterie.

2.Notamment, elle a commercialisé cinq modèles sous la forme d'un ensemble (bracelet, collier, boucles d'oreilles et bague) constituant une parure, avec pour certains modèles des déclinaisons.
Modèle 1 Modèle 2 Modèle 2 (déclinaison)
Modèle 3 Modèle 4 Modèle 4 (déclinaison)

Modèle 5

3.Ayant constaté que la société SATINE avait commercialisé des bijoux reproduisant selon elle, les caractéristiques des modèles susvisés, la société LA COQUE DE NACRE a sollicité et obtenu l'autorisation de faire pratiquer une saisie-contrefaçon le 16 juin 2022.

4.La société LA COQUE DE NACRE a assigné la société SATINE devant le tribunal judiciaire de Paris, pour contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés et de droits d'auteur, par exploit signifié le 16 juillet 2022.

5.Aux termes de ses conclusions en date du 13 mars 2023, la société LA COQUE DE NACRE a sollicité :
- De juger que la société SATINE a commis des actes de contrefaçon de modèles communautaires non enregistrés pour ses modèles 1 et 5 et des actes de contrefaçon de droits d'auteur pour les cinq modèles ;
- Subsidiairement, de juger qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
- De lui interdire d'importer, de faire fabriquer, de fabriquer, d'offrir à la vente, d'exposer et/ou de commercialiser les bijoux reproduisant ses modèles, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, avec rappel sous astreinte des bijoux contrefaisants aux fins de destruction ;
- De lui faire injonction sous astreinte de communiquer les quantités acquises et vendues en France et dans l'Union européenne pour les modèles 1 et 5 ;
- De la condamner au paiement de la somme provisionnelle de 200 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon ; et subsidiairement au paiement de la même somme en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
- D'ordonner la publication du jugement à intervenir,
- De condamner la société SATINE au paiement de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

6.Elle soutient à l'appui de ses demandes, que chacun de ces modèles présente des caractères originaux se traduisant par la combinaison de plusieurs éléments ; que les modèles 1 et 5 présentent un caractère nouveau et individuel ; que les modèles commercialisés par SATINE créent, pour l'utilisateur averti, une impression visuelle globale identique ; que la protection du modèle 1 n'avait pas expiré à la date à laquelle les faits de contrefaçon ont été commis ; que certaines des antériorités produites par SATINE sont les siennes ; que la vente par SATINE de copies serviles de ses bijoux, est susceptible de créer un risque de confusion ou d'association entre les deux entreprises ; qu'en outre, SATINE a tiré profit de ses investissements en se plaçant dans son sillage, se livrant ainsi à des actes de concurrence déloyale et parasitaire.

7.En réponse et par conclusions du 21 avril 2023, la société SATINE sollicite le rejet de l'intégralité des demandes adverses, tant au titre des droits d'auteur, des droits sur les dessins ou modèles que de la concurrence déloyale et parasitaire. Subsidiairement, si les droits de la société LA COQUE DE NACRE étaient reconnus à un titre ou un autre, elle sollicite sa propre condamnation au paiement d'une indemnité symbolique pour le préjudice allégué. Enfin, elle sollicite la condamnation de la demanderesse au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

8. La société SATINE soutient que, la protection au titre des dessins ou modèles communautaires non enregistrés des modèles 1 et 5 avait expiré à la date de l'assignation. En tout état de cause, il s'agit de modèles anciens, et il existe des antériorités. Elle soutient que la société LA COQUE DE NACRE ne dispose pas de droits d'auteur sur l'ensemble des modèles 1 à 5 ; que leur date de création n'est pas précisée, que ces bijoux ne portent pas l'empreinte de leurs auteurs et que l'originalité des modèles 1, 2 et 5, ne résulte d'aucun élément. Les modèles litigieux appartiendraient au fonds commun de l'accessoire de mode. Elle fait valoir que la demanderesse n'établit pas l'existence d'un préjudice. Elle soutient également que pour que soit retenue la concurrence déloyale et parasitaire, l'imitation ou la reproduction servile doivent être fautives, et que soit démontrée une intention de nuire, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce.

9.Une ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

I. Sur les droits d'auteur

10.Suivant l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom duquel l'œuvre est divulguée.

11.En application de son article L. 111-1, " L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ", comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, sous réserve que l'œuvre soit originale, c'est-à-dire porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.

12.En application de la directive 2001/29, une oeuvre implique un objet original, c'est- à-dire une création intellectuelle propre, son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs. Cet objet doit être identifiable avec suffisamment de précision et d'objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui reçoit l'objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35).

