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07/06/2024 | FRANCE | N°21/15173

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 2ème section, 07 juin 2024, 21/15173


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE PARIS



3ème chambre
2ème section


N° RG 21/15173
N° Portalis 352J-W-B7F-CVU4R

N° MINUTE :


Assignation du :
06 Décembre 2021







JUGEMENT
rendu le 07 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. Atelier de Production et de Création
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Caroline CASALONGA et Chloé CHIRCOP de CASALONGA, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0177


DÉFENDERESSES

S.A.S. MONOPRIX HOLDING venant aux droits de S.A.S. MONOPRIX


[Adresse 1]
[Adresse 1]

S.A.S. MONOPRIX
[Adresse 1]
[Adresse 1]

S.A.S. MONOPRIX EXPLOITATION
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentées par Maître Nicole DELAY PEUCH, avocat ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section


N° RG 21/15173
N° Portalis 352J-W-B7F-CVU4R

N° MINUTE :

Assignation du :
06 Décembre 2021

JUGEMENT
rendu le 07 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. Atelier de Production et de Création
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Caroline CASALONGA et Chloé CHIRCOP de CASALONGA, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0177

DÉFENDERESSES

S.A.S. MONOPRIX HOLDING venant aux droits de S.A.S. MONOPRIX
[Adresse 1]
[Adresse 1]

S.A.S. MONOPRIX
[Adresse 1]
[Adresse 1]

S.A.S. MONOPRIX EXPLOITATION
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentées par Maître Nicole DELAY PEUCH, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #A0377

et par Maîtres Erwann MINGAM et Palmyre THOMASSON, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidants.

Copies délivrées le :
- Maître CASALONGA #K177 (ccc)
- Maître DELAY PEUCH #A377 (exécutoire)

Décision du 07 Juin 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 21/15173 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVU4R

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Véra ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l’audience du 29 Mars 2024 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 07 Juin 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à dipsosition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Atelier de production et de création (ci-après société APC) commercialise des accessoires de mode et de prêt-à-porter, parmi lesquels un sac à main baptisé Demi-lune décliné en divers coloris et matières depuis les saisons printemps-été 2013, dont elle a déposé le modèle à l’INPI le 14 octobre 2013, enregistré sous le numéro 20134419, et qui a connu selon elle un grand succès en France et à l’étranger.

Elle reproche aux sociétés Monoprix et Monoprix exploitation des faits de contrefaçon de droit d’auteur et de modèle déposé pour avoir offert à la vente en magasin et en ligne à partir d’octobre 2021 cinq modèles de sacs à bandoulière (représentés ci-dessous) reproduisant selon elle les caractéristiques originales et l’impression d’ensemble du sac Demi-lune ainsi que des faits distincts de concurrence déloyale pour vendre ce même modèle de moindre qualité, décliné en plusieurs matériaux et couleurs, et à des prix systématiquement inférieurs.

Illustrations issues des pages 6 et 7 des conclusions de la demanderesse

Autorisée par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 27 octobre 2021, la société APC a fait réaliser des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux des sociétés Monoprix à Clichy le 8 novembre 2021.
Par actes du 6 décembre 2021, la société APC a fait assigner les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation au fond devant le tribunal judiciaire de Paris à titre principal en contrefaçon de droit d’auteur et de modèle déposé et en concurrence déloyale et parasitaire. La société Monoprix holding est intervenue volontairement à l’instance en tant que bénéficiaire d’un apport de l’ensemble des actifs et du passif du réseau Monoprix par la société Monoprix le 28 novembre 2022.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 15 mai 2023, la société APC demande au tribunal de :- débouter les sociétés Monoprix de l’ensemble de leurs demandes,
- condamner solidairement les sociétés Monoprix à lui payer la somme de 1.170.000 euros à titre principal en réparation du préjudice commercial subi au titre de la contrefaçon de droit d’auteur et de modèle et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la concurrence déloyale,
- condamner solidairement les sociétés Monoprix à lui payer la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait d’actes distincts de concurrence déloyale,
- interdire aux sociétés Monoprix la poursuite de ces actes sous astreinte, ordonner la destruction de la totalité du stock des produits sous astreinte,
- ordonner la publication du jugement à titre de dommages-intérêts complémentaires,
- ordonner l’exécution provisoire,
- condamner les sociétés Monoprix aux dépens incluant les frais de contrefaçon et à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 16 mai 2023, les sociétés Monoprix demandent au tribunal de débouter la société APC de l’ensemble de ses demandes, la condamner aux dépens et à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en disant n’y avoir lieu à exécution provisoire.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er juin 2023.

