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14/06/2024 | FRANCE | N°21/08559

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 2ème section, 14 juin 2024, 21/08559


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE PARIS



3ème chambre
2ème section


N° RG 21/08559
N° Portalis 352J-W-B7F-CUV67

N° MINUTE :


Assignation du :
23 Juin 2021













JUGEMENT
rendu le 14 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S.U. COMPTOIR INTERNATIONAL DES TISSUS SARL
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Michael HADDAD de la SELAS HADDAD & LAGACHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2092


DÉFENDERESSES

S.A.R.L. PRESSPLAY
[Adresse 8]
[Adre

sse 8]
[Localité 5]

S.A.S. MOOV GROUP
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 5]

S.A.S.U. LIANG
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentées par Maître Emmanuelle HOFFMAN de la SELARL HOFFMAN...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section


N° RG 21/08559
N° Portalis 352J-W-B7F-CUV67

N° MINUTE :

Assignation du :
23 Juin 2021

JUGEMENT
rendu le 14 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S.U. COMPTOIR INTERNATIONAL DES TISSUS SARL
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Michael HADDAD de la SELAS HADDAD & LAGACHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2092

DÉFENDERESSES

S.A.R.L. PRESSPLAY
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 5]

S.A.S. MOOV GROUP
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 5]

S.A.S.U. LIANG
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentées par Maître Emmanuelle HOFFMAN de la SELARL HOFFMAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0610

Copies délivrées le :
- Maître HADDAD #C2092 (ccc)
- Maître HOFFMAN #C610 (exécutoire)

Décision du 14 Juin 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 21/08559 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUV67

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Véra ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière lors des débats et de Monsieur Quentin CURABET, Greffier lors de la mise à disposition.

DEBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 03 Mai 2024 puis prorogé au 4 Juin 2024.

JUGEMENT

Prononcé pubmiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

1.La société COMPTOIR INTERNATIONAL DES TISSUS (ci-après CIT) a pour activité la commercialisation de tissus en gros. En septembre 2020, elle a acheté auprès de la société de droit italien BLUE STUDIO, le dessin référencé "OBLBCS0000206" l'a fait adapter, l'a désigné sous la référence 4416, et l'a décliné en plusieurs coloris.

2.De ce fait, la société CIT a disposé pour une durée de cinq ans et pour le monde entier, des droits de reproduction, de représentation, d'adaptation et de commercialisation portant sur le dessin en cause.

3.La société MOOV GROUP exerce une activité de commerce de gros (commerce interentreprises) d'habillement et de chaussures. Ses modèles sont commercialisés sous l'enseigne MOOV GROUP.

4.La société PRESSPLAY exerce une activité de commerce de gros (commerce interentreprises) d'habillement et de chaussures Elle exploite notamment ses produits sous la marque française KILKY n° 3462600 enregistrée en 2006 dans les classes 14,18 et 25.

5.La société LIANG exerce une activité d'import-export et est spécialisée dans la commercialisation de produits de prêt-à-porter féminin. Elle exploite notamment ses produits sous sa propre marque SEASON.
Ces sociétés ont notamment vendu des vêtements à imprimés fleuris, notamment dans le cadre des collections printemps / été 2021.

6.La société CIT fait grief à chacune de ces sociétés d'avoir commercialisé plusieurs produits reproduisant les caractéristiques du tissu 4416 précité. Elle a fait procéder auprès d'elles à des saisies-contrefaçons le 21 mai 2021, avant de les assigner, devant le tribunal judiciaire de Paris par actes de commissaires de justice signifiés les 23 et 24 juin 2021, notamment pour contrefaçon du droit d'auteur.

7.Par ordonnances du 5 août 2022, le juge de la mise en état a débouté les défenderesses de leurs demandes tendant à déclarer irrecevable l'action en contrefaçon de la société CIT, pour défaut de qualité à agir.

8.Les affaires ont fait l'objet d'une jonction le 30 novembre 2022.