13.En l'espèce, le modèle 1 est ainsi décrit par LA COQUE DE NACRE :
" Un pendentif formé par une rondelle dorée (ou disque doré dont le centre est ajouré) sur laquelle est apposé, en haut, un cabochon constitué d'une pierre noire sertie, ovale et légèrement bombée. / - La pierre dépasse du disque de sa moitié environ. / - La rondelle dorée est constituée de 7 rayons concentriques dont les lignes sont interrompues par des stries, le tout formant un labyrinthe. / - Dans son ensemble la partie métallique de la rondelle donne l'impression d'avoir été martelée/ L'originalité de ce modèle se caractérise, en outre, par le subtil contraste entre la douceur du cabochon et l'aspect brut de la partie métallique dont les aspérités rappellent la structure d'un labyrinthe ".

14.Le modèle 2 " se caractérise (…) par la combinaison des éléments suivants : - Un médaillon dont le centre est entouré par deux cercles chacun composés de motifs différents. / - Le premier cercle est constitué par une série de 25 petites pointes chacune séparées par un espace identique. / - Le second cercle comprend 12 coeurs stylisés et prolongés d'une petite queue qui rebique suivant un mouvement circulaire dans le sens horaire ".

15. Le modèle 3 " se caractérise par la combinaison des éléments suivants :
" Un croissant de lune plein dont les contours sont délimités par des billes métalliques et dont les deux extrémités sont reliées à une chaine. / - Le croissant de lune est composé d'une plaque de couleur argentée, occupée en son centre par un soleil.
Le soleil comprend 8 rayons qui sont également composés de petites billes métalliques. Son originalité se caractérise, en outre, par la rencontre symbolique du soleil et de la lune. Les petites billes métalliques dessinant les pourtours de ces deux astres évoquent des étoiles scintillant dans le ciel ".

16.Le modèle 4 " se caractérise par la combinaison des éléments suivants :
Deux cercles de diamètres différents, le plus grand encerclant le plus petit des deux.
Ces deux cercles ne partagent pas le même centre, de sorte que l'espace les séparant se fait de plus en plus large, puis, symétriquement de plus en plus fin.
Leurs contours sont surmontés, en relief, de petits points dorés.
Les deux cercles sont reliés l'un à l'autre par une couche de métal doré dans la partie basse de laquelle remontent symétriquement, de part et d'autre de l'entre-deux cercles, des points dorés. L'originalité de ce bijou se caractérise, en outre, par la disposition des cercles et des motifs qui évoquent l'alignement des planètes. La partie ajourée du bijou représente le vide existant entre ces corps célestes ".

17.Le modèle 5 se caractérise " par la combinaison des éléments suivants :
La partie se fixant sur le lobe de l'oreille est composée d'une pierre de forme arrondie verte ou noire et légèrement bombée. Cette pierre est incrustée au socle du fermoir et entourée d'un cercle doré stylisé qui comporte 4 petits crochets la fixant.
Est suspendue à cette pierre un losange doré composé de 16 cercles aux contours volontairement imparfaits et rattachés les uns aux autres de manière à laisser apparaitre entre eux 18 triangles ajourés.
Dans leur ensembles les cercles dorés donnent l'impression d'avoir été frappés à la manière d'une pièce de monnaie.
Son originalité se caractérise, en outre, par son architecture en forme de grappe de raisin. La forme et la brillance du cabochon évoque également ce fruit, le tout conférent à ce modèle un aspect délectable ".

18.Toutefois, le modèle 1 est constitué d'un ensemble de cercles concentriques, entrecoupés de stries, agencées de manière aléatoire et se terminant par un cabochon. Ces caractéristiques ne révèlent cependant pas la personnalité de leur auteur, quand bien même le bijou évoquerait un labyrinthe.

19.Le modèle 2 (comme sa déclinaison), de forme ronde, comporte un motif graphique évocateur d'une dentelle, thème qui n'est pas original et est souvent repris dans le domaine de la bijouterie. A cet égard, la production par SATINE du modèle Azuline et du modèle La Pépite (pièces 5-2 et 10-2), pendentif rond comportant le même motif, en contredit l'originalité alléguée.

20.Le modèle 3 a la forme d'une demi-lune avec en son centre un ensemble de petites billes en étoile, ces billes étant reproduites sur le pourtour du bijou, ce qui ne reflète pas un effort créatif particulier, ces éléments appartenant au fonds commun de la bijouterie fantaisie.