MOTIVATION

I . Sur les demandes principales fondées sur la contrefaçon

La société APC fonde ses demandes à la fois sur la protection conférée au modèle enregistré et sur les droits d’auteur. Le premier de ces régimes de protection étant spécialement adapté aux produits tels que les articles en litige, il convient de l’examiner en premier. Le second n’aura lieu d’être examiné que si et dans la mesure où il est susceptible de justifier des prétentions que le premier n’aurait pas suffi à fonder.
1 . Sur la protection au titre du modèle enregistré

a . Sur la validité du modèle enregistré

La société APC soutient que son modèle présente les caractères de nouveauté et individualité et que les prétendues antériorités invoquées en défense s’en écartent fortement.
Les sociétés Monoprix opposent que le modèle déposé n’est ni nouveau, ni individualisé en ce que, notamment, le modèle de sac Kimball de Coach est une antériorité de toutes pièces.
Sur ce,

L’article L.511-2 du code de la propriété intellectuelle dispose “Seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre”, ces notions étant explicitées par les articles L. 511-3 et 4 du même code.
Le secteur industriel des produits concernés par le modèle est celui de la maroquinerie dans lequel la liberté du créateur est grande. L’utilisateur de référence est un observateur averti au degré d’attention élevé, du fait de son intérêt pour les produits concernés.
La société APC est titulaire du modèle français n°20134419 déposé le 14 octobre 2013, valide jusqu’au 14 octobre 2028 reproduit au point 1 supra.
Aucun des modèles invoqués à l’appui de l’attaque de nouveauté n’est identique au modèle ; ils s’en écartent tous par des éléments qui ne sauraient être considérés comme des détails insignifiants (la présence de poignées et non de bandoulière, de fermoirs et non de fermetures éclair, la couleur, un aspect rugueux ou souple de la matière, etc...)
Le modèle de sac Kimball de Coach ci-après reproduit est celui qui s’en approche le plus. Néanmoins, l’impression visuelle d’ensemble qui s’en dégage pour l’observateur averti est différente du modèle en ce que la forme n’est pas la même (il présente une forme trapézoïdale surmontée d’une anse de panier alors que le modèle enregistré a une forme rectangulaire surmontée d’une anse de panier), tout comme diffèrent l’aspect de la bordure (ronde), la bandoulière (fine et ronde) et sa fixation (cousue sur le côté et sans rivet), la fermeture simple et un aspect général souple et non rigide.
Le modèle est donc valide.
b . Sur la contrefaçon du modèle enregistré

La société APC soutient que ce modèle présente les caractères de nouveauté et individualité et qu’il est servilement reproduit de façon dégradée.
Les sociétés Monoprix opposent que le modèle déposé n’est pas reproduit vu les différences importantes entre celui-ci et les modèles qu’elle commercialise.
Sur ce,

L’article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation, le transbordement, l’utilisation ou la détention à ces fins, d’un produit incorporant le dessin ou modèle. L’article L. 513-5 du même code dispose que la protection conférée par l’enregistrement d’un dessin ou modèle s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente.
L’article L. 521-1 du même code prévoit : “Toute atteinte portée aux droits du propriétaire d’un dessin ou modèle, tels qu’ils sont définis aux articles L.513-4 à L.513-8, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur”.
La contrefaçon d’un modèle s’apprécie au regard des caractéristiques protégées telles que déterminées par les seules reproductions graphiques ou photographiques contenues dans le certificat d’enregistrement au regard de l’impression visuelle d’ensemble qu’il produit.
Le modèle déposé, décrit comme un “petit sac en cuir arrondi camel”, a une forme de base rectangulaire surmontée d’une anse de panier, arrondie vers le haut. Ses deux faces identiques, parallèles, plates et lisses, se rejoignent pour constituer le fond du sac (qui a ainsi une forme de U vu de profil). Sur les côtés et le dessus, elles sont reliées par une tranche plate (ou cavour) dans laquelle est placée une fermeture zippée à deux tirettes de cuir. Une bandoulière plate, étroite et surpiquée est fixée sur le cavour par des rivets dorés et elle est ajustable avec une boucle métallique dorée de type ceinture.
Il ressort de la comparaison des pièces versées au dossier que les cinq modèles commercialisés par les sociétés Monoprix, reproduits au point 2 supra, empruntent au modèle enregistré sa forme et ses proportions ainsi que celles de la bandoulière. Pour autant, aucun d’eux n’est un sac en cuir camel et ils s’en écartent par des éléments visuellement importants en ce qu’ils ne sont ni lisses, ni unis, qu’ils associent deux matières, que leur fond n’est pas la continuité des faces latérales mais un empiècement rectangulaire en cuir lisse et que leur cavour est souple et non rigide.
Dès lors, le modèle soumis à l’appréciation du tribunal produit sur l’utilisateur averti une impression visuelle d’ensemble différente de celle produite par les sacs commercialisés par les défenderesses.

