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07/06/2024 | FRANCE | N°21/05381

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 6ème chambre 2ème section, 07 juin 2024, 21/05381


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




6ème chambre 2ème section


N° RG 21/05381 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUHKS

N° MINUTE :

Contradictoire

Assignation du :
15 Avril 2021















JUGEMENT
rendu le 07 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.N.C. BOULEVARD [Adresse 7]
immatriculée sous le n° 500 362 087
[Adresse 3]
[Localité 5]


représentée par Maître Valérie MARAIS de la SARL ADEMA AVOCATS, a

vocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0225



DÉFENDERESSE

Syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 2] représenté par son syndic en exercice la SASU I&D
[Adresse 4]
[Localité 6]


repré...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

6ème chambre 2ème section


N° RG 21/05381 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUHKS

N° MINUTE :

Contradictoire

Assignation du :
15 Avril 2021

JUGEMENT
rendu le 07 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.N.C. BOULEVARD [Adresse 7]
immatriculée sous le n° 500 362 087
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentée par Maître Valérie MARAIS de la SARL ADEMA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0225

DÉFENDERESSE

Syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 2] représenté par son syndic en exercice la SASU I&D
[Adresse 4]
[Localité 6]

représenté par Maître Camille MIALOT de la SELARL MIALOT AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #E0403

Décision du 07 Juin 2024
6ème chambre 2ème section
N° RG 21/05381 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUHKS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Nadja GRENARD, Vice-présidente
Madame Marion BORDEAU, Juge
Madame Stéphanie VIAUD, Juge

assistée de Madame Audrey BABA, Greffier

DEBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue en audience publique devant Madame Nadja GRENARD , juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Nadja Grenard , Présidente de formation et par Madame Audrey BABA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 10 octobre 2013, la SNC [Adresse 7] a déposé une demande de permis de construire n°PC 075 117 13 V1040 en vue de réaliser un immeuble de 6 étages d’habitation et de commerce en rez-de-chaussée, sur la parcelle cadastrée CD n°[Cadastre 8] sise [Adresse 1] dans le [Localité 6].

Par un arrêté du 30 juin 2014, la Maire de [Localité 9] a accordé à la SNC BOULEVARD [Adresse 7] le permis de construire n°PC 075 117 13 V1040.

Par requête en date du 13 août 2014, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 2] (ci-après le syndicat des copropriétaires) a saisi le Tribunal administratif de Paris aux fins d'annulation du permis de construire.

Par un jugement du 9 avril 2015, le Tribunal administratif de Paris a, par décision rendue en premier et dernier ressort, rejeté la requête déposée par le syndicat des copropriétaires.

Formant pourvoi de cette décision, le syndicat des copropriétaires a demandé l’annulation du jugement rendu par le Tribunal administratif de Paris du 9 avril 2015.

Par un arrêt n°389955 en date du 4 novembre 2015, le Conseil d’Etat n’a pas admis le pourvoi en cassation du syndicat des copropriétaires.

En réponse à une première demande de prorogation et par un courrier en date du 11 août 2017, la Maire de [Localité 9] a informé la SNC [Adresse 7] que le délai de validité de son permis de construire qui devait initialement expirer le 30 juin 2017 était reporté au 21 septembre 2018.

A la demande de la SNC BOULEVARD [Adresse 7], la Mairie de [Localité 9] a par une décision en date du 6 mars 2018 prorogé d'un an le délai de validité du permis de construire n°PC 075 117 13 V1040, jusqu'au 21 septembre 2019.

La déclaration d’ouverture du chantier pour le permis de construire n° PC 075 117 13 V1040, a été déposée en Mairie le 2 juillet 2019, pour une ouverture du chantier à la date du 22 juillet 2019.

Par courrier du 14 janvier 2020, le syndicat des copropriétaires a demandé à la mairie de [Localité 9] de constater la péremption du permis de construire accordé à la SNC [Adresse 7].

Par courrier du 25 février 2020, le Maire de Paris a refusé de constater la péremption du permis litigieux, décision dont le syndicat des copropriétaires a sollicité l'annulation devant le tribunal administratif de Paris le 6 juillet 2020.