21.Le modèle 4 est essentiellement constitué de l'adjonction de deux cercles de diamètres différents, dont l'un des bords est épaissi et décoré de petits points. La combinaison de ces éléments géométriques n'apparaît pas originale, même en admettant l'évocation d'une " rencontre entre le soleil et la lune ", comme le soutient la demanderesse.
22.Le modèle 5 est une figure géométrique constitué d'un cabochon à son sommet auquel est accroché un losange composé de minuscules disques irréguliers, évoquant selon la demanderesse à la fois une grappe de fruits et des pièces de monnaie martelées. Quand bien même cette double inspiration serait retenue, elle n'est pas de nature à rendre original l'objet, ces thématiques relevant du fonds commun de la bijouterie fantaisie, de même que le procédé du martelage de tout ou partie du bijou, fait partie des techniques habituellement employées dans ce domaine.

23.Il convient de déduire de ces éléments que les modèles 1 à 5 sont dépourvus d'originalité.
En conséquence, la société LA COQUE DE NACRE sera déboutée de l'intégralité de ses demandes formées au titre des droits d'auteur revendiqués.

II. Sur les dessins ou modèles

24.Les articles 4 et 6 du Règlement (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, la protection d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, est assurée s'il est nouveau, c'est-à-dire qu'aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public antérieurement ; et présente un caractère individuel, c'est-à-dire que l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public antérieurement.

25.Selon son article 5, " (...) 2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ".

26.Selon son article 10 " 1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente. / 2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ".

27.Selon son article 11, relatif à la durée de la protection du dessin ou modèle non enregistré, " (…) Un dessin ou modèle qui remplit les conditions énoncées dans la section 1 est protégé en qualité de dessin ou modèle communautaire non enregistré pendant une période de trois ans à compter de la date à laquelle le dessin ou modèle a été divulgué au public pour la première fois au sein de la Communauté (…) ".

28.Selon l'article 19 du règlement, " 1. Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.
2. Le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère cependant à son titulaire le droit d'interdire les actes visés au paragraphe 1 que si l'utilisation contestée résulte d'une copie du dessin ou modèle protégé. L'utilisation contestée n'est pas considérée comme résultant d'une copie du dessin ou modèle protégé si elle résulte d'un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu'il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire (…) ".

29.L'utilisateur averti est défini par la jurisprudence de l'Union européenne comme étant doté non pas d'une attention moyenne mais d'une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré (cf CJUE, 20 octobre 2011 - PepsiCo Inc. c/ Grupo Promer Mon Graphic SA et OHMI, C-281/10 point 53).

30.En l'espèce, l'utilisateur averti doit être regardé comme le client de la bijouterie fantaisie, soucieux des détails de l'objet et de son impression esthétique d'ensemble.

31.S'agissant du modèle 1, SATINE se prévaut d'un modèle de boucles d'oreille commercialisé par la société De La Perille, sous le nom de collection Zanzybar (pièce 4-1). La société LA COQUE DE NACRE produit une attestation de la société De La Perille (pièce 14), selon laquelle il s'agit d'un modèle LA COQUE DE NACRE. Selon cette attestation, les commentaires accompagnant la présentation du modèle de la collection Zanzybar, datés du 6 août 2017 et du 15 février 2018, auraient porté sur un autre modèle de bijou et n'auraient pas été effacés de son site Internet par erreur. Toutefois, il n'est pas démontré que ces commentaires ne concernent pas le modèle 1. Notamment, LA COQUE DE NACRE n'a pas corroboré cette affirmation en produisant les catalogues 2016 et 2017, de manière à établir que ce modèle n'y figurait pas. Dès lors, il convient d'en déduire que la protection afférente à ce modèle LA COQUE DE NACRE a , en tout état de cause, expiré, ce modèle ayant été divulgué au plus tard depuis le 6 août 2017 et la saisie-contrefaçon ayant eu lieu le 16 juin 2022.

32.S'agissant du modèle 5, la société SATINE soutient que le modèle n'est pas nouveau dès lors qu'un bijou créé par la maison Marie-Hélène De Taillac (pièce 6) et daté de 2015, reproduit ses caractéristiques essentielles. Il s'agit en effet d'un losange composé de disques. Ce modèle ne comporte de cabochon ajouté au-dessus du losange. Il est donc nouveau. Toutefois, le losange constituant la pièce centrale du bijou, l'impression générale est identique pour un utilisateur averti, et le modèle LA COQUE DE NACRE n'a pas de caractère individuel propre. Il convient d'en déduire que le modèle 5 ne bénéficie d'aucune protection au titre des dessins ou modèles communautaires non enregistrés.