La contrefaçon du modèle n’est caractérisée pour aucun des cinq modèles en conflit avec le modèle enregistré et les demandes sur ce fondement sont rejetées.
2 . Sur la protection au titre du droit d’auteur

La société APC soutient que l’originalité du sac Demi-lune, créé en 2013 résulte de la combinaison de plusieurs éléments, qu’elle détaille, qui témoignent d’un parti pris esthétique révélé par des contrastes et la recherche d’un style urbain et chic tout en restant décontracté et comportent l’empreinte de la personnalité de son auteur. Elle fait valoir qu’aucune des antériorités invoquées en défense ne comporte la combinaison de caractéristiques originales, qui n’incluent pas les matériaux utilisés, ce qui est révélateur des multiples formes qu’un sac de genre demi-lune peut revêtir, en dépit de ses contraintes techniques, sans jamais reproduire la combinaison des caractéristiques du sac Demi-lune APC.
Elle verse aux débats un rapport qu’elle a fait établir par un expert agréé par la Cour de cassation confirmant son analyse de l’originalité du sac et le caractère propre du modèle.
Elle souligne que les antériorités qui lui sont opposées sont souvent illisibles, imprécises, sans indication d’origine ni de date (pièce adverse n°7.1 et n°7.2).

Les sociétés Monoprix font valoir que le sac dont la contrefaçon est alléguée est nécessairement la version bi-matières du modèle Demi-Lune qui n’a été divulgué qu’en 2019. Elles contestent l’originalité du sac aux motifs que :- les caractéristiques revendiquées au titre de l’originalité sont inhérentes à la forme du sac, correspondent à des choix fonctionnels et sont toutes parfaitement connues dans l’industrie du sac à main et non des choix créatifs opérés par un auteur dont ils exprimeraient la personnalité ;
- ces caractéristiques se retrouvent d’ailleurs toutes dans des antériorités, bien avant l’année 2013, de nombreux sacs à main en forme de demi-lune arrondie vers le haut avec une fermeture centrale démontrant l’existence d’un genre à part entière sur ce type de modèle ;
- il ne faut pas confondre une création originale avec le stylisme qui vise à agrémenter des produits préexistants et banals afin de les rendre plus esthétiques aux yeux des consommateurs.

Sur ce,

En application de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, “L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous”, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, sous réserve que l’œuvre soit originale, c’est-à-dire porte l’empreinte de la personnalité de son auteur. L’originalité de l’œuvre doit être explicitée par celui qui s’en prétend auteur. Elle peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements, mais également de la combinaison originale d’éléments connus.
La reconnaissance de la protection par le droit d’auteur ne repose donc pas sur un examen de l’œuvre invoquée par référence aux antériorités produites, mais celles-ci peuvent contribuer à l’appréciation de la recherche créative.

La notion d’œuvre au sens du droit d’auteur est une notion autonome du droit de l’Union et la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé que “la protection des dessins et modèles vise à protéger des objets qui, tout en étant nouveaux et individualisés, présentent un caractère utilitaire et ont vocation à être produits massivement. En outre, cette protection est destinée à s’appliquer pendant une durée limitée mais suffisante pour permettre de rentabiliser les investissements nécessaires à la création et à la production de ces objets, sans pour autant entraver excessivement la concurrence. Pour sa part, la protection associée au droit d’auteur, dont la durée est très significativement supérieure, est réservée aux objets méritant d’être qualifiés d’œuvres” (CJUE, 12 septembre 2019, C-683/17, Cofemel).
La société APC revendique ici, à titre de caractéristiques ouvrant droit à la protection par le droit d’auteur : “une forme de base rectangulaire surmontée d’une anse de panier, arrondie vers le haut, structurée tout en contrastes, et combinant les éléments suivants : • la face avant et la face arrière sont strictement identiques et parallèles, en miroir, plates, à bords francs, et rigides, dont la forme arrondie vers le haut contraste avec la forme droite en bas,
• les deux faces avant et arrière se rejoignent pour former le fond du sac, lequel présente une forme droite vu de face, et une ligne arrondie en U vu de profil,
• le fond du sac est constitué par les faces avant et arrière qui se rejoignent en forme arrondie,
• les faces avant et arrière du sac sont reliées par un cavour (tranche plate centrale) qui suit les lignes arrondies des faces avant et arrière et qui est placé en retrait des bords desdites faces et qui forme un angle droit avec elles,
• le sac présente une fermeture zippée droite, laquelle est inscrite dans la tranche supérieure arrondie du sac (i.e. dans le cavour), et s’étend d’un côté à l’autre du sac au niveau de l’attache de la bandoulière,
• la bandoulière est plate, étroite et surpiquée avec des éléments métalliques dorés rappelant le doré de la fermeture zippée et celui du logo disposé en haut de la face avant du sac.”
“qui révèle le parti pris esthétique d’A.P.C. dans la création du modèle de Sac Demi-Lune, lequel a été pensé pour se présenter tout en contrastes, à la fois un caractère classique et moderne, dans un style urbain et chic tout en restant décontracté”.