En parallèle, le syndicat des copropriétaires a introduit un référé-suspension contre cette décision le 29 décembre 2020, recours qui a été rejeté par ordonnance du juge des référés le 15 janvier 2021.

Par jugement du 17 juin 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté au fond la demande d’annulation présentée par le syndicat des copropriétaires dont le syndicat a interjeté appel.

Engagement de la procédure au fond

Par exploit d'huissier du 15 avril 2021, la SNC Boulevard [Adresse 7] a assigné le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], représenté par son syndic en exercice, la société IMMO DE FRANCE, devant le Tribunal judiciaire de Paris aux fins d'obtenir réparation de ses préjudices estimant abusifs les recours formés par le syndicat des copropriétaires.

Selon décision du 24 février 2022, la Cour administrative d’appel de Paris a rejeté l'appel ainsi formé, décision contre laquelle le syndicat des copropriétaires a formé un pourvoi devant le conseil d'Etat.

Moyens et prétentions des parties

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique en date du 27 septembre 2022, la SNC [Adresse 7] sollicite de voir, par décision assortie de l'exécution provisoire, condamner le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 2]) à lui payer les sommes suivantes:

2.167.066 euros à titre de dommages-intérêts ;
7.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Valérie MARAIS, avocat au Barreau de PARIS, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;
A l'appui de ses prétentions, la société demanderesse expose que le syndicat des copropriétaires a commis une faute dans son droit d'ester en justice constitutif d'un abus de droit dans la mesure où :

- depuis 2014 la défenderesse s'oppose à son projet immobilier afin de préserver sa vue,

- l'engagement de ses différents recours n'a que pour objectif de retarder le projet immobilier et le faire échouer dès lors qu'il est conscient que l'absence de purge des recours contre le permis de construire rend impossible la commercialisation du programme en VEFA ;

- ses recours se fondent sur les mêmes moyens non sérieux et qui ont été à chaque fois rejetés par les juridictions portant notamment sur la délivrance d'un permis de construire en l'absence d'accord de RFF/ SNCF RESEAU ;

- le caractère dilatoire de ses actions est également démontré par la demande de péremption du permis de construire alors que le syndicat des copropriétaires était informé dans le cadre du référé préventif du planning de chantier.

Elle expose que cette faute lui occasionne des préjudices entre 2020 et 2022 soit entre la date de l'introduction du recours contentieux contre la décision de la mairie de [Localité 9] de refuser de constater la péremption du permis jusqu'au 6 juillet 2022 dès lors que :

- la prolongation du délai de réalisation du chantier lui engendre un préjudice matériel se caractérisant par la nécessité de mobiliser des fonds supplémentaires pour mener à bien son projet immobilier et de supporter l'augmentation des taux d'intérêts ;

- les recours abusifs engagés par le syndicat des copropriétaires nuisent à son image et à sa réputation auprès des acquéreurs compte tenu de la caducité des contrats de réservation et auprès du bailleur social auprès de qui les logements avaient été commercialisés outre les établissements financiers et partenaires de l'opération ;

En réponse aux moyens adverses, il fait valoir que :

- ni l'intérêt à agir ni le bien fondé des moyens présentés à l'appui des différents recours exercés ne peuvent faire obstacle à l'action en responsabilité pour abus dans le droit d'ester et que le seul but réel poursuivi par l'auteur du recours doit être étudié ;

- les recours intentés par le syndicat des copropriétaires contre le permis de construire sont la cause unique et directe de l'absence de démarrage du chantier dans l'attente de l'issue définitive de la procédure dès lors qu'ils bloquent toute possibilité de commercialisation des lots à destination d'habitation.

*

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 1er décembre 2022, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 2]), représenté par son syndic en exercice, sollicite de voir :

juger prescrite l’action en abus de droit fondée sur la requête en annulation du 13 août 2014 et le pourvoi sommaire du 4 mai 2015 et le mémoire complémentaire du 28 juillet 2015
débouter la SNC [Adresse 7] de l’intégralité de ses demandes ;
condamner la SNC Boulevard [Adresse 7] à lui payer la somme de 15 000 € de dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi ;
condamner la SNC [Adresse 7] à lui payer la somme de 6 000 € sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile ;
condamner la SNC Boulevard [Adresse 7] à lui payer la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens ;
ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir relativement aux condamnations qui seront prononcées contre la SNC [Adresse 7].