33.En conséquence, la société LA COQUE DE NACRE sera déboutée de l'intégralité de ses demandes formées pour les modèles 1 et 5 au titre des dessins ou modèles non enregistrés.

III. Sur la concurrence déloyale et parasitaire

34.La concurrence déloyale est fondée sur les articles 1240 et 1241 du code civil, lesquels disposent que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

35.La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

36.L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété du produit copié.

37.En l'espèce, l'examen comparatif des bijoux commercialisés par les parties permet de constater que trois des modèles SATINE constituent la copie servile du modèle 1 et de la déclinaison du modèle 2 (achetés par un client de LA COQUE DE NACRE, la société Rouge Framboise, à SATINE (pièces 6-1 et 6-2)) ; et de la déclinaison du modèle 4, dont ils sont la reproduction à l'identique :

Modèles SATINE :

38.Deux autres modèles SATINE constituent la copie quasi-servile des modèles 3 et 5, les modèles SATINE se différenciant essentiellement par la taille des boucles d'oreille et la couleur de la pierre (modèle 5), ainsi que par la chaîne du bijou (modèle 3) composé d'anneaux plus larges et la taille plus grande du motif en demi-lune :

39.Or le risque de confusion entre les marques n'apparaît pas constitué, dans la mesure où les parties ont pour clients des professionnels de la bijouterie fantaisie, qui connaissent leurs fournisseurs.

40.Au titre du parasitisme, LA COQUE DE NACRE fait valoir qu'elle a consacré en moyenne 4,71 millions d'euros à la création de l'ensemble de ses modèles sur les six dernières années (selon attestation de son expert-comptable qui estime que cette évaluation globale concorde avec les données en sa possession). Elle déclare que ses investissements sont de 21 542 euros en moyenne pour chacun des bijoux dont les ventes dépassent 500 exemplaires par an. Ces investissements sont détaillés en pièce 9. LA COQUE DE NACRE déclare avoir vendu entre le 1er janvier 2014 et le 20 juin 2022, 38059 pièces se rapportant aux bijoux litigieux, pour un chiffre d'affaires total de 551199 euros. Elle produit cependant un autre tableau relatif au chiffre d'affaires de 13 autres références, fixé à 173616 euros pour 8475 pièces vendues sur la même période (pièce 10).

41.Les références achetées par SATINE et qui se rapportent aux pièces visées aux termes de ses écritures par la demanderesse, ne sont pas identifiables, dans la mesure où chacune des parures peut être déclinée en plusieurs coloris et produite en argent et plaqué or et où certains de ces modèles sont réassortis avec ou sans modifications par LA COQUE DE NACRE, sur plusieurs années. La correspondance entre les références SATINE et celles de LA COQUE DE NACRE ne peut être établie.

42.Sur la base de ces données, le nombre de pièces litigieuses proposées à la vente par SATINE et vendues par LA COQUE DE NACRE sur la période 2020/2021, ne peut être déterminé.

43.Le tribunal observe que la COQUE DE NACRE n'a pas jugé bon de protéger ses modèles par un enregistrement et ne démontre par la valeur économique de chacun d'entre eux.

44.La copie servile ou quasi-servile des bijoux LA COQUE DE NACRE porte sur un total de sept bijoux, sur les milliers de références achetées par SATINE à un fournisseur chinois. Elle n'est donc pas systématique et ces pièces ne constituent pas l'essentiel de l'activité de la société SATINE. Elle n'est pas non plus répétitive, seuls quelques modèles des catalogues 2020/2021 étant visés. Enfin, le distributeur, qui a commandé des milliers de modèles à un fournisseur étranger, n'est pas en capacité de s'assurer que les modèles commandés ne constituaient pas la copie des modèles d'un fabricant en France.

45.En conséquence, il n'est pas établi que SATINE a tiré profit des investissements de LA COQUE DE NACRE ni qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale ou parasitaire. LA COQUE DE NACRE sera déboutée de sa demande formée à ce titre et de ses demandes subséquentes.

IV. Sur les demandes annexes

46.La société LA COQUE DE NACRE, partie perdante en l'espèce, sera condamnée au paiement de la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Déboute la société LA COQUE DE NACRE de l'intégralité de ses demandes ;

Condamne la société LA COQUE DE NACRE au paiement à la société SATINE de la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 14 Juin 2024

Le greffierLa Présidente
Quentin CURABETIrène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 22/08178
Date de la décision : 14/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-14;22.08178 ?
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