Ces caractéristiques constituent une description détaillée du modèle Demi-Lune et s’y retrouvent donc toutes. La plupart d’entre elles (deux faces identiques, une fermeture zippée droite inscrite dans le cavour du sac, lui-même en retrait des faces du sac, une bandoulière plate surpiquée) relèvent d’un fonds commun aux articles de maroquinerie du même type et sont présentes dans de très nombreux modèles antérieurs figurant dans les écritures des sociétés Monoprix et singulièrement dans le modèle antérieur (1990) Kimball (représenté supra) ainsi que celui du même fabriquant présenté en pièce 13.Les contrastes invoqués ne sont pas explicités ni manifestes.
Enfin, la seule recherche d’un caractère classique et moderne, urbain, chic et décontracté est conceptuelle et n’a pas ici de forme concrète.

Dès lors que toutes les caractéristiques revendiquées au titre de l’originalité appartiennent au fond commun de la fabrication de sacs à main et vu l’offre existante au moment de sa création, leur combinaison révèle un travail stylistique de qualité mais non un effort créatif concrétisé par une apparence singulière qui viendrait révéler l’empreinte de la personnalité d’un styliste, qui n’est d’ailleurs pas identifié.
La forme du modèle Demi-Lune de la société APC ne constitue donc pas une œuvre originale protégée par le droit d’auteur et il y a lieu en conséquence de rejeter l’ensemble des demandes de la société APC sur ce fondement.
II. Sur la demande subsidiaire fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire

La société APC fait valoir que la commercialisation de copies serviles par les sociétés Monoprix du modèle de sac Demi-Lune qu’elle a créé, développé, exploité et décliné de manière récurrente depuis des années, sous ce même nom, génère un risque de confusion à son préjudice et caractérise en conséquence des actes de concurrence déloyale.
Les société Monoprix opposent que :- le fait de vendre un produit similaire à un concurrent n’est pas constitutif d’une faute et ne peut être interprété comme une volonté de créer un risque de confusion car une telle situation s’explique essentiellement par les tendances de la mode et les attentes des clients ;
- le terme demi-lune sert à désigner la forme du sac et est utilisé par tous les fabricants et vendeurs de sacs ;
- elles ont toujours commercialisé les sacs sous leur marque figurant sur le produit, son étiquette et les annonces en ligne, de sorte qu’aucun élément ne suggère un lien ou une collaboration avec la société APC ;
- les produits visent des consommateurs diférents et usent de canaux de distribution différents.

Sur ce,

Sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, les comportements fautifs car contraires aux usages dans la vie des affaires, tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui tirent profit sans bourse délier d’une valeur économique d’autrui procurant à leur auteur, un avantage concurrentiel injustifié, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.
La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce ce qui implique qu’un signe ou un produit qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.
L’appréciation d’un risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité et la notoriété de l’objet copié.
Il résulte de la pièce 9 des défenderesses que la société APC commercialisait au moment des faits son modèle Demi-Lune dans au moins 19 déclinaisons de couleurs et matières, toutes unies, lisses et faites d’une seule et même matière, à l’exception des deux reproduites ci-après (respectivement paille ou toile et cuir lisse) et une alliant cuir effet tressé et cuir lisse (ses pièces n°7 et 8).

La ressemblance des trois modèles Monoprix en cuir tressé et cuir lisse (rose, noir et camel) avec ce dernier modèle est forte, mais n’en constitue pas une copie servile. Quant aux deux autres modèles utilisant une toile blanche ou du raphia tressé, la ressemblance est superficielle avec les deux autres pièces reproduites au point précédent.Il n’est pas soutenu que de tels faits auraient été répétés.

L’exploitation par la société APC sous le nom Demi-Lune du modèle enregistré date de 2013 et celle de ces derniers modèles remonte à septembre 2019 et mai 2020.Les revues de presse versées aux débats montrent que les parutions publicitaires pour ce sac portent toujours sur un modèle en cuir lisse, dans différents coloris et textures, mais non sur des modèles tressés, bicolores ou bimatières.