Au soutien de sa fin de non-recevoir, le syndicat des copropriétaires expose que la société demanderesse est prescrite à solliciter de voir reconnaître le caractère abusif de sa requête en annulation du permis de construire formée le 13 août 2014 et de son pourvoi formé le 4 mai 2015 en l'absence d'engagement d'action dans un délai de 5 ans postérieurement à ces deux recours et ne saurait dès lors invoquer ces recours pour appuyer sa demande indemnitaire.

A l'appui de sa défense au fond, il fait valoir que :

- le simple rejet de ses demandes devant les juridictions administratives de même que le fait de reprendre les mêmes moyens en première instance ne peut suffire à caractériser une faute dans son droit d'agir ;

- aucune faute n'est caractérisée au regard de l'argumentation qu'il développe à l'appui de ses recours dès lors que ses recours ne sont pas dépourvus de pertinence ou infondés ou fondés sur des moyens non liés à la réglementation d'urbanisme ;

- les recours ont été exercés sur le non-respect du Code de l'urbanisme ;

- les préjudices invoqués ne sont pas justifiés dans leur principe ni dans leur quantum.

La clôture est intervenue le 16 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LES DEMANDES PRINCIPALES

I. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Le syndicat des copropriétaires sollicite de voir déclarer prescrite l’action aux fins d’indemnisation de l’abus de droit d’ester en justice formée par la SNC boulevard [Adresse 7] qui se fonderait sur la requête en annulation du 13 août 2014 et le pourvoi sommaire du 4 mai 2015 et le mémoire complémentaire du 28 juillet 2015 en l’absence d’engagement d’une action dans le délai de 5 ans suivant ces évènements.

Aux termes de l’article 789, 6° du code de procédure civile, applicable aux instances introduites postérieurement au 1er janvier 2020, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : 6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Dans la mesure où le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 2] n’a pas saisi le juge de la mise en état de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de la SNC [Adresse 7] au titre de ses recours engagés plus de 5 ans avant la délivrance de son assignation le 15 avril 2021, il convient de la déclarer irrecevable à la soulever devant le tribunal.

II. Sur la demande principale formée par la SNC boulevard [Adresse 7]

Aux termes des dispositions de l'article 1240 du code civil tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer.

L'exercice d'une action en justice constitue un droit qui ne peut donner lieu à dommages intérêts que s'il dégénère en abus caractérisé par un cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol. Il en résulte que le fait qu'un recours en justice soit rejeté ne caractérise pas en soi un abus du droit d'exercer ce recours. Il incombe à celui qui se prévaut de cet abus de rapporter la preuve d'une faute caractérisée ayant fait dégénérer en abus le droit d'ester en justice.

Lorsqu'un tribunal est invité à statuer sur une demande, celle-ci doit être présumée réelle et sérieuse, sauf si des éléments clairs indiquent le contraire et peuvent justifier la conclusion qu'elle est frivole, vexatoire ou autrement dépourvue de justification.

Sur la contestation du permis de construire

La SNC [Adresse 7] expose que la faute dans son droit d’agir du syndicat des copropriétaires est caractérisée dès lors que :

- le syndicat des copropriétaires, qui n’a comme unique but que de protéger sa vue et son environnement, n’a pas été inspiré dans ses multiples recours par des considérations visant à l’observation des règles d’urbanisme;

- il a réitéré de manière abusive un moyen parfaitement infondé relatif à l’absence d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public donnée par la société Réseau Ferré de France devant le conseil d’Etat et dans le cadre du référé préventif malgré la motivation claire du jugement rendu par le tribunal administratif le 9 avril 2015.