9. Au terme de ses dernières écritures en date du 15 mars 2023, la société CIT a sollicité :
- de valider les saisies-contrefaçon pratiquées,
- de dire et juger que le dessin référencé 4416 est original et protégeable au titre du droit d'auteur, et qu'elle est titulaire des droits de création de ce dessin,
- d'interdire aux défenderesses de fabriquer, faire fabriquer, commercialiser, faire commercialiser, importer ou exporter tant en France qu'à l'étranger tout tissu contrefaisant, ou tout vêtement fabriqué dans des tissus contrefaisant le dessin qu'elle commercialise sous la référence 4416,
- d'ordonner la confiscation et la destruction desdits tissus et vêtements contrefaisants,
- de leur faire sommation et injonction de communiquer un état des stocks, des achats et des ventes, ainsi que les documents douaniers, certifiés conformes concernant les produits manufacturés contrefaisant le dessin 4416,
- de les condamner au titre du préjudice né des actes de contrefaçon, au paiement des sommes provisionnelles de :
70.094,20 euros pour MOOV GROUP,
70.517 euros pour PRESSPLAY,
72.282,40 euros pour LIANG.
Sur la concurrence déloyale :
A titre principal de les condamner pour actes de concurrence déloyale distincts de ceux de contrefaçon au paiement provisionnel de 50 000 euros, chacune, pour le préjudice résultant de la concurrence déloyale ainsi commise ;
Subsidiairement, au paiement provisionnel de la même somme, si les actes de contrefaçon n'étaient pas reconnus.
En tout état de cause,
-de leur interdire de fabriquer, faire fabriquer, commercialiser, faire commercialiser, importer ou exporter tant en France qu'à l'étranger tous tissu contrefaisant, ou tout vêtements fabriqués dans des tissus contrefaisant, le dessin qu'elle commercialise sous la référence 4416, et ce, sous astreinte de 500 euros par jour et par modèle contrefait, ;
- d'ordonner la publication de la décision à intervenir,
- de les condamner au paiement de la somme de 10 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

10.La société CIT soutient que l'originalité du dessin réside dans le choix particulier des fleurs et de leur composition. Elle conteste l'existence d'antériorités. Elle soutient qu'il résulte des constats des commissaires de justice que les défenderesses ont vendu en connaissance de cause, des vêtements dont le tissu reproduisait à l'identique, les caractéristiques du dessin qu'elle commercialise sous la référence 4416 ; qu'il en résulte un manque à gagner, avéré ; que la vente de vêtements confectionnés avec un tissu reprenant les caractéristiques du dessin litigieux créée également un préjudice d'image à ses dépens. Les défenderesses sont selon elle à l'origine d'une concurrence déloyale et parasitaire, en ayant profité de ses propres efforts de création, en se plaçant dans son sillage et en créant un risque de confusion pour la clientèle.

11.En réponse et par conclusions du 27 avril 2023, les défenderesses sollicitent :
A titre principal :
-de juger que le dessin 4416 revendiqué par la société CIT est dépourvu de caractère original et qu'il ne peut, en conséquence, bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur ;
-de débouter la société CIT de ses demandes en contrefaçon à leur encontre.
A titre principal ou subsidiaire :
-de débouter la société CIT de ses demandes à l'encontre des défenderesses au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.
En tout état de cause :
-de débouter la société CIT de l'intégralité de ses demandes,
-de la condamner au paiement de la somme de 10 000 euros à chacune des défenderesses et aux entiers dépens.

12.Les défenderesses contestent la contrefaçon du droit d'auteur alléguée au regard de l'absence d'originalité du dessin. Elles soutiennent que la demanderesse ne démontre aucun apport créatif et s'appuient sur des modèles qu'elles présentent comme des antériorités. Selon elles, le motif appartient au fonds commun des imprimés floraux et la comparaison des modèles en cause fait apparaître des différences notables. Elles font valoir que la société CIT ne démontre pas de préjudice économique, dès lors qu'elle ne fabrique ni ne commercialise aucun produit de prêt à porter ; ni un manque à gagner, compte tenu du nombre de pièces en cause, et de la survenance des saisies-contrefaçons peu après la mise en vente des vêtements litigieux.

Une ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

I. Sur la contrefaçon des droits d'auteur

13.Selon l'article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle : "sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : […] 14° Les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure".

14.Selon son article L.122-4, "toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite".

15.En application de la directive 2001/29, une oeuvre implique un objet original, c'est- à-dire une création intellectuelle propre, son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs. Cet objet doit être identifiable avec suffisamment de précision et d'objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui reçoit l'objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35).

16.Il appartient à celui qui revendique une protection au titre du droit d'auteur dont l'originalité est contestée, de préciser en quoi l'œuvre revendiquée porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.

17.L'originalité peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements, mais également de la combinaison originale d'éléments connus. La reconnaissance de la protection par le droit d'auteur ne repose donc pas sur un examen de l'oeuvre invoquée par référence aux antériorités produites, mais celles-ci peuvent contribuer à l'appréciation de la recherche créative.

18.En l'espèce, le dessin 4416 est ainsi décrit par la demanderesse : " un imprimé floral composé de différentes corolles de fleurs épanouies dotées de grands pétales plus ou moins dessinés de différentes tailles et de différentes couleurs, de feuilles dont on voit les rainures ainsi que des pétales épars entre les dessins de fleurs, certains pétales s'apparentant à des coups de pinceaux " :
4416

19.Il a été décliné dans différents coloris par la société CIT :

20.Son originalité résiderait selon la demanderesse "dans la combinaison de ses caractéristiques lesquelles procèdent de choix et d'agencements particuliers reflétant la personnalité de son auteur. En effet, la composition et le choix particulier des fleurs, des pétales, des feuillages, de leur disposition et des contours dans le dessin de la demanderesse, qui doivent s'apprécier de manière globale, confèrent au dessin de la société CIT revendiqué, une physionomie propre qui démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur, lui donnant ainsi une originalité susceptible de protection au titre des droits d'auteur".