Il ressort des revues de presse de la société APC (pièce n°2) et des extraits de plusieurs sites internet de 2021 (La redoute, Asos, Ashoka ou Chabrand) versés par les sociétés défenderesses que “le sac demi-lune” désigne de façon générique un type de sac à mains ayant sensiblement la forme d’un demi-disque et que de nombreux autres modèles de sacs du même type, également désignés comme “demi-lune”, étaient en vente à la même période par d’autres opérateurs économiques. L’utilisation de cette désignation n’était donc pas susceptible d’évoquer un fabriquant en particulier.
Enfin, les sacs litigieux portent des marques Monoprix, ne sont pas en cuir et sont vendus à des prix de grande distribution.
Tous ces éléments convergent vers l’absence de risque de confusion pour la clientèle entre les modèles Demi-Lune de la société APC et les modèles Demi-Lune des sociétés Monoprix de sorte que le grief de concurrence déloyale par la création délibérée d’un risque de confusion n’est pas fondé.
Il y a donc lieu de débouter la société APC de ses demandes sur ce fondement subsidiaire.
III. Sur la demande principale fondée sur des faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire

La société APC fait valoir que la commercialisation de copies serviles par les sociétés Monoprix du modèle de sac Demi-Lune de moindre qualité, déclinées en plusieurs couleurs et matériaux (5 modèles démontrant la volonté des défenderesses de créer un effet de gamme), à des prix systématiquement inférieurs et soldés sous la dénomination “demi-lune” constituent des faits distinct de concurrence déloyale.Les sociétés défenderesses ont également commis des actes de parasitisme dès lors que le sac Demi-Lune a connu très rapidement un grand succès commercial s’expliquant notamment par ses investissements

Les sociétés Monoprix opposent que :- elles n’ont fait que commercialiser des produits s’inscrivant dans les tendances de la mode ;
- la vente de cinq modèles dans trois couleurs et deux textures très courantes et n’évoquant pas particulièrement la société APC ne peut caractériser un effet de gamme ;
- la société APC ne rapporte pas la preuve des investissements et des efforts qu’elle aurait réalisés sur ce modèle lui conférant une réelle valeur économique et l’attestation produite tardivement porte sur toute l’activité maroquinerie ;
- il n’est pas plus démontré que le sac Demi-Lune “constitue une facette incontournable de son identité et de son image et participe à sa renommée” ;
- elles-mêmes engagent des dépenses pour promouvoir leur marque et les produits litigieux .

Sur ce,

La vente d’un modèle de sac dans cinq finitions différentes ne saurait caractériser un effet de gamme démontrant un acte de concurrence déloyale, les sacs à main n’ayant pas vocation à être achetés pour constituer un ensemble.
En l’absence de risque de confusion, déjà évoqué supra, la vente de produits ressemblants à moindre prix ne saurait être fautive.
S’agissant du parasitisme, le nombre d’offres de vente de sacs du genre demi-lune en 2021 évoquées dans les conclusions des défenderesses démontre suffisamment qu’il s’agissait d’une mode, d’ailleurs récurrente (un magazine féminin en 2015 titrait ainsi “Sac demi-lune Mini ou maxi, on adore”), que les sociétés défenderesses pouvaient légitimement suivre.
S’agissant de la valeur économique qui lui aurait été fautivement empruntée par la société Monoprix, la société APC ne démontre pas les investissements réalisés ni que le succès commercial de ce sac depuis 2013 est tel que les consommateurs l’associent immédiatement à elle. Or, les sociétés Monoprix démontrent que leur personnel a élaboré des fiches produits précises et évolutives pour chacun des cinq modèles en litige entre le 19 juin et le 28 juillet 2020 afin de les faire réaliser par des fabricants de Taiwan.
Aucun acte de parasitisme n’est donc démontré.
Il y a donc lieu de débouter la société APC de ses demandes au titre de faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire.
IV . Demandes finales

La société APC, qui succombe, est condamnée aux dépens et l’équité justifie de la condamner à payer à la société Monoprix la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Déboute la Société Atelier de production et de création de l’ensemble de ses demandes ;

Condamne la Société Atelier de production et de création aux dépens de l’instance ;

Condamne la Société Atelier de production et de création à payer aux sociétés Monoprix, Monoprix holding et Monoprix exploitation, ensemble, la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 07 Juin 2024

Le GreffierLa Présidente
Quentin CURABETIrène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 21/15173
Date de la décision : 07/06/2024
Sens de l'arrêt : Déclare la demande ou le recours irrecevable

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-07;21.15173 ?
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