Au cas présent il ressort des éléments du dossier que

- par requête en date du 13 août 2014, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 2] (ci-après le syndicat des copropriétaires) a saisi le Tribunal administratif de Paris aux fins d'annulation du permis de construire;

- le Tribunal administratif de Paris a, par décision rendue en premier et dernier ressort le 9 avril 2015, rejeté la requête déposée par le syndicat des copropriétaires;

- le syndicat des copropriétaires a formé un recours devant le Conseil d’Etat pour obtenir l’annulation du jugement rendu par le Tribunal administratif de Paris du 9 avril 2015;

- le Conseil d’Etat, n’a, par arrêt du 4 novembre 2015, pas admis le pourvoi en cassation du syndicat des copropriétaires.

Au vu du jugement du 9 avril 2015, le syndicat des copropriétaires a contesté la décision ayant accordé le permis de construire sur de multiples moyens tenant notamment à l’incompétence du signataire, à la violation de l’article R 111-2 du Code de l’urbanisme (concernant le terrain d’assiette de construction se situant dans une zone de dissolution de gypse antéludien ), à la violation de l’article R 431–10 du Code de l’urbanisme ( absence d’insertion du projet dans son environnement), de l’article L2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques et article R 431-13 du Code de l’urbanisme (prévoyant la nécessité de joindre au dossier de demande de permis de construire une pièce exprimant l’accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public), à la violation du Code de la construction et de l’habitation (méconnaissance règles liées à la sécurité incendie ou accessibilité aux personnes à mobilité réduite), la méconnaissance de la servitude non aedificandi du titre 1 de l’annexe au PLU et à la méconnaissance de l’article 44 bis du règlement sanitaire de [Localité 9].

Il s’ensuit qu’il a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat s’agissant d’une décision rendue en premier et dernier ressort en soutenant que le jugement est entaché d’une insuffisance de motivation, d’erreur de droit ou de dénaturation concernant trois moyens soulevés, soit la méconnaissance des dispositions de l’article R 111-2 du Code de l’urbanisme, l’absence de justification d’une autorisation d’occupation du domaine public en application de l’article R431-13 du Code de l’urbanisme et le moyen tiré de la méconnaissance du règlement sanitaire départemental de [Localité 9] en matière d’urbanisme.

Par ailleurs il ressort que dans le cadre de l’expertise du référé-préventif obtenue par la SNC [Adresse 7], le syndicat des copropriétaires a indiqué à l’expert judiciaire que la SNC ne pouvait commencer les travaux de construction incluant l’implantation des micropieux en tréfonds dans l’emprise du RER C sans l’autorisation préalable de SNCF RESEAU sauf à méconnaître l’article L2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dès lors qu’interrogée à ce titre la SNCF RESEAU a indiqué n’avoir jamais accordé à ce jour à la SNC [Adresse 7] ladite autorisation.

S’agissant de ce moyen, il est établi que le tribunal administratif a dans son jugement du 9 avril 2015 rejeté ce moyen énonçant à ce titre que :
- le terrain d’assiette de la construction autorisée et son sous-sol avait fait l’objet d’une division en volumes, comprenant un volume n°1 (comprenant le tunnel du RER C et son tréfonds) qui est demeuré propriété de Réseau Ferré de France et un volume n°2 devenu propriété de la SNC [Adresse 7],
- la division en volumes s’est accompagnée de l’établissement de servitudes conventionnelles (servitude d’accrochage-ancrage permettant au profit des deux fonds les accrochages et les ancrages nécessaires à la réalisation d’équipements nouveaux et une servitude d’appui ayant pour objet de permettre au bénéfice du seul volume n°2 une modification des éléments de support, d’appuiet de fondation situés dans le volume inférieur)
- ces servitudes valent autorisation d’occupation du domaine public .

Il ne peut être déduit du simple recours formé par le syndicat des copropriétaires contre la délivrance du permis de constuire et le pourvoi engagé contre la décision rendue par le Tribunal administratif en maintenant trois moyens précédemment soulevés, tel que le permet la procédure de cassation, une faute caractérisant un abus dans le droit d’agir en justice. En effet, il ne ressort pas de la motivation du tribunal administratif, qui a répondu à chaque moyen soulevé après une analyse juridique approfondie, que ces moyens soulevés notamment tenant à la violation de l’article L2122-1 du CGPPP et de l’article R 431-13 du Code de l’urbanisme manquaient de sérieux, étaient fantaisistes ou manifestement voués à l’échec.