21.Toutefois, le thème de la composition de fleurs appartient au fonds commun de l'habillement, ce thème pouvant être qualifié de banal.

22.La reproduction des fleurs à la manière du pinceau d'un peintre et leur agencement selon une juxtaposition de style impressionniste, avec des pétales détachés, des fleurs paraissant inachevées ou leur présence seulement suggérée, ne présente aucune originalité et est déclinée dans de nombreuses collections, notamment printanières, d'imprimés floraux, pour des robes, blouses, jupes et chemisiers. Il en est de même de l'emploi en alternance de couleurs contrastées et du tracé des rainures des feuilles qui apparait commun à de nombreux tissus d'habillement.

23.La styliste atteste avoir adapté le tissu acheté " en travaillant les raccords, en réduisant les tailles des motifs floraux, et en supprimant quelques éléments de la maquette originale " (pièce 5 de la demanderesse). Pour autant, ces adaptations relèvent plutôt de la maîtrise technique de la styliste, sans présenter en elles-mêmes aucune originalité particulière. Il en est de même du mariage des couleurs qui ne peut être regardé comme relevant de sa " composition personnelle ", comme le soutient la société CIT, mais plutôt des tendances d'association de couleurs de la saison.

24.Les couleurs choisies font partie des tendances de la mode de la saison printemps/été 2021 ainsi que l'établissent les défenderesses (pièce 6 de la demanderesse et pièce 8 des défenderesses).

25.L'effort créatif de la demanderesse n'est pas explicité en dehors de ces éléments, sommairement exposés.

26.En conséquence, et en l'absence d'originalité du tissu 4416, la demanderesse sera déboutée de l'intégralité de ses demandes subséquentes.

II. Sur la concurrence déloyale

27.Selon l'article 1240 du code civil, " tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ".

28.La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l'article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, ceux parasitaires visant à s'approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d'un savoir-faire, de travaux ou d'investissements ou encore, ceux constitutifs d'actes de dénigrement ou de désorganisation d'une entreprise.

29.La reconnaissance d'une faute est une condition nécessaire de la concurrence déloyale, sans que son caractère intentionnel soit une condition de la mise en œuvre de la responsabilité pour ce motif (cf Cass. com., 29 janv. 2002, no 99-18.213).

30.Il appartient toutefois au demandeur de rapporter la preuve d'une faute.

31.L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée.

32.En l'espèce, les vêtements des défenderesses ont été confectionnés à partir de tissus qui présentent de fortes similitudes avec le tissu 4416, propriété de la société CIT, ainsi que l'établissent les défenderesses elles-mêmes, en produisant leurs comparaisons.

33.Lors des opérations de saisie-contrefaçon, la société MOOV GROUP a été dans l'incapacité de transmettre les coordonnées des fournisseurs, la société LIANG a indiqué que les modèles avaient été achetés à un fournisseur chinois et la société PRESS PLAY a déclaré que les tissus avaient été achetés sur le marché de [Localité 7] (Chine).

34.Toutefois, la société CIT, qui commercialise des tissus pour le prêt-à-porter, n'explique pas en quoi la vente au détail par les défenderesses de vêtements confectionnés dans des tissus similaires aux siens aurait un caractère fautif, dès lors que ceux-ci ne sont ni originaux, ni notoires et qu'elle-même n'a pas jugé utile de les faire protéger au titre des dessins ou modèles. Il n'est par ailleurs démontré ni une ancienneté d'usage du dessin copié, ni sa reproduction, s'agissant d'une collection saisonnière.

35.En l'absence de démonstration d'une faute caractérisant la concurrence déloyale, la société CIT sera déboutée de ses demandes de dommages et intérêts formées à ce titre et de ses demandes subséquentes.

III. Sur les demandes annexes

36.Partie perdante en l'espèce, la demanderesse sera condamnée au paiement de la somme de 2 000 euros à chacune des défenderesses, qui ont opté pour une défense commune, en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal

DEBOUTE la société COMPTOIR INTERNATIONAL DES TISSUS de l'intégralité de ses demandes ;

CONDAMNE la société COMPTOIR INTERNATIONAL DES TISSUS au paiement à chacune des défenderesses de la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure et aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 14 Juin 2024

Le GreffierLa Présidente
Quentin CURABETIrène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 21/08559
Date de la décision : 14/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-14;21.08559 ?
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