Si dans son dire transmis en 2019 par le syndicat des copropriétaires à l’expert judiciaire, celui-ci réitère l’absence de justification d’une autorisation d’occupation du domaine public par la SNC boulevard [Adresse 7], force est de constater que ce dire s’inscrit dans une procédure d’expertise, ne vient pas au soutien d’une demande formée en justice, et ne peut dès lors caractériser un abus dans le droit d’agir en justice.

Sur la demande de constatation de la péremption du permis de construire

En l'espèce, il est établi que par la suite :

- le syndicat des copropriétaires a, par courrier du 14 janvier 2020, demandé à la mairie de [Localité 9] de constater la péremption du permis de construire accordé à la SNC [Adresse 7] en application de l’article R 424-17 du Code de l’urbanisme faisant valoir que le permis de construire serait caduc depuis le 21 septembre 2019 en l’absence de commencement de travaux par la SNC boulevard [Adresse 7] dès lors que seules les installations de chantier ont été aménagées lesquelles ne suffisent à caractériser selon la jurisprudence un commencement de travaux ;

- par courrier du 25 février 2020, la mairie de [Localité 9] a refusé de constater la péremption du permis litigieux, indiquant que les travaux sont en cours de réalisation suite au dépôt des déclarations d’ouverture de chantier ;

- par requête reçue le 6 juillet 2020 par le Tribunal administratif de Paris, le syndicat des copropriétaires a formé un recours pour excès de pouvoir aux fins d'annulation de la décision de rejet de la demande de péremption prise par la Mairie de [Localité 9] faisant valoir un moyen d’illégalité externe de la décision (l’absence d’autorité compétente pour signer cette décision en l’absence de preuve d’une délégation de signature lui permettant de signer les décisions prises sur la demande de péremption de Mme [X] cheffe de la circonscription Nord) et un moyen d’illégalité interne de la décision au visa de l’article R 424-17 du Code de l’urbanisme (la péremption acquise du permis de construire en l’absence de démarrage des travaux avant le 21 septembre 2019 dès lors que de simples travaux préparatoires ou d’installations de chantier ne peuvent suffire à caractériser ce démarrage des travaux et qu’il ressort de la note de l’expert judiciaire désigné dans le cadre du référé préventif que les travaux de fondations n’ont commencé qu’à compter du 4 novembre 2019) ;

- par requête reçue le 29 décembre 2020 par le Tribunal administratif de Paris, le syndicat des copropriétaires a introduit un référé-suspension contre la décision du 25 février 2020 ;

- selon ordonnance du 15 janvier 2021, le juge des référés a rejeté la demande de suspension formée par le syndicat des copropriétaires estimant que les moyens soulevés ne paraissaient pas en l’état de l’instruction propres à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ;

- par jugement du 17 juin 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté au fond la demande d’annulation de la décision du 25 février 2020 au motif que le moyen tiré de l’incompétence du signataire de l’arrêté attaqué manquait en fait compte tenu des justificatifs produits par la mairie de [Localité 9] relatif à l’habilitation de la signataire, et a également rejeté le second moyen soulevé au visa de l’article R 424-17 du Code de l’urbanisme jugeant que les éléments de preuve produits aux débats par la SNC [Adresse 7], notamment les attestations établies par le maître d’oeuvre d’exécution et la société en charge des fondations, démontraient le démarrage des travaux avant la date d’expiration du permis de construire ;

- le syndicat des copropriétaire a formé appel le 20 août 2021 de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de [Localité 9] afin de contester l’analyse des preuves par les juges administratifs estimant que ceux-ci ont accordé plus de valeur probante aux attestations produites par les sociétés travaillant pour le compte du maître d’ouvrage qu’aux témoignages objectifs des employés de la société de fondation recueillis par l’expert judiciaire et à un courriel adressé par le directeur des programmes chez le promoteur Fulton indiquant à la mairie de [Localité 9] le 27 septembre 2019 que les équipes étaient depuis le mois d’août en train de mettre en place l’instrumentation (suivi topographique et contrôle caméra) préalable au démarrage des travaux de fondation proprement dits que de surcroît il reproche aux juges administratifs de ne pas avoir recherché le caractère suffisant des travaux entrepris ;

- par requête du 13 décembre 2021 la SNC [Adresse 7] a soulevé l’irrecevabilité de l’appel dès lors que la décision rendue par le tribunal administratif du 17 juin 2021 avait été rendue en premier et dernier ressort et que le seul recours possible devait être effectué par voie de pourvoi devant le conseil d’État ;

- par arrêt du 24 février 2022, la Cour administrative d’appel a transmis la requête formée par le syndicat des copropriétaires au Conseil d’État estimant que la décision de rejet de constater une péremption d’un permis de construire relevait du champ d’application de l’article R 811-1-1 du Code de justice administrative et que le jugement rendu le 17 juin 2021 devait être considéré comme ayant été rendu en premier et dernier ressort ;

- par décision du 22 novembre 2022, le Conseil d’État n’a pas admis le pourvoi.

La SNC boulevard [Adresse 7] soutient que l’intention de nuire du syndicat des copropriétaires se manifeste notamment par :

- le fait de contester la décision de rejet de péremption alors qu’il était au courant dans le cadre du référé préventif du démarrage des travaux dès le 12 août 2019 ;

- le rejet de toutes ses demandes, le syndicat des copropriétaires s’étant vu rejeter sa requête en référé-suspension puis son recours pour excès de pouvoir, et a vu déclaré irrecevable son appel ;

- le fait que le syndicat des copropriétaires a interjeté appel alors qu’il avait conscience que son appel était voué à l’échec s’agissant d’un jugement rendu en premier et dernier ressort ;

- le fait que le syndicat des copropriétaires a maintenu sa requête.

Au vu de ces éléments, il ressort que la contestation formée par le syndicat des copropriétaires se fondait sur des moyens de droit tirés du code de l’urbanisme et de fait tirés des éléments de preuve obtenus dans le cadre de l’expertise du référé préventif, que le tribunal administratif a écarté les moyens ainsi soulevés au terme d’une analyse juridique de laquelle il ne ressort pas que ces moyens reposaient sur des erreurs grossières équipollentes au dol ou soulevés de mauvaise foi, qu’en effet le tribunal administratif n’a nullement relevé le caractère fantaisiste de ceux-ci ou manifestement irrecevables dès lors que les juges administratifs ont dû vérifier notamment les éléments de preuve produits par chaque partie pour caractériser l’existence d’un démarrage des travaux avant le 21 septembre 2019.

Si la SNC [Adresse 7] estime que le syndicat des copropriétaires a de mauvaise foi soutenu l’absence de démarrage des travaux alors qu’il avait eu connaissance du planning de démarrage des travaux au 12 août 2019 dans le cadre des opérations d’expertise ordonnées dans le cadre du référé préventif, force est de constater que le syndicat des copropriétaires justifie avoir pu mettre en doute le planning ainsi fourni au vu du courriel adressé par le directeur des programmes de la société de promotion immobilière à la mairie de [Localité 9] faisant état de l’absence de démarrage au 27 septembre 2019 des travaux de fondation dès lors qu’il indiquait « depuis le mois d’août, nos entreprises travaillent dans le tunnel (en travaux de nuit) pour mettre en place l’instrumentation (suivi topographique et contrôle caméra). A l’issue de cette phase d’instrumentation, après avoir constaté le bon fonctionnement de celle-ci en lien avec la SNCF, les fondations pourront être réalisées. » confirmé par la suite après la réunion du 26 février 2020 organisée par l’expert judiciaire dans le cadre de sa note aux parties n°5 indiquant que la réalisation des fondations avait démarré le 4 novembre 2019.

Si l’appel formé par le syndicat des copropriétaires a été rejeté en raison de son irrecevabilité dès lors que la cour administrative a estimé que le jugement du 17 juin 2021 avait été rendu en premier et dernier ressort, il y a lieu de constater que la qualification du jugement ne figurait pas sur le jugement du 17 juin 2021, que cette qualification relevait en l’absence de mention expresse dans l’article R 811-1-1 du Code de justice administrative, visant expressément la décision de rejet de péremption d’un permis de construire, d’une question de droit qui a été tranchée par la cour administrative d’appel de sorte qu’il ne peut être reproché au défendeur d’avoir sciemment formé un appel voué à l’échec pour multiplier les procédures.

En outre il ne peut être déduit du simple fait que la requête en annulation formée par le syndicat des copropriétaires ait été rejeté en définitif par les juridictions administratives pour pouvoir caractériser l’action formée par le défendeur comme abusive.

Au vu de ces éléments il convient de dire que la SNC [Adresse 7] ne démontre pas le caractère abusif des recours formés par le syndicat des copropriétaires à l’encontre tant du permis de construire que de la décision de rejet de péremption rendue par la Mairie de [Localité 9] de sorte qu’elle doit être déboutée de l’intégralité de ses demandes d’indemnisation formées à l’encontre du syndicat des copropriétaires.

III. Sur la demande reconventionnelle formée par le syndicat des copropriétaires

Le syndicat des copropriétaires sollicite de voir :

condamner la SNC Boulevard [Adresse 7] à lui payer la somme de 15 000 € de dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi ;
à régler la somme de 6 000 € sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile titre d’ amende civile;
A l’appui de sa demande, elle expose que :

- l’unique objet de la présente procédure, tel que cela ressort également d’un courrier adressé par la demanderesse aux copropriétaires par courrier du 30 mars 2021, est de le dissuader de poursuivre son action tendant à l’annulation de la décision du maire de [Localité 9] ayant refusé de constater la péremption du permis de construire du 30 juin 2014, en sollicitant des sommes disproportionnées ;

- la présente procédure a été engagée avec légèreté par la demanderesse qui échoue à démontrer sa faute comme son préjudice et le lien de causalité ;

- la demanderesse a contribué à la réalisation des préjudices qu’elle allègue dès lors qu’elle a tardé à obtenir la signature de la notice de sécurité ferroviaire avec SNCF RESEAU, n’a pas sécurisé sa parcelle, a dû faire face à des squatteurs, enfin n’a pas prorogé la validité de son permis l’exposant au risque de la péremption.

Au cas présent, dans la mesure où le recours formé par la SNC [Adresse 7] repose sur des moyens de droit et de fait se fondant sur l’abus de droit d’agir du syndicat dans le cadre de ses différents recours formés à l’encontre de la validité de son permis de construire, dont il n’est ni démontré que ceux-ci sont dénués de sérieux, manifestement irrecevables ou infondés dès lors qu’ils ont nécessité une analyse juridique approfondie du tribunal, ni qu’ils ont été développés légèrement, de mauvaise foi ou avec une intention de nuire, la seule demande d’indemnisation d’un montant conséquent de dommage et intérêts ne suffisant à le caractériser, il convient de débouter le syndicat des copropriétaires de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts.

Enfin en l’absence de preuve du caractère abusif du recours ainsi exercé par la SNC boulevard [Adresse 7], il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de condamnation à l’amende civile prévue à l’article 32-1 du Code de procédure civile.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

La SNC [Adresse 7], succombant dans ses prétentions, sera condamnée aux dépens.

L’équité ne commande pas de faire application de la condamnation au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Il convient de rappeler que la présente décision est assortie de plein droit de l’exécution provisoire.

* * *

Décision du 07 Juin 2024
6ème chambre 2ème section
N° RG 21/05381 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUHKS

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par décision contradictoire, rendue en premier ressort, par voie de mise à disposition au greffe,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription;

DEBOUTE la SNC boulevard [Adresse 7] de l’intégralité de ses demandes formées à l’encontre du syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] ;

DEBOUTE le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], représenté par son syndic en exercice, de ses demandes reconventionnelles aux fins de dommages et intérêts et de condamnation à une amende civile pour procédure abusive ;

CONDAMNE la SNC [Adresse 7] aux dépens ;

DIT n’y avoir lieu à condamnation au titre des frais irrépétibles ;

RAPPELLE que la présente décision est assortie de plein droit de l’exécution provisoire ;

Fait et jugé à Paris le 07 Juin 2024

Le GreffierLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 6ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 21/05381
Date de la décision : 07/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-07;21.05381 ?
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